L'Aisne avec DSK

12 juillet 2009

Marx contre Lénine.

On se gausse souvent de la social-démocratie, surtout ces temps-ci, après la défaite des européennes, on parle de sa "crise", certains même évoquent sa "mort". Très bien, mais que dit-on du communisme ? Pourquoi n'en parle-t-on pas ? Il ne peut pas, lui, mourir, il n'existe pratiquement plus. Lors du scrutin européen, avez-vous vu dans quelque pays une résurgence du communisme ? Non. Alors que le capitalisme est en crise comme il n'a jamais été en crise ces cinquante dernières années.

A vrai dire, il y a quand même un lieu où l'on examine l'idée communiste ("l'hypothèse", dirait Badiou, dont j'ai encore le dernier ouvrage non lu au pied de mon lit) : c'est Londres, là où le grand Marx avait choisi l'exil, les 13-14-15 mars de cette année, lors d'un colloque intitulé "On the idea of Communism", en présence de quatre stars mondiales : Badiou justement, Zizek que je ne connais pas, Rancière et Negri que j'apprécie assez. Le compte-rendu de cette importante réunion est dans Philosophie Magazine de juillet-août (pages 16 à 19), sous la plume de Jan Sowa, engagé lui aussi dans la gauche radicale (ce qui est utile à savoir pour ce qui va suivre).

Alain Badiou fait du communisme une "idée", pas une analyse de l'histoire, un "événement", pas l'aboutissement d'un processus économique. C'est ce que je n'aime pas chez lui, cet idéalisme qui l'éloigne du marxisme authentique. "Badiou joue Lénine contre Marx", résume Sowa. C'est très vrai, et c'est très mauvais. Lénine a tout pourri. Avec lui, le totalitarisme est dans le fruit (mais ça, Badiou n'en parle pas, puisque ce qui l'intéresse, c'est l'idée, pas la réalité).

Je pense même qu'il y a chez Badiou un déni de réalité, et c'est tout le drame historique du communisme (alors que Marx ne cesse de se confronter à la réalité). J'apprends, en lisant cet article, que Badiou est en train de traduire la République de Platon, en lui donnant ce titre (tenez-vous bien) : "Du Commun(isme)". Ca promet ! Attendons 2010, date de parution. Platon l'idéaliste qui éclaire Marx le matérialiste, c'est tout Badiou, et c'est ce que je lui reproche.

Slavoj Zizek m'a l'air d'être un drôle de bonhomme, psychanalyste, amateur de culture pop et admirateur de Robespierre, Lénine (encore lui !) et Mao. Il y a des intellos qui ne savent plus quoi faire pour qu'on les remarque. Zizek "se fait parfois l'avocat d'une politique de terreur", lis-je dans Philosophie Magazine. Au moins ce gars-là a le mérite de la franchise. Mais merci bien quand même !

Jacques Rancière, c'est autre chose : il a compris qu'on ne pouvait sauver le communisme qu'en approfondissant l'idée de démocratie. C'est intéressant, c'est stimulant, c'est honnête. Badiou, c'est trouble, ambigu et donc intellectuellement dangereux. Zizek, je ne peux pas juger, je ne connais pas assez, mais j'ai l'impression d'un rigolo.

Toni Negri, c'est mon préféré, depuis longtemps, et je lui ai consacré plusieurs billets sur ce blog. Il s'efforce de penser le marxisme en des termes modernes, de lui donner une dimension planétaire. Je vais loin, mais pas tant que ça : je crois que sa pensée est conciliable avec une social-démocratie rénovée (Badiou non, c'est la haine de la social-démocratie, du réformisme). J'aime beaucoup Negri, humainement aussi : c'est un italien gai, enthousiaste, ouvert. Badiou est un homme très cultivé mais il me fout les boules, il a un côté glacé, sa pensée est une lame de guillotine (j'en reparlerai quand j'aurai fini "L'hypothèse communiste").

