L'Aisne avec DSK

06 mai 2008

Pour une gauche américaine.

J'ai expliqué à midi que la rupture de Sarkozy était politique, au sein même de la droite, le passage de la droite française à une droite américaine. Cette rupture est aussi culturelle, à l'intérieur de la société, une coupure avec l'héritage national séculaire, à travers l'image du riche, du puissant, du bourgeois, du "gros", par l'épuisement de deux traditions:

1- Le christianisme, pour lequel le riche était perçu comme un pécheur: "Il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux." (Matthieu 19-24, Marc 10-25, Luc 18-25)

2- Le socialisme, dans sa version traditionnelle, promettait l'expropriation de la bourgeoisie et la société sans classes. Le riche était perçu comme un exploiteur. Autant un socialisme moderne est possible, autant le socialisme ancien a décroché avec l'Histoire.

L'extinction de ces deux courants, qui façonnaient beaucoup d'esprits, a permis à la droite de s'américaniser, au même titre que la société française. Ayant cessé d'être considéré comme un pécheur ou comme un exploiteur, le riche pouvait devenir le héros de notre temps, le chevalier de la modernité, incarné par son président, Nicolas Sarkozy. A contrario, le pauvre se transformait en fautif, lui qu'on cherchait auparavant à protéger lorsqu'on était chrétien ou à émanciper lorsqu'on était socialiste. La culpabilité a changé de bord, le riche est fier de ce qu'il est, le pauvre a honte. Même l'ouvrier, longtemps si fier de son identité, ne la revendique plus. Il n'y a plus au cinéma, qui nous apprend beaucoup sur notre société, de figure mythique du prolétariat, tel que Gabin dans les années 30.

Sarkozy a largement contribué à cette révolution culturelle. Rmistes, chômeurs, bas salaires, allocataires de toute sorte, ce sont eux qu'on montre du doigt, qu'on soupçonne de ne pas en faire assez pour sortir de leur état. On les invite à s'enrichir, avec des mots d'ordre de riches appliqués aux pauvres: pouvoir d'achat, travailler plus, devenir propriétaire, préserver son héritage, etc. Même le fonctionnaire devient suspect. La déontologie du service public n'est pas conforme à l'exaltation de la richesse et du profit. Les riches, eux, n'ont plus à rendre de comptes, on les encourage simplement à devenir plus riches et à enrichir la France, en leur destinant une grande part du "paquet fiscal".

Ne vous méprenez pas sur mon intention. J'analyse une évolution de la droite et de la société française qui sont irréversibles. La gauche aurait tort de vouloir réactiver l'image du salaud de riche, du gros bourgeois ou du patron exploiteur. Ces figures ne passent plus auprès de l'opinion, sauf à s'enfermer dans le folklore d'extrême gauche. Que doit faire alors la gauche? Ce qu'a fait la droite! C'est-à-dire s'adapter à ce qu'est devenue la société, tout en restant bien sûr la gauche, en modernisant ses valeurs, en rompant avec la vieille gauche comme la droite sarkozyste a rompu avec la vieille droite. Bref, il nous faut une "gauche américaine" (c'est ainsi que Chevènement qualifiait le courant rocardien dans les années 70).

Qu'est-ce que ça implique par rapport aux riches? Non pas que ceux-ci soient condamnés mais mis au pied du mur, pas pour les fusiller mais pour les mettre devant leurs responsabilités. Ce ne sont pas les pauvres qu'il faut montrer du doigt, ce sont les riches, c'est d'eux qu'il faut attendre beaucoup. Il faut inverser la charge de la preuve, la logique des choses: c'est aux riches de donner plus de travail aux pauvres, pas aux pauvres de travailler plus pour les riches. La gauche par rapport à la droite, ce n'est plus la révolution des priorités, c'est leur inversion. Après tout, Marx prétendait que la bourgeoisie était malgré elle révolutionnaire. J'attends et je veux que la bourgeoisie soit maintenant réformiste, par la force des choses, dans son intérêt, par une ruse coutumière à l'Histoire. Pour les lecteurs qui me trouveraient trop théorique, je donne deux exemples concrets, qui d'ailleurs sont liés:

a- En matière de travail, il existe des centaines de milliers d'emplois vacants, dans l'hôtellerie, le bâtiment, l'aide à la personne, ... Au lieu de reprocher aux chômeurs de ne pas aller vers ses boulots, reprochons au patronat de ne pas savoir les rendre attractifs, en termes de rémunérations et de conditions de travail.

b- En matière d'éducation, tout le monde reconnaît qu'il faut revaloriser les lycées professionnels, inciter les jeunes qui le souhaitent à y apprendre un métier au lieu de perdre leur temps dans l'enseignement général. Fort bien, mais que la bourgeoisie montre l'exemple. Le jour où elle enverra ses propres enfants dans ses établissements, je suis convaincu que beaucoup suivront le mouvement. Pour l'instant, ce n'est pas le cas: ils vont dans les lycées généraux, les classes préparatoires, les études longues et les grandes écoles. "Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais", non, ce n'est plus possible. La bourgeoisie est la classe dominante, qu'elle assume cette charge, qu'elle ne s'en décharge pas sur les autres classes sociales.


Bonne fin d'après-midi.

19 Comments:

  • La bourgeoisie face au prolo pour construire un raisonnement dialectique donc. Et on retombe dans le blanc et le noir au lieu de voir la couleur. Les pauvres ne veulent pas spécialement du travail, ils veulent un travail qui leur plaise comme tout le monde et qui leur procure un certain pouvoir d'achat, ils veulent être comme tout le monde et ne pas être montrés du doigt, ils ne veulent pas être stigmatisés, ils ne veulent pas que l'on voit RMI marqué sur leur front, ils veulent être des citoyens comme les autres. Il y a toujours une part de mépris de parler de la misère l'autre quand on est du bon coté de la barrière, l'enfer est pavé de bonnes intentions.

