It's a free world.
Bonjour à toutes et à tous.
Le Ciné Philo a présenté lundi soir le dernier film de Ken Loach, "It's a free world". 54 spectateurs et une trentaine de participants pour le débat: pas mal. Les échanges ont porté sur le film, bien sûr, mais surtout sur les thèmes du film: un ciné philo n'est pas un ciné club, les images ne sont pas étudiées pour elles mêmes mais pour les réflexions qu'elles suscitent en nous. Le film est en quelque sorte un prétexte à débattre. Lundi soir, ce sont les conséquences du libéralisme économique sur le monde du travail qui ont été l'objet de nos réflexions.
Ken Loach a une culture trotskyste qui traverse toute son oeuvre. Et pourtant, son dernier film n'est pas anticapitaliste ou révolutionnaire, en tout cas je ne l'ai pas perçu ainsi. D'abord parce que c'est un tableau réaliste, sans caricature ni visée propagandiste, du marché de l'intérim en direction des travailleurs immigrés et clandestins dans l'Angleterre d'aujourd'hui. Ensuite parce que ce tableau n'est pas sombre ni pessimiste: il est vivant, et j'ai envie de dire que la vie est toujours porteuse d'espoir, même si Ken Loach ne donne aucune solution ni ne délivre aucun message.
Pendant le débat, nous avons eu droit, bien entendu, aux habituelles interventions "antilibérales", qui comme d'habitude ne m'ont pas semblé convaincantes tellement elles sont dogmatiques. Loach, tout trotskyste qu'il est, a su, en artiste, ne pas tomber dans le dogmatisme. Je retiens de son film deux idées qu'il a provoquées en moi et qui contredisent l'antilibéralisme de convenance ou de posture:
1- Ken Loach porte son regard non pas sur le "marché", qui a ses lois, ses juridictions, son droit du travail et des affaires, mais sur les marges du marché, l'emploi des immigrés clandestins rémunérés à l'heure (et parfois pas rémunérés du tout!), sans contrat ni droits, vivant dans des conditions épouvantables. Là, on peut parler d'exploitation et d'esclavage moderne. Là, il faut dénoncer et intervenir. Mais la conclusion est-elle pour autant "antilibérale" (si tant est que l'antilibéralisme est un sens)? Non, il en résulte seulement que le marché exige des règles, qu'en l'absence de règles, ce n'est plus le marché, c'est la jungle.
Mon camarade Jean-Marie, venu tout exprès de Soissons, défend l'idée que les marges vont s'étendre à l'ensemble du système, que la réalité d'aujourd'hui pour les immigrés sera la réalité de demain pour l'ensemble des salariés. Il rapproche le débat politique actuel sur la flexibilité de cette précarité absolue et misérable dans laquelle survivent les clandestins en Grande-Bretagne. C'est évidemment un rapprochement outré et faux. On joue, je ne sais pourquoi, à se faire peur. Il y a suffisamment de souffrances et de problèmes réels pour ne pas s'en inventer d'invraisemblables. Je ne comprends pas pourquoi certains socialistes parlent comme Besancenot ... et ne le rejoignent pas, sauf le temps d'une liste municipale. Ou je comprends trop bien: ils sont en mal d'identité politique, ils ne savent plus en quoi ils croient, ils récitent mécaniquement la messe.
2- Quand on parle d'exploitation, et ce film nous raconte une histoire d'exploitation, on a en tête le patron exploiteur, bourgeois féroce, chef d'entreprise sans scrupules, homme de droite comme il se doit. Eh bien non, ce n'est pas l'angle d'attaque choisi par Ken Loach: l'exploiteur est une récente ... exploitée, qui s'est fait virée de son boulot pour avoir résisté au harcèlement sexuel de son employeur. Elle est jeune, sexy, libérée, mère célibataire, plutôt progressiste, moderne et bourrée de dettes, son père est un syndicaliste à l'ancienne, sa famille est de gauche, elle aussi, tout le laisse supposer. Elle a décidé de monter sa propre boîte de recrutement de main d'oeuvre.
Et comment se comporte-t-elle? Pire qu'un patron de droite! A mon niveau, incomparablement moins grave, il m'est arrivé de rencontrer ce type de comportements, des gens très à gauche dont les convictions se dissipent dans la pratique professionnelle ou la vie quotidienne. Ce que nous montre Ken Loach, et qui a laissé amers certains spectateurs, c'est que le système "libéral" est arrivé à un tel point de perfection qu'il a réussi à convaincre les exploités qu'ils ne pouvaient s'en sortir qu'en devenant à leur tour exploiteurs.
