Monsieur Concret.

Bonsoir à toutes et à tous.

Avez-vous écouté Olivier Besancenot hier soir sur RTL, au Grand Jury? Intéressant, très intéressant. Et amusant. Les journalistes et leur invité ont dû prononcer une cinquantaine de fois les mots "concret" et "concrètement", dans une sorte de surenchère. Rien n'est pourtant plus idiot que l'usage contemporain de ce terme très à la mode. "Concret" aujourd'hui ne veut strictement rien dire. Appliquée à la politique, son utilisation est désastreuse.

Quand les révolutionnaires de 89 brandissaient la liberté, l'égalité et la fraternité, étaient-ils "concrets"? Quand de Gaulle partait pour Londres en 1940, sa démarche était-elle "concrète"? Bien sûr que non. Aucune valeur, aucune idée ne sont "concrètes", par définition. La revendication de la concrétude, pour parler comme Ségolène, c'est le repli sur le pragmatisme le plus plat. De ce point de vue, Besancenot-Bertrand, même combat, tous "concrets"!

Le "concret", voilà un mot qu'il faudrait bannir sinon du dictionnaire, du moins des discours des hommes politiques. C'est un terme attrape-cons. La preuve par Besancenot et trois idées "concrètes" (oxymore) qu'il a développées hier:

1- Les journalistes lui demandent s'il faut négocier avec Sarkozy, comme les syndicats s'apprêtent à le faire le 18 février. Il ne dit pas non ni oui (ce qui est soi n'est pas très "concret"!), il insiste sur "le rapport de force". Mais qu'est-ce qu'un rapport de force? Si Besancenot attend qu'une majorité de salariés soient dans la rue avant de négocier, il peut attendre très longtemps, et je ne vois pas ce qu'il y a de "concret" dans cette attitude. En tout cas, il ne peut rien en ressortir de "concret" pour les salariés.

2- Après le syndical "concret", le politique "concret": avec qui voulez-vous vous allier pour gagner et gouverner? Là encore, pas de réponse "concrète". La seule chose que je comprends, c'est que le NPA ne veut surtout pas s'allier avec le PS, ni même avec le Parti de Gauche de Mélenchon ou le PCF, de peur que ceux-ci ne se rapprochent in fine, c'est-à-dire aux régionales, du PS. C'est le droit du NPA d'adopter une telle stratégie. Mais je ne la trouve pas très "concrète", parce qu'il s'interdit ainsi toute possibilité de gouverner, d'accéder à des responsabilités.

3- Et les mesures "concrètes" de Besancenot? Il y en a une, celle d'un "pôle bancaire" qui rassemblerait toutes les banques dans un même service public. "Concrètement", est-ce une nationalisation? Non, répond Olivier, parce que l'Etat-patron, ce n'est pas l'idéal du NPA. Ok, mais alors, "concrètement", c'est quoi ce "pôle bancaire"? Une structure entre les mains des salariés des banques et des consommateurs. "Concret", non?

Eh bien non, je ne trouve pas ça "concret" du tout, je ne vois pas ce que ça veut dire, je ne vois pas comment ça peut marcher, je ne vois même pas comment ça peut intéresser les salariés et les usagers. Moi qui déteste le "concret", je vais vous parler très "concrètement": ma banque, c'est la BNP. Si vous me demandez demain de m'occuper des comptes de la BNP, je m'en fous, ça ne m'intéresse pas, je n'y comprends rien. Et je n'y comprends rien parce que ça ne m'intéresse pas, parce que j'ai autre chose à faire de ma vie. Et je suis persuadé que des millions de gens sont comme moi, les salariés de la BNP itou.

La conception que se fait Besancenot de la citoyenneté n'est pas "concrète", elle est inquiétante. Pourquoi vouloir contraindre le citoyen à des compétences qui ne sont pas les siennes et pour lesquelles il n'éprouve aucune passion particulière? Vous me direz peut-être que Besancenot ne force personne, que chacun fait comme il veut. C'est pire alors, et toujours aussi peu "concret"! Ça veut dire que ce "pôle bancaire" sera accaparé par les esprits les plus militants, l'avant-garde, la minorité consciente et agissante, étrangère à la masse des citoyens. On s'éloigne fort de la démocratie. Je préfère que mon argent soit géré très "concrètement" par un bon professionnel, dont je peux changer si j'en suis insatisfait.

Olivier Besancenot, Monsieur Concret, est en réalité terriblement abstrait. A travers sa proposition apparemment anodine d'un "pôle bancaire" et l'explication qu'il en donne, c'est en réalité, et très "concrètement", le problème de la liberté en régime collectiviste qui est posé.


Bonne soirée,
bien sûr "concrète".