Jan Sowa, dont je vous rappelle qu'il appartient à la gauche radicale, termine son papier sur le colloque londonien par trois reproches qu'il lui adresse (et je le cite) :

1- "La plus grande insuffisance de ce colloque était l'absence d'analyse approfondie du communisme en tant que régime ayant vraiment existé (...) L'examen des grandes tragédies du siècle passé en Russie ou en Chine semble être un prolégomène indispensable à tout communisme futur. Rien de tel n'a été entrepris à Londres".

2- "Contrairement à Marx, pour qui le capitalisme devait mécaniquement connaître une crise dont devait sortir le communisme, les participants de ce colloque semblaient concevoir le communisme comme un choix que les sociétés pourraient faire en toute liberté".

3- "Aucun effort n'a été déployé pour penser la crise actuelle, ni pour trouver des moyens plus concrets de changer le monde".

J'applaudis et je déplore. Sowa a tout compris des limites intellectuelles de l'extrême gauche, malgré la percée médiatique d'un Badiou (il y a quinze ans, c'était Bourdieu la star). Nous autres, socialistes, sociaux-démocrates, réformistes, il faut tenir bon, passer à l'offensive, sur tous les fronts : électoraux, politiques, intellectuels. Avec un seul mot d'ordre, qui me semble ressortir de cet aréopage londonien : Marx contre Lénine !


Bonne fin d'après-midi.

21 Comments:

  • Ni Marx, ni Lenine pour moi, et ce pour des raisons scientifiques.

    Le désenchantement du monde, la perte de la joie, sont directement imputé au matérialisme. Dans un univers qui n'est règlé par aucune cosmologie, rien ne me relie à autrui, et ma liberté consiste à exercer mes désirs et mes passions sans frein, et à détruire tous ceux qui pourraient s'y opposer, on passe alors à Sade au niveau conceptuel, et à Marx puis à Lenine au niveau historique.

    Au niveau philosophique on atterrit alors sur Sartre, le baisouilleur scribouillard triste et pervers.

    Gloire soit rendu à la laïcité définie dans la république, elle permet la liberté de chacun dans le respect de celle de l'autre, sous l'oeil bienveillant de l'étrangeté, que la Loi nous impose d'aimer, celle issue de l'Être.

    By Blogger jpbb, at 11:48 AM  

  • Marx sadique ?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 12:37 PM  

  • pour moi " grands causeux, petits faiseux" . marx : un théoricien, mal interprété. marx écrit le fruit de ses réflexions , il les divulgue. cependant , il ne dogmatise pas . reproche: le mode d'emploi.
    jésus était un marxiste révolutionnaire. il n'a rien inventé marx, il a constaté et reproduit ses constats .

    By Anonymous Anonyme, at 3:34 PM  

  • D'une certaine façon Marx était un sadique, car il catégorisait les gens à jamais dans une classe donnée: fils de prolo, tu seras prolos toute ta vie, et tu en bavera à mener des luttes incessantes, sans aucun autre avenir que le cimetière après l'usine. Vraiment pas la joie Marx.

    By Blogger jpbb, at 5:00 PM  

  • Marx n'était en rien un jésuite révolutionnaire... :-)

    By Blogger jpbb, at 5:02 PM  

  • Jpbb,

    Non, Marx n'enferme personne dans sa classe puisqu'il annonce la fin des classes sociales.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:50 PM  

  • Au dernier anonyme :

    Pour "faire", il faut d'abord "causer".

    Jésus et Marx n'ont rien à voir. L'un nous promet le paradis au ciel, l'autre sur terre.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:51 PM  

  • Après l'annonce faite à Marie, l'annonce faite aux prolos par un prophète athée ?
    Il y a contradiction interne entre l'émetteur et son message. On ne peut en aucun cas s'appuyer sur les affirmations de Marx, aussi fiables que celle de Météo-France au-delà de 15 jours. Il est impossible de modéliser le réel et de prédire l'avenir.

    By Blogger jpbb, at 8:46 AM  

  • Bien sur que si on peut modéliser l'avenir jusqu'à un certain degré de fiabilité.

    Mais c'est possible.

