Bonjour à toutes et à tous.
J'étais hier à Vervins, avec Jean-Pierre Balligand, pour une réunion de notre motion (Aubry). Un seul point à l'ordre du jour : la composition de la
liste socialiste aux régionales, que nous connaîtrons d'ici la fin du mois. J'aime la politique, mais c'est la partie que j'aime le moins dans la politique :
constituer une liste, choisir entre les candidats.
Il y a beaucoup d'appelés mais peu d'élus, c'est la loi du genre.. Il faut donc procéder à une sélection, sacrifier inévitablement des personnes. C'est la tâche qui me semble la plus désagréable et la plus ingrate en politique. Je vais donc dans ce genre de réunion à reculons, en me forçant, et j'en ressors toujours insatisfait. Si je pouvais les éviter, je le ferais volontiers. Mais il faut y aller, les enjeux sont extrêmement importants.
Il me semble aussi que l'élaboration d'une liste réclame des
qualités que je n'ai pas, j'en vois au moins trois :
1- La tactique : elle est nécessaire pour trouver la bonne combinaison, assurer les meilleurs équilibres. Dans
tactique, il y a
tact. J'en suis totalement dépourvu. Autant je me plais et me sens à l'aise dans la
stratégie (les objectifs, le long terme, la ligne politique, les alliances), autant je suis gêné dans la
tactique (les moyens, le court terme, les personnes, le jeu subtil des courants).
2- L'habileté : c'est bien sûr la vertu première du tacticien. L'habileté, c'est savoir utiliser les circonstances, profiter de l'occasion, se saisir du bon moment. Les philosophes stoïciens ont un mot pour désigner cette aptitude : le
kairos. La nature ne m'en a pas fait profiter. J'ai du mal à être pertinent dans l'instant, je ne sais pas improviser. En revanche, dans l'analyse, l'anticipation et la durée, ça va.
3- La psychologie : je suis tout sauf psychologue ! Je n'en éprouve d'ailleurs aucun regret, c'est comme ça, je ne m'en désole pas. Cependant, la psychologie est nécessaire en politique. Il y a même des situations en politique qui sont très peu politiques et presque entièrement psychologiques. Savoir ménager la susceptibilité des uns et flatter la vanité des autres, faire preuve d'une insoupçonnable sincérité apparente ou consoler faussement un prétendant éconduit, se taire quand on s'attend à ce que vous parliez ou parler quand personne ne s'y attend, donner le sentiment que tout va bien quand rien ne va, jouer les désabusés pour cacher qu'on est au plus haut point intéressé, affecter la modestie alors que votre ambition dépasse les portes et fenêtres, c'est une somme de talents et de compétences, une catégorie de l'intelligence,
une forme d'art qui n'est pas permise à n'importe qui, pas à moi en tout cas. J'arrive avec mes gros sabots, je distribue des coups de pied dans le cul,
ça l'fait pas comme disent nos jeunes.
Quand on est extérieur au PS ou même adhérent, on met beaucoup de mystères dans ces réunions où se concocte une liste, un zeste de complot, un chouilla de "tuerie" politique, une bonne dose de manoeuvres personnelles. On a tort. Tout ça est beaucoup plus ennuyeux et administratif qu'excitant et romantique. Le calcul est des plus sommaires : quelques places éligibles qu'il faut se partager, sur
des critères rigoureusement objectifs : la représentation géographique, la proportion des motions, la parité homme-femme, le renouvellement des générations et la préparation de l'avenir. Après, il faut se débrouiller avec tout ça, c'est là où ça devient coton.
De retour de Vervins, je ne pensais déjà plus à Balligand et à notre réunion, mais à
Spinoza et son grand livre,
L'Ethique, dans lequel il utilise une curieuse expression : "
les passions tristes". En général, une passion est joyeuse puisqu'on la choisit et qu'elle nous plaît. Mais Spinoza explique qu'il y a des passions douloureuses, dont on ne peut pas se détacher (c'est la passion) mais qui font mal (c'est la tristesse). Je pense que pour moi
la politique est une passion triste, où les peines sont supérieures aux plaisirs.
