Un réformisme soixante-huitard.

Je commencerai la commémoration de Mai 1968 lundi soir, avec la projection du film de Louis Malle, "Milou en Mai", suivie d'un débat sur "Mai et nous": Comment chacun a-t-il vécu dans l'instant l'évènement? Comment les plus jeunes le perçoivent-ils aujourd'hui? Voilà ce qui m'intéresse. J'ai retrouvé quelques témoins et acteurs de l'époque, des "soixante-huitards" saint-quentinois, dont un directeur d'école syndicaliste du SNI, une ouvrière militante du PSU, un lycéen engagé de Condorcet et... un jeune gaulliste devenu depuis élu municipal (chut, je ne dis pas qui c'est...). Car j'ai voulu que les deux côtés de la barricade soient représentés. Normal: pour débattre, il faut être d'avis opposés.

L'un des enjeux de cette commémoration, à mes yeux en tout cas, c'est d'empêcher que l'héritage de Mai soit monopolisé par l'extrême gauche. Car les organisations trotskistes et maoïstes existaient bien avant. Elles ne constituent pas la quintessence du mouvement, qu'elles ont plus souvent accompagné que provoqué, quand elles n'ont pas critiqué le caractère "petit-bourgeois" de la révolte estudiantine. Je ne parle même pas du PCF, envers lequel le mouvement de Mai a été extrêmement critique. En vérité, 1968 n'appartient à personne, puisque c'est l'aspiration spontanée de toute une société à plus de liberté. Mais j'aimerais insister sur une liaison généralement oubliée: Mai 68 et le réformisme.

Liaison qui a de quoi laisser perplexe: les socialistes de l'époque, François Mitterrand le premier, sont complétement dépassés par ce qui se passe et n'adhèrent aucunement à ce mouvement d'apparence révolutionnaire. Et pourtant, je crois qu'il existe de nombreux liens entre Mai et le réformisme, je vais vous présenter les principaux:

-Le PSU: contrairement à la FGDS ou à la SFIO, c'est la formation socialiste, "laboratoire d'idées" de la gauche, qui s'inscrit dans l'élan de Mai. Or, de nombreux réformistes en sont, et Rocard en vient.

- La CFDT: alors que la CGT est renvoyée dans le camp du stalinisme et FO dans celui du patronat, la CFDT émancipée du christianisme est le syndicat le plus conforme à l'esprit de Mai, en même temps qu'une organisation réformiste.

- L'autogestion: ce concept soixante-huitard par excellence se rapproche un peu de la cogestion pratiquée par la social-démocratie tout en allant beaucoup plus loin. Les communistes lui préfèreront pendant longtemps le "contrôle démocratique" des entreprises et l'extrême gauche estime que ce n'est pas un concept rigoureusement révolutionnaire. Ce en quoi elle a parfaitement raison: l'autogestion est une idée réformiste, d'un réformisme sans doute radical, mais réformiste tout de même.

- Charléty: c'est le grand meeting de la gauche réformiste, qu'on appelait à l'époque la gauche "non communiste", le 27 mai, en présence de Pierre Mendès-France, réformiste accompli. Charléty est l'acte de naissance d'un réformisme soixante-huitard dans lequel je me reconnais pleinement aujourd'hui, contre la vieille gauche SFIO... pas complétement morte en 2008!

- Les Lip: c'est le mouvement social de l'après-mai le plus en adéquation avec le réformisme. Les travailleurs prennent leurs affaires en main, sans vouloir rompre avec le capitalisme, sans la CGT, le PCF ou les gauchistes, mais dans une tradition cédétiste encore teintée de christianisme.

- Daniel Cohn-Bendit: je l'ai gardé pour la fin, car c'est le meilleur, et la figure emblématique de Mai 1968. Farouchement anticommuniste, très hostile aux groupuscules trotskistes, son origine libertaire contient déjà tout le réformisme qu'il va développer par la suite et qui fait désormais de lui un social-démocrate exemplaire. Les staliniens et les trotskistes sectaires continuent à le traiter de renégat et de petit-bourgeois... comme en 68.

Le Parti socialiste qui se cherche une rénovation aurait tout intérêt à s'inspirer de ce réformisme soixante-huitard, le meilleur de Mai, la descendance la plus authentique et la plus féconde du mouvement (avec l'underground, le mouvement écologiste et hippy).


Bonne fin d'après-midi.