L'Aisne avec DSK

08 juillet 2007

Août 2003, novembre 2005.

La refondation du socialisme passera bien sûr par une réflexion sur nos fondamentaux et le sens à leur donner: progrès, égalité, Etat, liberté, solidarité, etc. Mais en rester là serait s'enfermer dans une approche purement idéologique, au sens le plus négatif. Il ne faut pas se limiter aux concepts traditionnels, il faut se confronter aux événements contemporains, à ce qu'ils ont de nouveau, de dérangeant mais aussi de stimulant pour la pensée et de prometteur pour notre projet.

J'ai à l'esprit deux événements dont la réflexion politique devrait s'emparer avec profit, et qui ont été plutôt délaissés par les intellectuels, les chercheurs, une fois la page tournée, je veux parler de la canicule d'août 2003 et ses 15000 morts et les trois semaines d'émeutes en novembre 2005.

Le premier événement est la grande tragédie collective française depuis une quarantaine d'années, dont la portée historique s'est hélas vite dissipée, comme si après le travail de deuil s'était installé un puissant travail de refoulement et d'oubli. Car cette tragédie est un immense et apparemment incompréhensible scandale: comment une société technologiquement évoluée, sanitairement exemplaire peut-elle laisser mourir ses vieux alors que tout le monde est dans la joie et les plaisirs des vacances?

L'inacceptable, c'est que la technologie et les capacités sanitaires ne sont pas en faute. C'est beaucoup plus grave qu'une absence de moyens, qu'un dysfonctionnement technique, qu'une défaillance matérielle, c'est un problème de civilisation, le refoulement du grand âge dans une société obsédée par la jeunesse, le refus de la perte d'autonomie dans une société qui ne jure que par la liberté, les conséquences dramatiques de l'individualisme dans une société qui a fait de celui-ci sa philosophie, sa morale et sa politique.

Les émeutes de novembre 2005 sont moins tragiques mais tout aussi inattendues, inadmissibles, incompréhensibles et donc indispensables à comprendre. Là encore, il faut remonter loin dans l'histoire pour trouver un mouvement d'une telle ampleur. Là encore, les catégories habituelles de pensée ne rendent pas compte de l'événement, qui n'est pas une révolte (absence de revendications), encore moins une révolution (pas de mots d'ordre politiques). Le mot "émeute" est employé parce qu'il faut un mot, mais on sent bien qu'il ne convient pas parfaitement, qu'il ne colle pas exactement à ce qui s'est passé. Je vais ressortir mon Philippe Val pour contribuer à la réflexion:

"Encore plus que de la misère, qui s'exprimerait autrement si c'était le cas, ce sont des émeutes de la misère culturelle et de la solitude qu'elle implique, de la précarité morale qu'elle contient, et de l'instinct de mort qu'elle libère. Ceux qui croient voir des convergences entre Mai 68 et novembre 2005 se trompent lourdement." (Les traîtres et les crétins, page 71)

Tout est dit en quelques mots, qui appelleraient bien sûr de longues analyses. Je retiens pour ma part deux enseignements de l'événement:

1- Un homme politique était chargé, en ce mois de novembre 2005, de garantir l'ordre public en France: le ministre de l'intérieur. Il a totalement échoué, laissant s'installer pendant trois semaines un climat d'insurrection dans de nombreux quartiers populaires. Il a même été, de par ses propos inconsidérés, un facteur aggravant sinon déclenchant des émeutes. Normalement, cet homme aurait dû être politiquement discrédité, électoralement disqualifié à tout jamais, d'autant que l'opinion est soucieuse d'ordre et de sécurité.
Eh bien non, cet homme est devenu président de la République, au nom même de ce qu'il a pourtant échoué à instaurer, l'ordre et la sécurité. J'attends l'apparition du grand philosophe, du grand sociologue ou du grand psychologue qui nous aidera à comprendre ce stupéfiant mystère. Oserai-je soupçonner l'opinion publique de vouloir la guerre avec une partie de la population française, celle des "cités", de réactiver une lutte des classes d'un genre nouveau et de se reconnaître en celui qui a déclenché le conflit?

2- Seconde stupéfaction, celle d'entendre une certaine gauche, généralement radicale, ressusciter les mots anciens que rien ne peut faire revivre: révolte sociale, pauvres contre riches, lutte de classes cette fois-ci à l'ancienne mode. Val a tordu le cou à ces clichés inopérants. Quand les pauvres se révoltent, parce qu'ils ont faim, parce qu'ils veulent être libres, ils attaquent les puissants, ils ne brûlent pas la voiture de leurs voisins ou l'école de leurs enfants.

