L'Aisne avec DSK

25 août 2008

Les mouches de Gricourt.

J'ai commis cet après-midi un meurtre, j'ai tué une mouche. C'était juste avant le début de ma sieste (je dors au moins une heure après le repas). Elle volait et bourdonnait au-dessus de moi, c'était insupportable. Comme je suis un peu bouddhiste, j'épargne normalement tout être vivant, je respecte les insectes et les araignées, je les change seulement de place quand ils m'importunent. Mais là, c'était trop, il fallait que je la tue (faire sortir une mouche par la fenêtre, c'est quasiment impossible). J'ai été rapide, j'ai fait ça d'un coup sec, avec un ancien numéro de "L'Aisne Nouvelle", elle n'a pas eu le temps de souffrir.

Pourquoi je vous raconte ça? Parce que je m'en veux d'avoir souri à la lecture des mésaventures des habitants de Gricourt, charmant petit village à quelques kilomètres de Saint-Quentin, mais depuis 2001 envahi chaque été par des milliers de mouches. Une seule de ces bêtes m'insupporte; vous imaginez des milliers! Et pourquoi des milliers de mouches à Gricourt? Parce qu'il s'y trouve un élevage de 180 000 poules qui donnent des tonnes de fientes. La mouche à merde, ça vous dit quelque chose? Eh bien, c'est le cauchemar de Gricourt.

La vie quotidienne devient tout bonnement impossible, les mouches sont et se posent partout, empoisonnent tout. Un vrai film d'horreur, sauf que ce n'est pas un film. Une association s'est créée, l'Association de lutte contre les mouches, une manifestation a rassemblé cet été une centaine de personnes devant l'entreprise responsable, les autorités locales et préfectorales se sont réunies, les scientifiques ont été appelés à la rescousse, des mesures ont été prises, rien n'y fait, sept ans après, les mouches sont toujours là.

Nous pouvons envoyer des sondes spatiales à l'autre bout de l'Univers mais nous ne savons pas nous débarrasser des mouches de Gricourt. Les moustiquaires sont purement défensives et ne les empêchent nullement de s'infiltrer où elles veulent. La désinsectisation a mobilisé de puissants moyens chimiques pour exterminer les bêtes, en vain pour le moment. S'il y a une issue, ce sera pourtant de ce côté-là. Mais il faut savoir que les insectes sont l'espèce animale la plus tenace (certains survivent à une explosion atomique). Le séchage des fientes n'a rien donné non plus (c'est leur humidité qui attire les mouches).

Partout où il y a des hommes, il y a des mouches. Ce sont nos invisibles compagnes (sauf quand elles sont en nombre!). Notre vocabulaire utilise abondamment et métaphoriquement la mouche. Nous sommes mille fois plus forts qu'elles, et pourtant nous les détestons. Elles sont sales, toujours là, difficiles à chasser ou à tuer. Gricourt nous rappelle ce que nous avons oublié: la nature est très puissante, même sous ses formes les plus faibles, la nature est toujours menaçante, même sous ses formes les plus inoffensives.

Comment ne pas songer aussi à ce formidable film fantastique de David Cronenberg, "La Mouche", sorti en 1986, où le héros, après une expérience scientifique douteuse, se transforme en mouche? Ce qui impressionne, outre la prouesse technique, c'est le sens philosophique: une mouche, simple petite bête ailée, est en réalité un monstre, qui tue tout ce qu'elle approche, parce que c'est une pure puissance, dépourvue de toute conscience et donc de toute moralité. Je conclus brutalement, pour provoquer votre réflexion: la mouche c'est le mal, parce que la nature toute entière c'est le mal.


Bonne fin d'après-midi.