L'Aisne avec DSK

31 juillet 2007

Un socialisme bourgeois.

Je poursuis ma réflexion sur les rapports entre socialisme et bourgeoisie, et j'essaie d'esquisser une histoire de ce que j'appelle le socialisme bourgeois:

1789 et 1830 sont des révolutions bourgeoises et républicaines. Ce n'est qu'à partir de 1848 que la contestation devient ouvrière et socialiste, se continuant en 1871 et en 1917 en Russie. 1936 est à la fois un mouvement bourgeois, républicain et ouvrier, socialiste. La gauche et la bourgeoisie ne sont donc pas étrangères l'une à l'autre.

La SFIO, à sa création en 1905, est un parti fortement ouvrier. Il ne le sera plus que partiellement après le congrès de Tour en 1920. Alors, le seul parti vraiment ouvrier sera le PCF (j'appelle "parti ouvrier" une organisation dont les électeurs sont essentiellement des ouvriers et dont les militants et dirigeants sont très majoritairement issus de la classe ouvrière). La SFIO sera ouvrière dans ses fédérations du Nord-Pas-de-Calais et Bouches-du-Rhône. Pour le reste, elle attire les employés, les instituteurs et la petite bourgeoisie.

En 1971, le parti socialiste issu d'Epinay n'est toujours pas un parti ouvrier. Sa base sociale, c'est la petite bourgeoisie d'Etat (les fonctionnaires et singulièrement les enseignants, qu'on ne peut pas ranger parmi les ouvriers et les employés) et la bourgeoisie intellectuelle (artistes, jeunesse estudiantine soixante-huitarde, etc). Cette nature bourgeoise du PS ne posait aucun problème tant que celui-ci était allié à l'authentique parti ouvrier, le PC, qui lui apportait une caution prolétarienne.

En 1984, le PCF rompt avec le PS, quitte le gouvernement, au moment où se met en place, sous la direction de Laurent Fabius et à la suite de l'adoption d'une politique de "rigueur" en 1983, le premier gouvernement ouvertement socialiste bourgeois. Le slogan adopté, en ces années Tapie, est "la France qui gagne" (non plus la France qui lutte) et le Premier ministre réhabilite l'entreprise. La campagne de Mitterrand en 1988 confirme cette tendance, qui ne fait que renvoyer le PS à sa vraie essence, le socialisme bourgeois.

En 2001, cette tendance se renforce, le PS perd les municipales mais remporte deux métropoles qui sont les fiefs de la bourgeoisie, Paris et Lyon. En 2002, Lionel Jospin est cruellement désavoué par la classe ouvrière, dont une partie non négligeable soutient l'extrême droite. Ensuite, tout s'accélère: le phénomène "bobo" met en évidence l'existence d'une catégorie sociale constituée de professions libérales qui optent cependant pour la gauche, le PS est transformé en 2006 par des dizaines de milliers de nouveaux adhérents issus des couches bourgeoises moyennes et supérieurs qui vont massivement soutenir Ségolène Royal, elle-même venue de la bourgeoisie et incarnant celle-ci parfois jusqu'à la caricature.

En 2007, l'incroyable score de Bayrou à la présidentielle, rendu possible par un apport important de voix socialistes, est la dernière preuve de l'existence de ce socialisme bourgeois qui se cherche et qui ne s'assume pas toujours. Aux prochaines municipales, en 2008, c'est lui qui pourrait créer la surprise, comme il l'a fait au second tour des législatives, en faisant basculer à gauche de nouvelles métropoles bourgeoises, en premier lieu Bordeaux, alors que les anciennes villes ouvrières et communistes du Nord (Saint-Quentin, Valenciennes) vont probablement demeurer ancrées à droite.

Telle est l'histoire de ce socialisme bourgeois que j'ai brossée à grands traits, qui reste à construire intellectuellement et surtout, politiquement, à assumer.


Bon après-midi (je vais manifester à 14h30 contre la loi sur le service minimum).

Obscure clarté.

Bonjour à toutes et à tous.

C'est aujourd'hui la journée d'action contre la loi sur le service minimum, en réalité loi pour la grève minimum. Il faut bien sûr participer et s'opposer. Le ministre du travail était ce matin au micro de RTL. Il veut, dit-il, la clarté sur ce projet. J'ai pris une feuille, un stylo et j'ai noté précisément ses propos. J'ai trouvé beaucoup de choses, sauf la clarté. A moins qu'il ne s'agisse de cette "obscure clarté" dont parlait le poète. Jugez en par vous mêmes:

1- Xavier Bertrand affirme qu'un salarié qui n'aurait pas déclaré préalablement son intention de faire grève aurait tout de même le droit de faire grève le jour venu. Donc, argumente-t-il, le droit de grève n'est pas du tout menacé.

Certes, mais des sanctions sont prévues pour celui qui ne s'est pas déclaré gréviste 48 heures avant et qui fait grève quand même. Donc, selon Bertrand, on est libre de faire grève tout en étant sanctionné d'avoir fait grève. C'est une conception inédite de la liberté: la liberté garantie mais sanctionnée!

2- A propos des sanctions, quelles seront-elles? Précision du ministre, que je cite mot à mot: En cas de non respect du préavis individuel de grève, "il peut y avoir des sanctions disciplinaires".

Je ne comprends pas: il peut ou il y aura? Que signifie cette "possibilité"? Est-ce une menace qui ne se réaliserait pas nécessairement? Pourquoi alors parler de sanctions puisqu'il n'y en aura peut-être pas? Et s'il y en a, ne seront-elles pas alors purement arbitraires? Et quelles seront précisément ces sanctions? Pas clair, vraiment pas clair du tout.

3- Les sanctions, annonce le ministre, seront celles prévues dans le Code du travail. Sous-entendu: ne vous inquiétez pas, rien de nouveau sous le soleil.

Sauf que ce n'est pas clair: il ne peut pas exister des sanctions contre une infraction (le non respect du préavis individuel de grève) qui n'existe pas encore!

4- Ce dispositif sera-t-il étendu à d'autres secteurs de la Fonction Publique et pourquoi pas du privé? Réponse du ministre: "pour le reste, il n'y a aucun tabou." C'est peut-être la seule clarté de son intervention, et encore, les intentions ne sont pas précisément exposées, puisque que Bertrand insiste: pour l'instant, ça ne concerne que les transports.

Quand il y a un préavis collectif de grève, mes élèves (de Terminale) me demandent la veille si je vais faire grève, afin qu'ils ne se déplacent pas pour rien. Je leur annonce alors que oui ou que non. C'est une sorte de préavis individuel, purement volontaire, dans le but de ne pas nuire inutilement à mes élèves. Je ne suis pas hostile à cela puisque je le pratique. De là à en faire un texte de loi et surtout de sanctionner quand le préavis n'est pas signifié, je dis non à Monsieur Bertrand.

Bonne matinée.

30 juillet 2007

1977, 2007, 2037.

