L'Aisne avec DSK

03 août 2010

René Merlin.

Bonsoir à toutes et à tous.


En ce début août, où beaucoup d'entre nous sont en vacances, ce sont la plage, le soleil, les loisirs, la vie qui retiennent l'esprit. Mais la mort nous rappelle aussi à notre bon souvenir, en l'occurrence fort triste. On aimerait aller en terre seulement les jours de brume et de pluie. Mais non, aujourd'hui il faisait beau, chaud, ciel bleu, et je suis allé aux obsèques de René Merlin, en l'église Saint-Martin. Combien apprendront sa disparition à leur retour de vacances ? Nous étions tout de même de nombreux Saint-Quentinois à l'accompagner une dernière fois ce matin.

René Merlin n'était pour moi ni un ami, ni un collègue, pas même une simple connaissance. Je ne sais trop comment qualifier la relation qui nous unissait et qui m'a fait participer à la cérémonie religieuse. Je dirais finalement que c'était un camarade, même si je réserve habituellement ce terme à un militant socialiste ou laïque. René était un sympathisant de gauche, mais au sens fort de l'expression, de sensibilité communiste (je ne sais pas s'il était adhérent du Parti), assez proche en son temps de la députée socialiste Odette Grzegrzulka.

C'est d'ailleurs par son intermédiaire que j'ai fait la connaissance de René Merlin il y a douze ans. Odette m'avait alors appris toute l'importance politique d'un milieu que j'ignorais, que je connaissais très mal, sur lequel j'avais des préjugés d'homme de gauche mal dégrossi : les associations d'Anciens Combattants. Merlin en était, et au plus haut niveau puisqu'il faisait partie du Conseil National de l'ARAC, une organisation patriotique proche du PCF, historiquement prestigieuse puisqu'elle a été fondée par Henri Barbusse, sur des valeurs progressistes.

Mais cette proximité ne suffit encore pas pour expliquer la camaraderie qui me liait à lui. On ne se voyait pas très souvent, surtout dans les cérémonies patriotiques auxquelles je suis resté fidèle depuis mon arrivée à Saint-Quentin. Mais a-t-on besoin de se rencontrer souvent pour s'apprécier ? C'est aussi de la promiscuité que naissent les haines. René avait pour moi une forme d'affection et d'estime un peu mystérieuse à mes yeux.

La dernière fois qu'on s'est parlé, c'était dans la salle des mariages de l'Hôtel de Ville, pour je ne sais plus quelle remise de décorations. Déjà très fatigué et malade, il était assis sur l'un des bancs de la pièce que l'on ne remarque pas trop quand on est debout. Je ne l'avais d'ailleurs pas vu malgré son petit signe dans ma direction. On m'a fait remarquer que quelqu'un me demandait, j'y suis allé et j'ai échangé quelques mots avec René. C'est tout. Il était content, c'était suffisant pour nous deux, pas besoin d'en dire plus, d'aller plus loin. J'y repense aujourd'hui avec émotion, je me dis que ce sont les petits signes gratuits, sobres, spontanés qui font les grands liens d'humanité, incomparablement mieux que les longues déclarations trompeuses d'amitié.

Un autre souvenir me vient à l'esprit. René habitait rue de la Pomme Rouge et moi rue Jean Jaurès. La frontière entre nous deux, notre égale distance, c'était le boulevard Henri-Martin, et notre point de rencontre, le bar Le Liberty's, où je vais acheter la presse. Un jour, il m'a dit qu'il lisait mon blog. Je n'en revenais pas ! Je ne l'imaginais pas internaute ni lecteur de mes billets. Décidément, là aussi je suis mal dégrossi et victime des préjugés !

Cette révélation, c'est bête à avouer, m'a également ému. Car si je fais de la politique, si je prends la peine d'écrire chaque jour et de me battre alors que le contexte local ne m'est pas favorable, alors que certains de mes propres camarades m'ignorent ou me dénigrent, c'est parce qu'il y a des personnes comme René Merlin, aux yeux desquelles mon action prend tout son sens et sa justification, pour lesquelles j'irai jusqu'au bout de mon intention, c'est-à-dire la victoire sur les forces de droite. Certains pourront toujours sourire, René était de ceux qui avaient pour moi de la considération. Je le dis sans vanité, parce que je crois que c'est la vérité. D'ailleurs, à l'heure de la mort, il ne reste rien d'autres que la tristesse et la vérité.

Ce matin, pour bien marquer l'importance de René Merlin dans la ville de Saint-Quentin, la Municipalité s'était fait représenter officiellement par Christian Huguet, et plusieurs adjoints étaient présents, Alain Gibout, Alexis Grandin, René Huel, hommes de droite rendant hommage à un homme de gauche. Étaient là également le communiste Georges Ravennes et tant d'autres que je n'ai pas notés. Antoine Crestani, de l'ARAC, a fait un émouvant éloge du disparu, "un ami, un camarade", a-t-il dit. Les porte-drapeaux donnaient de la solennité à la cérémonie, qui s'est terminée, détail qui ne trompe pas, sur des chansons de Jean Ferrat (dont le fameux "Camarade").

René était un ouvrier, travaillant dès l'âge de 14 ans, soudeur-chaudronnier, ayant consacré sa vie aux établissements Bontami. A l'ARAC, il aidait à débrouiller des dossiers compliqués pour obtenir une pension, et il réussissait. Il a été le serviteur modeste d'une cause, sans doute pas aussi parfait que les éloges que suscite sa mort. Mais nous sommes tous ainsi dans le monde des militants, imparfaits mais convaincus et actifs. Il n'y a aucun mérite à ça, nulle récompense à en attendre, seulement la mémoire à entretenir et la vérité à respecter. Je connais la force de l'oubli mais j'aimerais, parmi tant de noms et de visages qui occupent mon esprit, ne pas oublier celui de René Merlin.


Au revoir,
bonne nuit.

1 Comments:

  • En te lisant je me dis voilà quelqu'un que j'aurais aimé rencontrer, écouter. Et aussi avec qui, peut-être, risquer un dialogue calme sur les affaires du monde comme il va et, pourquoi pas, une engueulade respectueuse si impérieuse nécessité. Et pourquoi sommes nous si pudiques, sur nos blogs, dans nos rencontres, dans ce que nous écrivons, à parler des gens que nous aimons, surtout des plus obscurs, avant qu'ils deviennent objets de mémoires d'outre-tombe ? Pourquoi, je n'ai pas de réponse, mais je sais que c'est une pudeur qui affadit nos vies et alambique d'indifférence ce que nous avons à tisser de liens pour le bien commun. C'est une connivence narcissique avec les lassitudes et les défiances de notre âge. Devenir documentariste de nos amitiés serait un bon antidote aux pestilences de l'air du temps.

    By Blogger Ane-Vert, at 1:28 AM  

Enregistrer un commentaire

<< Home