L'Aisne avec DSK

02 janvier 2011

Faut-il s'indigner ?

Bonsoir à toutes et à tous.


Faut-il s'indigner ? Ça pourrait être un beau sujet de dissertation. Pour Stéphane Hessel, la question ne se pose même pas : "Indignez-vous !" c'est le titre de son dernier ouvrage, en passe de devenir un phénomène de société puisqu'il dépasse les 500 000 exemplaires vendus. L'impact médiatique, l'effet de mode et le mimétisme aidant, cet ouvrage va poursuivre sur sa lancée, c'est certain.

Dans ce genre de situation, on est tenté de se réjouir et d'applaudir sans trop réfléchir, simplement pour faire comme tout le monde. Dans la vie, c'est tout de même ce qu'il y a de plus facile. Mais aussi de moins intéressant et de moins libre. Car il n'est pas interdit de réfléchir avant d'applaudir, de ne pas renoncer à l'esprit critique tout en se réjouissant. C'est ce que je vais essayer de faire, nonobstant le conformisme ambiant, au demeurant fort compréhensible et d'une certain façon légitime.

D'abord, je suis heureux qu'un homme de gauche, foncièrement réformiste, partisan déclaré de Martine Aubry, arrache le sentiment d'indignation à l'extrême gauche, qui était jusque-là son domaine réservé. Que l'indignation se soit politiquement déplacée sur l'échiquier politique, c'est très bien. Certes, personne n'a le monopole de ce sentiment, mais ces derniers temps il semblait difficilement compatible avec la social-démocratie gestionnaire. Hessel nous prouve le contraire. Rien que pour ça, je l'en remercie.

Pour autant, suis-je complètement d'accord avec lui ? Pas vraiment. Plus exactement, je soupçonne moins sa démarche, sincère, honnête et utile, que le phénomène qu'elle a déclenché. Pourquoi ? D'abord parce que, excusez la trivialité de ma remarque mais seule la vérité compte et celle-ci est hélas souvent triviale, le succès des ventes s'explique aussi par le bas prix (3 euros) et surtout le nombre limité de pages (20 seulement). Notre société regarde, écoute, elle ne lit plus vraiment. Je ne sais pas d'ailleurs s'il y a lieu de s'en lamenter. Mais c'est un fait, ne l'ignorons pas.

Ensuite, et plus fondamentalement cette fois, Stéphane Hessel se situe à un niveau de généralité fort grand et très sain : critique de la politique de Nicolas Sarkozy et des oligarchies financières. Je suis preneur ! Mais est-ce que cela fait un programme politique, un projet de société ? Non bien sûr. Et c'est là où le phénomène me gêne : il réactive efficacement le bon sens de gauche mais se limite à une déclaration de principes, à des positions morales incontestables et irréprochables, à un humanisme de bon aloi. Ce livre est fait pour ça, mais je crains que l'engouement qu'il provoque soit ambigu : comme si l'opinion préférait la morale à la politique, les principes aux programmes, l'indignation à l'élection.

Je peux bien sûr me tromper, j'exagère peut-être, ma crainte est sans doute excessive, mon pessimiste trop fort. Mais des mouvements d'optimisme, des élans généreux qui aboutissaient malgré tout à une victoire de la droite, j'en ai connus plus d'un, je reste prudent, je me méfie. Dans la société paradoxale qui est la nôtre, je sais que même des électeurs de Sarkozy sont capables d'acheter, de lire et d'apprécier le livre de Hessel ! Et surtout de revoter Sarko !

Et puis, je n'ai pas un tempérament à m'indigner : j'ai la critique fréquente, ça oui, mais l'indignation non. Parce que j'ai la tête froide, l'esprit analytique, le recul spontané. Je rationalise, je ne réagis pas. On ne se refait pas ! L'indignation est une réaction, un élan du coeur : je suis trop cérébral pour y céder, c'est mon petit côté lambertiste, qui ne va pas plus loin que ça, rassurez-vous. Il y aurait tant de choses qui mériteraient qu'on s'indigne qu'on n'en finirait pas ! D'autant que je ne suis pas sûr que l'indignation débouche nécessairement sur l'engagement et le combat politique, qui sont quand même pour moi ce qu'il y a de plus important.

Enfin, une société sans héros, sans saint et sans martyr se cherche inévitablement des modèles. Si "Indignez-vous" avait été signé par un anonyme, je crois qu'il n'aurait eu absolument aucun succès. C'est parce que l'auteur est une figure éminente, un personnage plus qu'une personnalité, un homme du grand âge dépourvu de toute ambition, dont la démarche est entièrement gratuite, qui a un passé de résistant et de déporté, c'est cet aura-là qui le porte, l'élève et le fait admirer par l'opinion. Il faut s'en féliciter sans être dupe des conséquences politiques, en reconnaissant que le phénomène a ses limites. Faut-il s'indigner ? Bien sûr que oui, mais c'est loin de suffire et d'être déterminant.


Bonne soirée.

2 Comments:

  • Emmanuel,

    Une bonne et heureuse année. Bonheur, joie et succès pour 2011. Que souhaitait de plus, ah si, la victoire de la gauche en 2012 et en 2014. A bientôt.

    L.E.

    By Anonymous Anonyme, at 7:40 PM  

  • Merci Laurent, bonne année à toi aussi. Je ne sais pas si tu seras candidat aux cantonales, mais si c'est oui, je te souhaite tout le succès possible.

    By Blogger Emmanuel Mousset, at 8:06 PM  

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