Dans Mes Fauves de Jean-Marie Rouart, je lis le discours prononcé le 16 décembre 2004 par celui-ci lorsque Giscard a été élu académicien. Vous devez vous dire que j'ai beaucoup de temps à perdre dans de telles lectures, même en vacances! Erreur, c'est politiquement passionnant et d'un intérêt qu'on ignore trop souvent, l'intérêt rétrospectif. Nous sommes obnubilés par le présent et nous attendons le futur. Ce présent, j'aimerais qu'on le confronte plus souvent avec le passé. Pour bien juger Sarkozy en 2007, revenez à Giscard 30 ans plus tôt, et vous comprendrez, comme moi ce matin (mais c'est une confirmation, je le savais), combien la politique actuelle de la droite est conservatrice et réactionnaire, deux adjectifs qu'on utilisait souvent dans les années 70 quand on était de gauche et qu'on voulait porter un jugement sur ... Giscard.

La mémoire fait souvent défaut, surtout en politique. Je cite quelques réformes giscardiennes, certaines très connues, d'autres moins:

Suppression du délit d'injure au chef de l'Etat,, élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, abaissement de la majorité à 18 ans, consentement mutuel dans le divorce, généralisation de la Sécurité sociale, création du collège unique, réforme de l'ORTF, , regroupement familial en matière d'immigration, création d'un secrétariat à la Condition pénitentiaire, d'un autre à la Condition féminine, contaception libre et gratuite, loi sur l'avortement, questions d'actualité à l'Assemblée, taxation des plus-values, participation à la construction européenne, ...

Quand on parcourt cette liste, qu'on y réfléchit bien, quand on compare avec les mesures de Sarkozy, quelque chose de brutal saute aux yeux: Giscard, cet homme de droite que j'ai tant détesté quand j'avais 18 ans, était en réalité un homme de gauche! Bon, ce n'est vrai que par comparaison avec aujourd'hui, et globalement. Disons plus objectivement que Giscard a été un libéral éclairé, un centriste de progrès. Mais quand je vois ce qu'il a fait, je me demande même si une certaine gauche serait prête à aller aussi loin!

En tout cas, pour que Sarkozy puisse comme Giscard passer pour un homme de gauche dans 30 ans (j'aurai 87 ans, c'est jouable, non?), il faudrait alors, en 2037, que les descendants de Le Pen soient au pouvoir. Ce n'est qu'à cette condition, dans cette comparaison, que Sarkozy deviendrait rétrospectivement un homme de progrès. J'espère atteindre cet âge, j'espère ne pas connaitre cette situation.

Bon après-midi.

Voiture avec chauffeur.

Bonjour à toutes et à tous.

Je vous parlais hier des signes distinctifs d'appartenance à la bourgeoisie, en repérant quatre, parmi lesquels le pouvoir. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ces signes renvoient autant à des réalités qu'à des symboles. Au Parlement, lieu de pouvoir, il y a très peu d'ouvriers, c'est une réalité. Parmi les symboles du pouvoir, il y en a un que j'aimerais ce matin soumettre à votre réflexion, le hasard faisant que je l'ai rencontré à plusieurs reprises ces derniers temps: la jouissance d'une voiture avec chauffeur.

Dans l'éditorial de Philippe Val consacré aux suicides chez Peugeot, il montre que le pouvoir du cadre supérieur sur l'ouvrier, le fait que l'un soit bourgeois et l'autre pas, c'est que le premier jouit d'une place réservée à son véhicule dans le parking de l'entreprise. J'ai dit aussi, hier, que l'ouvrier, dans sa tentative, la plupart du temps vaine, de s'embourgeoiser, exhibait parfois un véhicule aussi beau, aussi gros que celui du patron (du moins dans les petites entreprises). La lutte des classes prend ici des allures de revanche sociale purement symbolique, puisque l'ouvrier n'est pas mieux payé pour autant. Le cadre supérieur, lui aussi, tout à son plaisir de posséder la place de parking qui marque son territoire et prouve son élévation sociale, demeure dans le symbolique. Il n'aura pas la voiture de fonction avec chauffeur, qui est le signe du vrai pouvoir, celui du patron.

Je me demande si la lutte des classes ne s'est pas déplacée dans les niveaux moyens et supérieurs de la société, du moins la lutte de classes porteuse d'émancipation et débouchant, peut-être, sur un changement de pouvoir, un processus de transformation sociale (je serai tenté d'utiliser le terme de révolution, mais je crains qu'il n'égare le lecteur, laissant croire à un renversement violent). Il y a toujours lutte de classes du côté de la classe ouvrière, mais stérile et même réactionnaire, lorsque ouvriers, employés, exclus, petits fonctionnaires, strates inférieures des classes moyennes s'affrontent politiquement (tout militant a mille fois entendu les critiques ouvrières contre le chômeur, rmiste et autre allocataire social) et se jalousent socialement.

La lutte de classes porteuse d'avenir est celle qui menace le pouvoir des dirigeants d'entreprise: peut-il exister longtemps une classe qui "encadre" les ouvriers et employés sans disposer du pouvoir de décision, réservé aux présidents, directeurs, administrateurs, managers, actionnaires des entreprises? Il y a là une contradiction lourde de bouleversements futurs. D'autant que les cadres, surtout supérieurs, disposent d'un capital culturel et politique qui les met en situation de s'opposer aux patrons. C'est autre chose qu'une simple place de parking...

L'une des grandes leçons de Marx, c'est que le pouvoir ne peut être renversé que par le pouvoir, ce qu'on appelle une révolution. Les gueux se révoltent, ils ne font pas la révolution, ils n'accélèrent pas le cours de l'Histoire. La lutte encore cachée entre cadres supérieurs et grand patronat est peut-être l'équivalent de la lutte entre bourgeois et aristocrates au XVIIIème siècle. La victoire des premiers sur les seconds va-t-elle entraîner l'émergence d'un nouveau mode de production, qu'on pourra qualifier de socialiste? Quelles seront ses caractéristiques, quelle nouvelle société va en surgir? Ce ne sont que des questions! En tout cas, le ralliement électoral des cadres supérieurs au PS est un phénomène politique qu'il faudrait étudier de près, se demander quel est son sens et de quoi il est porteur.

J'en reviens à la voiture de fonction avec chauffeur, et je lis dans Charlie, coïncidence, ce propos du cinéaste Francesco Rosi: "un homme juste dans une société juste, s'il travaille pour l'Etat, se doit de prendre les moyens publics. Et non pas une voiture privée avec chauffeur."

Je me souviens d'une anecdote durant la campagne des présidentielles à Saint-Quentin, lors du meeting socialiste, auquel participait le premier vice-président du Conseil Général, venu en voiture avec chauffeur. Normal, quand on connait le travail d'un élu à ce niveau, quand on sait que les trajets dévorent un temps précieux qu'on peut mettre à profit quand quelqu'un d'autre conduit. Rien de choquant, donc. Et pourtant, un camarade s'est permis une remarque, en me disant qu'il aurait mieux valu que la voiture et le chauffeur attendent un peu plus loin, à l'abri des regards. Pour ce camarade, incontestablement, la voiture et le chauffeur renvoyaient au symbole bourgeois du pouvoir, et cela, même utilitaire, ne s'accordait pas avec l'image qu'il se faisait du socialisme. En même temps, sa remarque ne le conduisait nullement à la contestation (ce qui aurait été logique) mais à la pure hypocrisie (jouir du pouvoir mais en toute discrétion).

