Laïque Bayrou.
Faut-il maintenant lire Le Figaro (d'aujourd'hui) pour découvrir une charge anti-Sarkozy que je n'ai vu nulle part ailleurs? Faut-il écouter un démocrate-chrétien, en l'occurrence François Bayrou, pour entendre s'exprimer un républicain laïque? C'est tout de même un comble! Si ça continue, je vais adhérer au MoDem (non, je plaisante!). Mais admettez qu'il y a de quoi être surpris. Moi-même, pourtant président de la Fédération des Oeuvres Laïques de l'Aisne, soucieux de ces choses-là, je n'avais pas prêté attention aux propos de Sarkozy, que Bayrou à ma connaissance est le seul à dénoncer, et avec beaucoup de virulence.
Bien sûr, j'avais entendu le président parler de "laïcité positive" (comme s'il y avait une laïcité négative!), mais je n'avais pas relevé outre mesure le discours, dont Bayrou m'apprend des éléments beaucoup plus inquiétants. Bien sûr, j'avais souri à l'équipée de Sarkozy à Saint-Jean-de-Latran, recevoir des mains du pape son titre de chanoine d'honneur, aucun président avant lui n'ayant fait le déplacement. Et la compagnie de Jean-Marie Bigard, Guy Gilbert et Max Gallo était tellement risible, et je n'en doute pas très sincère, que je n'étais pas allé au-delà. Merci Bayrou, merci Le Figaro. Je devrais citer tout l'entretien, tellement la pensée laïque y est claire, cohérente, argumentée. Je vous cite quelques extraits essentiels:
"Quand on a besoin d'un adjectif [laïcité "positive"], c'est qu'on veut changer le sens du mot. Il y a dans le discours prononcé à Saint-Jean-de-Latran quelque chose de profond, passé à peu près inaperçu, une remise en cause de la laïcité républicaine autour de laquelle, depuis la Libération, la France s'est construite. S'exprimant comme président de la République, il introduit la notion de "racines essentiellement chrétiennes" de la France, oubliant le grand mouvement d'émancipation des Lumières. Il affirme que la religion a "intérêt" à compter beaucoup de croyants. Il demande aux religions, toujours dans "l'intérêt" de la République, de fonder la morale du pays. C'est le retour, qu'on croyait impossible en France, du mélange des genres entre l'Etat et la religion."
Et lisez encore ceci:
"La République n'a pas à sous-traiter l'espérance aux religions. La République est en charge de réaliser un monde meilleur, et pas d'inviter à attendre (...) L'espérance civique et l'espérance religieuse ne sont pas de même nature."
Et ce n'est pas fini:
"Quand Nicolas Sarkozy dit que le "jamais l'instituteur ne pourra remplacer le pasteur ou le curé" dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, parce qu'il lui "manquera toujours la radicalité du sacrifice de la vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance", il exprime exactement le contraire du message de Jules Ferry. La morale de l'instituteur n'est pas inférieure à celle du prêtre."
J'ajouterai que le "sacrifice de la vie" n'est pas un critère moral: le fanatique lui aussi sacrifie sa vie. On peut faire de grandes choses, moralement très élevées, dans le respect de la vie et de sa vie, dans la modestie de l'action. Le charisme, je ne sais pas trop ce que ça veut dire et ça me semble plutôt dangereux.
Allez, encore un extrait avant de se quitter:
"C'est un paradoxe troublant que celui d'un pouvoir qui affiche chaque fois qu'il le peut sa complaisance avec le matérialisme financier et, en même temps, souhaite faire de la religion une autorité dans l'espace public."
J'ai hâte de retrouver et de lire l'intégralité du discours de Saint-Jean-de-Latran.
Bonne nuit.
Bien sûr, j'avais entendu le président parler de "laïcité positive" (comme s'il y avait une laïcité négative!), mais je n'avais pas relevé outre mesure le discours, dont Bayrou m'apprend des éléments beaucoup plus inquiétants. Bien sûr, j'avais souri à l'équipée de Sarkozy à Saint-Jean-de-Latran, recevoir des mains du pape son titre de chanoine d'honneur, aucun président avant lui n'ayant fait le déplacement. Et la compagnie de Jean-Marie Bigard, Guy Gilbert et Max Gallo était tellement risible, et je n'en doute pas très sincère, que je n'étais pas allé au-delà. Merci Bayrou, merci Le Figaro. Je devrais citer tout l'entretien, tellement la pensée laïque y est claire, cohérente, argumentée. Je vous cite quelques extraits essentiels:
"Quand on a besoin d'un adjectif [laïcité "positive"], c'est qu'on veut changer le sens du mot. Il y a dans le discours prononcé à Saint-Jean-de-Latran quelque chose de profond, passé à peu près inaperçu, une remise en cause de la laïcité républicaine autour de laquelle, depuis la Libération, la France s'est construite. S'exprimant comme président de la République, il introduit la notion de "racines essentiellement chrétiennes" de la France, oubliant le grand mouvement d'émancipation des Lumières. Il affirme que la religion a "intérêt" à compter beaucoup de croyants. Il demande aux religions, toujours dans "l'intérêt" de la République, de fonder la morale du pays. C'est le retour, qu'on croyait impossible en France, du mélange des genres entre l'Etat et la religion."
