Explication de texte.
Bonsoir à toutes et à tous.
Les discours de Nicolas Sarkozy, sous la dictée de l'idéologue du régime Henri Guaino, mériteraient une anthologie critique, avec en bonne place trois oeuvres majeures: le discours de campagne contre l'héritage de Mai 68, le discours sur la colonisation et l'Afrique "hors de l'Histoire", le discours tout récent sur la "laïcité positive" au palais de Latran, qui lui aussi fera date, et participera comme les deux autres à un profil idéologique très précis, une doctrine de droite "décomplexée", selon le terme à la mode. Je vais vous proposer une petite explication de texte, en ces heures sombres où les évènements tragiques qui se déroulent au Pakistan prouvent plus que jamais combien le concept de laïcité est des plus précieux pour la France et pour le monde.
D'abord, je vous préviens: j'ai été enfant de choeur, je peux réciter sans me tromper le Credo, je m'intéresse à la théologie en tant que prof de philo, j'ai des amis chrétiens que j'apprécie, je suis lecteur de saint Augustin et saint Thomas d'Aquin, je suis ébloui par l'église Saint-Jean-de-Latran, ses extérieurs avec les immenses statues de son sommet qu'on dirait habiter le ciel, son intérieur avec ses prodigieuses dorures et peintures, alors, pas de faux procès, je ne suis pas ce qu'on appelle (l'expression est bizarre mais elle n'est pas de moi) un "laïquard". Laïque me suffit, simplement mais fermement. J'en viens maintenant à Sarkozy et aux déclarations les plus contestables de son discours, qui sont pires que ce que Bayrou en disait hier dans Le Figaro:
1- "C'est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l'Eglise. Les faits sont là." Sarkozy en déduit une longue complicité entre notre pays, notre culture et le catholicisme. Mais il oublie que la France d'avant Clovis était païenne et qu'à partir du XVème siècle l'humanisme est à l'origine de la société moderne. La "Fille aînée de l'Eglise" n'est pas un "fait", c'est un concept. La France n'est pas devenue chrétienne avec Clovis. Sarkozy nous impose une lecture idéologique de l'Histoire, qui instrumentalise le catholicisme, car un croyant authentique n'a pas besoin de cette référence à Clovis pour témoigner de sa foi.
2- "Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays." Sarkozy est décidément positiviste, il en tient pour les "faits"! Mettre sur un pied d'égalité le baptême de Clovis, référence ancienne, plus théocratique que théologique, et le principe de laïcité, cadre actuel de la République, est faux et inacceptable.
3- "L'interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé." Oui, vous avez bien lu, le président de la République met en doute la sincérité d'un texte fondateur de la République, en soupçonnant ses vertus de n'être qu'une "reconstruction rétrospective"! A ma connaissance, c'est du jamais vu dans la bouche d'un chef d'Etat français. Le comble, c'est que Sarkozy estime que le baptême de Clovis serait un "fait historique" tandis que la loi de séparation des églises et de l'Etat relèverait, elle, d'une "reconstruction rétrospective". Jamais un président de droite n'avait osé de tels propos.
4-"La laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n'aurait pas dû." Quelques mots plus loin, Sarkozy parle de "crime contre la culture". Là encore, nous avons affaire à une lecture idéologique et dépréciative de la laïcité. Que des minorités antichrétiennes existent chez les laïques, sans doute (les fameux "bouffeurs de curés", plus humoristiques que méchants, d'ailleurs), mais tout autant qu'à l'extrême droite (la "nouvelle droite" d'Alain de Benoît se réclame du paganisme) ou chez les libéraux (lorsque les plus radicaux prônent des valeurs en contradiction avec le christianisme). Mais la laïcité la plus profonde est neutre, ni anti, ni pro chrétienne, et sûrement pas "criminelle"!
