L'Aisne avec DSK

01 octobre 2007

Commémorations.

Les commémorations sont à la mode. Il n'y a pas une journée qui passe sans qu'elle soit la journée de quelque chose. Un nouveau devoir a même fait son apparition, le "devoir de mémoire". Tout cela est à la fois un peu ridicule et très intéressant. Je n'aime guère les anniversaires, je ne vois pas pourquoi on fête un événement privé ou politique à des dates régulières. Cette soumission aux cadences du temps me semble suspecte. Mais peu importe mes goûts ou mes dégoûts, une société s'y retrouve dans cette façon de faire relativement nouvelle. Avant, bien sûr, on commémorait aussi, mais beaucoup moins.

Pourquoi vous dire tout ceci? Parce que les commémorations nous disent l'état et la mentalité d'une société. Je n'aime pas personnellement les commémorations mais je commémore beaucoup, à titre associatif ou politique. En 2005, j'ai organisé pour la Fédération des Oeuvres Laïques de l'Aisne le centenaire de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Que m'a appris cette commémoration? Que les enseignants d'aujourd'hui n'étaient guère mobilisables sur ce sujet, non parce qu'ils seraient moins laïques que ceux d'hier, explication un peu courte, mais parce que la laïcité, ils me l'ont dit, est pour eux un fait acquis. On ne se bat pas pour ce qui n'est pas menacé. Ce qui est une profondeur erreur: il faut toujours se battre, même lorsque aucune menace n'apparait à l'horizon.

En 2006, j'ai fêté les 70 ans du Front Populaire, un flop complet. A Saint-Quentin, les organisations de gauche et les syndicats se sont très peu mobilisés, les militants ne se sont pas déplacés en masse pour participer aux débats. C'était finalement un signe précurseur de la campagne présidentielle, pour qui aurait su le décrypter: les idéaux de 1936 n'ont pas vraiment été mis à l'honneur par la gauche, à tort ou à raison, c'est un autre problème, et le candidat de droite s'est fait un malin plaisir de récupérer verbalement un héritage à tout point opposé au sien.

L'an prochain, j'aimerais commémorer les 40 ans de Mai 1968, c'est-à-dire, au sens propre du terme, nous remettre en mémoire l'événement et montrer, y compris de façon critique, à quel point il est fondateur de la société et la culture contemporaines. En 1976, j'étais adolescent. Le même nombre d'années nous séparait alors de 1936 qu'aujourd'hui de 1968. Et pourtant, 36 me paraissait éloigné et vieillot, tandis que 68 me parait proche et moderne. Mais si vous saviez toute la difficulté que je rencontre dans la mise en place de ce projet! Les gens que je contacte ne rappelle pas ou bien affiche un intérêt de circonstance, sans grand enthousiaste.

Comment s'en étonner? Nous sortons d'une campagne présidentielle où la droite s'en est prise directement aux valeurs de Mai 68 et où la gauche n'a pas réellement pris la défense de l'héritage. Autour de moi, dans les discussions, combien de fois n'ai-je pas entendu, à propos de tel problème actuel, que la faute remontait à 1968, y compris chez des gens de gauche, y compris, c'est un comble, chez d'anciens soixante-huitards?

Commémorez, commémorez, il en restera toujours quelque chose d'instructif sur notre société.


Bonne nuit.

4 Comments:

  • dans sa vie privée, que l'on aime pas les anniversaires et le faire savoir est une démarche tout à fait personnelle et respectable ; les commémorations c'est autre chose là il s'agit d'un nécessaire devoir de mémoire car malheureusement les peuples ont la mémoire courte et une piqure de rappel même si elle ne touche pas la masse reste indispensable
    En effet, beaucoup de choses ont changées après Mai 68 et mettre le doigt dessus n'est pas inutile - je comprend votre "découragement" lorsque le résultat ne correspond pas à vos attentes.
    Un exemple simple de perte de mémoire - dans les années 50 l'abbé Pierre montaient des tentes le long de la Seine pour les sans abri et 50 ans plus tard ce sont les "Don Quichotte" qui réitèrent !
    Non il n'est pas inutile de créer ces forums même pour quelques aficionados car la parole est transmise par les quelques participants à la suite et parfois cela fait boule de neige.

    By Blogger inconnu, at 8:16 AM  

  • Tout à fait d'accord avec vous sur la distinction entre commémorations privées (personnellement, je ne fête pas mon anniversaire, car je trouve paradoxal de célébrer une année de vie en moins ou un pas supplémentaire dans le vieillissement) et commémorations publiques, qui sont nécessaires à la vie de la cité, car elles permettent de réactiver les grandes valeurs auxquelles nous croyons et qui nous font vivre ensemble (par exemple la valeur de la solidarité).

    Ceci dit, je m'interroge parfois sur la notion de "devoir de mémoire" (déformation professionnelle, me direz-vous, c'est mon boulot de prof de philo!). Une société qui intègre bien ses valeurs fondamentales n'a pas besoin de se les rappeler. Il n'y a "devoir" de mémoire que parce que l'oubli nous menace. Je vais vous donner un exemple scolaire: le voyage d'élèves à Auschwitz, répandu depuis quelques années, me pose des questions. Outre la tournure parfois scandaleusement touristique que prennent ces voyages, a-t-on besoin d'aller sur les lieux d'une tragédie pour l'avoir à l'esprit et en mesurer l'ampleur? Si la réponse est oui, je suis très inquiet. Nous serions devenus de modernes saint Thomas qui ont besoin de voir pour y croire! il y a une forme de banalisation de la commémoration qui peut fort bien se retourner contre son objectif. Pour ma part, depuis toujours, j'ai le génocide dans mon coeur et dans ma tête, on ne peut pas penser le monde moderne sans passer par sa principale tragédie. Je n'ai donc pas besoin de le "commémorer", d'aller sur place, de participer à dez cérémonies...

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:32 AM  

  • je n'aime pas le mot commémoration car cela sous entend des discours casse couille et interminables. j'aime le mot " fête". ma démarche est trés ouverte et positive. on part d'1 fait , d'1 acte réussi et on le fait perdurer. que du bonheur et pas de gnangnatisme.... VAL

    By Anonymous Anonyme, at 12:07 PM  

  • Un beau discours, c'est quand même bien à entendre... Que serait la politique, qu'aurait été la Révolution française sans ses grands discours et ses grands orateurs?

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 1:01 PM  

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