L'énigme Bertrand.
Xavier Bertrand, cet homme si peu mystérieux qui joue volontiers au brave gars, est une véritable énigme: comment est-il arrivé là? Là, c'est le pouvoir, Paris, les ministères, l'Elysée et l'oreille du président. Bref, comment un militant devient-il ministre, demain peut-être le premier d'entre les ministres, après-demain, qui sait, encore plus haut?
Une véritable énigme parce que Bertrand ne sort pas d'une grande école, n'est pas un fils de famille, ne s'affiche pas en théoricien, n'a pas une jeunesse politique turbulente, comme certains de ses pairs qui ont fait leurs dents à l'extrême droite. Il est simplement sorti du rang, c'est un homme de troupe qui a monté dans la hiérarchie, comme sous Napoléon les valeureux soldats devenaient généraux d'Empire. Mais il n'y a plus de batailles ni d'empire. Alors?
L'énigme ne date pas d'aujourd'hui. En août 1998, quand j'aménage à Saint-Quentin, je me renseigne sur le paysage politique locale. Et je tombe sur une évidence: Pierre André est le maire mais Xavier Bertrand est celui dont on parle. L'un est respecté, l'autre est admiré. André, son aura est justifiée: il a arraché Saint-Quentin aux communistes. Mais Bertrand? A l'époque, il n'est quasiment rien, du moins pas plus que d'autres à droite, simplement maire-adjoint à la redynamisation de la Ville, ce qui ressemble plus à un titre honorifique qu'à une fonction réelle, et conseiller général dans un canton depuis 50 ans acquis à la droite. Et pourtant, l'inconnu Bertrand, dès 1998, est à Saint-Quentin un personnage, et un personnage inexplicable. Ce n'est pas la plage de l'Hôtel de Ville qui dissipe l'énigme: déverser des tonnes de sable au centre-ville vous rend un peu populaire mais ne fait pas de vous un personnage.
L'énigme Bertrand ne trouve pas sa solution à Paris, mais à sa source, ici, à Saint-Quentin. Qu'est-ce qui explique l'inexplicable? Je vous soumets 4 hypothèses complémentaires:
1- La solution de l'énigme est précisément dans le fait que cet homme est sans énigme, aspérité, ombre ou lumière. La seule petite tache de mystère dans ses 43 ans d'existence, c'est son initiation à une loge maçonnique installée à Tergnier, au sein d'une obédience progressiste. Sinon rien: Xavier Bertrand offre l'image avenante de l'homme hyper-ordinaire, lisse, souriant, modeste. Sa seule originalité, ce qu'il ose mettre en avant, ce qui le distingue du commun des mortels? Il bosse beaucoup, dort peu, est pragmatique et ne croit qu'en la compétence. Bref, un profil rassurant dans une société inquiète, un profil bas pour un peuple qui ne croit plus en la grandeur. Avec Bertrand, du concret, pas de prise de tête!
2- Xavier Bertrand réussit parce que l'échec ne le guette pas, il "grimpe" parce qu'il ne rencontre aucune occasion de chuter. Je m'explique: la politique, c'est la traversée de tempêtes et de déserts, une suite de mises à l'épreuve dont on sort broyé ou blindé. Les plus grands sont passés par là, une ligne brisée de victoires et de défaites. Rien de tel chez Bertrand, aucun orage dans son parcours, aucun drame politique, pas de déchirement, mais un bouchon qui s'élève quand le niveau d'eau monte, l'ascension sans heurt, hyper-classique, d'un employé plus que d'un guerrier de la politique: assistant parlementaire, conseiller municipal, adjoint, conseiller général, député, secrétaire d'Etat, ministre. La totale! 16 ans-43 ans, une moitié de carrière pépère, l'avancement à l'ancienneté et au mérite, avec pour seule particularité l'accélération soudaine dans les dernières années. Mais le plus dur n'est-il pas devant lui?
