L'Aisne avec DSK

24 juillet 2008

Fabius m'intéresse.

Pour revenir aux contributions socialistes, je veux vous parler aujourd'hui de deux d'entre elles, sur l'Europe, qui auraient dû détourner mon attention et qui, au contraire, l'ont retenue, celles de Fabius et Filoche, tous deux nonistes, l'un à la tête de ce camp, l'autre parmi les plus virulents dans ce camp. Et pourtant, leurs réflexions m'ont intéressé, sans pour autant me convaincre, mais ce que je veux vous montrer, c'est que des camarades très différents de moi peuvent m'amener à penser et que nos désaccords de fond n'empêchent pas certains rapprochements, certes relatifs mais réels.

Je commence par Laurent Fabius. D'abord, il évoque longuement l'Europe, à plusieurs endroits de son texte, et plus spécifiquement page 78. Son propos n'est pas essentiellement critique, il fait des propositions, qui n'entraînent pas toutes, loin de là, mon adhésion. Mais elles ont le mérite d'exister, ce qui me conduit à ne pas ranger Fabius parmi les purs et simples anti-européens, ce que sont Lienemann et surtout Mélenchon (j'en reparlerai). Laurent se présente comme "euro-volontaire", ce qui est déjà un bon point. Mais l'accord se fait sur un domaine précis, dont la seule mention dans sa contribution suffit à me satisfaire, parce que peu nombreux sont les socialistes qui abordent cette dimension de la construction européenne: je veux parler de la défense et des questions militaires.

C'est pourtant un sujet essentiel. Toute souveraineté repose sur 4 piliers: une loi commune, une monnaie commune, un impôt universel, une armée commune. La monnaie, on l'a, la loi, on a failli l'avoir avec la Constitution, l'impôt, ce n'est pas pour maintenant, l'armée, seuls les spécialistes en discutent. Qu'un politique, qu'un socialiste s'en saisisse, très bien. Et ce que propose Fabius me convient: une armée franco-allemande. C'est un début pour une armée européenne, mais un début indispensable. J'insiste sur l'enjeu à mes yeux crucial: aucun pays digne de ce nom n'existe sans une défense, ou alors l'Europe aspire à devenir la Suisse ou l'Etat du Vatican, qui pourtant ont eux aussi leur contigent, c'est dire...

Mon désaccord fondamental avec Fabius, c'est sa conception d'une "Europe différenciée" avec des "coopérations renforcées", organisée en "cercles" autour d'une "avant-garde", l'Union méditerranéenne étant dans cette perspective le dernier cercle. Ce qui me chagrine dans cette vision des choses, c'est qu'elle dilue, qu'elle disloque l'Europe en la "différenciant", alors qu'il faudrait l'unifier, l'homogénéiser, en quelque sorte la densifier. Faire des exceptions, permettre des distinctions, autoriser des vitesses différentes, c'est affaiblir l'Europe. Je ne conteste pas qu'il faille reconnaître et garantir la diversité au sein de l'Union européenne, en conformité avec sa devise, "unis dans la diversité". Mais pas au point de renforcer, d'encourager, de promouvoir cette diversité, surtout lorsque celle-ci se présente sous forme de privilèges. Les nations européennes ont besoin de cultiver ce qui les rapproche, pas ce qui les distingue.

Ceci dit, et c'est là où la position de Fabius m'amène à réfléchir, je n'en conclus pas que tous les membres de l'Union doivent se résoudre à faire la même chose... ou à ne rien faire du tout. Ca, c'est la règle de l'unanimité dans les décisions, que je combats parce qu'elle empêche le développement de l'Europe. L'armée franco-allemande en est l'exemple parfait. Personne ne peut croire qu'on puisse aujourd'hui, immédiatement, lever une armée européenne par l'addition ou la fusion des armées nationales. Je ne suis même pas certain qu'une contribution proportionnelle de chaque pays à la constitution de cette armée serait concevable.

Il faut bien commencer avec des Etats qui ont une institution militaire conséquente, stratégiquement significative. Ce n'est pas le cas de l'Irlande ou de Malte par exemple, mais c'est le cas de la France et de l'Allemagne, d'autant qu'avec ces deux anciens ennemis, une armée commune aurait une grande portée symbolique et politique. Oui à un travail commun et spécifique à certaines nations, quand on ne peut pas faire autrement, et c'est le cas en matière militaire, à condition que ce travail distinct se donne pour mission l'élargissement de sa tâche (en l'occurrence, passer d'une armée franco-allemande à une armée européenne). Non à une Europe concentrique, qui fige et institutionnalise les différences sans viser à les dépasser.

Voilà ce qui me rapproche et m'éloigne de Fabius sur l'Europe, voilà en tout cas ce qui m'invite à réfléchir quand je le lis. Dans un tout autre genre, je vous parlerai de Gérard Filoche dans un prochain billet.


Bonne fin d'après-midi.