L'Aisne avec DSK

13 juin 2007

La bataille des valeurs.

Bonsoir à toutes et à tous.

Le sondage du Figaro du 1er juin m'avait échappé. Il est pourtant édifiant et instructif pour qui veut refonder la gauche. Les français sont interrogés sur les mesures gouvernementales. Toutes sont approuvées, et très largement, sauf une, les franchises médicales. Comme si la santé restait sacrée, comme si le corps humain était le dernier endroit à ne pas libéraliser et marchandiser. Pour le reste, les décisions libérales emportent l'adhésion.

La déduction fiscale des intérêts immobiliers? 87% sont favorables. Savez-vous combien de français sont locataires? 43%. Il y a quelque chose qui cloche, non? Vous me direz que parmi les 43%, il y en a un certain nombre qui espèrent devenir propriétaires. Admettons. Il n'empêche que quelque chose continue de clocher. Les 87% contiennent nécessairement une part qui ne seront jamais et ne veulent pas être possesseur de leur logement et qui pourtant soutiennent une mesure qui ne les concernent pas.

Explication: ces derniers reportent un désir inassouvi car impossible sur leurs enfants. Seconde explication: ils adhérent par idéologie ou par altruisme, estimant positif quelque chose dont cependant ils ne profitent pas. "La propriété, c'est le vol", s'exclamait Proudhon. Avant lui, Rousseau estimait que les malheurs de l'humanité sont apparus le jour où quelqu'un a enclos une parcelle de terre en disant "ceci est à moi". Marx fustigeait la propriété privée. Les grands penseurs de la gauche ne sont plus, sur ce point, dans l'air du temps. L'esprit propriétaire a gagné l'opinion.

Plus étonnant encore, la suppression des droits de succession plébiscitée par 82% des français et 70% des sympathisants de gauche. Oui, vous avez bien lu, l'opinion de gauche soutient les héritiers! Alors que 80% des français ne paient pas cet impôt, le même nombre s'enthousiasment de sa disparition! C'est presque ubuesque, sinon kafkaïen. Mais à toute chose, il y a une raison. L'héritage, c'est la descendance, la suite, l'avenir, le prolongement de soi, quelque chose de "durable", peut-être la seule chose "durable" sur cette terre. L'héritage, la transmission deviennent des valeurs qui protègent d'une société devenue hyper-individualiste et portée sur l'instant présent. Au sens propre, c'est une expression réactionnaire vis à vis de la modernité.

La réforme des régimes spéciaux de retraite, la mise en place d'un service minimum dans les transports recueillent 79% et 71% d'opinions favorables, résultats beaucoup moins surprenants. Trois mesures laissent relativement insensibles les sympathisants de gauche: la suppression de la carte scolaire (32% sont pour), le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux (35%), l'instauration du bouclier fiscal (28%). J'en conclus que la mixité sociale en matière d'éducation, la défense des services publics et la taxation progressive des plus riches demeurent des principes encore vivants à gauche.

Il faudra avoir ce sondage sous les yeux lorsque nous allons rénover le socialisme. Certaines valeurs de droite (la propriété, l'héritage) se sont massivement popularisées, quelques valeurs de gauche (l'éducation, le service public, l'impôt progressif) résistent assez bien et l'une d'entre elles (la Sécurité sociale) triomphe. A nous d'y réfléchir et d'en tirer les leçons.

Bonne soirée.


PS: certains lecteurs me reprocheront peut-être d'employer le terme de "valeurs" là où il s'agit de mesures précises, concrètes sinon techniques. Je ne le nie pas mais je pense que la force d'adhésion ou de rejet de ces mesures sont moins motivées par une appréciation technique que par un jugement de valeur.

2 Comments:

  • La société évolue apparemment et suit le leurre des annonces médiatiques. Il est regrettable que peu se soucie de ce que cela représente vraiment et quels sont les tenants et aboutissants des mesures annoncées.
    Concernant les mesures successorales elles ne favorisent réellement le conjoint (marié ou pacsé)ce qui peut sembler logique (l'acquisition des biens a le plus souvent été effectuée en communauté) mais non le concubin. Les enfants et petits enfants bénéficient d'abatttements plus importants mais moins énormes qu'annoncés car ils existaient déjà mais à hauteur de 100 k€ chacun(50k€ par le père et autant par la mère)sans compter l'abbattement spécial global de 50 k€. Quid des concubins qui n'héritent pas, des parents non décédés, des neveux et nièces... Et c'est là en fait que résident les plus gros droits (abattements ridicules et tranches élevées). Le gouvernement ne fait pas réellement une grande mesure d'autant comme tu le dis près des 3/4 ne payaient pas de droits. C'est un mythe français!

    Concernant les intérêts d'emprunt pour la RP il faut déjà avoir un prêt pour acheter sa maison et qui peut y prétendre? surement pas les petits revenus, les revenus précaires et les sans revenus qui représentent un énorme pourcentage des locataires. Une vrai mesure était de favoriser l'obtention d'emprunts par des organismes collectifs de caution, des taux privilégiés, des logements locatifs (location vente façon crédit bail)... la mesure sarkozienne ne favorise que les revenus moyens et surtout aisés. J'en connais même qui vont vendre la RP (pour une acheter une autre), placer leur argent qui rapportera en revenus et en défiscalisation et emprunter grâce à un nantissement des fonds précédents pour investir dans une nouvelle RP qui sera défiscalisante. Quelle richesse que cette perle!

    Quant à la suppression de la carte scolaire, qui en bénéficera réellement: ceux qui pourront emmener leurs enfants là où il faut! Le privé en pâtira peut être un peu mais pas sûr : l'atout du privé était essentiellement la prise en charge avant et après les cours, le public disposant de peu de structures d'accueil!

    Le français se fait bluffer. Il ne réfléchit pas et réagit par effet de mode!! C'est comme cela et il faudrait un effort énorme de l'éducation pour amener à un peu plus de civisme et de citoyenneté!
    Je vais peut être vous paraître vieux jeu : mais les valeurs que je viens d'écrire existaient par le passé quand les enseignants étaient issus d'Ecole Normale, étaient encadrés par les structures d'éducation populaire et fédérations laïques et avaient la vocation. Que cela est-il devenu?
    mD

    By Blogger md, at 9:26 PM  

  • Merci Michel pour toutes ces précisions, le jugement averti d'un spécialiste étant très précieux dans ces matières qui ont une part très technique.

    Quant à la fin de ton message, peut-être ne sais-tu pas que je suis devenu, il y a une peu plus de deux ans, président de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne (la FOL quoi, avec Beauregard et son petit château). Donc, l'éducation populaire, avec mes cafés philo et tutti quanti, je suis en plein dedans. Ce sont des structures souvent vieillissantes qu'il faut rajeunir, à l'image des syndicats ou des partis politiques.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:48 AM  

Enregistrer un commentaire

<< Home