Je vous laisse, mon chauffeur m'attend (c'est une plaisanterie, j'ai une bagnole toute pourrie, que voulez-vous, je ne suis pas bourgeois!)


Bonne matinée.

29 juillet 2007

Qui est bourgeois?

Bonsoir à toutes et à tous.

Je me suis demandé hier si le parti socialiste ne devrait pas s'appuyer sur la fraction la plus aliénée mais aussi la plus éclairée de la bourgeoisie, victime d'une exploitation pacifique mais authentique, porteuse en même temps de capacités d'émancipation, toutes conditions historiques qui n'appartiennent plus aujourd'hui à la classe ouvrière comme il a pu en être au XIXème siècle. Je rappelle aussi que je pense tout haut, avec vous, sous votre surveillance, je cherche des réponses, j'ébauche des solutions, c'est hypothétique, peut-être absurde, mais c'est cela, réfléchir. Et puis, je suis libre, vous aussi, animés par le souci de raisonner correctement, de contribuer à la refondation social-démocrate du parti socialiste.

En ce début de soirée, je me pose la question: qui est bourgeois? Je réponds spontanément: pas moi! Je ne le suis pas, historiquement, culturellement, je ne me sens pas bourgeois. Mais être bourgeois, c'est quoi? Pour moi, c'est adhérer aux conventions et convenances sociales, quelles qu'elles soient. Pas mal de socialistes ont un esprit bourgeois. Pourquoi pas, il y a pire dans la vie. Un bourgeois est toujours du côté de la société. C'est un conformiste. Il aime ce qu'il est de bon ton d'aimer. Il sera socialiste si c'est dans l'air du temps, ce sera alors un bourgeois socialiste (j'en connais quelques uns, souvent plus à gauche que moi!). Je ne peux pas être politiquement bourgeois parce que, en tant que socialiste, je suis pour l'émancipation de l'individu, contre une société toujours plus ou moins oppressante, même quand elle est libérale.

Mais être bourgeois, c'est aussi autre chose, la manifestation de quatre signes distinctifs qui constituent vraiment l'appartenance à la bourgeoisie: le pouvoir, le savoir, la richesse, la propriété. Si vous les avez tous, à quelque degré que ce soit, cher lecteur, ne cherchez plus, vous êtes un pur bourgeois. Il peut cependant y avoir des demi-bourgeois, qui ont les uns et pas les autres. Pour ma part, parmi les quatre, j'en détiens un, plus ou moins bien, cherchez lequel, mais c'est trop peu pour faire de moi un bourgeois, même en faisant semblant!

Si on ne choisit pas d'être bourgeois, faut-il être anti-bourgeois? La gauche traditionnellement critique la bourgeoisie. Elle n'a pas entièrement raison. Personnellement, n'étant pas bourgeois, je ne suis pas non plus anti. Marx montre que la bourgeoisie a joué dans l'Histoire un rôle essentiellement révolutionnaire, en libérant les forces de production, en préparant la voie au socialisme. Et puis, j'ai souvent remarqué que le grand chic chez un bourgeois, surtout chez le petit bourgeois, c'est d'être anti-bourgeois. Je me garde donc de l'imiter.

Je remarque également, dans notre société, que le rêve social, c'est de s'embourgeoiser. Avoir voiture, vacances, maison, à peu prêt comme son patron, mais à coup de crédits et avec une rémunération dérisoire par rapport à lui, n'est-ce pas la finalité, respectable, de l'ouvrier? Prenez ce que Marx appelait le lumpenprolétariat, aujourd'hui les voyous des cités miséreuses, ils ne rêvent que de porter des "marques" et circuler en belles bagnoles. Comme les enfants avides de consommation, l'ouvrier et le délinquant sont devenus, malgré eux, des agents du capitalisme.

La résistance au capitalisme, encore embryonnaire j'en conviens, pas totalement consciente d'elle-même, c'est du côté d'une partie de la bourgeoisie que je la sens. Le cadre supérieur désabusé par son travail, sachant que la vraie vie est ailleurs, jouissant certes d'une existence aisée mais ne pouvant jamais atteindre le niveau de vie de ses patrons et des actionnaires de son entreprise, cet individu-là est peut-être l'agent révolutionnaire de notre temps, l'élément subversif, le grain de sable dans le système capitaliste.

Quelles sont actuellement ses armes de résistance? La dérision, la paresse et la vulgarité. Se moquer de tout, à la façon des Guignols de l'Info et de l'humour Canal, ne pas trop en faire au bureau, surfer sur les sites pornos, adopter les moeurs populaires. Bien sûr, tout cela ne fait pas un révolutionnaire, mais quelque chose est en gestation, une prise de conscience, un début de contestation, une alternative au sarkozysme ambiant ...

Voilà ce que je sens. Qu'en pensez-vous? Je m'égare ou je suis sur la bonne voie?


Bourgeois ou pas, je vous souhaite une bonne soirée.

35h à l'hôpital.

Toujours à ma lecture de Charlie, j'en arrive, page six, à la rubrique de Patrick Pelloux, médecin urgentiste, dont j'apprécie la rubrique hebdomadaire. Et j'en profite pour préciser mon point de vue, développé ces dernières heures, sur les classes sociales, afin d'éviter tout malentendu: si je crois que l'appartenance sociale conditionne la conscience individuelle, je ne prétends pas que nous soyons entièrement déterminés par notre milieu social. La plupart des médecins votent à droite, ce qui n'empêche pas certains, comme Patrick Pelloux, d'être de gauche.

Je m'attarde cet après-midi sur l'article de Pelloux parce qu'il aborde un sujet, les 35 heures à l'hôpital, à propos duquel j'entends beaucoup de bêtises: les 35 heures étaient inapplicables dans les hôpitaux, cette réforme a désorganisé le travail des personnels, ceux-ci ont désormais beaucoup plus de travail et de stress, ce n'était vraiment pas une priorité, etc. Patrick Pelloux connaît bien ce sujet, c'est pourquoi il est utile de l'écouter, pour faire tomber bien des préjugés:

"Avec l'application de la RTT, c'est une révolution culturelle qui a commencé dans les hôpitaux: on rattrapait un retard social qui s'était accumulé pendant des années, on revalorisait le travail de nuit et on s'interrogeait sur l'importance de l'organisation du temps de travail médical (...) S'il y a un secteur où l'aménagement du temps de travail est indispensable, c'est bien l'hôpital."

Pour mettre en place cette RTT injustement décriée, les socialistes ont inventé les comptes épargne-temps. Un rapport vient de sortir à ce sujet, c'est édifiant: 2,2 millions de journées ont été accumulées sur ces comptes épargne-temps, ce qui équivaut à 4800 emplois de médecins et à 534 millions d'euros qui sont dus au personnel

Pelloux signale aussi quelque choGrasse que j'ignorais, une directive européenne de 1993, modifiée en 2000, qui impose une baisse et un aménagement du temps de travail des médecins. Sa conclusion est imparable:

"La droite a désigné les 35 heures comme le coupable de tous les maux, alors que ce sont les budgets des hôpitaux qui n'ont pas suivi. Et c'est tout le système hospitalier qui a été déstabilisé."

