Les durs rêveurs.
"Philosophie Magazine" consacre ce mois-ci un excellent dossier sur l'anticapitalisme contemporain. Si vous avez peu de temps à lui consacrer, lisez au moins l'entretien avec Olivier Besancenot, pp. 38-39: vous comprendrez pourquoi l'alliance avec le NPA n'est pas possible parce que ses idées sont très contestables. Où est le problème? Dans le rapport de Besancenot à la démocratie, oui, tout le problème est là. Et je vous explique pourquoi:
"Pour nous, l'anticapitalisme est la volonté d'en finir avec la société actuelle et d'en bâtir une nouvelle". Ce sont les premiers mots de Besancenot, c'est le début du problème. Car je ne crois pas qu'il faille "en finir" avec toute la société. Nous vivons dans une République, une démocratie parlementaire, un Etat de droit, toute une culture juridique des Droits de l'Homme. Besancenot veut-il "en finir" avec ça, parce que, pour lui, tout ça serait "bourgeois"? Je pose la question au NPA, je m'inquiète qu'il n'ait pas devancé la question et sa réponse. Réformer la société, oui, il le faut, mais la "rupture" que prône le NPA, non!
Pourtant, d'autres propos de Besancenot devraient me rassurer: "Nous militons pour une société vraiment démocratique (...) où la majorité déciderait pour elle-même". Et Besancenot insiste sur cette dimension "majoritaire". C'est d'ailleurs la conclusion de l'entretien: "Notre problème est simplement de revaloriser la force du nombre". Lapsus révélateur: le "problème" sur lequel achoppe le NPA, c'est la démocratie, la souveraineté du peuple, le suffrage universel.
La preuve: sa méfiance envers le processus électoral. "Le vote est un moment de citoyenneté très éphémère, après lequel on s'en remet à des délégués". Mais c'est pourtant la base même de la démocratie! Sa majorité, comment Besancenot va-t-il la dégager, sinon par le vote, dans le secret de l'isoloir? Ce rabaissement de l'acte fondateur de la souveraineté populaire (aller voter) est en soi très contestable.
Alors, cette singulière démocratie, comment Besancenot veut-il la pratiquer, puisque le bureau de vote ne le séduit pas? Dans "une situation d'effervescence et d'ébullition sociale", "l'action de masse radicale", bref la révolte de la Guadeloupe qui se répandrait partout, y compris dans l'ensemble du monde. Ce n'est pas la révolution, ce n'est pas la violence, mais on n'en est pas loin, avec ce vieil argument: "La violence est déjà présente dans la société actuelle du fait du gouvernement... " En d'autres termes, bien connus: la violence des uns justifie la violence des autres, même si les deux sont regrettables.
Les propositions de Besancenot ne rassurent pas non plus. Il assigne à la majorité de "contrôler, posséder, répartir la totalité des richesses". Bel objectif, mais qui repose sur une conception de la citoyenneté là encore très contestable. L'idée que je me fais du socialisme, c'est l'émancipation de l'homme, sa libération à l'égard de toutes les fatalités qui pèsent sur lui, économique, sociale, culturelle. Mais l'idéal d'un citoyen-contrôleur me répugne et me semble dangereuse. C'est pourtant ce que désire Besancenot: "faire en sorte que l'action des pouvoirs publics et des politiques se fasse toujours sous le contrôle de la base". Et si la "base" préfère aller à la pêche ou faire de la poésie?
Etrange Besancenot: il doute du vote, un acte qui pourtant ne réclame pas beaucoup au citoyen, mais il croit au contrôle généralisé, beaucoup plus exigeant. Plus grave: il propose "la révocabilité des élus". Les mandats des élus deviendraient donc provisoires, suspensifs, cassables à tout moment. Ce serait la fin de la démocratie. La notion de représentation perdrait son sens. Besancenot prône une contradictoire "démocratie directe": la démocratie ne peut pas, ne doit pas être directe, sinon il y a confusion entre représentants et représentés, le pouvoir se dilue, la responsabilité est nulle part.