Ce qui ne signifie pas bien sûr que les plaisirs n'existent pas ! J'en éprouve au moins deux, rares mains intenses :
1- Être candidat, mener une campagne, affronter l'adversaire, convaincre l'électorat, c'est un moment formidable,
l'essence même de la politique quand on vit dans une République. J'ai été candidat une fois, je ne le serai peut-être plus jamais, c'est pourquoi j'en garde un souvenir intense.
2- Porter la parole de sa motion dans le cadre d'un congrès, aller à l'autre bout du département, en soirée, dans une petite salle de mairie où vous attendent souvent à peine une dizaine de militants, c'est un plaisir que je renouvelle à chaque fois et celui-là au moins, peu nombreux sont ceux qui me le disputent !
3- Il y a un dernier plaisir que je n'ai jamais éprouvé et qu'à Saint-Quentin nous éprouverons dans sûrement très longtemps : celui de remporter une victoire, d'être en responsabilité, de mener à bien des projets. S'il n'y a pas ça en politique, la politique n'est plus rien qu'une distraction pour inactifs.
Pourquoi ce plaisir ici et ce déplaisir là, quand il s'agit de préparer une liste et négocier des candidatures ? Je ne me l'explique pas, il faudrait faire appel à cette science dont j'ai si peu le goût, la psychologie. Il me semble quand même, quand j'y réfléchis bien, pouvoir apporter quelques raisons :
- Je n'ai jamais aimé l'entre-soi, les cercles fermés. Une campagne électorale vous ouvre sur la société. C'est pareil dans mon métier : je reste rarement avec mes collègues enseignants, je préfère me mêler aux autres personnels de l'établissement, aller vers les élèves, les parents. Je ne me sens pas appartenir à un "milieu" (je déteste cette notion, que je laisse à la Mafia), ni à celui des professeurs, ni à celui des socialistes. Je suis certes l'un et l'autre, mais indépendant de ces deux mondes.
- Je suis socialiste, social-démocrate même, mais je n'ai aucune "culture électoraliste". Dans les instances fédérales de mon Parti, auxquelles j'appartiens depuis dix ans, je suis probablement le seul et l'unique à n'être pas élu ou à ne l'avoir jamais été. Je ne fais d'ailleurs rien pour ça, je n'ai pas ça dans les gènes, si j'ose dire.
- Au fond de tout ça, je crois qu'il y a des
causes sociologiques assez paradoxales, étant donné ce que je suis devenu. Pour le dire très brutalement (voilà mes gros sabots !), je me sentirais sûrement plus à l'aise au PCF ou au NPA, qui sont des partis (surtout bien sûr le NPA) qui n'ont pas cette "culture d'élus" qui imprègne totalement le PS. C'est pourquoi j'ai adhéré relativement tard au PS (à l'âge de 35 ans). Venant d'un milieu ouvrier catholique, communiste et cégétiste, les socialistes ont longtemps été pour moi des membres de la petite bourgeoisie, instituteurs laïques rêvant de devenir conseillers municipaux ou généraux. C'est du moins ainsi qu'on se les représentait dans ma famille.
Aujourd'hui (et depuis un certain temps déjà !), j'ai changé ma vision (qui ne change pas ?). Mais quelque chose en moi est resté (on ne change jamais complètement). C'est pourquoi, arrivé à Saint-Quentin il y a onze ans, et bien qu'étant secrétaire de la section socialiste, c'est vers les communistes que je me suis tourné pour militer (au sein du CLRIF, un comité anti-Baur, où ne figurait qu'un seul autre socialiste actif, Yves Mennesson).
A cette époque, les moments d'amitié, d'humanité et de rigolade, c'est avec les communistes (Jean-Luc, Corinne et les autres) que je les ai vécus. Avec mes camarades socialistes (Odette, Maurice et les autres), ç'aurait été impensable ! (qu'importe d'ailleurs, on ne fait pas de la politique pour l'amitié, l'humanité et la rigolade). Encore maintenant, quand je les rencontre dans une manifestation, c'est avec eux, tout gremetziens qu'ils sont et tout opposé à eux que je suis, que j'ai plaisir à discuter. Si quelqu'un devait me guérir de ma passion triste, ce seraient eux. Mais c'est impossible, étant donné ce qu'ils sont et ce que je suis.
Bon dimanche.