    Les catholiques existent toujours, ils vivent leur foi discrètement et n'en font plus étalage. Riche, c'est à partir de combien ? J'espère que tu me montre pas du doigt l'ex-candidate du PS en parlant de riches exploitant les pauvres assistants parlementaires. L'Ours je le sens ne va pas te louper... ;-)

    Nicolas Sarkozy n'est pas riche, il ne s'appelle pas Bill Gate. Il n'a pas les moyens de s'offrir un Yatch. L'exclus a honte, car c'est un paria de la société, s'il n'a pas de travail, vit dans la rue, c'est l'enfer.

    By Blogger jpbb, at 11:25 PM  

  • Sarkozy est pire que riche, il est la caricature, la parodie presque comique du riche.

    On peut parler de la misère sans en faire partie. Ou alors, on ne parle plus de rien.

    Prolos, bourges, oui, c'est manichéen, et il faut bien sûr adoucir, nuancer ce clivage. Il n'empêche qu'il renvoie à une représentation sociale qui a sa pertinence, sans être exclusive.

    Il n'y a pas de stricte frontière entre riches et pauvres, et je ne peux pas dire à combien commence la fortune. C'est un tout, un ensemble de critères qui permet quand même de distinguer riches et pauvres. Un petit fonctionnaire est un pauvre. Un cadre supérieur est un riche. Par exemple.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 1:13 PM  

  • Sarkozy est un nouveau riche ?

    Les vrais riches ne montrent pas leur richesse, ils la dissimule de peur de se la faire prendre. :-)

    Je ne suis pas partisan du clivage.

    Il y a longtemps, au cours d'un congrès à New-York je me suis trouvé dans un ascenseur en face d'un couple smoking-rivière de diamants, à coté j'étais vraiment pauvre dans mon costume trois-pièce. C'est pour dire que le sentiment de pauvreté est relatif dans l'échelle sociale. Bien sûr quand on est en bas de l'échelle sociale, il n'y a que des riches au dessus de soi. Quand on est à mi-hauteur, il y a toujours des riches positionnés au dessus, et un paquet de pauvres en dessous.

    Je préfère adopter une vision républicaine, on est tous des citoyens.

    By Blogger jpbb, at 5:47 PM  

  • entre toi et un gars véritablement dans le besoin, il y a plus qu'un fossé, t'es pas bien d'in tete

    By Anonymous Anonyme, at 9:16 PM  

  • Un congrès de quoi, Jpbb? Simple curiosité. Moi aussi, je suis allé à New-York, plusieurs fois.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:19 PM  

  • frimeur

    By Anonymous Anonyme, at 10:55 PM  

  • Si je comprends , c'est en ne faisant pas grève en 2003 que vous vous payer ce genre de voyages ? o))

    Patrice

    By Anonymous Anonyme, at 11:29 PM  

  • A Patrice:

    Je suis allé aux Etats-Unis il y a longtemps, bien avant d'être enseignant. Et si je n'y suis pas retourné, c'est en partie parce que mes engagements politiques, associatifs et syndicaux, contrairement à beaucoup de gens (ce que je ne leur reproche d'ailleurs pas) m'ont fait perdre pas mal d'argent (ce que je ne regrette pas non plus). Sinon, je ne pars pas en vacances ni ne sors beaucoup (sauf samedi prochain au Tréport!).


    A l'anonyme:

    Je ne vois pas de frime dans le fait d'aller à New-York. J'ai souvent dit sur ce blog que j'étais américanophile (mais pas américanolâtre!).

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 9:07 AM  

  • ça t'arrive de répondre aux questions? la grève..

    By Anonymous Anonyme, at 12:15 PM  

  • Ca vous arrive de lire mes réponses? Je n'ai pas l'impression. Alors chaussez vite vos lunettes...

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 12:42 PM  

  • Oui mais la réponse elle est ou?

    By Anonymous Anonyme, at 6:49 PM  

  • Dans mon billet "La retraite selon Bertrand", mon intervention dans les commentaires et de nombreux billets sur ce même sujet dans les archives de ce blog. Vous pouvez vous faire ainsi une idée complète de mes prises de position et actions. Et je suis prêt à en discuter avec vous, sérieusement, point par point.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 7:24 PM  

  • Non pas du tout, on ne parle pas de la pluie et du beau temps, on parle de la grève de 2003. Tu peux répondre très simplement et très précisément. Ne tourne pas autour du pot.

    By Anonymous Anonyme, at 8:43 PM  

  • Le pot de chambre? Déversez-le sur votre tête, pour retrouver vos esprits.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 11:37 PM  

  • Tu peux toujours faire de l'humour à 2 balles. T'as pas répondu mon petit scarabée.

    By Anonymous Anonyme, at 9:43 AM  

  • Vous n'avez pas retrouvé vos esprits. Mais le pot est toujours là, n'hésitez pas.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 6:16 PM  

  • Et tu continues...... à ne pas répondre. T'es vraiment une petite frappe finalement.

    By Anonymous Anonyme, at 2:15 PM  

  • Une petite frappe, si elle est nucléaire, c'est déjà pas si mal que ça! En termes militaires modernes, on appelle ça une "frappe chirurgicale". Je ne prétends pas à la grosse bombe atomique. Il ne m'en faut pas tant pour vous pulvériser.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 12:25 PM  

  • Faut voir......

    By Anonymous Anonyme, at 1:52 PM  

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