5- "Assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser [sic] (...) Longtemps la République laïque a sous-estimé l'importance de l'aspiration spirituelle." Non, la République n'a pas "sous-estimé" parce qu'elle n'a pas à "estimer" la spiritualité, qui relève d'une démarche personnelle, qui enrichit certains et dont les autres peuvent parfaitement se passer. Sarkozy engage la France vis-à-vis de la religion, alors que la laïcité dégage la République et les citoyens de toute obligation religieuse.
6- "La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie des prêtres, n'ont pas rendu les français plus heureux. C'est une évidence." Après nous avoir administré des "faits", Sarkozy nous impose maintenant "une évidence", alors que la vérité, c'est qu'il enchaîne des points de vue subjectifs, critiques à l'égard de la laïcité et indignes de figurer dans un discours présidentiel. Les français se sentaient-ils plus heureux durant les siècles où l'Eglise dominait largement la société? A mon tour de vous soumette une "évidence": non.
7- "La morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n'est pas adossée à une espérance qui comble l'aspiration à l'infini." Alors là, il fallait oser le retournement dialectique (du Guaino tout craché, tout comme lorsque celui-ci affirme que l'ultralibéralisme, c'est la faute à Mai 68!). D'où vient le fanatisme sinon d'une "espérance qui comble l'aspiration à l'infini", car elle seule peut conduire des "fous de Dieu" à sacrifier leur vie ... et la vie des autres (voir ce qui se passe en ce moment au Pakistan). La morale laïque, parce qu'elle ne dépasse jamais les limites de la simple humanité, parce qu'elle ne vise pas l'absolu, ne sombre pas dans le fanatisme.
8- "Nous avons au moins une chose en commun [Sarkozy s'adresse aux hommes d'Eglise]: la vocation. On n'est pas prêtre à moitié, on l'est dans toutes les dimensions de sa vie. Croyez bien qu'on n'est pas non plus Président de la République à moitié (...) Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que moi-même je sais ceux que j'ai faits pour réaliser la mienne." Alors là, mes amis, nous sommes dans ce kéké dont je vous parlais dans mon billet de ce matin, mais un kéké sublime et grotesque: Sarkozy se compare aux hommes de Dieu, pourquoi pas directement au pape tant qu'il y est? Cet homme dévoré par l'ambition, assoiffé de pouvoir, hyperactif et narcissique (et il faut un peu de tout ça pour faire de la politique, je ne juge pas) ose se comparer à ceux qui vivent une expérience de foi, de dépouillement, d'abandon, de méditation! Si j'étais chrétien, je lui cracherais à la figure pour dénaturer, offenser ainsi ma religion, comme le Christ a foutu une torgnole aux marchands du Temple ...
9- "L'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s'il est important qu'il s'en approche ..." La boucle est bouclée, la laïcité est infériorisée, sa figure magistrale et historique, l'instituteur, est en deçà d'une figure autrement éminente pour Sarkozy, le clerc. C'est donc un nouveau cléricalisme qui est instauré. L'ancien était politique, celui-ci est culturel. Pour le laïque que je suis, il n'y a pas à établir une hiérarchie, de prééminence ou d'allégence, entre l'instituteur et le curé, chacun est dans sa sphère, dans sa différence: l'instituteur est au service de la République, le curé est au service de Dieu, la laïcité consiste à les dissocier, à ne pas les inscrire dans un rapport hiérarchique l'un par rapport à l'autre, quel que soit l'ordre de ce rapport.
Je voudrais terminer mon explication de texte, en bon élève, par une citation (les vacances, c'est la période où un enseignant peut redevenir un élève!):
"En tenant ce discours dans une société plurireligieuse, on prépare les conditions d'un affrontement entre les différentes religions." (François Bayrou, Le Figaro d'hier)
Bonne soirée.