Allez voir ce film, c'est un bon film qui fait réfléchir, comme j'ai tenté de vous le montrer. Ken Loach réussit, avec une fiction, à nous rapprocher d'une certaine réalité économique et sociale d'aujourd'hui, là où Michael Moore nous éloigne de cette réalité en nous proposant des documentaires que je trouve caricaturaux et faux. Loach a gardé de sa culture trotskyste cette leçon de Léon, à laquelle j'adhère complètement: "Seule la vérité est révolutionnaire". Le documentariste Moore est dans la fiction, la fiction de Loach est au coeur de la réalité.
Bonne matinée.
Le Ciné Philo a présenté lundi soir le dernier film de Ken Loach, "It's a free world". 54 spectateurs et une trentaine de participants pour le débat: pas mal. Les échanges ont porté sur le film, bien sûr, mais surtout sur les thèmes du film: un ciné philo n'est pas un ciné club, les images ne sont pas étudiées pour elles mêmes mais pour les réflexions qu'elles suscitent en nous. Le film est en quelque sorte un prétexte à débattre. Lundi soir, ce sont les conséquences du libéralisme économique sur le monde du travail qui ont été l'objet de nos réflexions.
Ken Loach a une culture trotskyste qui traverse toute son oeuvre. Et pourtant, son dernier film n'est pas anticapitaliste ou révolutionnaire, en tout cas je ne l'ai pas perçu ainsi. D'abord parce que c'est un tableau réaliste, sans caricature ni visée propagandiste, du marché de l'intérim en direction des travailleurs immigrés et clandestins dans l'Angleterre d'aujourd'hui. Ensuite parce que ce tableau n'est pas sombre ni pessimiste: il est vivant, et j'ai envie de dire que la vie est toujours porteuse d'espoir, même si Ken Loach ne donne aucune solution ni ne délivre aucun message.
Pendant le débat, nous avons eu droit, bien entendu, aux habituelles interventions "antilibérales", qui comme d'habitude ne m'ont pas semblé convaincantes tellement elles sont dogmatiques. Loach, tout trotskyste qu'il est, a su, en artiste, ne pas tomber dans le dogmatisme. Je retiens de son film deux idées qu'il a provoquées en moi et qui contredisent l'antilibéralisme de convenance ou de posture:
1- Ken Loach porte son regard non pas sur le "marché", qui a ses lois, ses juridictions, son droit du travail et des affaires, mais sur les marges du marché, l'emploi des immigrés clandestins rémunérés à l'heure (et parfois pas rémunérés du tout!), sans contrat ni droits, vivant dans des conditions épouvantables. Là, on peut parler d'exploitation et d'esclavage moderne. Là, il faut dénoncer et intervenir. Mais la conclusion est-elle pour autant "antilibérale" (si tant est que l'antilibéralisme est un sens)? Non, il en résulte seulement que le marché exige des règles, qu'en l'absence de règles, ce n'est plus le marché, c'est la jungle.
Mon camarade Jean-Marie, venu tout exprès de Soissons, défend l'idée que les marges vont s'étendre à l'ensemble du système, que la réalité d'aujourd'hui pour les immigrés sera la réalité de demain pour l'ensemble des salariés. Il rapproche le débat politique actuel sur la flexibilité de cette précarité absolue et misérable dans laquelle survivent les clandestins en Grande-Bretagne. C'est évidemment un rapprochement outré et faux. On joue, je ne sais pourquoi, à se faire peur. Il y a suffisamment de souffrances et de problèmes réels pour ne pas s'en inventer d'invraisemblables. Je ne comprends pas pourquoi certains socialistes parlent comme Besancenot ... et ne le rejoignent pas, sauf le temps d'une liste municipale. Ou je comprends trop bien: ils sont en mal d'identité politique, ils ne savent plus en quoi ils croient, ils récitent mécaniquement la messe.
2- Quand on parle d'exploitation, et ce film nous raconte une histoire d'exploitation, on a en tête le patron exploiteur, bourgeois féroce, chef d'entreprise sans scrupules, homme de droite comme il se doit. Eh bien non, ce n'est pas l'angle d'attaque choisi par Ken Loach: l'exploiteur est une récente ... exploitée, qui s'est fait virée de son boulot pour avoir résisté au harcèlement sexuel de son employeur. Elle est jeune, sexy, libérée, mère célibataire, plutôt progressiste, moderne et bourrée de dettes, son père est un syndicaliste à l'ancienne, sa famille est de gauche, elle aussi, tout le laisse supposer. Elle a décidé de monter sa propre boîte de recrutement de main d'oeuvre.
