L'Aisne avec DSK

15 juillet 2009

L'endroit du pouvoir.

Bonsoir à toutes et à tous.

Où est le pouvoir ? Quelque part. Mais encore ? En un lieu précis. C'est à dire ? Dans un périmètre déterminé. Par exemple ? L'Elysée pour le chef de l'Etat. Ok, mais à quoi veux-je en venir ? Qu'un pouvoir digne de ce nom n'est pas qu'un principe abstrait, une fonction opératoire mais qu'il s'inscrit dans une géographie, un espace qu'on reconnaît, à quoi on l'identifie. C'était Versailles pour Louis XIV. Même Trotsky, qui a voulu abolir l'Etat classique, dirigeait à l'intérieur d'un train blindé. Le pouvoir occupe une place. Etre au pouvoir, c'est être à sa place, et secondairement distribuer des places.

Si je vous dis que cette pensée m'est venue à l'occasion de l'installation de Pascale Gruny, nouvelle députée européenne, dans sa permanence, vous allez me reprocher d'exagérer, d'extrapoler, peut-être de divaguer. De Gruny à Trotsky, tout de même, est-ce bien sérieux ? Oui, désolé. Laissez-moi vous expliquer :

L'inauguration de cette permanence a eu lieu il y a quelques jours, en présence de Pierre André et Xavier Bertrand. Le pouvoir adoube toujours le pouvoir. Comment, en la circonstance, ne pas penser à une autre permanence, désormais vide, 16 rue de la Comédie, celle de l'autre députée européenne, ex et socialiste, Anne Ferreira ? Un pouvoir en chasse un autre. Pascale Gruny, c'est 19 rue du Gouvernement (ça ne s'invente pas !).

Désormais, où est topographiquement la gauche saint-quentinoise ? Où faut-il aller pour la voir (à tous les sens du terme) ? Au 7 rue de la Comédie, au local des élus de l'opposition. Pour un Saint-Quentinois, c'est la seule façon de situer la gauche locale. C'est important pour les citoyens, pas seulement d'un point de vue utilitaire mais symbolique : pouvoir repérer est le pouvoir (car l'opposition exerce elle aussi, en démocratie, un pouvoir, éminent, précieux, indispensable).

La boîte postale pour nous contacter, la salle de café pour assister à nos réunions de section, ce ne sont pas des lieux véritables, des points de chute, c'est du vagabondage. Ce n'est pas pour nous un drame, mais malgré tout un malheur : ne pas avoir, en tant que parti (et parti de gouvernement, merde !), un lieu d'enracinement, c'est embêtant. J'en parle parce que, en tant que secrétaire de section, j'ai été confronté à ce problème : trouver un local pour la section. C'était il y a bientôt dix ans, déjà !

Encore une fois, cette question n'est pas fondamentalement pratique. Un parti peut très bien se débrouiller sans avoir d'endroit à soi. Le problème n'est pas immobilier mais politique. Les communistes ont leur local (rue de la Pomme Rouge, là aussi ça ne s'invente pas), signe de leur gloire passée. Le socialisme saint-quentinois renaîtra quand il sera quelque part (je parle du Parti en tant que tel, pas des élus qui sont dans un local municipal).

Je reviens à ce qui a déclenché cette réflexion, l'ouverture de la permanence de Pascale Gruny, 19 rue du Gouvernement. Dans le même immeuble se retrouvent les permanences du sénateur, du député et de l'UMP. Ainsi l'unité du pouvoir est matérialisée (en plus, je suppose que c'est beaucoup plus pratique comme ça). C'est aussi symboliquement important, puisque l'un des problèmes que rencontre tout pouvoir, c'est celui de sa cohésion.

A gauche, nous n'avons jamais réussi ça. Je me souviens même qu'entre 2001 et 2002 (j'étais encore secrétaire de section), nous avions cinq lieux différents où des socialistes pouvaient se réunir (car il faut bien, j'insiste, se réunir quelque part, la technologie n'est pas jusque là parvenue à délocaliser, à dématérialiser le pouvoir politique, même si elle a commencé ce travail avec le pouvoir économique) : les élus rue de la Comédie , la députée européenne aussi (mais quelques mètres plus loin), la députée de l'Aisne rue Dachery, les militants aussi (mais dans un restaurant), de même rue de Baudreuil (cette fois dans un café). Le pouvoir était littéralement dés-uni, dispersé, éclaté.

Vous connaissez la règle des trois unités dans le théâtre classique : unité de lieu, de temps et d'action. C'est pareil en politique, avec le pouvoir, qui est lui aussi une forme de théâtre. A défaut d'unité, il n'y a pas de pouvoir, seulement un semblant, une apparence, une illusion. Cette unité est humaine et physique. Je crois même que l'unité de lieu prépare, encourage à l'unité d'action. C'est pourquoi la partie de mes camarades qui sont allés courir l'aventure avec l'extrême gauche ne pourront que bien s'entendre avec elle (contrairement à ce que je pouvais croire au départ) : se retrouver ensemble au même endroit, travailler en commun, soudés dans l'opposition à un même adversaire, ça ne peut que lier (hélas de mon point de vue, puisqu'il y a des liens qui sont aussi des strangulations).

Puisque j'examine la géographie du pouvoir, remarquez bien qu'être au pouvoir, c'est tenir sa place ( de nouveau à tous les sens du terme) mais aussi ne pas tenir en place, se déplacer. Un pouvoir qui reste sur place meurt sur pied. Le pouvoir est tout en mouvement puisque son but est la conquête. J'ai cité au début Trotsky et son train blindé, j'aurais pu évoquer, dans un tout autre genre, les chars à boeufs des "rois fainéants" de la dynastie mérovingienne.