Je vous recommande cet article, court et précis, qui en dit plus long que bien des rapports volumineux et laborieux.

Alors, camarade médecin, encore un effort pour être de gauche!


A plus tard.

Liberté-liberté-liberté.

Je doutais ce matin du souci d'égalité de la droite, dans mon billet "Grève minimum", comme j'en doutais il y a quelques jours, dans un autre billet, "La droite profonde". Je ne polémique pas, je lis et je constate. Justement, en cette fin de matinée, parcourant Charlie-Hebdo de la semaine, je tombe page trois sur l'article d'Anne-Sophie Mercier, qui va dans mon sens. Elle rapporte une phrase de Nicolas Sarkozy dans son ouvrage "Libre", paru en 2006:

"La République, ce n'est pas l'égalité, c'est l'équité." Ah bon? Et la devise sur les murs des écoles, des mairies et des palais officiels de la République?

Le même Sarkozy, dans son discours au congrès de l'UMP du Bourget, le 28 novembre 2004, a confirmé son rejet de l'égalité:

"Le nivellement, l'assistanat, l'égalitarisme, ne font pas partie de notre corpus de valeurs." Au moins, c'est clair et net. Avec une petite pudeur tout de même: n'osant pas accabler directement l'égalité, qui fait tout de même partie des Droits de l'Homme, la droite s'en prend à l'égalitarisme.

Anne-Sophie Mercier récuse intelligemment tous ces propos:

"(...) ce qui est grave, c'est que ce discours ait fini par acquérir la force de l'évidence pour une majorité de l'opinion. Car enfin, les inégalités de revenus sont-elles, dans notre pays, étroitement corrélées aux heures passées à travailler? Difficile, sans rire, d'affirmer pareille contre-vérité. Difficile aussi de fustiger l'égalitarisme dans un pays où les inégalités n'ont cessé de se développer depuis presque vingt ans. Les inégalités de revenu ont baissé jusqu'en 1990 et ont recommencé à croître depuis. Quant aux inégalités de patrimoine, elles n'ont, elles aussi, pas cessé de se creuser. "

Anne-Sophie termine en soulignant qu'en France, les deux moyens de s'élever socialement, le patrimoine et la culture, s'acquièrent généralement par héritage.

Je crois avoir compris quelque chose. Sarkozy, qui est plein d'idées, nous prépare une nouvelle devise "républicaine": liberté-liberté-liberté, laissant l'égalité et la fraternité à la gauche.

Bon après-midi.

Grève minimum..

Sur le service minimum en cas de grève, le ministre du travail Xavier Bertrand semble flottant. C'est surtout l'obligation de se déclarer gréviste deux jours avant de faire grève qui suscite la colère des syndicats. Un jour le ministre sous-entend qu'un salarié pourra changer d'avis au dernier moment, faire grève alors qu'il n'y songeait pas, sans subir de sanction. Un autre jour, il affirme que les sanctions tomberont pour tout gréviste non déclaré. Un jour il n'exclut pas d'étendre ce dispositif à l'Education Nationale, un autre jour qu'il n'en est pas question.

Un ministre peu sûr de lui? Peut-être, mais surtout, pour le voir agir dans ma ville où il est maire-adjoint, un homme habile et souple en matière de convictions. Le double langage permet dans une négociation d'amadouer un temps les interlocuteurs. Et puis, Bertrand est un homme de pouvoir qui sait que la règle d'or est de toujours parler comme le pouvoir. Fillion a songé tout haut à appliquer le service minimum à l'Education, Bertrand a suivi. Darcos, sur ordre de Sarkozy qui, pas bête, a compris qu'il était inutile de se mettre les enseignants sur le dos, a exclu l'imprudente suggestion du premier ministre, Bertrand a suivi.

Je ne redirai pas tout le mal que je pense de cette tentative de restreindre la capacité de faire grève, je pointerai seulement deux anomalies:

1- Pourquoi demander au seul gréviste de se déclarer gréviste? Par souci d'égalité, et pour une pleine efficacité dans la mise en place du service minimum,, je demande au ministre du travail de faire remplir à tous les salariés, sans distinction, un même formulaire de déclaration de grève ou de non grève.

2- Dans la suite de mon raisonnement (où je fais l'effort, remarquez-le, d'admettre le projet du gouvernement, quand le vin est tiré, il faut le boire), pourquoi ne sanctionner que les salariés qui feront grève sans avoir prévenu? Par souci d'égalité et afin de ne pas encourager à fausser les prévisions, je demande au ministre du travail de sanctionner aussi les salariés qui, ayant signé leur intention de faire grève, ne l'auraient pas honoré en se désistant le jour-même.

Je ne douterais pas d'être entendu si je n'avais pas un petit doute sur le souci d'égalité de la droite (voir mon billet d'il y a quelques jours sur les propos de Serge Dassault) et sur sa véritable intention (installer un service minimum à partir de statistiques fiables ou restreindre au minimum les grèves, sans s'interroger sur la question de leur bien fondé). Le mot d'ordre de la droite, ce n'est pas service minimum mais grève minimum.

Bonne matinée.

Paquet mal ficelé.

Bonjour à toutes et à tous.

Le Sénat a adopté dans la nuit de vendredi à samedi le "paquet fiscal" du gouvernement. Je remarque que la sage assemblée se rapproche ces dernières années d'un vrai parlement avec débats contradictoires et passionnés. Après tout, ne peut-on pas concilier sagesse et passion? Autour du "paquet fiscal", les interventions des sénateurs laissent même entrevoir une opposition ... de droite à la droite. J'exagère, c'est vrai, mais la remarque n'est pas totalement fausse, si j'en crois que le compte-rendu du Monde du 27 juillet:

"Le président de la commission des finances du Sénat, Jean Arthuis, exprime quant à lui des doutes sérieux sur la "soutenabilité" des objectifs de ce projet de loi (...) Le sénateur (UC-UDF) de la Mayenne se dit réservé sur l'efficacité de ces mesures, dont il n'est pas certain qu'elles contribueronnt à doper la croissance (...) M. Arthuis n'est pas convaincu que les avantages fiscaux accordés par ce projet de loi aux catégories supérieures seront réinjectés dans le circuit économique et favoriseront les créations d'emplois."

Je cite maintenant Jean Arthuis directement:

"Je persiste à penser que quelques-unes de ces mesures sont peut-être coûteuses par rapport à ce qu'on peut en attendre."

Oh, ce n'est pas une déclaration de guerre, ni même une esquisse de divorce. C'est modéré, centriste, sage, sénatorial, mais c'est un doute, une inquiétude sur les résultats de ce "paquet fiscal". Et il y a de quoi. Rappelons les chiffres, tel que Philippe Mariani, rapporteur du projet, UMP, les a présentés: si l'on veut l'équilibre des finances publiques, il faudra une croissance de 2,5% et 85 milliards d'économies, pour un projet qui coûtera 13,8 milliards.