Et lisez encore ceci:
"La République n'a pas à sous-traiter l'espérance aux religions. La République est en charge de réaliser un monde meilleur, et pas d'inviter à attendre (...) L'espérance civique et l'espérance religieuse ne sont pas de même nature."
Et ce n'est pas fini:
"Quand Nicolas Sarkozy dit que le "jamais l'instituteur ne pourra remplacer le pasteur ou le curé" dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, parce qu'il lui "manquera toujours la radicalité du sacrifice de la vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance", il exprime exactement le contraire du message de Jules Ferry. La morale de l'instituteur n'est pas inférieure à celle du prêtre."
J'ajouterai que le "sacrifice de la vie" n'est pas un critère moral: le fanatique lui aussi sacrifie sa vie. On peut faire de grandes choses, moralement très élevées, dans le respect de la vie et de sa vie, dans la modestie de l'action. Le charisme, je ne sais pas trop ce que ça veut dire et ça me semble plutôt dangereux.
Allez, encore un extrait avant de se quitter:
"C'est un paradoxe troublant que celui d'un pouvoir qui affiche chaque fois qu'il le peut sa complaisance avec le matérialisme financier et, en même temps, souhaite faire de la religion une autorité dans l'espace public."
J'ai hâte de retrouver et de lire l'intégralité du discours de Saint-Jean-de-Latran.
Bonne nuit.
6 Comments:
Merci d'en parler,
J'avoue que je boue intérieurement depuis ce discours. C'est une attaque en règle contre la laïcité.
La France en tant que nation n'a plus de racine chrétienne depuis les lumières au minimum et depuis 1789 politiquement. La loi de 1905 n'est venue que clarifier et légaliser cela. Nous avons eu depuis 2 siècles des parlementaires athés, laïques, chrétiens mais aussi juifs ou musulmans. Et même un président du conseil juif, et pas des moindres...
Je ne me reconnait pas dans ce discouirs en tant que Français.
Relis aussi le discours devant les étudiants algériens d'il y a quelques semaines. C'est tout aussi inquiétant.
Comment l'église française peut elle se faire avoir aussi facilement par un type qui est 2 fois divorcé, qui assume une vie sentimentale "peu catholique", qui affiche ostensiblement son amour de l'argent et du luxe, qui expulse autant du territoire français sans aucune charité, vire les sans logis du parvis de Notre-Dame (Asile! Asile! criait Esméralda..), etc...
Je ne suis pas croyant mais Jésus doit se retourner dans sa tombe...
Sylvain
By Anonyme, at 9:40 AM
Bonjour Sylvain.
Je te conseille d'acheter "L'Humanité" de ce jour, qui publie un entretien avec un grand spécialiste de la laïcité, Henri Pena-Ruiz, qui décrypte le discours de Sarkozy à St-Jean-de-Latran.
Bonnes vacances.
By Emmanuel Mousset, at 11:11 AM
Entièrement d'accord sur le fond bien sur. Toutefois je signale que tous les Présidents de la république depuis 1957 ont accepté cette fonction honorifique sauf Pompidou et Mitterand.Ce qui ne change pas le fond de l'affaire d'ailleurs.
By Anonyme, at 2:47 PM
Précision importante d'Hervé, qui montre qu'il n'y a pas tradition, c'est-à-dire continuité en la matière. Que deux hommes politiques aussi différents que Pompidou et Mitterrand aient décliné recevoir le titre, ce n'est pas rien, c'est significatif.
J'ai enfin le texte intégral du discours de Sarkozy, c'est édifiant, et je me promets d'en faire un billet d'ici ce soir.
By Emmanuel Mousset, at 4:08 PM
Bonsoir Emmanuel,
En cherchant bien, j'ai appris que la Gauche avait réagi à ce discours (Voynet, Chevènement, Hollade, Braouzec). A lire sur le site "fairelejour" qui reprend une info du journal Le Monde : http://www.fairelejour.org/breve.php3?id_breve=1547
C'est (à peine) mieux que rien...
Quand à Bayrou, il est toujours aussi convaincant quand il faut parler des "valeurs". C'est sur le positionement politique qu'il est plus flou...
By Thierry D., at 8:46 PM
Médiatiquement, la riposte de la gauche n'est pas vraiment passée. Au lieu de nous concentrer trop exclusivement sur l'appartement du directeur de cabinet de Boutin et l'avion privé de Bolloré, nous aurions dû réagir plus vivement à ce discours de Sarkozy, d'apparence d'inoffensive.
En tout cas, Ségolène a trouvé un bon angle d'attaque en dénonçant les abus du système bancaire.
Bayrou, oui, c'est toujours le même problème politique: son positionnement ambigu, "ni ni". Mais peut-être faut-il "laisser du temps au temps"?
By Emmanuel Mousset, at 10:27 PM
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