L'Aisne avec DSK

22 août 2008

Le droit au deuil.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je suis ce soir troublé, et j'aimerais que vous m'aidiez à y voir plus clair. Deux décrets sont parus au Journal Officiel, instaurant un "droit au deuil". L'expression m'a d'abord surpris: le deuil n'est pas un "droit", c'est une pratique de civilisation, qui fait qu'on affiche sa tristesse quand l'être aimé meurt. Parler de "droit" dans une circonstance tragique est tout à fait étrange. Un droit est un recours éminemment positif. Le deuil, on aimerait tellement s'en passer! En tout cas, c'est une attitude morale, un comportement éthique et social, qui n'a rien à voir avec le droit, la juridiction. Un droit, c'est quelque chose qu'on réclame: réclamer le deuil, ça n'a pas de sens.

J'ai donc essayé de comprendre, j'ai compris, mais mon trouble, mon inquiétude ne sont pas pour autant dissipés. Le deuil est celui du foetus mort-né entre la 16ème et la 22ème semaine de la conception. Les parents, pour "faire leur deuil", demande la possibilité d'inscrire l'enfant dans le livret de famille, de lui donner un prénom et des funérailles. Ce foetus n'obtient pas pour autant la personnalité juridique, l'avortement (qui se fait jusqu'à la 12ème semaine) n'est pas remis en cause. Ce qui est simplement reconnu, c'est "l'acte d'enfant sans vie". L'intention est bonne, la finalité peut sembler humaniste, et pourtant je demeure inquiet et troublé. Pour six raisons:

1- Je pressens quelque chose de morbide, de macabre là-dedans. Comment peut-on donner un nom à un foetus, qui plus est un foetus mort? Expliquez-moi, je ne comprends pas. Le nom est réservé à la personne vivante. Il est morbide de vouloir nommer les morts.

2- De même, organiser des funérailles pour un foetus me semble une entreprise étrange. Depuis que l'humanité existe, elle enterre ses créatures qui naissent, qui vivent et qui, un jour, meurent. Mais le mort-né n'a pas eu le temps de vivre, sinon d'une vie purement biologique, sans cette dimension spirituelle qui fait la grandeur de l'homme. Nous ne sommes tout de même pas essentiellement un amas de cellules!

3- L'avortement n'est pas remis en cause, soit. Mais qu'est-ce qui empêchera de baisser la limite de la 16ème semaine? Pour un chrétien, l'embryon est une personne. Au nom de quoi "l'acte d'enfant sans vie" serait accordé au foetus et pas à l'embryon?

4- L'argument le plus recevable, c'est la souffrance des parents et cette incapacité qu'ils auraient à "faire leur deuil". Toute souffrance mérite qu'on la respecte, qu'on la comprenne et qu'on la soulage. Mais mon métier, excusez-moi, c'est de me poser des questions: depuis que le monde est monde, il y a eu, et par le passé beaucoup plus qu'aujourd'hui, de nombreux foetus morts-nés. Les mères en souffraient-elles? Simplement comme on peut souffrir d'un drame de la nature, mais sans la douleur contemporaine d'échapper au deuil. La revendication de ce droit étrange n'existait pas. Bref, perdre un enfant faisait partie de la vie, et personne ne s'en offusquait fondamentalement.

5- Et puis, en quoi la souffrance serait-elle un critère de vérité? Faut-il nécessairement accéder aux revendications d'une personne parce qu'elle souffre? Notre société émotive répond que oui, je réponds que non, parce que j'essaie d'être dans une démarche rationnelle et non sentimentale. La souffrance n'est jamais bonne conseillère. On ne devrait pas la suivre. Le remède qu'elle exige est peut-être pire que le mal. Je laisse les spécialistes, les psychologues trancher la question du deuil pour les foetus morts-nés.

6- Enfin, comment ne pas penser que notre société est à la fois celle de l'enfant-roi (qui fait que toute mort d'enfant nous apparaît comme un scandale) et celle de la satisfaction de tous les désirs. Or, l'enfant, et c'est complètement nouveau dans l'histoire de l'humanité, est devenu l'objet d'un désir, alors qu'il était autrefois le résultat, voulu ou non, de la reproduction. "Faire son deuil", en l'occurrence, n'est-ce pas plutôt faire le deuil de son propre désir, qui n'a pas été satisfait, qui n'est pas arrivé à terme? Auquel cas le "droit au deuil" ne serait que la marque du narcissisme contemporain qui n'accepte pas qu'un désir soit contrarié.

Voilà mes interrogations, mes doutes, mes inquiétudes. Mais ce blog est fait pour ça. Et vous, qu'en pensez-vous?


Bonne soirée.

2 Comments:

  • Il y a une propension aujourd'hui, pour les politiques, à satisfaire toutes les revendications, du moment qu'elles n'entraînent pas de conséquences financières. Pure démagogie: si demain les tire-bouchons se plaignent de maltraitance, on trouvera bien un parlementaire pour se pencher sur leur sort!

    By Anonymous Anonyme, at 2:30 PM  

  • Je suis mère et lorsque l'on sent grandir en soit la vie il n'y a rien de plus merveilleux ! la perte de son futur enfant est un drame qu'il ne faut pas minimiser mais de là à l'officialiser sur le carnet de santé je ne suis pas d'accord car cela ajoutera au chagrin à chaque fois que la mère ou le père va ouvrir le carnet de santé. De plus payer un enterrement pour un fœtus non viable, il y a un aspect mercantile qui me dérange beaucoup. Si cela m'était arrivé, il me semble que j'aurai préféré faire mon deuil par l'oubli aussi douloureux soit il plutôt que par cette reconnaissance éternelle.

    By Anonymous Anonyme, at 7:57 AM  

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