3- Xavier Bertrand, l'homme sans ombre, a besoin d'une lumière, hier André, aujourd'hui Sarkozy. Il y a ainsi, dans la nature, des plantes qui se développent au pied d'un arbre et des poissons-pilotes qui vivent autour des requins. Le couple Bertrand-André est la matrice qui explique tout, dont le couple Bertrand-Sarkozy est la réplique. Il faut voir combien, à Saint-Quentin, Xavier Bertrand prend soin de ne pas avancer quelques centimètres plus loin que le maire. Sa règle, c'est le retrait, la déférence, presque l'effacement. L'énigme de cet homme ne peut se résoudre que dans ce paradoxe: son existence politique se nourrit de son inexistence personnelle! Ainsi, il colle à Sarkozy pour mieux décoller, il s'abaisse pour mieux se redresser. Là encore, ne croyez pas que ce comportement soit exceptionnel. Combien de socialistes ai-je vus, certes souvent moins talentueux et experts que Bertrand, se soumettre à un puissant du Parti afin d'exercer plus tard, à leur tour, la puissance?
4- Ce qu'est Bertrand, il le doit à lui bien sûr, mais autant à son environnement. Il ne serait pas ce qu'il est devenu sans le contexte politique saint-quentinois, qui a étrangement anticipé le contexte national: un Parti communiste qui s'écroule, des socialistes divisés incapables de reprendre le leadership, une tentation gauchiste qui pousse à droite le centre gauche. La politique d'ouverture, son inventeur, ce n'est pas Sarkozy, c'est Pierre André en 2001! Bertrand à Saint-Quentin, c'est Sarkozy en France: deux hommes qui avancent, s'installent, réussissent parce que rien ne leur fait obstacle, parce qu'ils prospèrent dans le vide qui les entoure. Marcel Gauchet l'a très bien dit lors d'un colloque de "Marianne", dont l'extrait est visible sur Dailymotion: un homme de droite si caricatural, imposant au pays une politique aussi conservatrice, devrait susciter à gauche une réaction d'ampleur qui se fait hélas attendre. Même constat à Saint-Quentin: que dans une ville ouvrière et pauvre, un ministre du travail aussi anti-social soit populaire, il y a quelque chose qui ne va pas, qui n'est pas normal. Et ce qui ne va pas, ce qui va mal, tout le monde le sait: c'est la gauche.
Ne vous y trompez pas, il ne s'agit pas pour moi de désespérer mais d'être réaliste. Car les 4 points forts de Bertrand seront demain, à coup sûr, 4 points faibles:
1- L'homme ordinaire va se révéler ce qu'il est, une bête politique, le pragmatique va laisser percer l'idéologue. Au gouvernement, accumulant les lois et réformes à son nom, son image va inévitablement changer, le gestionnaire va s'effacer devant le partisan.
2- Les épreuves dont il a été épargné jusqu'à maintenant finiront par arriver. Son long fleuve tranquille ne pourra que devenir tumultueux. Il traversera, un jour ou l'autre, son baptême du feu. Ce jour-là, il aura vraiment gagné... ou perdu, pas avant.
3- Bertrand ne sera pas continuellement derrière un grand, à son service, le premier de la classe après le professeur, le brillant second. Quand il voudra et devra endosser le rôle de premier, nationalement, localement, on peut penser que tout va changer, que les fragilités vont apparaitre, que les failles peut-être vont se faire jour.
4- Enfin, nationalement comme localement, lorsque que la gauche se sera resaissie, refaite, lorsqu'elle aura donné un contenu à son projet, clarifié ses alliances et désigné un leader, à Paris comme à Saint-Quentin, Xavier Bertrand pourra se déployer avec beaucoup moins de facilité.
Bonne fin de matinée.
Une véritable énigme parce que Bertrand ne sort pas d'une grande école, n'est pas un fils de famille, ne s'affiche pas en théoricien, n'a pas une jeunesse politique turbulente, comme certains de ses pairs qui ont fait leurs dents à l'extrême droite. Il est simplement sorti du rang, c'est un homme de troupe qui a monté dans la hiérarchie, comme sous Napoléon les valeureux soldats devenaient généraux d'Empire. Mais il n'y a plus de batailles ni d'empire. Alors?
L'énigme ne date pas d'aujourd'hui. En août 1998, quand j'aménage à Saint-Quentin, je me renseigne sur le paysage politique locale. Et je tombe sur une évidence: Pierre André est le maire mais Xavier Bertrand est celui dont on parle. L'un est respecté, l'autre est admiré. André, son aura est justifiée: il a arraché Saint-Quentin aux communistes. Mais Bertrand? A l'époque, il n'est quasiment rien, du moins pas plus que d'autres à droite, simplement maire-adjoint à la redynamisation de la Ville, ce qui ressemble plus à un titre honorifique qu'à une fonction réelle, et conseiller général dans un canton depuis 50 ans acquis à la droite. Et pourtant, l'inconnu Bertrand, dès 1998, est à Saint-Quentin un personnage, et un personnage inexplicable. Ce n'est pas la plage de l'Hôtel de Ville qui dissipe l'énigme: déverser des tonnes de sable au centre-ville vous rend un peu populaire mais ne fait pas de vous un personnage.
