La dérision sans l'humour.

Bonjour à toutes et à tous.

Les Guignols viennent de fêter leur 20ème anniversaire avec faste. C'est à coup sûr un événement, tellement cette émission de pure rigolade a marqué notre vie publique. Les Guignols, tout le monde connaît! Et de PPD à Stéphane Guillon, la poilade en France se porte bien. Il paraît que les spectacles d'humoristes n'ont jamais attiré autant de monde. Est-il bon pour la politique que les citoyens se marrent ainsi et autant?

Oui et non. Oui parce que le rire fait évidemment partie de la démocratie, il désacralise, ramène les hommes et les choses à une plus juste mesure. Mais je m'arrêterai là dans la défense de la déconnade, parce que ses inconvénients méritent sans doute plus d'être soulignés que ses bienfaits. Car les guignols ne datent pas d'aujourd'hui: les rois avaient leurs bouffons, le Moyen Âge avait ses délires. A contrario, la République était plutôt sérieuse et austère. Bref, la portée démocratique du rire est sujette à caution.

Le problème des Guignols, excellente émission au demeurant, ce n'est pas qu'ils fassent rire, c'est qu'on les prenne au sérieux. Un exemple: j'ai souvent croisé et écouté François Hollande. C'est un formidable orateur, un personnage très chaleureux, un homme qui bénéficie d'un authentique charisme. Sa marionnette le transforme en gros mou sans éclat. Nous ne sommes donc pas dans la caricature, qui exagère des traits réels, nous sommes dans l'invention.

Pourquoi pas, ça ne me choque pas. Le rire est par nature injuste et stupide. Ce qui m'inquiète en revanche, c'est lorsque je constate que nos concitoyens prennent pour argent comptant les sketchs des Guignols. Le danger (mais il y a plus dangereux que ça dans la vie et dans la politique), c'est le réalisme des marionnettes, qui ne favorise pas la prise de distance, qui laisse croire que nous sommes dans le vrai alors que nous sommes dans le comique.

Quand Le Luron imitait Chaban et Giscard, quand le Muppet Show déguisait les politiques en animaux, l'écart avec la réalité était flagrant. Les Guignols, c'est beaucoup moins évident. De même en ce qui concerne Stéphane Guillon, dont le succès est ambigu: je crains que son esprit potache, très savoureux, ne soit pris au sérieux par ses aficionados, que l'amuseur public ne soit considéré comme un éditorialiste politique, ce qu'à l'évidence il n'est pas. Pour moi, rien ne doit être pris au sérieux dans le rire. Sinon il y a danger.

Nous vivons dans une société de la dérision qui, en même temps, est totalement dénuée d'humour. La dérision, c'est quand le rire se prend au sérieux, qu'il se donne une finalité politique. L'humour, c'est l'amusement, la légèreté, la gaité, la fantaisie, le non sens plus que le sens. L'humour, c'est la prise de distance, au contraire de la dérision. Pour les distinguer définitivement, il existe un test imparable: la dérision ne sait que se moquer des autres, l'humour est capable de se moquer de soi.

La société moderne cultive la dérision et condamne sévèrement l'humour. Deux exemples récents: Martine Aubry a taquiné les Marseillais en vantant la supériorité des Lillois à propos de je ne sais plus trop quelle manifestation, culturelle je crois. Ça n'a pas du tout amusé le député UMP du coin, Muzelier (dont je n'ose pas me moquer du nom!), qui a qualifié le propos d' "humiliant et presque discriminatoire". Rien que ça!

Dans le même genre, Obama, invité d'un talk show humoristique, fait une blague sur ses piètres performances au bowling (humour, il se moque de lui-même) en se comparant à un participant aux Jeux Paralympiques. C'est en effet plutôt marrant, sauf que le lendemain, il se sent obligé de présenter ses excuses, craignant avoir "humilié" (on retrouve le terme de Muzelier) les personnes handicapées.

Sur ce blog, combien de fois certains commentateurs se disent "choqués", froissés parce que je me fous de leur gueule! Il me chante la petite musique de nuit de la société moderne: respect, respect, respect. Moi ça m'endort. Les mêmes d'ailleurs, petits salopiauds, se vautrent dans la dérision, se gavent de Siné, Guignols et Guillon. Humour yes, dérision no, c'est mon dernier mot Jean-Pierre.


Bon dimanche humoristique.