L'Aisne avec DSK

22 juillet 2010

La société compliquée.

Bonsoir à toutes et à tous.


Avez-vous remarqué ? Tout aujourd'hui est compliqué et le devient de plus en plus. Notre société n'a pas toujours été ainsi. Autrefois, quand on prenait un billet de train, c'était rapide et facile. Désormais, la multitude des offres complique tout et prend du temps. Prenez les conseils de parcours routiers pris sur internet : l'accumulation des détails fait regretter la bonne vieille carte Michelin. Et je ne parle même pas du meuble à monter soi-même acheté chez Ikea : le mode d'emploi est une redoutable épreuve qu'on surmonte difficilement. Je pourrais multiplier les exemples et les comparaisons, le constat est flagrant : nous vivons dans un monde compliqué.

Il y a même une date qu'on peut symboliquement retenir : 1976 et la création du Loto. Jusqu'à cette année-là, le billet de la Loterie Nationale était d'une extrême simplicité. On a aujourd'hui oublié, habitués que nous sommes à la complication, qu'il a fallu un certain temps pour que les Français s'habituent à un jeu de hasard au départ incompréhensible et générant de nombreuses erreurs.

Attention : ne confondons pas complication et complexité. Celle-ci a toujours existé : un dossier fiscal, une théorie scientifique, un traité juridique sont des objets complexes car spécialisés. La complication, elle, concerne la vie quotidienne, quand ce qui est simple devient compliqué. Ne croyons pas non plus que la complication soit désagréable ou mal perçue. Au contraire, elle est l'occasion d'un vrai plaisir, celui d'évoquer ou de se confronter à des choses compliquées. Avez-vous remarqué qu'autour de nous les propos de nos concitoyens sont à l'envie embrouillés ? Ce n'est certes pas systématique mais fréquent. Les qualités de clarté, simplicité, concision et synthèse sont devenues rares dans le débat public ou la conversation privée.

Quel plaisir singulier peut-on trouver à être compliqué ? D'abord, contrairement à ce qu'on croit, il est très facile d'être compliqué, obscur, embrouillé ; à l'inverse, la simplicité d'expression, la limpidité du propos sont des objectifs compliqués. Ensuite, la complication satisfait la vanité ; elle permet de paraître savant, expert, intelligent à peu de frais et d'exercer un certain pouvoir sur autrui. Enfin, la complication est une sorte de superstition : on admire le discours compliqué, on se dit que celui qui le tient ne peut qu'avoir raison, on se dispense d'aller chercher plus loin et de réfléchir par soi-même. Comme souvent, il y a une connivence entre le dominant et le dominé.

La société compliquée est aussi le produit de facteurs très contemporains :

1- La liberté. L'individu est beaucoup plus autonome qu'autrefois. A l'époque où l'on votait comme ses parents ou grands-parents, où l'on suivait les recommandations morales de monsieur le curé, les choix étaient relativement simples. On savait ce qu'étaient la gauche et la droite, le bien et le mal, un ouvrier et un bourgeois. Impossible aujourd'hui, beaucoup plus compliqué.

2- L'abondance. Dans une société de rareté, où les produits étaient en nombre limités, tout était simple, l'hésitation, le regret, la versatilité n'avaient pas trop leur place. Entrez dans n'importe quel rayon d'hypermarché : il y a de quoi s'y perdre ...

3- La technologie. Je crois que c'est un facteur majeur d'explication. Pendant des millénaires, les techniques humaines demeuraient rudimentaires malgré leur perfectionnement. Conduire une carriole, utiliser un outil, manier une arme, ces techniques n'étaient pas sophistiquées. A partir de la deuxième moitié du XXème siècle, la vie ordinaire s'est peuplée d'objets et de pratiques extrêmement perfectionnés qui valorisent les individus en même temps qu'ils les aliènent joyeusement : automobile, téléviseur, mobile, ordinateur, toute la gamme offerte dans l'audiovisuel et l'électroménager.

C'est pourquoi la politique ne peut plus être comme autrefois. Par mon expérience personnelle, j'ai souvent remarqué que les discours les plus clairs, les plus directs désormais incommodent, laissent sceptiques, passent presque pour indécents de simplicité. En revanche, les logorrhées pâteuses, pleines de sigles et de termes techniques, séduisent, suscitent l'approbation et soulèvent les applaudissements, moins on les comprend plus on est confiant. Il faudra s'y faire : c'est ça aussi la société compliquée.


Bonne soirée,
pas trop compliquée j'espère.

8 Comments:

  • Ce qui est compliqué, voire complexe également, c'est l'orthographe qui multiplie les difficultés à l'envi!

    By Anonymous Anonyme, at 8:44 AM  

  • L'orthographe n'est pas pire aujourd'hui qu'autrefois. En revanche, l'élévation du niveau culturel conduit la population à s'exprimer plus souvent et plus facilement. L'une des conséquences (inévitable ?) c'est parfois un certain délire du langage et du raisonnement. Par exemple, je suis stupéfait de lire ou d'entendre les arguments des anti-éoliens, qui illustrent parfaitement la complication contemporaine (autrefois, on aurait obtempéré sans discutailler et produire des arguties, mais ce n'était évidemment pas mieux).