Les discours de Nicolas Sarkozy, sous la dictée de l'idéologue du régime Henri Guaino, mériteraient une anthologie critique, avec en bonne place trois oeuvres majeures: le discours de campagne contre l'héritage de Mai 68, le discours sur la colonisation et l'Afrique "hors de l'Histoire", le discours tout récent sur la "laïcité positive" au palais de Latran, qui lui aussi fera date, et participera comme les deux autres à un profil idéologique très précis, une doctrine de droite "décomplexée", selon le terme à la mode. Je vais vous proposer une petite explication de texte, en ces heures sombres où les évènements tragiques qui se déroulent au Pakistan prouvent plus que jamais combien le concept de laïcité est des plus précieux pour la France et pour le monde.
D'abord, je vous préviens: j'ai été enfant de choeur, je peux réciter sans me tromper le Credo, je m'intéresse à la théologie en tant que prof de philo, j'ai des amis chrétiens que j'apprécie, je suis lecteur de saint Augustin et saint Thomas d'Aquin, je suis ébloui par l'église Saint-Jean-de-Latran, ses extérieurs avec les immenses statues de son sommet qu'on dirait habiter le ciel, son intérieur avec ses prodigieuses dorures et peintures, alors, pas de faux procès, je ne suis pas ce qu'on appelle (l'expression est bizarre mais elle n'est pas de moi) un "laïquard". Laïque me suffit, simplement mais fermement. J'en viens maintenant à Sarkozy et aux déclarations les plus contestables de son discours, qui sont pires que ce que Bayrou en disait hier dans Le Figaro:
1- "C'est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l'Eglise. Les faits sont là." Sarkozy en déduit une longue complicité entre notre pays, notre culture et le catholicisme. Mais il oublie que la France d'avant Clovis était païenne et qu'à partir du XVème siècle l'humanisme est à l'origine de la société moderne. La "Fille aînée de l'Eglise" n'est pas un "fait", c'est un concept. La France n'est pas devenue chrétienne avec Clovis. Sarkozy nous impose une lecture idéologique de l'Histoire, qui instrumentalise le catholicisme, car un croyant authentique n'a pas besoin de cette référence à Clovis pour témoigner de sa foi.
2- "Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays." Sarkozy est décidément positiviste, il en tient pour les "faits"! Mettre sur un pied d'égalité le baptême de Clovis, référence ancienne, plus théocratique que théologique, et le principe de laïcité, cadre actuel de la République, est faux et inacceptable.
3- "L'interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé." Oui, vous avez bien lu, le président de la République met en doute la sincérité d'un texte fondateur de la République, en soupçonnant ses vertus de n'être qu'une "reconstruction rétrospective"! A ma connaissance, c'est du jamais vu dans la bouche d'un chef d'Etat français. Le comble, c'est que Sarkozy estime que le baptême de Clovis serait un "fait historique" tandis que la loi de séparation des églises et de l'Etat relèverait, elle, d'une "reconstruction rétrospective". Jamais un président de droite n'avait osé de tels propos.
4-"La laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n'aurait pas dû." Quelques mots plus loin, Sarkozy parle de "crime contre la culture". Là encore, nous avons affaire à une lecture idéologique et dépréciative de la laïcité. Que des minorités antichrétiennes existent chez les laïques, sans doute (les fameux "bouffeurs de curés", plus humoristiques que méchants, d'ailleurs), mais tout autant qu'à l'extrême droite (la "nouvelle droite" d'Alain de Benoît se réclame du paganisme) ou chez les libéraux (lorsque les plus radicaux prônent des valeurs en contradiction avec le christianisme). Mais la laïcité la plus profonde est neutre, ni anti, ni pro chrétienne, et sûrement pas "criminelle"!
5- "Assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser [sic] (...) Longtemps la République laïque a sous-estimé l'importance de l'aspiration spirituelle." Non, la République n'a pas "sous-estimé" parce qu'elle n'a pas à "estimer" la spiritualité, qui relève d'une démarche personnelle, qui enrichit certains et dont les autres peuvent parfaitement se passer. Sarkozy engage la France vis-à-vis de la religion, alors que la laïcité dégage la République et les citoyens de toute obligation religieuse.
