L'Aisne avec DSK

22 décembre 2007

A demain 68.

Bonsoir à toutes et à tous.

Alain Finkielkraut avait invité ce matin, à son émission de France-Culture, Daniel Cohn-Bendit et Henri Guaino pour débattre de la prochaine commémoration de Mai 1968. J'ai écouté attentivement, puisque je prépare, pour Mai 2008, cet anniversaire dans l'Aisne avec de nombreuses associations. Il ne s'agit pas pour moi de faire une célébration historique mais de rendre vivant l'héritage de Mai. J'aurais l'occasion de vous reparler de cette initiative sur laquelle je vais travailler une bonne partie des vacances, car j'aimerais que l'évènement ait une certaine ampleur, un peu comme la célébration des 100 ans de la loi de séparation des églises et de l'Etat en 2005. Politiquement, à Saint-Quentin comme en d'autres endroits, la marge de manoeuvre, les chances de réussite sont trop étroites, en partie à cause de la gauche elle même. C'est culturellement qu'il faut mener la bataille, en attendant des jours meilleurs. Sarkozy a dit qu'il fallait "liquider" Mai 68, à nous de faire "revivre" 1968!

Mais j'en reviens au débat de ce matin, que je vous résume à ma façon, du moins dans les propos qui m'ont semblé intéressants:

Guaino reproche à 1968 l'hyper-individualisme d'aujourd'hui, la récusation des hiérarchies, valeurs et autorités, le triomphe du sociétal sur le social. Conséquences: la gauche ouvrière a été éclipsée par les bobos libéraux-libertaires, et en s'attaquant à l'Etat, à la morale, en instaurant le relativisme culturel, les soixante-huitards, "enfants gâtés", ont fait le lit de la société libérale, contre laquelle le gaullisme avait élevé des critiques autrement plus efficaces.

Mon commentaire sur l'analyse de Guaino, qui essaie habilement de prendre la gauche à contrepied: c'est tout de même stupéfiant d'entendre un homme de droite reprocher à Mai 68 son ... libéralisme. Ayons un peu de mémoire: pendant longtemps, à droite, 1968, c'était la révolution inspirée par le communisme mondial. Maintenant, pour cette même droite, 1968 est devenu la victoire du libéralisme et de l'individualisme. Il faudrait savoir! En vérité, Mai 68, quoique moderne, n'est pas libéral, son désir communautaire et égalitaire en atteste. Pas plus que Mai 68 n'est communiste, trop soucieux de liberté. Ne mélangeons donc pas tout, ne jouons pas avec des mots dépourvus de sens.

Alain Finkielkraut, à la différence d'Henri Guaino, est un ancien de 68, maoïste puis disciple de Toni Negri et du marxisme italien, aujourd'hui adepte d'un certain traditionnalisme, obsédé par le "pédagogisme" et le déclin de l'Ecole, son dada. Il a bien sûr remis ça: 68 a voulu abolir la notation des élèves, son désir d'égalité est beaucoup plus tocquevillien que marxiste. Le lycée a été transformé en espace démocratique. De cela sont sorties les actuelles "incivilités", au plus haut niveau de la société, puisque Ségolène Royal a dit, avec le soutien de Daniel Cohn-Bendit qui y a vu une expression de l'esprit 68: "quand une réunion me fait chier, je m'en vais." Ce que Finkielkraut n'a pas non plus aimé dans 1968, c'est la "pose antifasciste". En revanche, il a apprécié la "pause" des automobiles, les rues sans voitures, le piéton maître du pavé (à condition de ne pas en faire de barricade!).
Mais Finkielkraut n'a pas plus de tendresse pour le "liquidateur" de Mai 68. Pour lui, Sarkozy est le premier président de la société post-culturelle qui s'est mise en place à partir de Mai. Il regrette que la grande bourgeoisie ait été remplacé par le show-biz et la jet-set. Sarkozy à Disneyland avec Carla Bruni, avant de rencontrer le pape en compagnie de Jean-Marie Bigard, non, ça ne plaît pas à Finfielkraut. Mais qu'est-ce qui lui plaît?

Daniel Cohn-Bendit, dans ce débat, est resté fidèle à lui-même, plus soixante-huitard que jamais, ironique et fulgurant. J'adhère à ce qu'il dit:

Jouir sans entrave? Mais c'est toute la vie de Sarkozy! Oublier 1968? Pourquoi pas, mais ne pas attaquer ridiculement Mai 68 comme le fait la droite. Car ce mouvement n'a pas contesté l'autorité en soi mais le climat répressif des années 50 et 60, quand une femme, par exemple, devait avoir l'autorisation écrite de son mari pour ouvrir un compte en banque. L'autorité? Elle ne s'impose pas, elle se mérite. Avant 1968, il n'était pas scandaleux d'utiliser la violence dans la famille ou à l'école. Si les notes scolaires sont à remettre en question, c'est au nom de l'efficacité, pas du laisser aller. En Finlande, où les résultats scolaires sont meilleurs que chez nous selon l'OCDE, il n'y a pas de notation avant 16 ans. Ce que 1968 a apporté d'essentiel, c'est l'autonomie intellectuelle de l'enfant. Et l'autonomie, c'est aussi la capacité d'aller à contre-courant, quand par exemple Dany défend l'intervention militaire en Bosnie devant 700 délégués Verts hostiles. Certes, Mai 1968 n'est pas sans faiblesse: la libération du désir n'a pas su constituer un espace de civilisation pour se déployer.

Voilà, j'ai résumé comme j'ai pu l'essentiel de ce riche débat, bien conscient que ce genre d'exercice est nécessairement imparfait et qu'il vaut mieux vous reporter à l'émission, sans doute sur le site de France-Culture. Profitez-en, surtout si vous êtes en vacances!


Bonne soirée.