L'Aisne avec DSK

25 août 2008

Le poinçonneur des Lilas.

Bonjour à toutes et à tous.

J'ai commencé ma journée d'hier, dimanche matin, devant un café et l'émission de RTL "Stop ou encore", avec un bon début puisque le premier artiste choisi était Gainsbourg, et une bien belle chanson, "Le poinçonneur des Lilas". J'aime beaucoup, c'est jazzy, très alerte, allègre, on est plein d'entrain pour quelques heures. Et puis, j'ai habité longtemps tout près des Lilas, et j'ai abondamment fréquenté la ligne de métro qui conduit jusqu'à Châtelet.

Le poinçonneur des Lilas, pour nous tous, c'est la nostalgie de la France des années 50, d'un certain pittoresque de métiers disparus, de la joie de vivre en ces débuts des Trente Glorieuses, qu'on évoque tant aujourd'hui, sur le ton du regret et de l'envie. C'était tellement mieux en ce temps-là, pas de chômage, pas de précarité, des bonnes payes et l'avenir radieux pour nos enfants!

Sauf que tout ça est faux, du moins déformé, exagéré, embelli. Ecoutez bien la chanson de Gainsbourg, comme je l'ai fait hier en buvant mon café: c'est ATROCE. Les Lilas, fleur ou commune, c'est joli, mais pas la vie de son poinçonneur, que l'artiste décrit comme un "cloaque", la misère, la monotonie, les illusions d'un homme sous terre qui fait "des trous, des p'tits trous, rien que des p'tits trous", dans une société tellement inégalitaire que les wagons de métro comportaient une première et une deuxième classe. Cette chanson est d'une tristesse absolue, tragique, nihiliste, puisque qu'elle se termine sur un appel au suicide, sur la mort. Pas si glorieuses que ça, les Trente Glorieuses...

Pourquoi je vous raconte mon dimanche matin? Parce que, dans mon militantisme politique, en contact avec certains camarades de gauche, je suis toujours surpris qu'ils fassent presque de cette France des années 50 et 60, sinon un modèle, du moins une période enviable. Ils en viennent à regretter la disparition de ces petits métiers, ils aimeraient bien, à la limite, que revienne le poinçonneur des Lilas.

De plus en plus, les caissières de supermarché sont remplacées par des machines. Dans peu de temps, il n'y aura plus de personnel aux péages des autoroutes mais, là encore, des machines. C'est la même logique, qui ira grandissante, l'automatisation de la société moderne, qui a remplacé les poinçonneurs du métro par des machines à composter. Je m'en réjouis, certains amis socialistes s'en désolent, sous deux arguments:

1- On supprime des emplois utiles à ceux qui les assuraient.
2- On déshumanise la société, en substituant la machine à l'homme.

Je récuse ces deux arguments, qui sont plutôt des sentiments, des bons sentiments irréfléchis:

1- Les emplois du type poinçonneur étaient totalement désespérants, et c'est ce que Gainsbourg nous fait sentir dans sa magnifique et terrible chanson. On critique aujourd'hui, avec raison, le "travail précaire". Mais que dire des sales boulots des années 50, avec ou sans casquette? Etre de gauche, c'est défendre non seulement la stabilité du travail, mais aussi sa qualité. Je ne dis pas qu'on ne puisse pas être heureux en étant poinçonneur. J'ai moi-même été très heureux, plusieurs années durant, quand j'étais simple gardien. Mais ce que je sais, c'est que les parents des années 50 ne rêvaient pas pour leurs enfants un emploi de poinçonneur, même sur la ligne Châtelet-Lilas, pas plus qu'aujourd'hui ils ne souhaitent les voir travailler dans le gardiennage!

2- Je ne me sens pas vivre dans un monde inhumain quand mon pompiste, ma caissière, mon guichetier sont des machines (qui, entre nous soit dit, sont moins chiantes que parfois les humains). Vive les machines! C'est ça aussi le progrès. Je préfère des esclaves et des domestiques en métal qu'en chair et en os. Car cette humanisation de la société, à qui profite-t-elle? Pas au travailleur mais au consommateur. Pour l'acheteur et l'automobiliste, c'est sympa d'avoir un sourire et un petit mot à la caisse et au péage, mais pour l'employé, non, ce n'est pas marrant d'être obligé de sourire et de parler à des centaines de personnes qui défilent devant vous et que généralement vous ne reverrez pas.

Adieu donc, poinçonneur des Lilas, employé de péage, caissière de supermarché, pompiste, guichetier, adieu et sans regret.


Bonne matinée.