Bon dimanche.

28 juillet 2007

Notre base sociale.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je poursuis ma réflexion d'hier par la question suivante: quelle doit être la base sociale du parti socialiste? Tout électorat se constitue à partir d'une base sociale. Il n'y a pas individualisme absolu qui ferait que chaque citoyen voterait en son âme et conscience, dans une démarche purement personnelle, libre et rationnelle (si tel était le cas, idéal, nous serions en régime socialiste, avec une humanité entièrement émancipée).

La réalité est tout autre: les conditions sociales déterminent fortement nos représentations et nos choix politiques. Tant que la grande majorité des banquiers, notaires, patrons, commerçants, médecins voteront invariablement à droite, comme invariablement il fait froid quand tombe la neige, la position sociale, les intérêts de classe seront prépondérants dans la vie politique et le fonctionnement de la démocratie.

Le jour où les banquiers, notaires, patrons, commerçants et médecins voteront indifférement à droite et à gauche, nous aurons atteint le socialisme. Mais ce jour-là, il n'y aura probablement plus une droite et une gauche, c'est-à-dire des choix politiques et collectifs, mais des choix seulement techniques ou individuels. Nous ne serons pas dans une "société sans classes" mais dans une société où les classes sociales n'auront plus l'exclusivité du pouvoir politique (elles ou leurs représentants politiques).

En attendant ces jours heureux, le PS doit reconstituer sa base sociale, qui ne peut plus être, en son centre, la classe ouvrière, qui a joué son rôle historique et politique au XIXème siècle et dans une bonne moitié du XXème, comme Marx l'avait prédit. Parmi les socialistes revient régulièrement l'idée d'une alliance de classes entre exclus, ouvriers-employés et classes moyennes-petite bourgeoisie, théorisée notamment par Lionel Jospin, reprise du traditionnel "front de classes". Je ne suis pas convaincu par cette formule théorique, qui a politiquement échoué en 2002. Marx déjà s'était heurté au problème de l'alliance entre prolétaires et paysans, sans pouvoir y répondre vraiment. Alors, quelle doit être aujourd'hui notre base sociale?

D'abord, il faut dire que la notion de "classe" sociale chez Marx n'est pas comparable à un tiroir dans lequel on range ses chaussettes, une case strictement déterminée et délimitée. Ses contours sont mouvants, flous, sa réalité est plus thermodynamique que physique ou sociologique. La classe ouvrière par exemple n'existe pas en soi, mais dans la conscience qu'elle se fait d'elle-même, dans la construction politique et syndicale de son unité, à travers le processus économique et historique de son exploitation. Il faut avoir cela à l'esprit dans la recherche de la base sociale à partir de laquelle se reconstruira le socialisme.

J'insiste: la classe ouvrière n'a jamais été homogène. Au XIXème siècle, il y a la masse industielle, les prolétaires, en quoi Marx fonde ses espoirs de révolution, mais aussi une "aristocratie ouvrière" d'artisans et d'ouvriers indépendants soutenus plutôt par les anarchistes. La Commune de Paris en 1871 est plus le fait des seconds que des premiers (d'où l'hésitation de Marx, au départ, à soutenir l'insurrection). Dans les années 1960, il sera beaucoup question de la "nouvelle classe ouvrière" (l'expression est de Serge Mallet), les ouvriers spécialisés et les techniciens. Repérer la classe sociale qui reprendra la tâche d'émancipation des hommes que Marx assignait aux ouvriers de la grande industrie n'est donc pas chose facile.

Prenez les domestiques, valets et employés de maison de l'Ancien Régime. Tout les prédisposait historiquement à jouer un rôle social et politique majeur. Directement exploités par leurs seigneurs et maîtres, souvent lettrés, en tout cas informés de leur situation, non dénués de moyens pour paralyser le système aristocratique, trouvant en Molière un témoin brillant de leur condition, pourquoi ne se sont-ils pas collectivement révoltés, alors que les paysans, beaucoup plus soumis, divisés et ignorants, l'ont fait régulièrement? Rien n'est évident en matière de lutte politique et sociale. Ne cherchons pas actuellement des évidences (pourquoi un ouvrier vote-t-il Sarkozy?) qui n'existaient pas autrefois. Ne négligeons pas non plus les luttes interclasses ou transclasses, le soulèvement historique des femmes tout au long du siècle dernier et des minorités sexuelles, qui elles aussi contribuent à l'avènement du socialisme.

Bonne soirée.

27 juillet 2007

Métro, boulot, caveau.

Bonjour à toutes et à tous.

C'est la première fois (et la dernière?) que je donne au billet de ce blog un titre qui n'est pas de moi mais de Philippe Val, dans son éditorial de Charlie paru mercredi. Il est parfait, je le reprends donc à mon compte. Val évoque ce dont j'ai déjà parlé, six suicides en six mois chez Peugeot. Hypothèse de pensée: et si l'exploitation la plus féroce était aujourd'hui psychologique, alors qu'autrefois, dans les usines de la grande industrie, elle était physique? Et si cette exploitation était d'autant plus terrible qu'elle est invisible et indicible? Et si les exploités de temps modernes n'étaient plus les prolétaires mais les cadres (les suicidés de Peugeot)? Il faudrait alors, à la suite de Marx, refaire une théorie de l'exploitation et de l'aliénation et renouveler la doctrine de la lutte des classes.

D'où viennent l'aliénation et la souffrance sociale du cadre supérieur? De son adhésion à un système de production auquel il s'identifie totalement, en quoi il va chercher le sens de sa vie et qui lui apporte la reconnaissance sociale dont il est épris. Le prolo, lui, s'en fout. Le cadre sup est peut-être devenu le maillon faible du capitalisme, par où celui-ci va craquer, comme craquent individuellement ceux qui le subissent. Déjà des formes de résistance se font sentir, qui ont en elles, qui sait, des potentialités révolutionnaires, comme Marx en avait repéré chez les ouvriers en grève. La paresse, la navigation sur internet, la dérision et la fuite dans le suicide en seraient des signes avant-coureurs, les indices d'un malaise et d'une subversion. N'oublions pas que la classe ouvrière, de son côté, a pratiqué le sabotage des machines, une sorte de destruction de soi, de son outil de travail, avant de parvenir à une plus juste conscience de classe et à une vision plus claire du socialisme, son idéologie émancipatrice, et des moyens cette fois légaux, efficaces (syndicalisation, grève, manifestation) pour y parvenir.

Le parti socialiste refondé devrait songer à ces classes moyennes qui votent désormais beaucoup plus pour lui que ne le fait la classe ouvrière, forger une théorie de l'émancipation en direction de cette bourgeoisie aliénée. Les exploiteurs de celle-ci, ce sont les promoteurs du "gagner plus", l'idéologie dominante et aliénante véhiculée par Sarkozy. Le président a bien compris qu'il fallait saper la culture et l'héritage qui structurent ces classes moyennes, qui leur donnent leurs repères: Mai 1968, ses valeurs, ses objectifs. A nous socialistes de reprendre ce grand mouvement, de l'adapter à notre temps, de le faire revivre, entreprise d'autant plus facile que Mai est au fondement de la société contemporaine. Les ouvriers et les employés suivront, comme ils ont suivi les étudiants bourgeois en 68. La fraction de la bourgeoisie en crise sera la nouvelle avant-garde, la classe sociale ayant une claire conscience de sa situation et des moyens pour la dépasser, comme une fraction de la classe ouvrière, au XIXème siècle, a eu conscience des ravages du capitalisme et des possibilités pour y remédier.