Août 2003, novembre 2005, voilà les deux événements, symptômes d'une crise de civilisation, que les socialistes devront avoir en mémoire et en pensée quand ils récriront leur projet.

Bon après-midi.

6 Comments:

  • Huit chroniques sans un seul commentaire. Que se passe t' il?
    Jpb et md sont en vacances ou quoi.
    Bon tout lasse tu sais c'est pas grave.

    By Anonymous Anonyme, at 4:29 PM  

  • Hé non je ne suis pas en vacances mais Emmanuel est si prolixe qu'il est difficile de le suivre!
    Concernant ce message il me vient l'idée que la société française a tout simplement oublié le mot solidarité! Elle est devenue égoiste! S'occuper de ses anciens est le signe d'une civilisation en bonne santé! Accueillir son voisin est utile à la survie de la nation. Et ce n'est pas en donnant de l'argent pour le Sida, le tsunami.....qu'on est solidaire. tout au plus on s'achète une bonne conscience. La TV, le téléphone mobile,les jeux vidéo,... et toutes ces techniques ont tué les relations humaines et les relations intergénérationnelles, même si par ailleurs elles ont éveillé au monde extérieur. Toute la vie se déroule comme un jeu vidéo. Spectateur mais pas acteur! C'est facile de zapper! On zappe dans ses relations amoureuses, on zappe sur les programmes TV, on zappe sur ses relations amicales.... Dès qu'un petit événement arrive, plutôt que réfléchir, on zappe et on passe à autre chose! Je suis maintenant très pessimiste et je ne crois pas qu'on retrouvera les fondations de l'amitié, de la solidarité et de la fraternité. J'ai pu le constater à mes dépens lors d'une situation professionnelle difficile, de mon divorce, de l'éloignement de mes ainés.... J'étais actif autant que peut l'être Emmanuel (UFOLEP, FOL, UNSS, PS, sport...) et m'étais investi énormément dans le social et les associations. Une rumeur et plus rien. Tout le monde y compris notre Emmanuel national ont zappé. Seuls quelques vrais amis (on peut les compter sur une demi main) sont restés! Seule une guerre ou une situation très grave redonnera peut-être un élan de générosité et d'esprit collectif.
    MD

    By Blogger md, at 7:30 PM  

  • j'ai même vu des socialistes tendance ségo, zapper sur le smic à 1500 €

    By Anonymous Anonyme, at 11:14 PM  

  • Moi aussi, je me suis fait la remarque sur cette absence de commentaires. Je sais aussi que l'homme contemporain est versatile et infidèle, l'internet offrant tellement d'autres occasions de s'exprimer.
    Ceci dit, comme je l'explique dans mon dernier billet, je compte faire des réflexions de ce blog, tournant autour de la redéfinition du socialisme, un petit ouvrage qui donnera éventuellement lieu à publication, si un éditeur est intéressé. Et je crois qu'il serait original d'y joindre les remarques, y compris les plus critiques, que les participants ont l'amitié de m'adresser. Alors, je compte sur ces interventions, même et surtout estivales. Sur la plage, dans un chalet de montagne ou une île déserte, rien ne vous empêche, avec un ordinateur portable, de réfléchir au destin et à la modernisation de la social-démocratie!

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:36 PM  

  • Michel, je ne t'ai pas plus zappé que tu ne m'as zappé. Tu avais disparu, c'est tout, et chacun vivait sa vie. Eh puis, tu le sais bien, j'étais plus en rapport avec ton ex qu'avec toi, initialement. Et il n'y a pas eu besoin d'une guerre pour nous retrouver!

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:41 PM  

  • D'habitude quand on est vieux on meurt plus facilement, c'est la vie, ce n'est pas un drame, ce qui l'est c'est l'indifférence, dans le temps, les vieux n'étaient guère mieux traités. Quand aux émeutes, je n'en ai vu que des images à la TV, tout comme les vieux abandonnés. Dans mon village, je suis invité au repas des anciens une fois par an. Le village est à taille humaine, pas les grandes villes et les diverses banlieues. Avoir les moyens de vivre dans un espace apaisé est un choix, c'est aussi disposer des moyens pour le faire. Tant que les pauvres ne seront pas riches, ce genre de problème subsistera.

    By Blogger jpb, at 11:25 AM  

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