L'Aisne avec DSK

16 février 2008

La manie des notes.

Drôle de manie! Il y a depuis quelques années un engouement pour les notes. On dirait que la France a envie de se transformer en une vaste salle de classe. Dans les jeux, les magazines, à la radio, à la télévision, on attribue des notes à n'importe qui et à n'en plus finir. Il a même été question, il y a quelques semaines, d'évaluer les ministres. Les chiffres envahissent tout. C'est la nouvelle magie! Il y a, un peu partout, un besoin de quantification qui ne laisse pas d'inquiéter. La vie n'est pas nécessairement mesurable, les résultats, quels qu'ils soient, ne se soumettent pas obligatoirement à la toise. J'ai l'impression que derrière ce phénomène, il y a le besoin d'être rassuré. Une note, ça fait objectif, même si ça ne veut pas dire grand chose.

Un site internet propose aux élèves de noter leurs professeurs. Le monde à l'envers! C'est bouffon, comme disent les jeunes. Une note en soi ne vaut rien, tout dépend les critères avec lesquels elle s'applique. Un élève peut donner une bonne note à un prof sympa mais professionnellement mauvais, ou au contraire sacquer un enseignant exigeant mais efficace. Beaucoup de mes collègues trouvent cette initiative scandaleuse et ils ont raison. Elle est plutôt, à mes yeux, dérisoire, ridicule, stupide. Dans le même état d'esprit, je suis tombé sur un message électronique invitant à noter le maire de votre commune. On se demande bien alors pourquoi aller voter dans trois semaines! Des notes partout et pour tous!

Croyez-en quelqu'un dont le travail est de noter des dissertations d'élèves (j'ai quatre paquets devant moi, je m'astreins à corriger une quinzaine de copies par jour). Sous l'apparence mathématique d'une note, il n'y a rien de mathématique, d'exact dans cette opération. Non pas parce que mon évaluation serait incertaine, aléatoire, approximative ou subjective. Pas du tout. Je la crois au contraire assez juste, après bientôt quinze ans de pratique et d'expérience. La raison est ailleurs: l'intelligence humaine ne se laisse pas enfermer dans une note, les qualités requises pour disserter et philosopher ne se traduisent pas par un chiffre.

Il y a même quelque chose de bêtifiant dans les notes, chez celui qui les reçoit. J'ai vu des élèves pinailler pour un demi-point, d'autres être sottement fiers d'avoir 10 et charrier leurs copains qui n'avaient que 09. Une vraie formation devrait conduire les individus à s'évaluer par rapport à eux-mêmes et non par rapport aux autres. La note est trop souvent prise par l'élève comme une sorte de salaire: évaluation = rémunération. C'est évidemment idiot. On travaille pour bien faire, pour aboutir à un résultat, pour produire quelque chose, pas pour se glorifier ou se désespérer d'une note. La fierté est dans nos efforts et le fruit de nos efforts, pas dans leur évaluation.

Si j'étais ministre de l'Education nationale, je proposerais de supprimer les notes. Comment va-t-on alors juger du travail accompli, me direz-vous? Le remède n'est-il pas pire que le mal? Non. Supprimer les notes ne signifie pas supprimer toute appréciation. Au contraire, en l'absence de note, l'appréciation devient fondamentale, alors que la note pourrait conduire logiquement à s'en passer, se suffisant à elle-même. Quand j'ai terminé de corriger une copie, je peux dire avec certitude, au choix, qu'elle est excellente, bonne, moyenne, mauvaise ou exécrable. C'est tout et ça suffit. Au début des années 70, je m'en souviens, les notes avaient été remplacées par des lettres, A, B, C, D, E, correspondant à peu près à mes précédents degrés d'appréciation. C'était beaucoup mieux. Pourquoi est-on revenu là-dessus?


Bonne soirée.