L'Aisne avec DSK

25 août 2008

Soyons méchants.

Quatre jeunes de l'Aisne sont morts, vendredi soir, dans un accident de voiture dans le Nord. La presse locale de ces derniers jours nous rappelle combien la route demeure un lieu majeur d'insécurité, de souffrance et de mort, surtout les petites routes départementales. L'autoroute, par comparaison, est un havre de paix.

Dans L'Union du 21 août, édition de Chauny-Soissons, le maire de la petite commune de Ognes, Eric Ficheux, explique sa lutte contre la grande vitesse (car le problème est là): panneaux "stop", zone à 30 km/h, ralentisseurs, présence des gendarmes, tous les moyens sont envisagés. Dans le Courrier Picard du 22 août, même constat, les ravages de la vitesse, avec les élus en première ligne pour faire face au fléau: A Dallon, Seraucourt-le-Grand, Artemps, Crouy, les maires font ce qu'ils peuvent. Les jeunes, souvent montrés du doigt, surtout quand ils viennent d'avoir leur permis, ne sont pourtant pas les seuls coupables: "Il est fréquent de voir des mères de famille ou des personnes d'un certain âge traverser les villages à des vitesses plus qu'excessives".

J'en témoigne: la vitesse de nombreux automobilistes sur les routes départementales est affolantes! Le sentiment d'impunité est puissant, puisqu'il y a peu de contrôles, de gendarmes, de radars, le sentiment de sécurité aussi, puisque l'automobiliste se sent comme chez lui sur une petite route qu'il parcourt souvent. Cette familiarité du trajet émousse la prudence, renforce une dangereuse confiance en soi qui décourage les bons réflexes. Mais que faire?

Je vous ai parlé ce matin de l'automatisation de la société. Eh bien, si on ne peut pas mettre un gendarme à chaque section périlleuse de route, on peut installer, judicieusement, ces machines qu'on appelle radars. Les radars! Quelle rencontre familiale, quelle réunion entre amis, quel échange avec des collègues de travail ne finissent-ils pas par en venir à eux, aux radars! C'est une vraie passion française: discuter de l'utilité et de la nocivité des radars, les maudire, défendre des théories extravagantes sur le radar "pompe à fric", le radar "injuste", le radar "qui ne marche pas". Cette passion peut aller jusqu'à la violence. Nous sommes le seul pays en Europe, peut-être au monde, où des automobilistes s'en prennent physiquement à des radars en cherchant à les détruire! Comme tout le monde, j'ai été inattentif et pressé, j'ai été flashé, j'ai payé mais j'ai fermé ma gueule.

Dans L'Union de samedi dernier, j'apprends qu'à Saint-Quentin un radar a été installé boulevard Gambetta, dans un lieu "accidentogène", nous dit Cécile Leclerq, la journaliste. Et c'est, nous dit-elle, un "radar gentil", parce qu'il prévient de son existence avant de sanctionner. Sur le coup, j'ai trouvé l'expression, "radar gentil", un peu bizarre: un radar doit-il être "gentil"? Mais je me suis dit: c'est une gentille image d'une gentille journaliste... Quelle n'a pas été ma surprise quand j'ai constaté, allant sur le net, que la formule "gentil radar" était fréquemment utilisée et n'était donc pas une trouvaille littéraire ou journalistique de Cécile. "Gentil radar"? Mais qu'est-ce que c'est que ça?

Une machine est froide, neutre, objective, elle n'a pas à adopter ce sentiment humain qu'est la gentillesse. Je sais bien que nous vivons dans une société fort sentimentale, mais de là à impliquer les machines dans ce mouvement! Et puis, s'il y a des "gentils radars", cela sous-entend qu'il y en a des "méchants", cachés, mobiles, actionnés par les hommes, les gendarmes, des radars efficaces, impitoyables, pas gentils du tout.

Gentil, ce n'est pas nécessairement une vertu, une qualité, c'est aussi perçu comme une faiblesse. Etre "trop gentil" est considéré comme un défaut. Allons plus loin: quelqu'un de "bien gentil", c'est un individu un peu simple d'esprit, légèrement bête, pas futé. "Gentil", ça ne veut rien dire, c'est un faux sentiment, à la différence de la bonté, de la générosité ou de l'amour. "Gentil", c'est plat, banal, insipide.

Donc, cette expression ridicule (et pourtant admise) de "gentil radar" est aussi une forme de mépris envers une machine inepte, idiote, normalement chargée de sanctionner et qui ne le fait pas puisqu'elle annonce stupidement sa présence. Et qu'on ne me dise pas que le "gentil radar" a une vertu dissuasive, qu'il fait un beau travail de prévention: pure hypocrisie! Vous et moi, après avoir ralenti en passant dans le champ de la machine, nous reprenons immédiatement la vitesse de notre choix.

Le "gentil radar" mérite bien ce nom humiliant pour lui (un peu comme si on disait d'un prof qu'il est "gentil", c'est-à-dire dans l'incapacité d'exercer son autorité), puisqu'il ne fait pas son métier. Mais trêve de plaisanterie: quatre jeunes qui ne demandaient qu'à vivre sont morts, la route tue, finissons-en avec ces "gentils radars" qui ne servent à rien, qui se moquent de nous autant que nous nous moquons d'eux. Pour être efficaces, pour arrêter le massacre, soyons méchants.


Bon après-midi.