L'Aisne avec DSK

21 octobre 2008

La femme de nos rêves.

Bonjour à toutes et à tous.

Dans les années 70, quand j'étais adolescent, il y avait un personnage détesté entre tous, auquel personne ne voulait ressembler, dont on se moquait volontiers: la "bonne soeur". Le terme lui-même était péjoratif: traiter quelqu'un de "bonne soeur" n'était pas un compliment. On stigmatisait à travers cette expression une personne grise, coincée, bigote, à rebours de l'époque marquée par le grand vent d'émancipation de Mai 68. La "bonne soeur" était la femme de nos cauchemars. Serait-elle devenue, trente ans plus tard, la femme de nos rêves?

Il semble bien, si j'en crois le déferlement médiatique et le concert d'éloges qui ont suivi la disparition de soeur Emmanuelle, "notre soeur à tous", comme l'a présentée Nicolas Sarkozy, avec ce zèle comique des nouveaux et des faux convertis. Soeur Emmanuelle! Outre que ce prénom soit le plus beau du monde, qu'il signifie "Dieu avec nous" (quel autre prénom peut en dire autant?), comment ne pas songer, puisque ma pensée vaque dans les années 70, à la belle Emmanuelle qu'incarnait au cinéma Sylvia Kristel, Dieu merci toujours en vie?

Quand le film est sorti, une nouvelle image de la femme s'est imposée, libérée, gentiment dominatrice, faisant de la beauté de son corps une supériorité assumée, exhibée. Souvenez-vous de l'affiche: Sylvia dans son fauteuil en rotin, les cheveux à la garçonne, rompant ainsi avec la féminité traditionnelle de la chevelure abondante, jambes haut croisées, son collier de perle à la bouche, méditative, presque philosophe, et surtout très naturelle. Toute ma jeunesse!

Si on m'avait dit à l'époque que passé l'an 2000, l'opinion mettrait en tête de ses personnages préférés une "bonne soeur", je n'y aurais franchement pas cru! C'est fait, mais qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que notre société en arrive là? Je ne juge pas, je cherche à comprendre une sorte d'anomalie, un choix à contretemps, en contradiction flagrante avec l'état d'esprit actuel, où le film "Emmanuelle" n'est plus qu'une bluette érotico-romantique. Pourquoi l'hyper-femme, Emmanuelle, a-t-elle été chassée par l'anti-femme, soeur Emmanuelle?

Pendant longtemps, les sociétés se sont données des héros et des héroïnes qui leur ressemblaient, les guerriers sous l'Antiquité, les saints au Moyen-Age, les savants au XIXème siècle. Aujourd'hui, en se donnant soeur Emmanuelle comme emblème, la société moderne se ment à elle-même, sur au moins trois points:

1- Nous n'avons jamais été autant déchristianisés, les religions sont tournées en dérision, la plupart des églises sont vides, et c'est une religieuse que l'on se choisit. Contradiction.

2- La France sarkozienne n'aime pas les pauvres, se méfie des chômeurs, rmistes et allocataires sociaux, qu'elle appelle avec mépris "les assistés", et elle craint les immigrés. Et c'est cette France-là qui porte au pinacle la petite soeur des déshérités du Caire. Contradiction.

3- L'opinion a peur de tout, ne croit plus en rien, est d'un pessimisme foncier. La plupart des discussions que nous pouvons avoir autour de nous l'attestent. Or, soeur Emmanuelle, c'est la vie, l'optimisme, l'espérance, des valeurs qui ont cessé d'être cardinales. La souffrance, la vieillesse, la mort, que nos contemporains détestent par dessus tout, elle les accepte, elle s'en réjouit! Contradiction.

Le bon vieux Hegel nous explique qu'une contradiction trouve sa solution à un degré supérieur. Soeur Emmanuelle, l'opinion l'admire parce qu'elle ne lui ressemble absolument pas, parce qu'elle est son opposé. Soeur Emmanuelle nous sert de bonne conscience, nous qui avons tellement mauvaise conscience de ne plus croire en rien, de ne plus espérer de personne, de n'éprouver aucune indulgence envers les pauvres. Mais chacun de nous, au fond de lui-même, là où il n'y a plus que la sincérité, mettra la femme de ses rêves, la femme de son choix, soeur Emmanuelle ou Sylvia Kristel.


Bonne matinée.

8 Comments:

  • Je pense que soeur emmanuelle est si respectée car peuple admire les personnes capables de sacrifier le confort d'une vie de consommation pour se dédier entièrement aux autres.
    Je pense que la question religieuse a très peu à voir avec cela.
    Les soeur Emmanuelle Abbé Pierre etc... sont des personnes du début du XXe siècle, au cour duquel l'humanitaire était une mission confiée à l'église.
    Si ces personnes étaient nées à notre époque ils feraient surement parti de medecin sans frontière ou autre ONG.

    By Anonymous Anonyme, at 11:59 AM  

  • Bien d'accord avec vous. Mais pourquoi les Français d'aujourd'hui ne choisissent-ils pas un militant politique, un délégué syndical, un élu local, qui eux aussi consacrent leur vie aux autres, de façon certes moins spectaculaire, moins radicale, plus modeste, mais tout aussi réelle?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 1:22 PM  

  • Parce que c'est moins radical, moins spectaculaire et plus modeste

    By Anonymous Anonyme, at 1:44 PM  

  • C'est bien répondu... et c'est bien dommage.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 2:35 PM  

  • choisir un militant politique !!!! waouh ! il faudrait en premier qu'il nous fasse rêver où qu'on l'admire. Et si c'est vous, on est loin du compte.

    By Anonymous Anonyme, at 7:19 PM  

  • C'est bon soeur Emmanuelle, elle n'a jamais fait campagne pour le préservatif, l'avortement,ellepermet juste une bonne conscience à une maorité de gens qui bouge pas son cul

    By Anonymous Anonyme, at 11:36 PM  

  • Je sais que vous êtes obsédé par moi, mais vous allez en guérir, j'en suis sûr.

    En ce qui concerne les militants politiques, je ne vous demande pas d'en rêver ou de les admirer, ce n'est pas à votre portée. Je vous suggère simplement de les respecter et de les estimer un peu.

    Essayez, vous verrez, ce n'est pas si difficile. Même pour vous.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:38 PM  

  • Mon précédent commentaire s'adresse bien sûr à l'avant-dernier anonyme.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:40 PM  

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