L'illusion et le mal.
"La libéralisation de la société que beaucoup croient constater est pour une part une illusion. Car les phénomènes de massification et d'agglutination des préférences que les sociétés modernes portent avec elles menacent les conditions d'un véritable exercice de l'autonomie personnelle. La possibilité d'un individu moderne auquel seraient accessibles les conditions de sa liberté est donc, pour ainsi dire, en attente de réalisation. C'est pourquoi les idées libérales sont loins d'être dépassées." (Monique Canto-Sperber, Faut-il sauver le libéralisme? page 72)
D'où il découle que:
1- La société moderne n'est pas ce qu'elle dit d'elle, individualiste, autonome, libérée. Il y a loin de la coupe aux lèvres, de l'idéologie à la réalité. Je me demande même si toute idéologie n'a pas pour objectif de conjurer la réalité. Exprimé de façon plus populaire: faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Ou encore: plus on en dit, moins on en fait.
2- Le libéralisme pratique, réaliste, consiste à donner à chacun les "conditions", les moyens, les instruments de sa libération. Ce n'est donc pas une idéologie des fins. Ce n'est pas une idéologie du tout, c'est une pratique, une législation, une politique (d'après Canto-Sperber).
3- Le libéralisme est néanmoins aussi un idéal, et en ce sens une éternelle "illusion". La société est trop imparfaite pour être libérale, c'est-à-dire à la fois libre et rationnelle.
Ce dernier point m'amène à un aspect fort intéressant de la pensée de Canto-Sperber: l'utilisation de la catégorie du mal, pourtant très métaphysique, pour ne pas dire religieuse. Mais la philosophe s'est d'emblée située sur le terrain de la morale, à propos d'un sujet pourtant économique. C'est pourquoi elle prône "un libéralisme solidaire et tragique, dissocié de tout idéalisme." (page 76) Je cite cet important passage:
"Le libéralisme s'est développé dans la reconnaissance de l'existence du mal, du sens du tragique et du conflit. L'homme n'est ni bon ni mauvais, et la force du libéralisme vient du fait que c'est une pensée qui part de ce constat (...) La question du mal est à l'origine de la pensée libérale; la réponse à cette question, c'est une possibilité du libéralisme lui-même. Elle dépend d'une éthique de la responsabilité, qui ne passe pas seulement par des lois, mais par une prise de conscience active du rôle de chacun dans la société" (page 83)
Il y aurait beaucoup à dire et à réfléchir sur ce qui précède. Je vais à l'essentiel: la politique peut-elle se dispenser d'une approche morale? Il y a une dizaine d'années, quand je suis entré au PS, j'ai été tenté par une conception morale du socialisme, un peu à la façon de Charles Péguy. Puis tout cela m'a semblé ringard, je suis revenu à mes premiers amours, forcément philosophiques, c'est-à-dire au grand Karl et à une conception économique. Mais ce qui est certain, c'est que le marxisme a été le prête-nom d'une terrible tragédie et d'un échec mondial. De ce point de vue, la gauche ne peut pas tourner la page. Elle doit se demander, pour que cela ne se reproduise pas, pourquoi l'utopie la plus généreuse, l'émancipation la plus ambitieuse ont couvert des massacres et des régressions barbares. Le mal n'est pas réductible à la seule exploitation capitaliste. Il est sournoisement universel, jusqu'au coeur même du socialisme.
Bonne fin de matinée.
D'où il découle que:
1- La société moderne n'est pas ce qu'elle dit d'elle, individualiste, autonome, libérée. Il y a loin de la coupe aux lèvres, de l'idéologie à la réalité. Je me demande même si toute idéologie n'a pas pour objectif de conjurer la réalité. Exprimé de façon plus populaire: faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Ou encore: plus on en dit, moins on en fait.
2- Le libéralisme pratique, réaliste, consiste à donner à chacun les "conditions", les moyens, les instruments de sa libération. Ce n'est donc pas une idéologie des fins. Ce n'est pas une idéologie du tout, c'est une pratique, une législation, une politique (d'après Canto-Sperber).
3- Le libéralisme est néanmoins aussi un idéal, et en ce sens une éternelle "illusion". La société est trop imparfaite pour être libérale, c'est-à-dire à la fois libre et rationnelle.
Ce dernier point m'amène à un aspect fort intéressant de la pensée de Canto-Sperber: l'utilisation de la catégorie du mal, pourtant très métaphysique, pour ne pas dire religieuse. Mais la philosophe s'est d'emblée située sur le terrain de la morale, à propos d'un sujet pourtant économique. C'est pourquoi elle prône "un libéralisme solidaire et tragique, dissocié de tout idéalisme." (page 76) Je cite cet important passage:
"Le libéralisme s'est développé dans la reconnaissance de l'existence du mal, du sens du tragique et du conflit. L'homme n'est ni bon ni mauvais, et la force du libéralisme vient du fait que c'est une pensée qui part de ce constat (...) La question du mal est à l'origine de la pensée libérale; la réponse à cette question, c'est une possibilité du libéralisme lui-même. Elle dépend d'une éthique de la responsabilité, qui ne passe pas seulement par des lois, mais par une prise de conscience active du rôle de chacun dans la société" (page 83)
Il y aurait beaucoup à dire et à réfléchir sur ce qui précède. Je vais à l'essentiel: la politique peut-elle se dispenser d'une approche morale? Il y a une dizaine d'années, quand je suis entré au PS, j'ai été tenté par une conception morale du socialisme, un peu à la façon de Charles Péguy. Puis tout cela m'a semblé ringard, je suis revenu à mes premiers amours, forcément philosophiques, c'est-à-dire au grand Karl et à une conception économique. Mais ce qui est certain, c'est que le marxisme a été le prête-nom d'une terrible tragédie et d'un échec mondial. De ce point de vue, la gauche ne peut pas tourner la page. Elle doit se demander, pour que cela ne se reproduise pas, pourquoi l'utopie la plus généreuse, l'émancipation la plus ambitieuse ont couvert des massacres et des régressions barbares. Le mal n'est pas réductible à la seule exploitation capitaliste. Il est sournoisement universel, jusqu'au coeur même du socialisme.
Bonne fin de matinée.
1 Comments:
L'individu doit se demander quel crédit accorder à une pensée politique qui a échoué. Des utopies généreuses, on eux en inventer de nouvelles.
By jpbb, at 12:52 PM
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