La dette et le compromis.
Je reviens une dernière fois sur le livre de Jean-Luc Mélenchon, à propos de deux thèmes politiques qui clarifient, une fois de plus, le clivage entre socialisme historique et social-démocratie:
1- La dette publique (pp. 147-149). Bayrou en avait fait un thème majeur de sa campagne, des voix sociales-démocrates se sont portées sur lui pour cette raison, DSK a traité du sujet, Ségolène l'a repris à certains moments de sa campagne, Sarkozy l'a quasiment ignoré. Mélenchon dédramatise le problème de la dette:
"Toutes les dettes ne sont pas mauvaises! Celles qui ont été contractées sur de longue durée pour des équipements publics d'intérêt général sont tout à fait saines. Et il est heureux que leur charge soit répartie sur plusieurs générations d'usagers du bien public, qui en seront bénéficiaires. Dans ce domaine, les comparaisons avec le budget familial sont absurdes. Prenons un exemple. La France est endettée à hauteur de 63% de la richesse qu'elle produit. On oublie de dire que c'est la richesse d'une année! Ramenée à un an de revenu, la dette d'un particulier représenterait plusieurs milliers de fois cette proportion! Enfin, on ne dit jamais que l'Etat gère quotidiennement son stock de dette et que ses billets ne l'engagent jamais au-delà de cinq ans ..."
D'accord avec Jean-Luc pour reconnaitre qu'on ne peut pas comparer l'endettement de la nation, dont les moyens sont considérables et les finalités spécifiques, avec l'endettement d'un ménage. La gestion des deniers publics "en bon père de famille" m'a toujours fait rire parce qu'elle n'a pas, au niveau de l'Etat, de sens. Ceci dit, la dette de la France est-elle aujourd'hui un problème politique parmi les premiers à entreprendre, sinon à régler? Mélenchon n'insiste pas là-dessus, alors que moi, oui!
Jean-Luc rappelle ensuite, utilement, que "le gouvernement Jospin a rendu les caisses pleines", alors que la dette avait été multipliée par quatre sous Balladur. C'est avec le retour de la droite que les comptes sociaux ont été déséquilibrés. Eh bien, je dis à Jean-Luc: raison de plus pour que le PS fasse campagne sur le thème de la dette, en s'appuyant sur ses bons résultats. Je sais que Besancenot n'en parle pas, parce que le thème n'est pas "révolutionnaire", mais tant pis, et même tant mieux!
2- Le gagnant-gagnant (p. 207). Ce thème cher à Ségolène Royal, autrement qualifié de donnant-donnant, exaspère Jean-Luc, qui le trouve "gnan-gnan". Ok, le jeu de mot est amusant, mais sur le fond? Ce gagnant-gagnant a été défendu par DSK et les sociaux-démocrates sous un autre terme, plus précis, historiquement plus parlant: le compromis social. Ce qui veut dire: on se bat, on négocie, on signe. La tradition française (mais les traditions sont faites pour être bousculées), c'est plutôt perdant-perdant, quand ce n'est pas perdant (côté syndicats) et gagnant (côté patronat). Or, faire de la politique ou du syndicalisme sans jamais rien engranger, rien gagner, c'est désespérant! Je me souviens d'une époque, pas si ancienne, où seule Force Ouvrière signait des accords avec le patronat, ce qui faisait soupçonner ce syndicat de collusion ou de collaboration de classes. Se battre en vue de perdre, dans le syndicalisme comme en politique, ce n'est pas se battre.
Alors, qu'est-ce que Jean-Luc reproche au gagnant-gagnant? Il le dit: "Une société où tout le monde gagne et où personne ne perd jamais? Comment est-ce possible si l'on prétend changer la règle du partage des richesses?" Je comprends le doute, la réticence, l'objection, qui rejoignent, aussi surprenant que le rapprochement puisse paraitre, la réflexion de Bernard-Henri Lévy dans "Ce grand cadavre à la renverse" (p. 70): "Ce qui n'est pas possible c'est de penser que l'on puisse, sans conflit, transformer une société". BHL fait même de cette pensée "une bonne définition de la gauche".
De fait, la conception d'une harmonie sociale est typiquement une idée de droite. Mais le compromis social des sociaux-démocrates, c'est autre chose, que je demande à Jean-Luc de bien vouloir comprendre: on ne passe un compromis que parce qu'il y a eu auparavant un rapport de forces entre salariés et patronat. Le compromis n'a rien à voir avec l'harmonie, c'est même sa réfutation, car une harmonie préexistante rend inutile le compromis. Oui, le gagnant-gagnant est une bonne idée, et ce qui est surprenant, c'est que cette idée surprenne encore une partie de la gauche française! Ce n'est qu'au nom d'une conception sclérosée, stérile, désespérante de la lutte des classes qu'on peut refuser le compromis social, auquel Marx lui même n'était pas hostile.
Bon après-midi.
