L'Aisne avec DSK

19 juillet 2008

Négocier ou mourir.

Nicolas Sarkozy aurait dû regarder cet après-midi France 3, à 16h15, lui qui ne voit pas assez la différence entre télévision publique et privée. Le magnifique téléfilm de Gérard Corbiau, "Saint-Germain ou la négociation", était diffusé. Tiré du roman de Francis Walder, qui a obtenu le prix Goncourt 1958, l'histoire est celle de la négociation menée en 1750 entre catholiques et protestants afin de ramener la paix dans le royaume de France. Le baron de Malassise, remarquablement interprété par Jean Rochefort, conduit ces rencontres pour le camp catholique, avec la finesse politique et l'habileté diplomatique qui sont les siennes et qui aboutissent à un accord le 6 août.

Les négociations auront été ardues, tendues, fluctuantes, mais n'est-ce pas le propre de toute négociation? Leur objet principal, discuté dans le cadre du château de Saint-Germain, c'est la cession de places fortes aux protestants, sur une base de départ de 4 ou 5 villes. A l'arrivée, ce sera 4, La Rochelle, Montauban, La Charité et Cognac. Malassise avait une visée essentielle, garder Angoulême du côté papiste. Cette oeuvre est de bout en bout passionnante, dans l'austérité même de sa mise en scène, entre politique et psychologie. J'en ai pour ma part retenu quelques leçons:

1- La négociation, c'est la civilisation en politique, quand on fait taire les rapports de forces, quand on met fin à la violence des armes ou du nombre. Entrer en négociation, c'est déjà commencer à régler le problème auquel on est confronté.

2- La négociation, c'est la reconnaissance de l'autre, c'est en faire un égal, c'est le juger digne de discuter avec lui. On refuse de négocier quand on nie toute valeur, toute représentativité, toute légitimité à autrui, adversaire ou allié.

3- La négociation, c'est l'intelligence, l'ouverture, le compromis, l'imagination, la proposition, la liberté des partenaires à concevoir une sortie, une solution. La nature même du politique, c'est de négocier, entre gens qui ont des points de vue différents, des intérêts divergents, parfois des oppositions radicales.

Saint-Germain ou la négociation. Comment ne pourrais-je pas me laisser aller au lapsus: Saint-Quentin ou la non négociation. C'est un problème de culture politique. En tant que social-démocrate, je suis très attaché au compromis, à l'extérieur du Parti avec les forces sociales, à l'intérieur entre les sensibilités politiques. Je sais que les rapports de forces ne règlent rien, qu'ils compliquent tout, qu'ils sont le recours des faibles et des perdants. Car tout le monde perd en s'affrontant dans un rapport de forces interne. Je ne changerai pas là-dessus, je garderai la culture politique qui est la mienne, qui met la négociation en avant.

Se rencontrer, discuter et surtout (c'est flagrant dans le téléfilm) prendre son temps, j'ai presque envie de dire: perdre son temps, mais utilement. Car il n'y a pas de négociation dans la précipitation, au grand dam des adeptes roués de la "dernière minute". Chez certains camarades, le regret de la lutte des classes s'est transformé en exaltation des rapports de forces entre vrais socialistes (forcément eux) et faux socialistes (forcément moi, nous, les autres). La guerre entre catholiques et protestants, ils l'ont transplantée dans leur pauvre univers, sous d'autres noms, d'autres objectifs, avec d'autres protagonistes, mais une même crainte, un même refus, celui de la négociation.

Fanatisme, intransigeance, brutalité, peut-on en sortir? Deux ans après le traité du 6 août 1570 s'est déroulée la nuit de la Saint-Barthélémy et ses terribles massacres. Une longue et difficile négociation, une courte paix de deux ans seulement. Pour les êtres humains, il est plus simple de s'affronter que de négocier, plus facile de rester sur ses positions que de passer des compromis avec autrui, au prix même de l'échec, du désastre, de la mort. C'est ainsi depuis toujours. Mais depuis toujours aussi, des hommes tel que le baron de Malassise croient aux vertus civilisatrices de la négociation. Moi aussi, nous aussi.


Bonne fin d'après-midi.