Le NPA souhaite "des assemblées de conseils". Tout est dit. Cette conception politique n'est pas utopique, elle commence avec la Commune, elle traverse tout le XXème siècle: c'est la Russie des soviets, l'autogestion yougoslave, la révolution culturelle chinoise, les comités de quartier cubains. Veut-on cela, même modernisé? Je ne crois pas. Besancenot, dans son entretien à "Philosophie Magazine", fait cette remarque: "La gauche traditionnelle nous dit: "Vous êtes de doux rêveurs parce que la société à laquelle vous aspirez n'existe pas". Non, le réformiste que je suis reproche au NPA exactement le contraire: s'inspirer d'une expérience qui a existé et qui a tragiquement failli. Je leur reproche finalement d'être de "durs rêveurs".
Bon après-midi.
"Pour nous, l'anticapitalisme est la volonté d'en finir avec la société actuelle et d'en bâtir une nouvelle". Ce sont les premiers mots de Besancenot, c'est le début du problème. Car je ne crois pas qu'il faille "en finir" avec toute la société. Nous vivons dans une République, une démocratie parlementaire, un Etat de droit, toute une culture juridique des Droits de l'Homme. Besancenot veut-il "en finir" avec ça, parce que, pour lui, tout ça serait "bourgeois"? Je pose la question au NPA, je m'inquiète qu'il n'ait pas devancé la question et sa réponse. Réformer la société, oui, il le faut, mais la "rupture" que prône le NPA, non!
Pourtant, d'autres propos de Besancenot devraient me rassurer: "Nous militons pour une société vraiment démocratique (...) où la majorité déciderait pour elle-même". Et Besancenot insiste sur cette dimension "majoritaire". C'est d'ailleurs la conclusion de l'entretien: "Notre problème est simplement de revaloriser la force du nombre". Lapsus révélateur: le "problème" sur lequel achoppe le NPA, c'est la démocratie, la souveraineté du peuple, le suffrage universel.
La preuve: sa méfiance envers le processus électoral. "Le vote est un moment de citoyenneté très éphémère, après lequel on s'en remet à des délégués". Mais c'est pourtant la base même de la démocratie! Sa majorité, comment Besancenot va-t-il la dégager, sinon par le vote, dans le secret de l'isoloir? Ce rabaissement de l'acte fondateur de la souveraineté populaire (aller voter) est en soi très contestable.
Alors, cette singulière démocratie, comment Besancenot veut-il la pratiquer, puisque le bureau de vote ne le séduit pas? Dans "une situation d'effervescence et d'ébullition sociale", "l'action de masse radicale", bref la révolte de la Guadeloupe qui se répandrait partout, y compris dans l'ensemble du monde. Ce n'est pas la révolution, ce n'est pas la violence, mais on n'en est pas loin, avec ce vieil argument: "La violence est déjà présente dans la société actuelle du fait du gouvernement... " En d'autres termes, bien connus: la violence des uns justifie la violence des autres, même si les deux sont regrettables.
Les propositions de Besancenot ne rassurent pas non plus. Il assigne à la majorité de "contrôler, posséder, répartir la totalité des richesses". Bel objectif, mais qui repose sur une conception de la citoyenneté là encore très contestable. L'idée que je me fais du socialisme, c'est l'émancipation de l'homme, sa libération à l'égard de toutes les fatalités qui pèsent sur lui, économique, sociale, culturelle. Mais l'idéal d'un citoyen-contrôleur me répugne et me semble dangereuse. C'est pourtant ce que désire Besancenot: "faire en sorte que l'action des pouvoirs publics et des politiques se fasse toujours sous le contrôle de la base". Et si la "base" préfère aller à la pêche ou faire de la poésie?
Etrange Besancenot: il doute du vote, un acte qui pourtant ne réclame pas beaucoup au citoyen, mais il croit au contrôle généralisé, beaucoup plus exigeant. Plus grave: il propose "la révocabilité des élus". Les mandats des élus deviendraient donc provisoires, suspensifs, cassables à tout moment. Ce serait la fin de la démocratie. La notion de représentation perdrait son sens. Besancenot prône une contradictoire "démocratie directe": la démocratie ne peut pas, ne doit pas être directe, sinon il y a confusion entre représentants et représentés, le pouvoir se dilue, la responsabilité est nulle part.
