La retraite selon Bertrand.

Bonsoir à toutes et à tous.

La question de la retraite revient dans l'actualité politique, avec les consultations de Xavier Bertrand à propos de l'application de la loi de 2003. Tout a commencé cette année-là, avec la réforme Fillon, l'égalité d'annuités de cotisations entre le public et le privé. C'est Balladur, 10 ans plus tôt, qui avait instauré l'inégalité en allongeant la durée du privé à 40 ans. La droite a donc égalisé ce que la droite avait déséquilibré. Ok, mais cette réforme acceptée par la CFDT s'était passée de toute négociation (il faut dire que négocier une régression n'est pas aisée...) et s'était focalisée sur la durée de cotisations, en écartant toute approche globale. Ce qui était présenté comme décisif manquait finalement d'ambition et surtout n'assurait pas correctement et durablement le financement des caisses de retraite, qui est quand même le gros problème. La réforme, qui tendait à une augmentation de la durée de cotisations, devait être revue en 2008. Nous y sommes.

Entre temps, le gouvernement a quasiment supprimé en 2007, suite logique de 2003, les "régimes spéciaux". Je suis favorable à l'égalité entre tous les régimes et je ne suis pas hostile à l'allongement de la durée de cotisations. Mais après négociation, si possible dans le consensus entre partenaires sociaux, et avec des gains, des améliorations pour les cotisants, dans une perspective de donnant-donnant. Or ce n'est ni la méthode, ni les propositions de Xavier Bertrand, qui pose d'emblée le passage aux 41 ans en 2012 comme la mesure centrale, sinon exclusive, et non négociable. Pas de grain à moudre, que du gravier entre les dents.

La CFDT, qui a toujours adopté sur les retraites une attitude très ouverte, très conciliante, dont je me sens assez proche, refuse les propositions de Bertrand, qui sont minimes. L'ambition n'est encore pas au rendez-vous. La droite joue nerveusement à la calculette, un peu comme le ministre pianotant sur son portable ce matin lors de l'inauguration du Marché aux Fleurs de Saint-Quentin: elle veut régler le problème dans une approche purement comptable. Je sais bien que les chiffres ont leur importance en matière de financement, mais l'entrée dans une société où la vieillesse constituera une classe à part entière exige une réforme structurelle. Je sais aussi que c'est plus facile à dire qu'à faire, mais les syndicats et la gauche avancent quelques pistes:

1- L'emploi des seniors, les 55-65 ans, qui veulent travailler, en ont l'énergie, et ont besoin de cotiser plus longtemps pour percevoir une retraite correcte. Et on leur refuse! C'est l'insoutenable paradoxe: d'un côté on demande aux salariés de travailler plus longtemps, d'ajourner leur départ à la retraite, de l'autre on les prive d'emploi, on les met trop tôt au chômage.

2- La revalorisation des pensions, surtout des petites retraites: c'est indispensable, les personnes âgées doivent vivre correctement, ce devrait être une priorité nationale. Quand on est jeune, c'est différent, l'avenir vous attend, votre condition peut changer, les forces ne manquent pas. Quand on se fait vieux, c'est autre chose... Il y a des situations faites au 3ème âge qui sont scandaleuses, inacceptables. Les politiques seront jugés là-dessus. Bertrand pour le moment est en deçà de ce qu'on espérait. On attend un grand ministre qui saura, sur ce sujet difficile, conduire une réforme rigoureuse et généreuse, une réforme de société, pas une habileté de comptable.

3- La pénibilité est un critère majeur pour toute réforme des retraites. Xavier Bertrand l'a totalement abandonnée. Il faudra bien pourtant, un jour ou l'autre, s'attaquer à cette flagrante inégalité: nous n'avons pas, selon la catégorie sociale à laquelle nous appartenons, selon le métier que nous exerçons, la même espérance de vie. Cette réalité doit être intégrée au calcul des retraites et conditionner sa réorganisation.

4- Bertrand demande unilatéralement des efforts aux salariés, et rien aux entreprises, malgré ses dires à Erick Leskiw dans L'Aisne Nouvelle de cette semaine. Je veux bien, mais je ne vois rien venir. Je ne suis pas un fanatique de "faire payer les riches", je ne demande pas impôts et taxes à tout va, mais il y a des limites à ne pas dépasser: cette histoire des retraites, de leur financement, devrait encourager un effort national, une contribution de tous. C'est loin d'être le cas. Tant qu'il n'y aura pas, de ce point de vue comme sur d'autres, une égalité, une proportion respectée dans les sacrifices demandées, rien ne pourra sereinement se faire.

J'appelle donc les salariés à manifester leur mécontentement légitime et raisonnable, lors du mouvement de grève interconfédéral du 22 mai. Car ce ne sont pas les "coups de pouce" de Xavier Bertrand en faveur des petites retraites et la mesure positive sur les "longues carrières" (ceux qui ont commencé de travailler à 14 ans) qui changent quoi que ce soit à la réforme en cours, à ses limites et à ses injustices.


Bonne soirée.