Et comment se comporte-t-elle? Pire qu'un patron de droite! A mon niveau, incomparablement moins grave, il m'est arrivé de rencontrer ce type de comportements, des gens très à gauche dont les convictions se dissipent dans la pratique professionnelle ou la vie quotidienne. Ce que nous montre Ken Loach, et qui a laissé amers certains spectateurs, c'est que le système "libéral" est arrivé à un tel point de perfection qu'il a réussi à convaincre les exploités qu'ils ne pouvaient s'en sortir qu'en devenant à leur tour exploiteurs.
Allez voir ce film, c'est un bon film qui fait réfléchir, comme j'ai tenté de vous le montrer. Ken Loach réussit, avec une fiction, à nous rapprocher d'une certaine réalité économique et sociale d'aujourd'hui, là où Michael Moore nous éloigne de cette réalité en nous proposant des documentaires que je trouve caricaturaux et faux. Loach a gardé de sa culture trotskyste cette leçon de Léon, à laquelle j'adhère complètement: "Seule la vérité est révolutionnaire". Le documentariste Moore est dans la fiction, la fiction de Loach est au coeur de la réalité.
Bonne matinée.
12 Comments:
Autant des fois vous dites des trucs intelligents Emmanuel,
autant vous pouvez sortir d'énormes bétises.
Je crains que Jean-Marie n'ait pas tort quand il considere que les marges vont s'étendre à tous les salaries mais la question est pourquoi
et vous donnez la réponse dans le 2e point les exploités considerent que c'est en devenant exploiteurs.
Sauf que nous sommes au coeur du probleme, comment peut on etre un exploiteur quand on se prétend de gauche, c'est censé ne pas etre compatible.
Et hier vous dénonciez Cuba
ce qui compte, ce sont les actes, pas le discours.
Et si la gauche va aussi mal aujourd'hui, c'est qu'entre ses actes et ses discours, il y a une telle marge.
Est il besoin de rappeler que de l'autre coté du mur, dans ces merveilleuses républiques socialistes, les dignitaires du parti exploitaient le reste de la population et la quasi totalité des richesses était confisqué par la nomeklatura
L'histoire nous apprend que partout où il a été mis en oeuvre le socialisme a été une exploitation de l'homme par l'homme.
Là, où dans le libéralisme, l'exploitation est à la marge.
Ne jamais oublier Godin,
en mai 68, les ouvriers à qui le propriétaire avait laissé l'usine la vendait car à choisir entre manger les bénéfices et moderniser l'outil de travail, les ouvriers patrons avaient surtout pensé à s'enrichir plus qu'à investir...
Quelque soit le discours seuls comptent les actes
By grandourscharmant, at 11:29 AM
Je ne vois pas de désaccords fondamentaux entre nous, sauf à la fin de votre commentaire: le socialisme, ce n'est pas seulement le communisme, c'est aussi la social-démocratie, qui est une belle réussite politique au XXème siècle.
By Emmanuel Mousset, at 12:26 PM
il existe un autre socialisme possible que la social-démocratie ?
nous retombons encore sur l'opposition ouvriers patrons et la lutte des classes.
Il n'y a que les obscurantistes qui peuvent croire qu'on peut construire une entreprise sans patron ou sans ouvriers
car une telle situation ne peut conduire qu'à la spéculation financiere.
Et c'est de cela dont souffre beaucoup notre pays, son manque de vrais entrepreneurs.
Ce qui compte le plus dans une entreprise, c'est l'aventure collective, on doit y gagner de l'argent mais cela est secondaire.
Une entreprise doit avant tout etre un lieu de vie et d'échanges,
une aventure collective où chacun apporte sa contribution.
Sinon je trouve incohérent que les entrepreneurs communistes fustigent le patronnat ou que les enseignants de gauche et d'extreme gauche fustigent les classes supérieures et instruites.
Et pour etre plus léger
le kinepolis de lille a reservé 9 salles pour le film de dany boon
qui ne désemplissent pas, on refuse meme du monde.
By grandourscharmant, at 12:52 PM
Attendons la semaine prochaine pour nous divertir à Saint-Quentin avec Dany (Boon).
By Emmanuel Mousset, at 2:54 PM
par contre une réflexion m'est venue
vous avez parlé du trostkysme de ken loach
mais à aucun moment de lutte des classes.
de ce que je peux en connaitre, la lutte des classes est un élément de ce courant politique
l'opposition entre la classe capitaliste et le prolétariat
et si j'ai bien tout suivi, il y aurait encore ce clivage dans la gauche st quentinoise
quand on voit le nombre d'enseignants sur la liste de gauche qui bénéficie du systeme préfon, un systeme de retraite par capitalisation.
de ce que j'ai pu en comprendre, ils se prétendent du prolétariat
mais en abondant préfon, d'apres leurs criteres, ils appartiennent à la classe capitaliste
moi ce que je n'arrive pas à concevoir c'est de devoir discuter de ce concept dépassé du 19e s. au 21e s. dans un pays comme la France
quand on sait que la moitié de l'humanité n'a pas forcément 1 dollars par jour pour vivre...
