L'Aisne avec DSK

12 juin 2010

Le livre de votre été.


Bonjour à toutes et à tous.


L'été approche, chacun se demande quelle sera sa lecture de vacances. Si vous aimez la politique, je vous recommande "Le dernier mort de Mitterrand", de Raphaëlle Bacqué, un récit entre le roman et l'essai, qui se lit d'une traite, qu'on ne lâche plus une fois qu'on l'a ouvert. Le titre est étrange et la photo de couverture encore plus, mais tout le livre est dans cette curieuse scène où l'on voit François de Grossouvre, le sujet de l'ouvrage, conseiller très spécial d'un autre François, Mitterrand celui-là, qu'on voit à peine, probablement plongé dans la lecture du journal ou d'un dossier (il porte lunettes), caché par un immense et confortable fauteuil, dans ce qu'on reconnaît être un avion (on aperçoit le hublot). Derrière, plus bas, assis sans doute sur un strapontin, dans une position qu'on devine peu agréable, Grossouvre est impeccablement vêtu, barbichette soignée de mousquetaire, les yeux dans le vague, songeur, peut-être déjà perdu, annonçant sa fin tragique : son suicide le 7 avril 1994 dans son bureau au Palais de l'Elysée.

Cette terrible image, c'est celle du pouvoir, de l'impossible amitié en politique, entre le maître tout puissant et son conseiller influent : l'un tourne le dos, l'autre regarde ailleurs, la relation est fausse. Entre les deux, l'épaisseur d'un fauteuil (on ne voit que lui, c'est le personnage principal !), symbole de l'inaccessible pouvoir (par définition, un homme de pouvoir est inaccessible, sinon ça n'est plus un homme de pouvoir).

Grossouvre était un personnage baroque, anachronique, plutôt de droite, riche, séducteur, espion et grand chasseur. Il aurait pu se satisfaire de ce qu'il était, avec son argent, ses relations, ses maîtresses, ses fusils et ses chiens. Mais non : comme beaucoup d'entre nous, il a voulu beaucoup plus, être aimé par le monarque, jouer un petit rôle dans la grande histoire, devenir sans doute ce qu'il ne pouvait pas être. C'est un drame humain fréquent, qui ne conduit pas nécessairement à la mort. Pour Grossouvre, hélas oui.

Car la relation avec François Mitterrand est comme avec une femme : c'est lui qui choisit et qui reçoit, c'est l'autre qui subit et qui donne. Grossouvre avait beau être entouré de conquêtes, il savait que la seule qui vaille, c'est celle du pouvoir, c'est l'amitié de son dépositaire. Les femmes, elles passent, on s'en lasse, les corps vieillissent et ne séduisent plus. Le pouvoir, lui, est toujours là, diamant inaltérable, disponible, toujours convoité, toujours désirable, prêt à être pris ou conservé, jusqu'au dernier souffle de vie.

Un vieux beau offre de lui un spectacle pitoyable, un vieillard à la tête de l'Etat inspire encore le respect et l'admiration (sauf dans la société contemporaine qui a le culte de la jeunesse, mais le phénomène est très récent). L'ultime attirance, ce n'est pas la beauté, la richesse ou l'intelligence : c'est le pouvoir. Jetez un coup d'oeil autour de vous, même à des niveaux inférieurs vous ferez ce constat-là.

Grossouve donc a aimé Mitterrand, financé ses campagnes, apporté ses soutiens. Il s'est donné à lui, il a attendu ce qu'il ne pouvait pas recevoir. En politique il ne faut jamais aimer personne, sinon on est maudit. J'en ai vu quelques-uns et quelques-unes, y compris localement, qui s'entichaient d'un(e) élu(e), lui faisant les yeux doux, lui prouvant leur attention, leur dévouement, leur servilité. Qu'est-ce qu'on est bas quand on se met à aimer ! La passion physique est moins dangereuse et surtout plus noble.

Les seuls sentiments que la politique devrait autoriser et encourager, c'est à l'égard de la population. Là oui, il faut servir sans compter, il faut aimer les gens. Mais les chefs, les chefaillons et les mandatés non, la simple discipline suffit, et le respect qu'on doit à tout individu. Je crois même que la distance à leur égard est salutaire, avec parfois une pointe de mépris pour ceux qui le méritent. Mais se précipiter pour avoir droit au serrage de louche comme autrefois on s'inclinait pour le baise-main, non c'est indécent.

"Le dernier mort de Mitterrand", c'est aussi, au-delà de la tragédie, un roman sur la comédie du pouvoir. J'ai trouvé excellentes les pages consacrées à la description des chasses présidentielles, où se conjuguent les grandes vanités et les petits intérêts. C'est un morceau d'anthologie, qui fait inévitablement penser à la séquence de chasse en Sologne dans le film de Jean Renoir "La règle du jeu". Derrière sa dimension historique et psychologique, c'est à une véritable réflexion politique qu'invite le livre de Raphaëlle Bacqué. C'est pourquoi j'en fais le livre de votre été.


Bonne journée.

10 Comments:

  • Le livre de ton été peut être ....mais pas du notre.

    By Anonymous Anonyme, at 1:54 PM  

  • Qu'est-ce qui vous déplaît dans cet ouvrage ?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 2:52 PM  

  • Ce qui me déplaît dans cet "ouvrage", c'est ton commentaire, un rien racoleur; ça sent l'hiver, pas du tout l'été. Il y a mieux à lire, ou à faire, en vacances.

    By Anonymous Anonyme, at 4:39 PM  

  • Je suis bien d'accord avec le commentaire précédent ! Ce livre est une honte, qui travestit la vérité, qu'il s'agisse de qui était François de Grossouvre, ou des circonstances de sa mort. Lisez les réactions de la famille, et le blog de Pierre d'Alençon, son ancien collaborateur, faites vous une véritable opinion !

    By Anonymous Anonyme, at 5:36 PM  

  • Oubliez alors mon commentaire, ne retenez que l'ouvrage. Je l'ai aimé, j'essaie de faire partager ma passion pour ce livre. Appelez ça "racoleur" si vous voulez. Quant à "l'hiver" que vous avez "senti", c'est que ma description est fort juste, car c'est en effet un récit hivernal, glacé et même crépusculaire. Vous préférez la plage, le soleil et les nanas ? Désolé ...

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:53 PM  

  • A 5.36 :

    La honte est du côté de ceux qui prétendent que c'est Mitterrand qui a fait tuer Grossouvre. La théorie du complot, non merci. Je la laisse aux dingos.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:59 PM  

  • Le pouvoir est un lieu vide, c'est pourquoi il fascine.

    Les politiciens le désirent, certains ouvertement, d'autres essaient de faire croire que cela ne les intéresse pas.

    By Anonymous Anonyme, at 11:49 PM  

  • Etre fasciné par le vide, il faut le faire ! Peut-être que le vide attire le vide ...

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:53 AM  

  • Et oui,
    qu'est ce que vous l'avez aimé Odette...
    Les yeux doux, l'attention,
    le dévouement, la servilité
    et rien en retour.

    C'est le pb de l'amour quand il n'est pas réciproque.

    By Anonymous Anonyme, at 12:55 PM  

  • En politique, l'amour ne peut jamais être réciproque. Le sentiment que vous me prêtez à l'égard d'Odette me semble excessif. Du respect, de l'estime, peut-être de l'envie, mais de l'amour non. L'attention et le dévouement, je veux bien. La servilité, ce n'est pas dans mon caractère. Quant à mes yeux, ils sont naturellement doux, même quand je regarde mon chat.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 1:10 PM  

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