Un train de retard.

Bonsoir à toutes et à tous.

Quand j'étais petit, j'aimais les gares. D'abord les miniatures, jouets d'enfant, puis les vraies, les grandes. Il y a des gens qui sont passionnés par les trains. Moi c'est les gares. Après, adolescent, interne en collège et lycée, j'ai fait à travers la France de grands voyages ferroviaires. Puis, devenu prof, j'ai commencé par des allers et retours Paris-St Quentin. Bref, j'ai beaucoup fréquenté dans ma vie les gares.

Mais les gares que je préfère, ce sont celles où je n'ai rien à faire, pas de train à prendre ou de personne à attendre. Une gare, c'est un endroit magique, un lieu de promenade, un poste d'observation. Vous prenez un café, vous regardez, vous écoutez, c'est formidable. Pourquoi vous dire ça, au risque d'agacer mes lecteurs les plus irritables, courroucés que je parle de moi? Les gros bêtas! Ils ne comprendront jamais que tout sur ce blog est politique, y compris la visite d'une gare.

Je veux en venir à l'admirable reportage de Benoît Hopquin sur la gare Saint-Lazare dans Le Monde de dimanche dernier. Savourez les premières lignes: "C'est un grand spectacle monté avec le quotidien de gens ordinaires. Chaque matin, chaque soir, des figurants contraints forment une marée humaine qui s'entasse sur les quais de la gare Saint-Lazare".

Pour mes lecteurs qui sont plus sensibles aux chiffres qu'à la littérature, je vous donne ceux-ci: construction en 1867, dernière grande rénovation en 1930 (!), 450 000 passagers par jour, 1 train toutes les 28 secondes, 27 voies, 6 000 employés, jusqu'à 1 400 voyageurs par train, 830 km de réseau. Et si vous additionnez tout ça, vous avez la 2ème gare d'Europe. Ouf!

C'est quoi alors le problème? Rien d'autres que tous les problèmes de la société qui se cristallisent dans cette gare: les infrastructures vieillissantes d'un service public, le train devenu métro depuis que les classes moyennes ont quitté Paris, le stress des usagers craignant de perdre leur emploi après plusieurs retards, les employés qui n'ont que la grève pour faire entendre leur malaise, les incivilités et les violences permanentes.

Vous vous souvenez de la gare Saint-Lazare fermée après la grève de 59 minutes de SUD, et l'énervement du chef de l'Etat? Cette gare est mal aimée, parce qu'elle n'a pas chez elle l'aristocratie des trains, TGV, Thalys, Eurostar. Comment une société moderne ne parvient-elle pas à rationaliser les problèmes de la gare Saint-Lazare? Le bel article de Benoît Hopquin se termine par cette parole d'un conducteur de train: "Il y a des choses à revoir à Saint-Lazare mais il y a aussi des choses à revoir dans la société en général". L'un dans l'autre, comme on dit.

Ami qui aimez ou faites de la politique, allez comme moi dans les gares, vous apprendrez et vous comprendrez beaucoup. Surtout, il vous viendra à l'esprit que notre société, sur bien des plans, a un train de retard.


Bonne soirée.