1- La dette publique (pp. 147-149). Bayrou en avait fait un thème majeur de sa campagne, des voix sociales-démocrates se sont portées sur lui pour cette raison, DSK a traité du sujet, Ségolène l'a repris à certains moments de sa campagne, Sarkozy l'a quasiment ignoré. Mélenchon dédramatise le problème de la dette:
"Toutes les dettes ne sont pas mauvaises! Celles qui ont été contractées sur de longue durée pour des équipements publics d'intérêt général sont tout à fait saines. Et il est heureux que leur charge soit répartie sur plusieurs générations d'usagers du bien public, qui en seront bénéficiaires. Dans ce domaine, les comparaisons avec le budget familial sont absurdes. Prenons un exemple. La France est endettée à hauteur de 63% de la richesse qu'elle produit. On oublie de dire que c'est la richesse d'une année! Ramenée à un an de revenu, la dette d'un particulier représenterait plusieurs milliers de fois cette proportion! Enfin, on ne dit jamais que l'Etat gère quotidiennement son stock de dette et que ses billets ne l'engagent jamais au-delà de cinq ans ..."
D'accord avec Jean-Luc pour reconnaitre qu'on ne peut pas comparer l'endettement de la nation, dont les moyens sont considérables et les finalités spécifiques, avec l'endettement d'un ménage. La gestion des deniers publics "en bon père de famille" m'a toujours fait rire parce qu'elle n'a pas, au niveau de l'Etat, de sens. Ceci dit, la dette de la France est-elle aujourd'hui un problème politique parmi les premiers à entreprendre, sinon à régler? Mélenchon n'insiste pas là-dessus, alors que moi, oui!
Jean-Luc rappelle ensuite, utilement, que "le gouvernement Jospin a rendu les caisses pleines", alors que la dette avait été multipliée par quatre sous Balladur. C'est avec le retour de la droite que les comptes sociaux ont été déséquilibrés. Eh bien, je dis à Jean-Luc: raison de plus pour que le PS fasse campagne sur le thème de la dette, en s'appuyant sur ses bons résultats. Je sais que Besancenot n'en parle pas, parce que le thème n'est pas "révolutionnaire", mais tant pis, et même tant mieux!
2- Le gagnant-gagnant (p. 207). Ce thème cher à Ségolène Royal, autrement qualifié de donnant-donnant, exaspère Jean-Luc, qui le trouve "gnan-gnan". Ok, le jeu de mot est amusant, mais sur le fond? Ce gagnant-gagnant a été défendu par DSK et les sociaux-démocrates sous un autre terme, plus précis, historiquement plus parlant: le compromis social. Ce qui veut dire: on se bat, on négocie, on signe. La tradition française (mais les traditions sont faites pour être bousculées), c'est plutôt perdant-perdant, quand ce n'est pas perdant (côté syndicats) et gagnant (côté patronat). Or, faire de la politique ou du syndicalisme sans jamais rien engranger, rien gagner, c'est désespérant! Je me souviens d'une époque, pas si ancienne, où seule Force Ouvrière signait des accords avec le patronat, ce qui faisait soupçonner ce syndicat de collusion ou de collaboration de classes. Se battre en vue de perdre, dans le syndicalisme comme en politique, ce n'est pas se battre.
Alors, qu'est-ce que Jean-Luc reproche au gagnant-gagnant? Il le dit: "Une société où tout le monde gagne et où personne ne perd jamais? Comment est-ce possible si l'on prétend changer la règle du partage des richesses?" Je comprends le doute, la réticence, l'objection, qui rejoignent, aussi surprenant que le rapprochement puisse paraitre, la réflexion de Bernard-Henri Lévy dans "Ce grand cadavre à la renverse" (p. 70): "Ce qui n'est pas possible c'est de penser que l'on puisse, sans conflit, transformer une société". BHL fait même de cette pensée "une bonne définition de la gauche".
De fait, la conception d'une harmonie sociale est typiquement une idée de droite. Mais le compromis social des sociaux-démocrates, c'est autre chose, que je demande à Jean-Luc de bien vouloir comprendre: on ne passe un compromis que parce qu'il y a eu auparavant un rapport de forces entre salariés et patronat. Le compromis n'a rien à voir avec l'harmonie, c'est même sa réfutation, car une harmonie préexistante rend inutile le compromis. Oui, le gagnant-gagnant est une bonne idée, et ce qui est surprenant, c'est que cette idée surprenne encore une partie de la gauche française! Ce n'est qu'au nom d'une conception sclérosée, stérile, désespérante de la lutte des classes qu'on peut refuser le compromis social, auquel Marx lui même n'était pas hostile.
Bon après-midi.
1 Comments:
C'est tout le problème d'une pensée archaïque de gauche, ne pas comprendre que la richesse, cela se crée avant que cela se distribue. Avoir une grosse part d'un petit gâteau au lieu d'une petite part d'un gros gâteau peut laisser sur sa faim, car tout dépend de la taille initiale du gâteau.
Si on pille la boulangerie, on ne le fera qu'une seule fois. Si on laisse le boulanger faire sa pâte, tous les jours on peut manger du gâteau. La pensée archaïque de gauche, s'emparer du pouvoir et des choses par la force, va de pair avec le congrès de Tours en 1920. Mais tous les esprits archaïques et primitifs ne sont pas tous partis au PC, Mélenchon nous fait la démonstration que certain sont restés au PS. Le conflit, le rapport de force et la violence ne sont pas des concepts civilisateurs, par contre le conflit, le dialogue et le compromis permet de survivre et d'améliorer la situation de tous. C'est ça qui embête les extrémistes, cela ne correspond pas à l'immédiateté de leur perception, c'est trop suave pour eux. Mais comme ils sont minoritaires, ils s'expriment.
By jpbb, at 2:40 PM
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