Le mal "démocrate".
Bonsoir à toutes et à tous.
Je vous commente le chapitre 2 du livre de Jean-Luc Mélenchon, consacré à ce qu'il appelle le "courant démocrate", qui domine le PS depuis l'investiture de Ségolène Royal. Sur ce point, je serai un peu moins en désaccord avec mon camarade, puisque j'avais sur ce blog, il y a un an, lors de notre campagne interne, distingué Ségolène de la tradition social-démocrate (dont d'ailleurs elle ne se réclame pas), pour la rattacher à la gauche anglo-saxonne, Clinton et Blair. Mélenchon creuse cette piste, qu'il fait remonter aux années 80, avec le thème de la "troisième voie", qu'on retrouve aussi avec Schröder: ni droite, ni gauche, ni libéralisme, ni socialisme, mais l'efficacité économique avant tout. Là où je me sépare de Mélenchon (comme souvent), c'est dans la brutalité de ses jugements: pour qualifier ce courant néo-progressiste et post-social-démocrate, il parle de "tyrannie molle", d' "essence totalitaire" (p. 106). Vous connaissez l'adage: tout ce qui est excessif est insignifiant.
Le "courant démocrate", s'il domine avec Royal, est né en France avec Hollande, explique Jean-Luc, à travers un épisode, presque une anecdote oubliée par beaucoup, mais dont je me souviens: la création au sein du PS, en 1984, d'un curieux groupe qu'on ne pouvait pas appeler "courant" puisqu'il se qualifiait, au contraire et de façon un peu énigmatique, de "transcourants". A une époque où les courants étaient intellectuellement très vivants parmi les socialistes! Ce groupe (toujours selon Mélenchon) se refusait d'envisager la "question sociale", pourtant traditionnelle au parti, il ne posait plus le problème du partage des richesse, il s'appuyait sur la seule classe moyenne. Ségolène a récolté 20 ans plus tard ce que François a semé.
Après avoir démontré la rupture politique de ce "courant démocrate" avec le "socialisme historique", Mélenchon approfondit le clivage et dévoile une rupture "philosophique", en matière de valeurs (pp. 157 et 158): avec "l'ordre juste", expression que Jean-Luc attribue à Benoît XVI, c'est la laïcité et la République qui sont sacrifiées, ce sont les références religieuses qui investissent ce néo-socialisme. A ce propos, Mélenchon va très loin, et à mon sens trop loin, lorsqu'il rapproche le discours de Ségolène de celui de Marcel Déat et de ceux qu'on appelait en 1933 les "néo-socialistes", qui conciliaient socialisme, ordre, autorité et nation, avec un intérêt manifeste pour le fascisme et le nazisme qui les conduira jusqu'à la Collaboration quelques années plus tard. Mais Jean-Luc, se rendant probablement compte qu'il dépasse une limite, ne cite ni Déat, ni le terme de "néo-socialiste", il se contente de rappeler, sans autre référence, le discours d'Adrien Marquet, député-maire socialiste de Bordeaux en 1933 (pp. 173-176). Il y a des formes de prudence qui manifestent une gêne, presque une faute. J'aurais préféré que Mélenchon aille au bout de ce début de prise de conscience et se montre moins insultant envers Ségolène Royal.
Une dernière remarque à propos de ce "courant démocrate" contre lequel Jean-Luc enrage: il en exclut Lionel Jospin, en qui il voit le dernier social-démocrate conséquent (p. 183), à travers un hommage et un éloge du bilan de la "gauche plurielle". Avec cependant un bémol (Mélenchon sans une part de contestation ne serait pas Mélenchon ...): la campagne de 2002 était de tonalité "démocrate" (p. 188). Mais Jean-Luc n'explique pas pourquoi un social-démocrate en 1997 finit en "démocrate" en 2002. Et c'est bien là le reproche essentiel que je fais à cet ouvrage: décrire, souvent avec pertinence, mais sans expliquer.
Prenons l'émergence de ce fameux "courant démocrate" et la domination de Ségolène sur le PS. Il est bien beau de décrire cette montée et de s'en plaindre, la vraie question est ailleurs: pourquoi et comment le PS en est-il arrivé là? Qu'est-ce qui a permis l'incroyable popularité de Ségolène? Qu'est-ce qui explique que les thèmes qu'elle a mis en avant ont suscité à gauche un véritable engouement? A côté de ces interrogations, l'étude des "transcourants", de leurs textes, de leur histoire, de leur rapprochement avec Clinton, Blair, Schröder, pèse bien peu. Mais ce sera peut-être l'objet du prochain livre de Jean-Luc?
Bonne soirée.
Je vous commente le chapitre 2 du livre de Jean-Luc Mélenchon, consacré à ce qu'il appelle le "courant démocrate", qui domine le PS depuis l'investiture de Ségolène Royal. Sur ce point, je serai un peu moins en désaccord avec mon camarade, puisque j'avais sur ce blog, il y a un an, lors de notre campagne interne, distingué Ségolène de la tradition social-démocrate (dont d'ailleurs elle ne se réclame pas), pour la rattacher à la gauche anglo-saxonne, Clinton et Blair. Mélenchon creuse cette piste, qu'il fait remonter aux années 80, avec le thème de la "troisième voie", qu'on retrouve aussi avec Schröder: ni droite, ni gauche, ni libéralisme, ni socialisme, mais l'efficacité économique avant tout. Là où je me sépare de Mélenchon (comme souvent), c'est dans la brutalité de ses jugements: pour qualifier ce courant néo-progressiste et post-social-démocrate, il parle de "tyrannie molle", d' "essence totalitaire" (p. 106). Vous connaissez l'adage: tout ce qui est excessif est insignifiant.