6- "La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie des prêtres, n'ont pas rendu les français plus heureux. C'est une évidence." Après nous avoir administré des "faits", Sarkozy nous impose maintenant "une évidence", alors que la vérité, c'est qu'il enchaîne des points de vue subjectifs, critiques à l'égard de la laïcité et indignes de figurer dans un discours présidentiel. Les français se sentaient-ils plus heureux durant les siècles où l'Eglise dominait largement la société? A mon tour de vous soumette une "évidence": non.
7- "La morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n'est pas adossée à une espérance qui comble l'aspiration à l'infini." Alors là, il fallait oser le retournement dialectique (du Guaino tout craché, tout comme lorsque celui-ci affirme que l'ultralibéralisme, c'est la faute à Mai 68!). D'où vient le fanatisme sinon d'une "espérance qui comble l'aspiration à l'infini", car elle seule peut conduire des "fous de Dieu" à sacrifier leur vie ... et la vie des autres (voir ce qui se passe en ce moment au Pakistan). La morale laïque, parce qu'elle ne dépasse jamais les limites de la simple humanité, parce qu'elle ne vise pas l'absolu, ne sombre pas dans le fanatisme.
8- "Nous avons au moins une chose en commun [Sarkozy s'adresse aux hommes d'Eglise]: la vocation. On n'est pas prêtre à moitié, on l'est dans toutes les dimensions de sa vie. Croyez bien qu'on n'est pas non plus Président de la République à moitié (...) Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que moi-même je sais ceux que j'ai faits pour réaliser la mienne." Alors là, mes amis, nous sommes dans ce kéké dont je vous parlais dans mon billet de ce matin, mais un kéké sublime et grotesque: Sarkozy se compare aux hommes de Dieu, pourquoi pas directement au pape tant qu'il y est? Cet homme dévoré par l'ambition, assoiffé de pouvoir, hyperactif et narcissique (et il faut un peu de tout ça pour faire de la politique, je ne juge pas) ose se comparer à ceux qui vivent une expérience de foi, de dépouillement, d'abandon, de méditation! Si j'étais chrétien, je lui cracherais à la figure pour dénaturer, offenser ainsi ma religion, comme le Christ a foutu une torgnole aux marchands du Temple ...
9- "L'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s'il est important qu'il s'en approche ..." La boucle est bouclée, la laïcité est infériorisée, sa figure magistrale et historique, l'instituteur, est en deçà d'une figure autrement éminente pour Sarkozy, le clerc. C'est donc un nouveau cléricalisme qui est instauré. L'ancien était politique, celui-ci est culturel. Pour le laïque que je suis, il n'y a pas à établir une hiérarchie, de prééminence ou d'allégence, entre l'instituteur et le curé, chacun est dans sa sphère, dans sa différence: l'instituteur est au service de la République, le curé est au service de Dieu, la laïcité consiste à les dissocier, à ne pas les inscrire dans un rapport hiérarchique l'un par rapport à l'autre, quel que soit l'ordre de ce rapport.
Je voudrais terminer mon explication de texte, en bon élève, par une citation (les vacances, c'est la période où un enseignant peut redevenir un élève!):
"En tenant ce discours dans une société plurireligieuse, on prépare les conditions d'un affrontement entre les différentes religions." (François Bayrou, Le Figaro d'hier)
Bonne soirée.
2 Comments:
Coïncidence : j'ai aussi eu envie d'écrire une "explication de texte" de ce discours (avec l'aide importante de l'interview de Bayrou). Il faut croire que discours vaut son pesant de cacahuètes, pour les laïques que nous sommes.
Ca se passe sur http://jaipasvotesarko.over-blog.fr
Thierry
By Anonyme, at 11:46 PM
Lire aussi dans "Le Monde" du 28 décembre la tribune d'Yvon Quiniou, agrégé de philosophie: "Laïcité: l'approche sarkozyenne".
By Emmanuel Mousset, at 12:22 PM
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