L'énigme Bertrand ne trouve pas sa solution à Paris, mais à sa source, ici, à Saint-Quentin. Qu'est-ce qui explique l'inexplicable? Je vous soumets 4 hypothèses complémentaires:
1- La solution de l'énigme est précisément dans le fait que cet homme est sans énigme, aspérité, ombre ou lumière. La seule petite tache de mystère dans ses 43 ans d'existence, c'est son initiation à une loge maçonnique installée à Tergnier, au sein d'une obédience progressiste. Sinon rien: Xavier Bertrand offre l'image avenante de l'homme hyper-ordinaire, lisse, souriant, modeste. Sa seule originalité, ce qu'il ose mettre en avant, ce qui le distingue du commun des mortels? Il bosse beaucoup, dort peu, est pragmatique et ne croit qu'en la compétence. Bref, un profil rassurant dans une société inquiète, un profil bas pour un peuple qui ne croit plus en la grandeur. Avec Bertrand, du concret, pas de prise de tête!
2- Xavier Bertrand réussit parce que l'échec ne le guette pas, il "grimpe" parce qu'il ne rencontre aucune occasion de chuter. Je m'explique: la politique, c'est la traversée de tempêtes et de déserts, une suite de mises à l'épreuve dont on sort broyé ou blindé. Les plus grands sont passés par là, une ligne brisée de victoires et de défaites. Rien de tel chez Bertrand, aucun orage dans son parcours, aucun drame politique, pas de déchirement, mais un bouchon qui s'élève quand le niveau d'eau monte, l'ascension sans heurt, hyper-classique, d'un employé plus que d'un guerrier de la politique: assistant parlementaire, conseiller municipal, adjoint, conseiller général, député, secrétaire d'Etat, ministre. La totale! 16 ans-43 ans, une moitié de carrière pépère, l'avancement à l'ancienneté et au mérite, avec pour seule particularité l'accélération soudaine dans les dernières années. Mais le plus dur n'est-il pas devant lui?
3- Xavier Bertrand, l'homme sans ombre, a besoin d'une lumière, hier André, aujourd'hui Sarkozy. Il y a ainsi, dans la nature, des plantes qui se développent au pied d'un arbre et des poissons-pilotes qui vivent autour des requins. Le couple Bertrand-André est la matrice qui explique tout, dont le couple Bertrand-Sarkozy est la réplique. Il faut voir combien, à Saint-Quentin, Xavier Bertrand prend soin de ne pas avancer quelques centimètres plus loin que le maire. Sa règle, c'est le retrait, la déférence, presque l'effacement. L'énigme de cet homme ne peut se résoudre que dans ce paradoxe: son existence politique se nourrit de son inexistence personnelle! Ainsi, il colle à Sarkozy pour mieux décoller, il s'abaisse pour mieux se redresser. Là encore, ne croyez pas que ce comportement soit exceptionnel. Combien de socialistes ai-je vus, certes souvent moins talentueux et experts que Bertrand, se soumettre à un puissant du Parti afin d'exercer plus tard, à leur tour, la puissance?
4- Ce qu'est Bertrand, il le doit à lui bien sûr, mais autant à son environnement. Il ne serait pas ce qu'il est devenu sans le contexte politique saint-quentinois, qui a étrangement anticipé le contexte national: un Parti communiste qui s'écroule, des socialistes divisés incapables de reprendre le leadership, une tentation gauchiste qui pousse à droite le centre gauche. La politique d'ouverture, son inventeur, ce n'est pas Sarkozy, c'est Pierre André en 2001! Bertrand à Saint-Quentin, c'est Sarkozy en France: deux hommes qui avancent, s'installent, réussissent parce que rien ne leur fait obstacle, parce qu'ils prospèrent dans le vide qui les entoure. Marcel Gauchet l'a très bien dit lors d'un colloque de "Marianne", dont l'extrait est visible sur Dailymotion: un homme de droite si caricatural, imposant au pays une politique aussi conservatrice, devrait susciter à gauche une réaction d'ampleur qui se fait hélas attendre. Même constat à Saint-Quentin: que dans une ville ouvrière et pauvre, un ministre du travail aussi anti-social soit populaire, il y a quelque chose qui ne va pas, qui n'est pas normal. Et ce qui ne va pas, ce qui va mal, tout le monde le sait: c'est la gauche.