Le "courant démocrate", s'il domine avec Royal, est né en France avec Hollande, explique Jean-Luc, à travers un épisode, presque une anecdote oubliée par beaucoup, mais dont je me souviens: la création au sein du PS, en 1984, d'un curieux groupe qu'on ne pouvait pas appeler "courant" puisqu'il se qualifiait, au contraire et de façon un peu énigmatique, de "transcourants". A une époque où les courants étaient intellectuellement très vivants parmi les socialistes! Ce groupe (toujours selon Mélenchon) se refusait d'envisager la "question sociale", pourtant traditionnelle au parti, il ne posait plus le problème du partage des richesse, il s'appuyait sur la seule classe moyenne. Ségolène a récolté 20 ans plus tard ce que François a semé.
Après avoir démontré la rupture politique de ce "courant démocrate" avec le "socialisme historique", Mélenchon approfondit le clivage et dévoile une rupture "philosophique", en matière de valeurs (pp. 157 et 158): avec "l'ordre juste", expression que Jean-Luc attribue à Benoît XVI, c'est la laïcité et la République qui sont sacrifiées, ce sont les références religieuses qui investissent ce néo-socialisme. A ce propos, Mélenchon va très loin, et à mon sens trop loin, lorsqu'il rapproche le discours de Ségolène de celui de Marcel Déat et de ceux qu'on appelait en 1933 les "néo-socialistes", qui conciliaient socialisme, ordre, autorité et nation, avec un intérêt manifeste pour le fascisme et le nazisme qui les conduira jusqu'à la Collaboration quelques années plus tard. Mais Jean-Luc, se rendant probablement compte qu'il dépasse une limite, ne cite ni Déat, ni le terme de "néo-socialiste", il se contente de rappeler, sans autre référence, le discours d'Adrien Marquet, député-maire socialiste de Bordeaux en 1933 (pp. 173-176). Il y a des formes de prudence qui manifestent une gêne, presque une faute. J'aurais préféré que Mélenchon aille au bout de ce début de prise de conscience et se montre moins insultant envers Ségolène Royal.
Une dernière remarque à propos de ce "courant démocrate" contre lequel Jean-Luc enrage: il en exclut Lionel Jospin, en qui il voit le dernier social-démocrate conséquent (p. 183), à travers un hommage et un éloge du bilan de la "gauche plurielle". Avec cependant un bémol (Mélenchon sans une part de contestation ne serait pas Mélenchon ...): la campagne de 2002 était de tonalité "démocrate" (p. 188). Mais Jean-Luc n'explique pas pourquoi un social-démocrate en 1997 finit en "démocrate" en 2002. Et c'est bien là le reproche essentiel que je fais à cet ouvrage: décrire, souvent avec pertinence, mais sans expliquer.
Prenons l'émergence de ce fameux "courant démocrate" et la domination de Ségolène sur le PS. Il est bien beau de décrire cette montée et de s'en plaindre, la vraie question est ailleurs: pourquoi et comment le PS en est-il arrivé là? Qu'est-ce qui a permis l'incroyable popularité de Ségolène? Qu'est-ce qui explique que les thèmes qu'elle a mis en avant ont suscité à gauche un véritable engouement? A côté de ces interrogations, l'étude des "transcourants", de leurs textes, de leur histoire, de leur rapprochement avec Clinton, Blair, Schröder, pèse bien peu. Mais ce sera peut-être l'objet du prochain livre de Jean-Luc?
Bonne soirée.
5 Comments:
Moi je veux bien que Mélenchon décrive sans expliquer mais tu fais quoi toi sinon commenter sans argumenter à aucun moment.Je ne vois pas bien la différence.
By Anonyme, at 9:57 PM
Décrire et commenter, ce n'est pas la même chose. Quand je commente, je donne mon avis, et j'argumente. C'est ce que j'ai fait à propos du livre de Mélenchon, que je ne me suis pas contenté de résumer mais que j'ai critiqué. Et si tu prends les billets de ce blog, tu constateras que les arguments sont permanents.
Maintenant, sont-ils bons ou mauvais, c'est autre chose. Je ne prétends pas dire LA vérité mais proposer MA vérité. Chacun après en fait ce qu'il veut. Mon seul objectif, c'est de faire réfléchir mes lecteurs, pas nécessairement les convaincre. Et surtout pas leur demander de me suivre. Les suiveurs (et j'en connais beaucoup!), je n'aime pas ça.
By Emmanuel Mousset, at 10:58 PM
Toujours pas convaincu. Bien sur je ne dis pas que tu ne présentes jamais d'arguments mais pas là.Tu décris et tu commentes mais tu n'argumentes pas. Dire "tout ce qui est excessif est insignifiant" c'est d'ailleurs une façon de ne pas discuter. C'est un jugement définitif qui clot la discussion.
Bon en meme temps c'est les vacances et t'as le droit de ne pas etre tjrs au meilleur de toi meme.
By Anonyme, at 10:23 AM
Normalement, pendant les vacances, en plein repos, je devrais être au meilleur de ma forme. Bon, admettons que tu aies raison, je veux bien te l'accorder, parce que je suis fondamentalement libéral. Reconnais au moins que j'ai fait l'effort de lire les 310 pages de Jean-Luc, avec d'ailleurs beaucoup de plaisir et que j'ai tenté d'ouvrir une discussion autour de son ouvrage. Si tous les camarades socialistes en faisaient autant, on se comprendrait mieux entre nous, on y gagnerait en intelligence collective. Enfin je crois ...
By Emmanuel Mousset, at 11:57 AM
Je te l'accorde volontiers d'autant plus que tu as fait un bel effort dans ton dernier billet sur la mentalité sociale démocrate.
Et vive l'intelligence collective mais que c'est difficile!!!
By Anonyme, at 6:25 PM
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