Je cite Philippe Val, ce qu'il écrit rejoignant aussi ce que je pensais hier à propos du Tour de France:

"Les coachs des sportifs comme ceux des cadres supérieurs vous apprennent à être toujours au maximum de vos possibilités. Il est évident que ce type d'idéal est indissociable et sera toujours indissociable du dopage. La drogue et la-vie-considérée-comme-une-performance sont les constituants nécessaires de toutes les vies de cons (...)"

A partir de là, Val distingue entre les "bonnes drogues", celles que la société vend légalement et célèbre, les dopants, et les "mauvaises drogues", jouissives et hallucinatoires, que la société condamne et traque. A quoi j'ajoute que là se trouve l'une des contradictions qui participera à la contestation de notre société: on ne peut pas vanter d'un côté les dopants, excitants, stimulants, relaxants de toute sorte (viagra, etc) et d'un autre côté pourchasser cannabis, cocaïne, héroïne et consorts. Marx nous a appris que la volonté humaine ne suffisait pas à changer la société mais que l'exacerbation des contradictions y avait une part prédominante. Ce qui se passe ces dernier jour sur le Tour de France est l'un de ces signes, mineur mais révélateur.

Je termine par où Philippe Val termine joliment son éditorial:

"La vie est une promenade au cours de laquelle il y a le travail, l'amour, l'amitié, les deuils, les échecs et les réussites. Le plaisir que l'on a à vivre est l'unique justification de la vie. Quand on nous dit que la vie a un sens, et qu'il consiste à travailler plus pour gagner plus, l'échéance de la mort naturelle peut très vite se transformer en désir de mort volontaire."

En mémoire des six de Peugeot, dont le suicide gardera son mystère, qui ne doit pas nous dispenser d'en faire une lecture politique et sociale.


Bonne journée.

26 juillet 2007

Rappelez-vous.

Bonsoir à toutes et à tous.

En lisant Mes fauves de Jean-Marie Rouart, il y a d'utiles rappels de mémoire qui font réfléchir (page 94). La plaie de notre société, c'est qu'on oublie très vite. Se souvient-on qu'en 2006, pendant plusieurs semaines, Ségolène Royal battait Nicolas Sarkozy dans les sondages 52 contre 48? Se souvient-on que l'unique argument de nombreux socialistes étaient celui-là: ton DSK est bien gentil, très compétent, fort expérimenté, admirablement intelligent, incontestablement de gauche, profondément socialiste, mais un défaut efface toutes ces qualités, il n'a pas les sondages pour lui. Le décrochage de Ségolène à partir de 2007 reste un mystère. Elle était la même, pourquoi la magie a-t-elle beaucoup moins opéré?

Autre rappel fort utile: en 2004, dans un sondage IFOP-Journal du Dimanche, 31% des français se déclaraient prêts à voter pour l'extrême gauche. 31%! Même Lénine n'aurait pas rêvé d'un tel chiffre. La France révolutionnaire? On a vu ce qu'il en est advenu aux présidentielles de 2007.

Je reviens à Ségolène et l'entretien de Michel Rocard dans Paris-Match cette semaine: en mars, dit-il, les socialistes n'y croyaient plus, c'était fichu pour elle au vu des sondages qui donnaient Sarkozy invariablement gagnant. Que fît Rocard? Il proposa de remplacer Royal, qui lui répondit qu'un éventuel retrait ne pouvait se faire qu'au profit du Premier secrétaire!

Rocard dit bien d'autres choses qui me semblent profitables de la part de celui qui préfigura, dans les années 70, cette social-démocratie qu'incarne aujourd'hui DSK:

"La gauche ne s'est toujours pas défaite de son rêve d'une économie administrée (...) Il faudra des années pour construire une pensée critique de l'économie de marché."

Tout est là, rien à redire, mais un souhait pour finir ce soir: que plus jamais, je dis bien plus jamais, les socialistes ne fassent des choix, n'élaborent des stratégies, ne définissent des programmes uniquement en vertu des sondages.


Bonne soirée.

Un sale Tour.

Intervention de la police, manifestation de coureurs, bombes de l'ETA, retrait du maillot jaune soupçonné de dopage sous les huées du public, voilà le Tour de France 2007, dont la maladie est ancienne. Ce n'est évidemment pas un problème sportif mais politique, je vous dis pourquoi:

- Le Tour de France, ce n'est pas essentiellement un événement sportif, c'est la France! Le spectacle national le plus populaire est, pour cette raison, un reflet, une image de notre société. C'est aussi la plus connue des représentations de la France dans le monde.

- Le sport n'est pas qu'une activité physique, c'est aussi une idéologie, par conséquent une politique. Le sport draîne des valeurs, des conceptions de la vie qui sont multiples et donc discutables. Il faut choisir entre elles celles qui nous semblent, à nous la gauche, conformes à notre projet.

- Le Tour de France ne doit pas être isolé ou séparé de ce qu'est devenue notre société: diffusion de drogues de toute sorte (le dopage), exaltation de la compétition et de la performance. Comment le Tour ne serait-il pas lui aussi touché par cette "culture" contemporaine?

- Faut-il arrêter le Tour? Oui, j'attends le ministre qui aura ce vrai courage. Sarkozy, hyperactif sans se doper, ne le pourrait-il pas, lui qui a prétendu durant sa campagne: "tout est possible"? Le Tour de France est un modèle, un exemple, un symbole. On ne peut pas d'un côté célébrer le civisme et la citoyenneté et de l'autre laisser faire la triche et l'illégalité. Arrêtons le Tour pour qu'il reparte sur de saines bases.

Bon après-midi, devant ou pas le Tour de France.

La droite profonde.

Bonjour à toutes et à tous.

Il y a environ 600 députés à L'Assemblée Nationale. Combien se font connaître nationalement par leurs travaux ou leurs interventions? Très peu. Dans l'Aisne, nous avons l'exemple de René Dosière, devenu spécialiste des finances de l'Elysée. Sinon, les députés sont les rouages de leur parti politique. Si quelque chose devait changer au Parlement, ce serait pour moi cela. Et si quelque chose est très difficile à changer, car le problème est moins institutionnel que culturel, c'est cela. Le nom de député devrait être remplacé par celui, plus beau, plus vrai, de législateur. Le député ne devrait pas être une super assistante sociale de sa circonscription ni le petit soldat de son parti mais un faiseur de lois.

La Grèce antique honorait les dieux, créateurs du monde, les artistes, créateurs de beauté, et les législateurs, créateurs de lois. Nous en sommes très loins aujourd'hui. Le législateur devrait être un homme ou une femme libre et engagé, et le Parlement un authentique lieu de débats et de fabrication des lois. Nous en sommes très loins. Voilà ce dont j'aimerais voir parler, au lieu des éternelles ritournelles antiparlementaires sur le supposé absentéisme des députés, les invectives dans l'hémicycle et le montant de leur retraite.

