L'Aisne avec DSK

08 janvier 2011

Lendemain de voeux.

Bonjour à toutes et à tous.


Je reviens ce matin sur le discours de Xavier Bertrand d'hier, lors de sa cérémonie des voeux. Sur l'instant, c'est l'image qui prime : la forme éclipse le contenu. Normal d'ailleurs : la politique est autant dans l'apparence que dans le fond. Le maire de Saint-Quentin a donné l'image d'un homme dynamique, rassembleur et plein de projets. En mot : un battant et un gagnant, se projetant à plusieurs reprises dans dix ans, comme si les élections municipales de 2014 étaient déjà pour lui acquises.

Dans ce contexte, quelles sont la place et la marge de manoeuvre laissées à l'opposition ? D'abord, l'opposition doit exister et se montrer. Ses élus, qui sont autant élus du peuple que ceux de droite, devraient figurer sur scène au moment des voeux, majorité ET opposition. La cérémonie est protocolaire et républicaine, ce n'est pas se compromettre que de s'exposer là, mais c'est dire à la population qui regarde que l'opposition aussi est là, fière de ce qu'elle est, sans complexe, gêne ou honte à être minoritaire.

Surtout, il est possible de mener une opposition raisonnable, ferme et respectueuse, lucide et ambitieuse, axée sur les questions locales, faisant la preuve de son utilité, afin de démentir cet avis d'André, chauffeur retraité de 76 ans, dans L'Aisne Nouvelle d'aujourd'hui : "Je pense que Xavier Bertrand va rester maire pendant trente ans" ! Les désirs ne rejoignent pas toujours les réalités, mais qu'on ne sourit pas : ces choses-là se sont déjà vues ...

Il faudrait lire le discours du maire plume à la main et dossiers à côté. Xavier Bertrand s'attribue beaucoup de projets qui relèvent de partenariats, avec le secteur privé (les implantations commerciales), les collectivités territoriales (Département et Région), les services de l'Etat (Rectorat), projets dans lesquels ceux-ci ont un rôle déterminant. Il faudrait également distinguer entre les projets programmés depuis longtemps et les annonces véritablement nouvelles. Car c'est l'habileté et le défaut des catalogues : le foisonnement fait impression et on oublie l'essentiel. Ce n'est pas l'arbre qui cache la forêt, c'est plutôt la forêt qui cache l'arbre.

Les objectifs sont bons, en matière d'emploi et d'enseignement supérieur. Mais il ne faut pas non plus oublier cette remarque de bon sens, que rappelle Olivier Tournay, conseiller municipal d'opposition : "Ça ne fait pas deux mois qu'il est aux manettes, mais c'est 16 ans !" Et puis, je me méfie des arguments chiffrés : à quoi bon faire remarquer que la ville a gagné cette année 335 habitants alors que la baisse est de 15% sur les 35 dernières années ? C'est un petit espoir, rien de plus. L'évolution démographique ne s'évalue que dans la durée.

J'ai un point fort de désaccord avec le maire, peut-être parce que je me suis intéressé au sujet : il s'agit de la vidéo-protection. Il y a trois ans, lorsque Pierre André a mis en place ce dispositif, j'ai approuvé, alors que l'opposition critiquait (je ne reviens pas sur mes arguments). Xavier Bertrand semble vouloir "aller plus loin et plus vite". Plus vite, je ne vois pas pourquoi : un plan de financement et d'installation a été défini, il doit suivre son cours normal. Plus loin, je suis inquiet : Pierre André avait eu la sagesse de limiter le nombre de caméras à un niveau raisonnable pour une ville comme la nôtre, qui connaît des problèmes de délinquance à régler mais qui n'est tout de même pas une cité de grande insécurité. Vouloir beaucoup plus de caméras, non.

Ce qui m'inquiète encore plus, c'est le nouveau principe adopté par le maire et formulé hier : les caméras à la demande, quand un tel ou une telle les souhaitent dans leur rue ou leur quartier. Non, car ce sera très vite une inflation de demandes, où l'intérêt personnel, justifié ou non, l'emportera sur l'intérêt collectif. La vidéo-protection est nécessaire dans les lieux de forte affluence, là où les statistiques et les rapports de la Police prouvent une multiplication des délits ou nuisances. Écouter les doléances de la population est une chose, céder à toutes les réclamations en est une autre. La vidéo-protection doit rester une mesure d'intérêt général, pas de convenance personnelle. Sauf démonstration contraire, je suis défavorable à une extension du programme arrêtée.

Xavier Bertand a eu raison de rappeler le coût du déneigement pendant les fêtes : 400 000 euros. Ce n'est pas une paille ! A ceux qui se plaignent, qui réclament toujours plus et mieux, il est bon d'avoir ces chiffres en tête. Le maire a aussitôt ajouté, et ce fut un point fort de son intervention, qu'il s'engageait, quoi qu'il arrive, à ne pas augmenter les impôts. Voilà, me semble-t-il, un vrai sujet de réflexion pour la gauche : ferions-nous de même si nous étions au pouvoir (car il faut que l'opposition se mette psychologiquement dans cette situation) ?

Je crois de plus en plus que la gauche ne l'emportera qu'en faisant la preuve de ses capacités de gestion. Les idées, les projets, nous pouvons tous en avoir, ce n'est pas si difficile que ça. Mais leur application, leur financement, c'est autre chose, et c'est pourtant ce qui fait toute la différence. Je suis persuadé que bon nombre de Saint-Quentinois ne sont pas politiquement d'accord avec Xavier Bertrand, mais ils sentent que le bonhomme tient la boutique.

En revanche, les bonnes intentions de la gauche ne les convainquent pas qu'elle pourrait gérer la ville. Une gauche de gestion, voilà ce dont nous avons besoin, voilà le plus urgent. Je sais, l'expression n'est pas très jolie, n'excite pas, ne fait pas rêver. Mais que voulons-nous ? Rêver toute notre vie sans jamais accéder aux responsabilités ? Non merci.

Si j'ai cette certitude que la maîtrise de la gestion est primordiale pour l'avenir de la gauche locale, ce n'est pas parce que c'est mon côté strauss-kahnien qui ressort, mais c'est surtout parce que cinq ans de responsabilité à la tête d'une fédération d'associations m'ont appris ce paradoxe, à la limite de la boutade : il vaut mieux une mauvaise politique bien gérée qu'une bonne politique mal gérée, car la première peut révéler d'heureuses surprises tandis que la seconde condamne à de terribles déceptions. Par bonheur la vie n'est pas si tranchée, mais les directions sont bien là : si la gauche n'adopte pas une culture de gestion, la gestion restera marquée par une culture de droite.


Bonne journée.