L'Aisne avec DSK

04 novembre 2007

Humanisme social-démocrate.

J'ai revu avec plaisir, ce week-end, en DVD, les deux films de Denys Arcand, sortis à près de 20 ans d'intervalle, Le Déclin de l'empire américain (1986) et Les Invasions barbares (2004). Je n'hésite pas à dire que cette oeuvre dresse le tableau d'une génération social-démocrate, à travers les évolutions d'une époque, d'une culture et d'une classe. Le parallèle, que suggèrent les titres, avec l'Antiquité romaine, est passionnant. Cette histoire d'intellectuels de gauche canadiens reflète la réalité, les doutes, les transformations de la gauche dans les pays occidentaux.

Le Déclin (nous sommes en 1986) met en scène un milieu social-démocrate qu'on pourrait aussi bien rencontrer en Suède ou en Espagne de ces années-là. Tous les traits de la culture social-démocrate sont présents: recherche du bonheur, culture du corps, sexualité libre, échanges intellectuels et artistiques, place importante du féminisme et de l'homosexualité, hédonisme. Les préoccupations directement politiques sont rares, hormis, à un court moment, la question de l'inégalité salariale homme-femme. Pour le reste, c'est un optimisme joyeux qui prédomine, même si la libération sexuelle n'est pas si facile qu'il y parait (persistance de la jalousie, inquiétude du vieillissement, apparition du sida). Le tragique politique ne se montre que dans une scène, où les personnages s'interrogent sur le déroulement d'une guerre nucléaire. Ce n'est qu'un exercice d'imagination, mais la peur est là.

Les Invasions (notre époque), c'est autre chose, plus sombre, plus pessimiste, plus politique aussi (mais n'est-il pas vrai que la politique ne se justifie que par rapport aux souffrances des hommes?). La mort a remplacé le sexe comme thème principal, l'Histoire est de retour avec le 11 septembre, la religion est en déroute, la recherche d'un sens à la vie est vain, la drogue s'est installée dans nos sociétés, le capitalisme financier se développe, l'inculture progresse, l'hôpital public est en faillite (contrairement à Michaël Moore dans Sicko, un canadien va se faire soigner aux Etats-Unis pour trouver un scanner qui fonctionne). On pourrait en conclure à un échec ou même à un début de disparition de cette culture social-démocrate qui influence l'Europe et l'Amérique depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il n'en est rien, à mon avis. La morosité n'empêche pas une forme de gaîté, même si la jubilation des débuts s'est considérablement atténuée.

Que reste-t-il alors? Un certain mode de vie, une façon d'être au monde, une perception de l'existence, une expérience de vie, une forme d'éthique, qui sont ce que les social-démocraties ont produit de mieux, avec leurs réformes économiques et sociales bien sûr: la tolérance à la différence, l'égalité entre les individus, le refus de la souffrance à défaut de la conquête du plaisir (la magnifique défense de l'euthanasie), le scepticisme bienveillant à l'égard des croyances (y compris des anciennes croyances politiques des personnages, tel le maoïsme), la pratique de la conversation comme activité civilisatrice, le rejet des barbaries qui s'annoncent. J'ai envie de parler d'un humanisme social-démocrate, d'un humanisme qu'ont cultivé et diffusé ce type de régimes politico-économiques. Car je ne pense pas qu'on puisse réduire la social-démocratie à un mode de gestion, à un programme politique ou à un projet social. Elle distingue toute une culture, je dirais quasiment une civilisation, que les deux films d'Arcand cernent à merveille.

Etre social-démocrate, c'est aussi défendre cette sensibilité-là, que les sociaux-démocrates français évoquent trop peu, car ils sont plus rivés à la politique qu'à la culture. Je tenterai, dans les prochains jours, de vous en dire un peu plus à propos de cette culture social-démocrate (notamment en relisant et commentant Les Particules élémentaires de Houellebecq). Dans les années 50, un groupe intellectuel de la gauche radicale (Lefort, Morin, Castoriadis) s'était intitulé "Socialisme ou barbarie". Pour reprendre le dernier titre d'Arcand, je pourrais à mon tour lancer l'alternative "Social-démocratie ou barbarie", en pensant à ces pays d'Europe et d'Amérique qui ont su, depuis un demi-siècle , associer la prospérité, l'égalité et la liberté. Pendant longtemps, le communisme leur a fait de l'ombre. Maintenant que la bête est morte, nous redécouvrons l'héritage social-démocrate. A l'heure où les périls s'accumulent sur la planète, sachons préserver et faire prospérer cet héritage, qui a encore beaucoup à nous donner, auquel je souhaite longue vie. Les personnages d'Arcand avaient la trentaine dans Le Déclin, la cinquantaine dans Les Invasions. Si moi même je suis encore de ce monde, j'aurai plaisir à les retrouver dans 20 ans, quand ils auront 75 ans, car la social-démocratie a aussi permis qu'on vive très vieux.


Bonne fin d'après-midi.

1 Comments:

  • Ah, ça fait plaisire d'être social démocrate. C'est vraiment in... ;-)

    By Blogger jpbb, at 10:24 AM  

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