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:22 AM  

  • bien vu, en particulier la vanité des termes prétentieux et le préjugé favorable au jargon.
    à souligner aussi : l'abus par les politiciens de termes tels qu'efficient ou efficience; ils feraient bien de balayer devant leur porte, car en fait d'efficacité...

    By Anonymous Anonyme, at 11:43 AM  

  • Ce n'est pas forcément si mal. Une société qui se mute et se transforme est forcément plus compliquée. Mais compliqué au bon sens du terme, maintenant nous avons plus de moyens pour entreprendre et réussir. On va quand même pas se plaindre de vivre dans une société libérale où il y a plus de liberté qu'autrefois. La technologie est désormais incontournable, je suis d'accord que certains accessoires superflu s'inscrivent dans la vanité et dans la frime. Quant à l'abondance, elle permet justement la facilité d'évoluer..
    Cette société est simplement le fruit de la mondialisation et de la libéralisation des mœurs. Nous ne pourrons pas la changer et c'est tant mieux. Cependant nous pourrons la régulariser et notamment la moraliser, comme l'a fait le chef de l'état depuis trois ans en moralisant le capitalisme qui est une branche de cette société compliquée.

    Pour l'anecdote, je crois hélas que vous vous contredisez puisque l'année dernière, il y a eu pour thème au café philo de Juin 2009 "c'était mieux avant", et vous étiez un partisan du non en affirmant que vous préfériez cette société actuelle. La société au finale n'est pas compliqué, elle est simplement mieux adapté à nos besoins et notre soif de consommation.

    Bonne journée.

    By Blogger Arthur Nouaillat, at 11:50 AM  

  • Ce n'était pas mieux avant, mais ce constat n'interdit pas de dénoncer les limites et les défauts d'aujourd'hui.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 12:57 PM  

  • C'est toute une école qui travaille au sujet de "la pensée complexe", afin d'essayer d'éduquer le maximum d'êtres humains à cette nouvelle et nécessaire façon de penser:

    http://www.mcxapc.org/static.php?file=apc.htm&menuID=APC

    By Anonymous selene, at 1:22 PM  

  • Il faut aussi citer Edgar Morin, LE penseur français contemporain de la notion de "complexité". Mais comme je l'ai dit dans mon billet, je la distingue de la "complication" qui est un tic de langage, une manière d'être, une forme de narcissisme de la société moderne. On peut être complexe sans être compliqué. Les plus savants des hommes ont souvent une grande modestie et simplicité d'expression.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 1:32 PM  

  • Gens du voyage ; lu sur un blog

    Dans le monde actuels, les gitans sont incontrôlables parce que nomades. La seule solution pour en finir avec ce problème serait de les responsabiliser sans compromettre le mode de vie qu'ils ont choisi ou hérité.

    Dans le but de rester positif après un constat assez noir, je propose une solution originale. Elle pourrait sembler utopique ou irréalisable de prime abord mais je pense au contraire qu'elle est extrêmement pragmatique. Les gitans ne se reconnaissent pas dans les nationalités existantes ? Créons-en une pour eux ! En fait, je pense qu'on pourrait créer au sein de l'UE un 28e état membre "virtuel", la "communauté du voyage". Le but ? Permettre aux gens du voyage de se prendre en charge dans le respect des communautés sédentaires.

    Concrètement, cet état n'aurait pas de territoire. Tout au plus pourrait-on lui concéder le droit d'extraterritorialité pour des enclaves bien définies. Il serait représenté au Parlement Européen par des députés élus selon un scrutin définir. Son gouvernement et son administration siègerait à Bruxelles, capitale de l'UE. Etant donné la nature de ce peuple, l'administration pourrait engager des sédentaires. Seuls les membres du gouvernement devraient être de "nationalité du voyage". Les gitans payeraient des impôts à leur état virtuel, qui serait en charge de leur aménager des aires en accord avec les autorités sédentaires locales. Pour les relations entre eux, les gitans pourraient voir leurs propres lois. Pour les relations avec les sédentaires, la loi en vigueur sur le territoire visité sera appliquée. En cas de problème entre gitans et sédentaires, cet état virtuel pourrait servir de relais. En échange de cette responsabilisation, les gitans pourront continuer à vivre de manière nomade dans toute l'UE. Les gitans de nationalités extérieures à l'UE, par contre, ne seront plus autorisés.

    Bien sur, ce n'est pas une solution magique qui règlera tout d'un coup de cuiller à pot. Et je ne suis pas un partisan du "yaka". Il faudra aussi travailler sur les mentalités, aussi bien côté sédentaire que nomade. Mais je pense que cette solution est une bonne piste pour arriver à une coexistence pacifique et respectueuse entre nomades et sédentaires.

    By Anonymous Anonyme, at 5:57 PM  

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