    By Blogger grandourscharmant, at 10:08 AM  

  • A part lire dans la boule de cristal, c'est impossible, il y a trop de paramètres qui interagissent en jeu.

    Seul Dieu connait l'avenir, donc Marx s'est pris pour Dieu, hallucination donc.

    By Blogger jpbb, at 11:23 AM  

  • En 1963, le météorologiste Edward Lorenz[4] du MIT mis en évidence la sensibilité de la circulation atmosphérique au choix des conditions initiales. Sans le savoir il venait de découvrir les "attracteurs étranges".

    Ainsi que nous le savons aujourd’hui à propos les prévisions météorologiques, toute perturbation si minime soit-elle, de proche en proche quadruple de taille chaque semaine. Ce qui n'était au départ qu'une fluctuation est devenu un phénomène chaotique d'une ampleur considérable. Cette petite fluctuation peut donc en théorie modifier l'évolution du climat quelques mois plus tard aux antipodes, c'est "l'effet papillon", nom poétique donné à l'attarcteur étrange de Lorenz qui régit ce comportement.

    Le déterminisme n'est donc plus absolu, a priori. Il est en effet impossible de tenir compte de tous les facteurs perturbateurs et même si cela était envisageable il serait impossible de codifier leurs effets (eu regard aux problèmes d'appréciation des quantités et ceux liés au stockage de l'information). En corollaire il est impossible de déterminer le degré de précision pour l'ensemble des conditions initiales et nous devons dès lors accepter une certaine marge d'erreur dans les prévisions. Ceci explique pourquoi les prévisions numériques émises par un centre international comme celui de Reading, l'ECMWF par exemple, peuvent parfois radicalement changer un paramètre comme la direction du vent en l'espace de 12 heures; ce n'est pas de l'incompétence mais l'oeuvre du dieu Khaos...

    http://www.astrosurf.com/luxorion/chaos-science.htm

    On démontre ainsi scientifiquement qu'il est impossible de prédire l'avenir, ce qui impose à tout esprit rationnel de rejeter les fariboles marxistes... :-)

    By Blogger jpbb, at 11:47 AM  

  • Trop de parametres,
    c'est juste une question de puissance de calcul.

    D'ailleurs tous n'ont pas forcément à être pris en ligne de compte.

    En d'autres temps,
    on a scientifiquement démontré que la terre était plate ou qu'il était impossible d'aller sur la lune.

    By Blogger grandourscharmant, at 8:38 PM  

  • Moi, je peux démontrer par de savants calculs que votre cerveau est plat.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:06 PM  

  • A mon avis votre commentaire aussi.

    By Anonymous Anonyme, at 10:53 PM  

  • Pourquoi le promettre,
    tenez-le,
    démontrez-nous.

    Vous démontrerez ainsi que vous n'avez pas dit n'importe quoi.

    Hélas, je crains d'avoir démontré que vous étiez un fantaisiste plus qu'un politique.

    By Blogger grandourscharmant, at 1:41 AM  

  • Je n'ai pas de temps à perdre avec la platitude.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:10 PM  

  • Vous faites quoi le reste du temps.

    By Anonymous Anonyme, at 10:46 PM  

  • Je le consacre à l'intelligence.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:55 AM  

  • Ca ne se voit guère.

    By Anonymous Anonyme, at 2:45 PM  

  • "réformistes" ? c'est sûr! mais on oublie de dire dans quel sens.

    Les seules réformes que produisent de nos jours les gouvernements qui se réclament de la "social-démocratie" sont des réformes visant à rendre la société encore un peu moins libre et à augmenter les profits des patrons et le niveau d'exploitation de l'homme par l'homme.

    By Anonymous Anonyme, at 5:38 PM  

  • Je me demande encore comment un normalien comme Badiou peut encore nous sortir de telles fadaises ...Comme quoi, les philosophes ne sont pas des parangons de rationnalité, loin de là ! Car Lénine annonçait déjà Staline :

    http://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/t11436p170-staline-continuateur-de-lenine#186211

    By Anonymous Tietie007, at 12:09 PM  

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