A table, l'homme de pouvoir sait où il s'assoie, pas n'importe où, n'importe comment, avec n'importe qui. La place du pouvoir qui se déplace, c'est le problème de son emplacement : à quelle place s'installer ? C'est paradoxal : autant le pouvoir doit se placer quelque part, autant il doit se déplacer partout. L'homme de pouvoir salue tout le monde, ne reste pas avec ses seuls partisans, se met au centre c'est à dire partout et nulle part. Les mines de faux conspirateurs dans un coin de bistro, ce sont les vrais vaincus. On ne réussit pas en politique en restant à un bout de table, entre soi (ça, c'est réservé à l'homme ordinaire, qui n'a aucune raison de quitter ses copains).

Un dernier mot sur ce que je n'ai pas encore abordé, l'unité de temps. A Saint-Quentin, il m'arrive parfois, même si c'est de plus en plus rare, de m'entendre dire : vous êtes encore rue de Théligny ? C'était en effet le local du PS quand je suis arrivé dans cette ville, en 1998. C'était, à sa façon, un lieu de mémoire, car il renvoyait au Cercle Jean-Jaurès, le Nessie du socialisme saint-quentinois (tout le monde en parle, personne ne le voit et certains le dénoncent comme un monstre : moi je n'en sais rien et franchement ça ne m'intéresse pas).

A tort ou à raison (c'est selon la sensibilité politique), nous avons rompu, en 2000, avec ce lieu pourtant bien pratique, car nous avons privilégié alors le message politique, donc symbolique : Théligny incarnait les socialistes exclus qui avaient suivi en 1995 la liste Le Meur, qui préconisaient l'alliance locale ancienne avec les communistes. Nous voulions au contraire signifier, avec et autour de la députée Odette Grzegrzulka, que ce temps-là était révolu, qu'il fallait tourner la page et entrer dans une ère nouvelle.

J'en sais quelque chose, c'est moi qui étais chargé de trouver un autre lieu, finalement rue Faidherbe. Et puis, il y a eu la terrible défaite de 2001, qui a été pour nous le commencement de la fin. Peut-être aujourd'hui allons-nous retourner rue de Théligny. Je ne le souhaite bien sûr pas puisque je reste fidèle à moi-même, à mes choix passés, qui sont plus que jamais d'actualité et qui se résument en une seule question politique : comment faire exister dans la deuxième ville de Picardie un Parti socialiste fort, puissant et indépendant aussi bien des communistes que de l'extrême gauche ? C'est ce que j'ai tenté et raté pour les dernières municipales. Mais la question, elle, je ne cesserai pas de la poser parce qu'elle continuera à se poser.

Le retour à Théligny est dans l'ordre des choses, dans la nature de ce pouvoir que nous constituons désormais avec l'extrême gauche. Je m'en affligerais mais je ne m'y opposerais pas. On ne peut pas lutter contre le sens du vent. Au contraire, il y aurait une forme de pédagogie à montrer clairement où nous mènent les choix que nous avons fait dans la douleur en 2008 : le retour à l'ordre ancien. L'endroit du pouvoir, c'est son envers, c'est sa vérité.


Bonne soirée.

6 Comments:

  • Le cercle Jean-Jaures,
    ce n'est pas ce qui a aidé la gauche à reconquérir la ville dans les années 70
    apres plus de 10a d'udr au pouvoir ?

    En 2014,
    la ville aura connu
    12a de gauche,
    25a de droite,
    depuis la victoire de Le Meur en 1977,
    et sur les 50 années précédentes,
    les 2 seules mandats de Le Meur.

    Heureusement que les statistiques ne veulent rien dire.

    By Blogger grandourscharmant, at 12:46 AM  

  • Les statistiques ne veulent en effet rien dire. Vous parlez d'un temps "que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître". On ne fabrique pas l'avenir avec le passé. Mais que la droite locale veuille noyer la gauche dans son passé, je comprends la stratégie, elle s'étale au grand jour au conseil municipal.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:51 AM  

  • Et avec quoi fabrique-t-on l'avenir ?
    Avec des symboles de réussite ou avec des symboles d'échecs ?

    Honnêtement, je ne vous comprends pas,
    si encore vous aviez d'autres options.

    Qu'auriez vous préféré que la section locale investisse l'ancienne banque de france ?

    By Blogger grandourscharmant, at 10:19 AM  

  • Sinon pour certains,
    les enseignants chercheurs par exemple,
    l'endroit du pouvoir,
    c'est la rue.
    D'après le rapport de la mission scientifique, technique et pédagogique du ministère de l’Education nationale,
    bien qu'ils soient prompt à faire la grêve,
    24% d'entre eux n'appartiennent à aucune équipe de recherche
    et 14 000 n'ont rien publié depuis 2003 consacrant le temps réservé à la recherche à des activités privées,
    voir à une autre activité professionnelle.

    By Blogger grandourscharmant, at 6:15 PM  

  • Rue de la Comédie, voilà qui met en appétit, et que sont ces rois aujourd'hui qui tirent des éléphants roses ?

    By Anonymous Anonyme, at 6:25 PM  

  • Si vous voyez des éléphants roses, c'est que vous avez fumé du cannabis. Je vous rappelle que c'est interdit par la loi.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:29 PM  

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