Les députés qui parlent peu méritent cependant notre intérêt, car réélus régulièrement pour certains, ils sont le reflet de la France. Jean-Marie Rouart, dans Mes fauves, donne la parole à Serge Dassault, représentatif de ces députés discrets qui n'en traduisent pas moins, en tout cas pour celui-ci, ce qu'est la droite profonde. Je retiens trois extraits significatifs:

- "Je crois que ce qui tue la République c'est l'égalitarisme. L'inégalité, c'est la nature, c'est la vie. Dans la devise de la République, moi je regrette qu'il y ait le mot égalité. Il faudrait le remplacer par dignité ou tolérance. " (page 129)

- "Je trouve scandaleux de parler de mariage homosexuel. C'est de la famille qu'il faut s'occuper, c'est elle la cellule de base." (page 130)

- "On aurait dû commencer par une Europe à deux. Avec l'Allemagne (...) Cette constitution [ le Traité constitutionnel européen], je ne comprends pas très bien son utilité." (page 131)

A ceux, il doit bien encore en exister quelques uns, qui doutent toujours de la différence entre la droite et la gauche, voilà une réponse très claire, même s'il ne faut pas la généraliser à toute personne de droite:

- La droite se méfie de l'égalité.

- La droite honore la famille.

- La droite n'est pas enthousiasmée par l'Europe actuelle.

Et vous? De droite ou de gauche? (ce pourrait être un jeu d'été!)


Bonne journée.

25 juillet 2007

Les trois révolutions.

Bonjour à toutes et à tous.

La grave défaite de la gauche aux présidentielles et la large victoire de Nicolas Sarkozy ne s'expliquent pas fondamentalement par la personnalité des candidats ou la tenue de leurs campagnes, mais par trois raisons, trois ruptures, trois révolutions culturelles qui ont affecté la société française ces dernières années:

1- La révolution de l'argent.

Vieux pays catholique, pétri de communisme égalitaire, société aristocratique pendant des siècles, les français ont eu longtemps un préjugé négatif envers l'argent. La droite n'en parlait pas, la gauche se battait pour l'amélioration des salaires, mais collectivement, dans un but de solidarité. Ces dernière années, le complexe des français à l'égard de l'argent s'est considérablement atténué. On en parle, on boursicote, on joue avec lui et pour lui dans les bistrots, on regarde à la télé les émissions qui font rêver d'argent et parfois en gagner. L'effacement structurel et culturel de l'Eglise catholique et du Parti communiste, qui condamnaient l'argent, est pour beaucoup dans la réhabilitation de celui-ci. A quoi s'ajoute l'américanisation de nos moeurs depuis près d'un siècle, mais qui s'est accentuée depuis une trentaine d'année.Résultat: quand les français entendent Sarkozy leur proposer de "travailler plus pour gagner plus", c'est la fin de la formule qui les interpelle.

2- La révolution de la pauvreté.

Le catholicisme donnait du pauvre une image très positive. Le communisme a pris la relève avec la figure du prolétaire, l'exploité qui se révolte. D'où une volonté, ancrée dans la culture nationale, de secourir le malheureux et de dénoncer "les gros". Ces dernières années, il y a eu là aussi retournement de l'opinion. Le riche est perçu de façon plus indulgente, sa situation est renvoyée à ses mérites et qualités. Le pauvre en revanche ne soulève plus vraiment la pitié, sauf l'extrême miséreux. Les pauvres sont considérés, d'un mauvail oeil, comme des "assistés", terme extrêmement négatif alors qu'il ne fait que désigner ceux que la société protège parce qu'ils ne le peuvent pas d'eux-mêmes. La dénonciation de l'assistanat, longtemps réservée à la droite, est devenu un réflexe généralisé, y compris chez des militants très à gauche. La droite a gagné sur ce point une immense bataille culturelle.

3- La révolution de la famille.

La famille a longtemps été vécue comme une fatalité biologique et une nécessité sociale. Aujourd'hui, les enquêtes le montrent, elle est perçue comme la première condition du bonheur et le résultat d'un libre choix. Elle est donc surévaluée par rapport au passé. Même les homosexuels veulent fonder une famille! Parallèlement, le couple et le mariage sont en crise, puisque près de la moitié débouche sur la séparation. Plus le couple se délite, plus la famille doit se renforcer, puisque le premier est le pivot du second. Si le rapport homme-femme (le couple) devient de plus en plus problématique et relâché, le rapport parents- enfants (la famille) se resserre et est valorisé. Voyez le succès sociologique du film Tanguy. Or, ce qui fait la valeur d'une chose, surtout dans notre société, c'est l'argent. Il n'est donc pas surprenant que la proposition la plus réactionnaire de Sarkozy, la quasi suppression des droits de succession, soit aussi la plus populaire.

Que doit maintenant faire la gauche, qui culturellement critiquait l'argent, soutenait les pauvres et contestait la famille? A ce stade de ma réflexion personnelle, je n'en sais trop rien, j'en suis plutôt au diagnostic, pas vraiment encore aux remèdes. Ce que je sais, c'est que désormais plus rien ne sera comme avant et que la gauche ne peut plus être la même, tout en devant rester la gauche: pas facile!

Bonne matinée.

24 juillet 2007

Implosion et refondation.

Bonsoir à toutes et à tous.

Des rénovateurs socialistes se sont réunis vendredi à Evry, une centaine, à l'initiative de Gaëtan Gorce, Arnaud Montebourg, Manuel Valls. Beaucoup de partisans de Ségolène Royal, mais aucun de ses plus proches (Julien Dray, Delphine Batho). Bref, des "ségolènistes" critiques, et même, d'après Libération du 22 juillet, "une poignée de proches de Dominique Strauss-Kahn". Très bien, le courant social-démocrate ne doit pas se replier sur lui-même mais semer pour demain récolter. Après le rapprochement avec de jeunes fabiusiens, celui-ci est le bienvenu. Il faut discuter... Certes, je trouve Montebourg un peu volage et la rumeur qui annonce un Valls présidentiable assez ridicule. Mais il faut faire l'effort d'aller les uns vers les autres. Valls prétendait hier sur RMC vouloir faire "imploser" le PS. Je ne sais pas s'il faut aller jusque là, mais la situation doit absolument bouger. En tout cas, je m'y emploierai, à mon modeste niveau, avec mes faibles moyens, dans ma section, à Saint-Quentin.