Le NPA souhaite "des assemblées de conseils". Tout est dit. Cette conception politique n'est pas utopique, elle commence avec la Commune, elle traverse tout le XXème siècle: c'est la Russie des soviets, l'autogestion yougoslave, la révolution culturelle chinoise, les comités de quartier cubains. Veut-on cela, même modernisé? Je ne crois pas. Besancenot, dans son entretien à "Philosophie Magazine", fait cette remarque: "La gauche traditionnelle nous dit: "Vous êtes de doux rêveurs parce que la société à laquelle vous aspirez n'existe pas". Non, le réformiste que je suis reproche au NPA exactement le contraire: s'inspirer d'une expérience qui a existé et qui a tragiquement failli. Je leur reproche finalement d'être de "durs rêveurs".
Bon après-midi.
4 Comments:
Le courage est individuel,
la lacheté collective.
By grandourscharmant, at 12:59 AM
Oui, mais la politique, c'est d'abord la dimension collective. Donc il faut susciter aussi un courage collectif. Ca devrait être possible. Après tout, il existe bien une lâcheté individuelle!
By Emmanuel Mousset, at 9:58 AM
bonjour Emmanuel
Merci de nous conseiller la lecture de "Philosophie Magazine"....Moi, je pourrais te conseiller le livre d'O. Besancenot et de ton confrère Daniel Bensaid :"Pour un socialisme du XX1ème siècle"
Effectivement, tu as raison nous ne pouvons faire alliance avec le PS qui defend l'economie de marche. OUI , nous voulons la rupture avec la société capitaliste et construire une société débarrassée de l'exploitation de l'homme par l'homme....Quant aux droits de l'homme , allez voir comment sont traites les sans-papiers dans les centres de retention (à propos, où ils sont les militants et les élus du PS dans la defense des sans-papiers?) ...Et ce n'est qu'un exemple? (les conditions de travail dans les usines, la maltraitance institutionnelle des personnes agees dans les maisons de retraite, etc....)
C'est une évidence que ce n'est pas seulement que par les elections que nous arriverons au pouvoir: il faut effectivement que ce soit accompagne d'une mobilisation populaire afin de créer un rapport de forces et contraindre ainsi la bourgeoisie à ceder le pouvoir....
Contrairement au PS, nous pensons qu'il y a une alternative au capitalisme....D'autre part,Si le PS a perdu les elections, c'est bien parce qu'il n'apportait aucune perspective nouvelle par rapport à la droite ( d'ailleurs le gouvernement Jospin avait plus privatise en quelques années que les gouvernements de droite)
Gérard, militant du NPA 02
Je me permets de rajouter un commentaire personnel : je pense que la démocratie même est en danger car cette société dirigée par le capitalisme effréné ne peut engendrer en temps de crise, que la répression : cela aussi est historique et déjà éprouvé à maintes reprises : raison de plus, tirer les leçons de l'histoire et ne pas recommencer les mêmes erreurs. MClaude
By Anonyme, at 6:13 PM
Gérard, MClaude,
De fait, nous ne sommes pas d'accord. Mais c'est normal, sinon il n'y aurait pas d'un côté le PS et de l'autre le NPA. Là où nous sommes d'accord, c'est qu'il ne peut pas y avoir d'alliances politiques entre nous, parce que nous sommes trop différents.
Ceci dit, quand nous pouvons mener ensemble des actions ponctuelles, syndicales par exemple, il faut le faire.
Sur la défense des sans papiers, je te trouve, Gérard, un peu injuste. Je citerai Jean-Pierre Leroy, un militant socialiste qui s'occupe de la LDH et qui s'active beaucoup pour les sans papiers. Et il n'est pas le seul!
Enfin, dans mes activités associatives, je n'ai jamais hésité à inviter l'extrême gauche, dont je me sens proche sur certains points, mais pas suffisamment pour aller jusqu'à l'alliance politique.
By Emmanuel Mousset, at 6:55 PM
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