L'Aisne avec DSK

08 juillet 2010

Un choix de civilisation.

Bonsoir à toutes et à tous.


L'affaire Woerth-Bettencourt a occulté un échec majeur du gouvernement : sa réforme des collectivités territoriales a été vidée par le Sénat de sa substance, le mode d'élection des conseillers territoriaux et le partage des responsabilités entre les différents échelons ont été rejetés. Le texte de loi va maintenant passer devant les députés, mais dans un tel état de décomposition qu'on ne voit plus très bien ce qu'on pourrait en tirer de cohérent et de stable.

Je regrette qu'on ne parle pas plus de ce projet : sous ses aspects de technique gestionnaire et institutionnelle, derrière les enjeux de pouvoir locaux et les intérêts d'élus, il y a un sujet de politique, et même de philosophie politique, brassant les idées qu'on se fait de la représentation, de l'élection, de la souveraineté, de la fiscalité, etc. C'est vraiment dommage que tout cela soit oublié par l'actualité polémique.

J'ai développé dans plusieurs billets mon avis critique, très critique sur ce texte. Je voudrais ce soir compléter ma réflexion en m'inspirant d'une remarquable tribune du Monde daté du 1 er juillet, intitulée "Le big bang des collectivités territoriales : une politique très violente d'aménagement du territoire", signée Michel Peraldi, ancien sous-préfet, dont je ne sais pas s'il est de gauche, qui trouve "habile et équilibré" le rapport Balladur sur le sujet et qui se montre très critique envers les propositions de Nicolas Sarkozy.

D'abord l'analyse explique à quel point la réforme territoriale remet radicalement en cause la décentralisation voulue par la gauche il y a plus d'un quart de siècle. Les gagnantes, ce sont les grosses métropoles, au détriment du monde rural. Depuis un siècle et demi d'économie capitaliste, la tendance est à la désertification des campagnes et au renforcement des grandes villes. Le mouvement continue.

Or, la France des petites villes, bourgs et villages existe, elle représente 80 % du territoire (mais 20 % de la population). Est-elle condamnée à disparaître ? Il serait étrange qu'un espace si vaste puisse être oublié, d'autant que sa qualité de vie, ses ressources naturelles, ses capacités de développement durable en font aussi un choix de civilisation, autant que la concentration urbaine (qui par bien des côtés est une anti-civilisation).

Je le dis très librement, étant fondamentalement un urbain : j'aime vivre et habiter à sept minutes de mon travail, à deux minutes d'un point de vente de la presse, à trois minutes du siège du principal journal local, à huit minutes de l'Hôtel de Ville. Mais je suis bien obligé de reconnaître que les territoires ruraux et leurs petits regroupements humains exercent un attrait, une possibilité de vie en expansion, pas négligeable.

Et puis, la politique ne consiste pas à subir mais à choisir : la folle densification des zones urbaines génère de considérables et insolubles problèmes, l'aménagement du territoire invite à une meilleure répartition de l'occupation des sols. Ce n'est pas une affaire de cadastre ou de loisir rurbain, mais un projet de société, un modèle de civilisation à penser et à construire.

Ce qui est paradoxal dans ce débat, c'est que les forces politiques traditionnelles y sont à contre-emploi : la droite, qui a longtemps défendu le monde paysan contre la grande ville jugée trop moderniste, s'en prend aujourd'hui à l'économie rurale et à ses structures politico-sociales (avec en ligne de mire l'existence même du département). La gauche, qui s'est longtemps méfiée de la campagne réactionnaire pour mieux soutenir l'urbanité progressiste, se fait désormais le défenseur naturel des zones rurales et des Conseils Généraux. L'Histoire politique nous a habitués à ce genre de retournement ironique.


Bonne soirée.

3 Comments:

  • La décentralisation souffre d'un péché originel: l'empilement des strates administratives. Il eût fallu, dès le départ, prévoir l'effacement progressif du département, créé selon des critères géographiques qui n'ont plus cours aujourd'hui.

    By Anonymous Lormont, at 9:00 AM  

  • Evidemment, c'est énorme ! Pourtant, une loi votée à l'unanimité de chacune des deux chambres, publiée au JO du 29 mai 2010, n'est pas mal non plus. Les collectivités locales pourront créer des sociétés publiques locales pour y loger des services dont ces collectivités sont chargées, eau, assainissement, transport.
    Attention, il s'agira de sociétés anonymes soumises au code des sociétés, donc passibles de liquidation judiciaire (faillite), par hypothèse les actionnaires ne sont tenues qu'à hauteur de leurs apports.
    Le financement et la passation des marchés nécessaires se feront toujours de gré à gré, sans passer par le code des marchés de gré à gré : risque de copinage.
    Même chose pour les salariés de ces SPL, qui relèveront exclusivement du code du travail, sauf éventuellement détachement d'un service public ( embauche selon la carte su bon parti)
    Et aussi opacité des rémunérations.
    Imaginons la cantine scolaire confiée à une société anonyme. Je redoute l'extrême marchandisation des service locaux.

    By Anonymous Anonyme, at 10:46 AM  

  • Si la gauche avait un peu de lucidité et de courage, elle rebâtirait la décentralisation sur les principes suivants :
    -Communautés de communes avec une gouvernance élue au suffrage direct (et non pas indirect comme actuellement)
    -Effacement des départements au profit d'un transfert de leurs compétences vers les bien nommés (par l'Insee) "bassins de vie" (grosso modo les arrondissements avec le courage d'accepter un redécoupage), ces "Pays" (la Thiérache, le Vermandois, Le Laonnois..etc) devenant une collectivité à part entière avec une gouvernance élue au suffrage direct)
    -les régions avec l'acceptation d'un principe de choix démocratique, les pays ayant latitude de choisir la région à laquelle ils veulent être rattachés.
    Dans le monde rural ou semi rural, c'est une simplification qui regonflerait (emplois tertiaires et administratifs, lieux de décision) le réseau des villes moyennes ou petites, leur redonnerait une attractivité, un tonus dont les a vidé la centralisation départementale, héritée de la politique des chefs lieux de l'ancienne centralisation.
    Bien entendu pour les très grande métropoles des ajustements spécifiques sont à imaginer car la notion de "pays" y est moins pertinente.
    Le lobby départementaliste qui n'aimera pas un tel programme est de consistance essentiellement sénatoriale...et conservatrice.

    By Blogger Ane-Vert, at 2:14 PM  

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