La tentation du Berry.

Grand moment de bonheur: je viens de dénicher un local associatif dans Saint-Amand, avec accès internet à dispo, durée illimitée, gratos. C'est pas merveilleux? Du coup, je reviens un peu sur mes deux précédents billets.

Dans ma poche, j'ai toujours le papier de Savelli, que je relis. Faut-il tuer en politique? Non, je l'ai dit. Mais je veux ajouter ceci: tuer est d'autant plus ridicule que c'est inutile, et même impossible. La politique est l'un des rares domaines de l'existence où l'on ne meurt pas, où l'on est, en ce sens, immortel. Regardez les plus grands: ils ont beau avoir le torse criblé de balles et le dos planté de poignards, ils ont survécu, ils sont restés vivants. Il n'y a qu'en politique qu'on voit ça! Nous assistons, parfois, ô miracle, à d'incroyables résurrections.

Non, il est impossible de mourir en politique, il est donc idiot de vouloir tuer. Sauf si on tire sur des ambulances. Mais il n'y a pas de gloire à tuer un cadavre ou un grand blessé.

Je reviens également sur mes oiseaux migrateurs d'hier après-midi. Ils m'apprennent quelque chose: la volonté individuelle n'existe pas en politique, on est toujours agi et agité par le collectif. Les oiseaux qui migrent suivent, ils n'obéissent à aucune décision personnelle. Même celui qui est à leur tête et qui ferme le V n'a pas d'initiative; il est poussé par tous les autres, et n'importe quel autre pourrait le remplacer.

C'est ma deuxième leçon politique: le groupe est tout, l'individu n'est rien, sinon l'expression du groupe, qui se donne toujours le leader qui lui ressemble. C'est pourquoi la politique est une passionnante épreuve de vérité, où l'on apprend beaucoup, quel que soit le résultat, surtout quand celui-ci vous déçoit ou ne vous convient pas.

Ce n'est pas un hasard si l'Antiquité observait le ciel et le mouvement des oiseaux afin de prévoir l'avenir. La politique ne doit rien aux actes des hommes, qui ne forment que la surface des choses, mais tout au destin, au sort collectif des groupes, des sociétés, de l'humanité. C'est pourquoi aussi le narcissisme en politique est une gesticulation de guignol, alors que dans l'art, la science, le narcissisme, même si c'est un défaut moral, a sa part de légitimité. On peut être fier d'une oeuvre d'art parce qu'on y est pour quelque chose, mais fier de son élection est toujours un peu bouffon, parce que c'est l'électorat qui fait ce que vous êtes.

Bref, ces quelques réflexions au cours de ma promenade d'aujourd'hui pourrait me conduire au découragement, à ma tentation du Berry comme Alain Juppé a eu sa "tentation de Venise": tout plaquer, laisser faire le destin, dire adieu à ces oiseaux de gauche qui, à Saint-Quentin, migrent vers les chasseurs de droite, puissamment poussés par leur instinct, marqués par par un héritage quasi génétique de division.

Oui, je pourrais succomber à cette tentation, revenir mercredi à Saint-Quentin mais demeurer dans mon Berry intérieur. Je n'en ferai rien, parce que j'ai un formidable allié, le plus fort et le plus fidèle des alliés en politique, qui sera ma troisième leçon politique de ce lundi: le temps. La droite locale observe, narquoise, notre merdier. Elle croit, elle espère que le présent va durer éternellement. Non, le temps va avancer parce que rien ne l'arrête, la situation va changer parce que rien ne reste immobile. Quand on a le temps avec soi, à ses côtés, on a presque déjà gagné.

Il n'y aura donc pas plus de tentation du Berry en ce début novembre qu'il n'y a eu d'acédie durable au début de septembre.


Bon après-midi.