By grandourscharmant, at 4:11 PM
- La lutte des classes existe, c'est un fait, il suffit de lire le journal. Appelez ça, si vous préférez, conflits d'intérêts, ça revient à peu près au même. La classe la mieux organisée, c'est le grand patronat. Tout cela est normal: chacun défend ses intérêts.
- La seule question politique pertinente est la suivante: de quel côté se situe-t-on? Sur quelle base sociale fait-on reposer son action politique?
- La grande misère des peuples du Sud n'abolit la lutte des classes chez les peuples du Nord.
- Le système "Préfon", c'est effectivement une forme de capitalisation, qu'on ne peut cependant pas assimiler à du capitalisme. Un enseignant n'est pas un capitaliste, ou alors les mots perdent tout leur sens!
By Emmanuel Mousset, at 4:51 PM
est capitaliste celui qui détient une part plus ou moins importante de capital.
Les mots ont un sens,
on peut essayer de travestir le sens de la réalité, en travestissant le sens des mots
et il est souvent plus facile de changer le sens des mots que d'en accepter la réalité.
Qu'un enseignant n'assume pas son appartenance à la classe capitaliste ne signifie pas qu'il n'en fait pas partie.
Des capitalistes, il y en a des grands et des petits.
Et la conmplexité de l'époque si on la regarde avec le prisme du 19e siecle
c'est que meme un ouvrier ou un chomeur peuvent etre des capitalistes
By grandourscharmant, at 5:12 PM
Bon, si vous voulez, je suis un capitaliste, puisque ce sont les mots qui l'imposent. Mais ça me fait tout de même un drôle d'effet! Je me demande s'il n'y aurait pas un écart entre les mots et la réalité?
By Emmanuel Mousset, at 8:26 PM
si ce sont les mots qui l'imposent
ce n'est pas ce que je veux
juste ce que je constate
Mais apres ce n'est pas non plus une maladie honteuse
et si les employés de bons nombres d'entreprises avaient pu bénéficier de stocks options
il n'y aurait meme pas de débat sur le pouvoir d'achat.
ce qui me choque dans le capitalisme actuel, c'est que les conseils d'administrations arrogent aux cadres dirigeants des plans d'actions dont ils excluent les salariés
or quand ils font jouer ces plans actions, on constate que ça les enrichit bcp plus que leur salaire qui sont déjà pourtant assez élevés.
et je ne parle meme pas du fait qu'il est peut etre plus intéressant pour la pérennité de l'entreprise que ce soit ses salariés qui en soit actionnaires, plutot que les retraités du texas ou de floride qui ne pensent qu'en terme de rendement.
By grandourscharmant, at 10:33 PM
Qu'avez-vous contre les retraités du Texas? Seriez-vous anti-vieux?
Je plaisante, bien sûr.
L'actionnariat salarié, bof, pourquoi pas, mais ça ne m'emballe pas trop.
En revanche, vous avez raison sur l'analyse: les profits ne peuvent pas exploser, les patrons voir leurs rémunérations augmenter et les salariés ne rien recevoir en retour.
By Emmanuel Mousset, at 12:07 AM
le probleme des vieux c'est qu'ils ont arreté de se reproduire depuis longtemps et pourtant il y en a de plus en plus
je tiens à préciser que ma grand mere est tout à fait d'accord avec moi.
et ce qui m'inquiete c'est le jour
où il n'y aura plus qu'1 seul smicard pour payer la retraite de 2 retraités de l'éducation national
au vu de la démographie,
d'ici quelques années, on taxera les retraités pour venir en aide aux actifs
et de ce point de vue là, les chiffres sont cruels
si on se réfere à l'insee
Il y a 63,5 millions d'habitants en france
27,5 millions d'actifs dont
2,5 millions de chomeurs
et donc 36 millions de non actifs
mais je finirais sur une note positive, tout cela montre l'importance des solidarités entre les uns et les autres
car les actifs d'aujourd'hui sont les retraités de demain
et les étudiants d'hier sont les actifs d'aujourd'hui.
By grandourscharmant, at 11:49 AM
Une société de vieux: mais c'est formidable! C'est un progrès de l'humanité. Vieillesse, sagesse, maturité, expérience, pourquoi valorise-t-on la jeunesse?
Quand j'étais jeune, je n'aimais pas cet âge. Je commence à vieillir, je prends goût à la vie.
By Emmanuel Mousset, at 12:57 PM
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