Ne vous y trompez pas, il ne s'agit pas pour moi de désespérer mais d'être réaliste. Car les 4 points forts de Bertrand seront demain, à coup sûr, 4 points faibles:
1- L'homme ordinaire va se révéler ce qu'il est, une bête politique, le pragmatique va laisser percer l'idéologue. Au gouvernement, accumulant les lois et réformes à son nom, son image va inévitablement changer, le gestionnaire va s'effacer devant le partisan.
2- Les épreuves dont il a été épargné jusqu'à maintenant finiront par arriver. Son long fleuve tranquille ne pourra que devenir tumultueux. Il traversera, un jour ou l'autre, son baptême du feu. Ce jour-là, il aura vraiment gagné... ou perdu, pas avant.
3- Bertrand ne sera pas continuellement derrière un grand, à son service, le premier de la classe après le professeur, le brillant second. Quand il voudra et devra endosser le rôle de premier, nationalement, localement, on peut penser que tout va changer, que les fragilités vont apparaitre, que les failles peut-être vont se faire jour.
4- Enfin, nationalement comme localement, lorsque que la gauche se sera resaissie, refaite, lorsqu'elle aura donné un contenu à son projet, clarifié ses alliances et désigné un leader, à Paris comme à Saint-Quentin, Xavier Bertrand pourra se déployer avec beaucoup moins de facilité.
Bonne fin de matinée.
13 Comments:
Vous dites de XB "son existence politique se nourrit de son inexistence personnelle".
Le pire c'est quand même lorsque dans votre cas l'inexistence politique se conjugue avec l'inexistence personnelle.
By Anonyme, at 3:35 PM
Dans mon cas, ce n'est pas grave, je n'occupe pas de responsabilités électives. Lui si. Le pire est donc de son côté, pas du mien.
By Emmanuel Mousset, at 5:53 PM
Quand même rien c'est pas grand chose mais moins que rien!....
By Anonyme, at 9:06 PM
je crois que c'est plus simple.
un homme de réseau, une bonne intelligence, un grand sens de la communication et une dynamique de vainqueur.
Pour la dynamique soyons clair. Il a bénéficié d'un contexte hautement favorable.
Pierre andré trace le sillon.
Les communistes ne se remettront pas de leur défaite en 95.
Les saint-quentinois n'ont pas en face de véritable alternative depuis.
Odette installée par la victoire des socialistes après la dissolution de 97 ne trouvera pas l'ancrage suffisant dans une gauche composée essentiellement de communistes sur le déclin et de socialistes pas vraiment performants.
By Anonyme, at 10:12 PM
Au dernier anonyme:
Votre analyse n'est pas tout à fait la mienne mais j'y adhère entièrement. Mieux que moi, et en quelques phrases, vous avez brossé très clairement la situation.
Puis-je vous demander une faveur? Pouvez-vous me dire aussi clairement comment la gauche saint-quentinoise peut s'en sortir? Parce que moi, entre nous soit dit, je ne vois pas vraiment...
By Emmanuel Mousset, at 9:49 AM
On avait bien compris que vous ne voyiez pas très bien ce qu'il fallait faire.
By Anonyme, at 12:13 PM
Le problème, c'est que personne ne voit comment faire pour s'en sortir...
By Emmanuel Mousset, at 1:28 PM
ben si moi je sais ce qu'il faut faire,
mais comme personne ne m'écoute.
By grandourscharmant, at 4:20 PM
Je suis tout ouïe à ce que vous dites, vous le savez bien. Je ne demande qu'à être convaincu.
By Emmanuel Mousset, at 6:53 PM
Je vous répondrai trés prochainement à la question du "que faire".
Ici et ailleurs.
By Anonyme, at 6:54 AM
Vous me faites languir. Par cette chaleur. Ayez un peu pitié...
By Emmanuel Mousset, at 12:22 PM
Patience ...
By Anonyme, at 3:19 PM
... et longueur de temps font plus que force ni que rage. Oui, je sais, mais je suis impatient, j'ai toujours été comme ça, j'ai besoin d'agir!
By Emmanuel Mousset, at 10:07 PM
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