L'Aisne avec DSK

28 décembre 2007

Vers les 48 heures?

Bonsoir à toutes et à tous.

En lisant Le Courrier Picard de ce jour, je me demande si nous approchons du 1er janvier ou du ... 1er avril. Un article est intitulé: "François Fillon aimerait passer à la semaine de 48 heures." Je sais bien qu'avec Nicolas Sarkozy "tout est possible" (son slogan de campagne), je n'oublie pas que les 35 heures sont la bête noire de la droite. Mais de là à passer à 48 heures! La lecture de l'article corrige la première réaction mais n'efface pas mon inquiétude.

En fait, le Premier ministre, profitant de la période des fêtes et de l'éloignement du président, pour faire un peu parler de lui, a envoyé un courrier aux syndicats pour discuter avec eux, d'ici fin mars, d'une durée du temps de travail qui ne passerait plus par la loi mais par le contrat, soit individuel, soit d'entreprise. L'idée est d'assouplir la législation du travail, de la faire correspondre beaucoup mieux aux aspirations personnelles ou collectives des salariés et aux besoins des entreprises. Avec le sempiternel argument du pouvoir d'achat que les salariés pourraient augmenter si on leur en laissait le droit, donc s'ils pouvaient travailler plus.

Tout cela est en apparence très joli, séduisant même, sauf que c'est complétement théorique et extrêmement dangereux. Les 48 heures du titre de l'article, c'est quoi? La durée maximale de travail, érigée au niveau européen, au-delà de laquelle il est interdit de travailler (hebdomadairement, bien sûr). François Fillon aimerait ne garder que cette "contrainte" et laisser, en decà de ces 48 heures, la liberté d'une durée négociée du travail. Mais le choix n'est pas entre 35 heures ou 48 heures. Les 35 heures sont une durée minimale légale, qui n'empêche aucunement de travailler au-delà. D'ailleurs, les heures supplémentaires sont faites pour ça. Le gros mensonge de la droite est de laisser croire que les 35 heures interdisent de travailler à ceux qui en auraient envie et qui voudraient ainsi, légitimitement, accroître leur pouvoir d'achat. Faux, archi-faux. Les 35 heures n'ont jamais pénalisé le travail. Au contraire, elles l'ont revalorisé en le partageant, en rémunérant en règle générale 35 heures au tarif de 39 heures et en rétribuant le travail en heure supplémentaire (plus 25%) dès la 36ème heure. Les 35 heures ont donc renforcé le pouvoir d'achat, sauf pondération salariale après négociation avec les syndicats.

Mais comme l'a dit DSK, la question des 35 heures est derrière nous, venons en au projet de la droite: abolir la durée légale (minimale) du temps de travail, ne garder que la durée maximale (obligatoire, sauf à se mettre à dos toute l'Europe!), laisser le contrat décider de la durée de travail. Conséquence (c'est le plus important et c'est le moins acceptable): le verrou de la 36ème heure va sauter, les heures supplémentaires redeviendront normales, perdront leur rémunération à 25%, le tour sera joué, au nom du travail, au nom de la liberté, au nom du pouvoir d'achat. Du travail en plus pour le salarié, oui. De la liberté, non, parce que c'est le patron qui décidera, les syndicats n'étant pas assez puissants dans bien des entreprises pour contrebalancer le pouvoir patronal. Du pouvoir d'achat, non plus, puisque les heures supplémentaires vont baisser à la mesure de l'augmentation contractualisée de la durée du travail.

L'imposture est parfaite, et elle signe la véritable intention du gouvernement, qui n'est pas de permettre aux français de faire plus d'heures supplémentaires s'ils le souhaitent (la loi l'a toujours autorisé, même si les patrons ne le veulent pas nécessairement) mais de supprimer la durée légale du travail, et donc d'en finir vraiment, cette fois-ci, avec les 35 heures. Bien sûr, le débat entre la part accordée au contrat et la part accordée à l'Etat dans l'organisation de la société est légitime, et la gauche a souvent péché par une méfiance excessive envers la contractualisation. Mais le contrat est fécond dans une société où les partenaires sociaux sont puissants, ce qui n'est pas exactement le cas en France, où la force est plutôt du côté du patronat. Dans un monde idéal, les individus pourraient négocier entre eux, le patron et le salarié décider autour d'un table, à l'amiable parce qu'à égalité, de la durée du travail. Mais laissons la théorie et restons dans la réalité: la loi protège le faible, et tant qu'il y aura des faibles, il faudra des lois, dont celle qui définit la durée du travail. Car pourquoi alors, dans cette logique que nous propose la droite, ne pas abolir le SMIC, qui lui aussi est un minimum légal?


Bonne soirée.