J'ai un extrait de Jean-Marie Rouart à vous proposer, des propos de Ségolène Royal qui me semblent intéressants à reprendre:

"Il n'y a aucune raison pour que les entreprises qui ne sont pas confrontées à la concurrence internationale précarisent leurs salariés. Regardez le secteur de la grande distribution, qui est le plus féroce en matière sociale (...) et qui, en même temps, réalise de très gros profits. Il n'y a aucune raison de lui accorder des allégements de charges ou de lui permettre une plus grande flexibilité du travail. En revanche, il faut aider les entreprises confrontées à la concurrence internationale, qui ont besoin de s'adapter en permanence (...) Alors oui, on peut leur accorder une certaine souplesse. Mais à condition que ce ne soit pas le seul salarié qui supporte les conséquences de cette souplesse. L'Etat doit alors assurer un filet de sécurité à ces salariés en maintenant leur salaire en cas de besoin, en les aidant dans leur formation ou dans leur recherche d'emploi." (Mes fauves, pages 98 et 99)

Je posais il y a quelques jours le problème du rôle de l'Etat, pour des socialistes, dans une économie libérale. Ségolène Royal apporte ici un début de réponse: aide publique aux entreprises oui, à condition qu'elles affrontent la concurrence mondiale. Il faut que le patronat ait le courage d'être libéral, pas seulement dans les mots, mais dans les actes. Alors l'Etat est en droit de l'aider. Mais si c'est pour réclamer du protectionnisme pour que certaines entreprises puissent faire leurs petites affaires en toute sécurité, non! Flexibilité du travail, comme le réclame le patronat, pourquoi pas. Mais ce sera du donnant-donnant, en bonne logique libérale qui repose sur le contrat et l'harmonie entre les intérêts de chacun. Les patrons s'engagent dans le combat pour la compétitivité internationale, très bien, ils pourront bénéficier de cette flexibilité de l'emploi, l'Etat assurant de son côté la sécurité des salariés.. Sinon, pas question!

Pour finir, je vous recommande vivement l'émission de France-Culture qui a commencé hier et qui diffuse les conférences de Michel Onfray à l'Université Populaire de Caen sur l'eudémonisme social, c'est-à-dire la recherche du bonheur collectif au XIXème siècle. C'est du lundi au vendredi, de 19h00 à 20h00. Onfray revisite les grands courants de philosophie politique de ce siècle: utopisme, socialisme, communisme, libéralisme, anarchisme, ... Quelle meilleure source d'inspiration pour refonder la gauche?

Bonne soirée.

SuperSarko.

Supersarkozy! Il vient de libérer les infirmières prisonnières de Khadafi, alors que les négociations traînaient depuis huit années. Et pour bien faire comprendre que ce dénouement vient de son action, le président dépêche son épouse auprès des autorités libyennes. Pourquoi pas; il n'y a que le résultat qui compte. Sans ironie, j'applaudis. Tout le monde devrait se réjouir et pourtant, sur RTL, aux Auditeurs ont la parole (mon baromètre de l'opinion), une électrice de Sarkozy regrette son vote. Ah bon? Elle est déçue de le voir négocier avec un dictateur!

Pourquoi vous relater cette anecdote sans intérêt ni signification particulière (on trouve toujours des mécontents)? Parce que je veux en tirer une leçon général, en direction de tous ceux qui, dans ce pays, s'opposent comme moi à Sarkozy. L'hyperprésidentialisation, qui n'est en réalité qu'une hyperpersonnalisation médiatique (les institutions n'ont pas changé), fait aujourd'hui la force de Sarkozy et fera demain sa faiblesse. J'affirme même que sa mort politique viendra de cette hyperpersonnalisation. De tous ces dossiers qu'il aborde personnellement, laissant ses ministres et le premier d'entre eux dans des rôles de figuration, il y en a un , un jour, dans un mois, un an, deux ans, peu importe, qui lui explosera entre les mains et qui suscitera alors la réprobation des français et la disqualification de l'actuel président. C'est mathématiquement inévitable, la loi des probabilités pourrait aisément le démontrer.

Je ne me réjouis pas d'un tel cas de figure, je ne le souhaite pas, je dis simplement qu'il arrivera parce que notre société est ainsi, et l'attitude de Sarkozy y encourage: l'opinion réagit au quart de tour et au coup par coup. Il n'y a pas si longtemps, un analyste politique pouvait prévoir sans trop se tromper les résultats électoraux, dans leurs grandes lignes, deux ans à l'avance, en regardant les résultats des élections intermédiaires (cantonales, municipales, régionales) et des élections partielles. Ce n'est plus vrai aujourd'hui, on l'a bien vu ces dernières années. Il n'existe plus d'adhésion globale et durable à un projet mais des jugements ponctuels, particuliers, temporaires, révisables.

Sarkozy sera aussi vite déboulonné qu'il aura été statufié. Encore une fois, il n'y a pas lieu de s'en réjouir, mais il l'aura bien cherché, plus qu'un autre, en laissant croire à cette illusion, qu'un homme seul pourrait régler tous les problèmes de la France et de la Terre entière. Même dans la libération des infirmières, il y a eu une démarche collective, longue, patiente et finalement, ce jour, couronnée de succès. Sarkozy périra par où il aura péché, l'instauration en France un hyper-individualisme politique qui se brisera à un moment donné sur la réalité.

Ce qui s'est passé avec la TVA sociale donne une petite idée de ce qui se passera demain. Il a suffit d'une question posée par Fabius un soir d'élections, une réponse incertaine de Borloo, pour que la rumeur se répande, les prix vont augmenter, et que la gauche remonte dans l'opinion, quelques heures après un cinglant échec. En attendant, la gauche doit adopter une attitude modeste et austère, faire son devoir d'opposant sans se faire d'illusion sur le résultat. Car c'est l'opinion, et elle seule, qui décidera de la disgrâce du président, et sur quel sujet.

Bon après-midi.

Les 2 secrets de la politique.

Bonjour à toutes et à tous.

Quelques lignes de Jean-Marie Rouart pour la mise en forme intellectuelle de ce début de matinée:

"Juppé croit que le mérite s'impose et que le meilleur décroche le diplôme, là où Sarkozy sait que la réussite en politique n'est pas décrétée par des examinateurs mais par ce coefficient extravagant échappant à toute rationalité et à toute supputation raisonnable: le sentiment de légitimité qu'on inspire à l'opinion." (Mes fauves, page 35)

Grande question: qu'est-ce qui fait qu'on réussit en politique? Terrible réponse: il n'y a pas de rationalité du pouvoir, on est porté par l'humeur de l'opinion. Et pourquoi tel homme politique s'impose-t-il, et pas tel autre? Pourquoi à droite Sarkozy et pas Juppé, qui était pourtant le meilleur? Pourquoi à gauche Ségolène Royal et pas DSK, qui était pourtant le meilleur? Mystère de la démocratie, ou plutôt logique de la politique: les meilleurs sont les perdants (je vous laisse nuancer mon propos, j'avoue être un peu pessimiste, par ce matin pluvieux sur Saint-Quentin).

Qu'est-ce qui est récompensé en politique? L'intelligence, l'imagination, la volonté, l'audace, la ruse, ...? Je vous laisse choisir ou compléter la liste. Prenons la classe politique française dans les années 1985-1995. Quels sont alors les hommes politiques, à droite, promis à un bel avenir? Michel Noir, maire de Lyon, qui a le courage de dénoncer l'alliance avec le Front national. Il a fait un beau mariage et semble taillé pour l'habit présidentiel. Un scandale mettra fin à sa carrière politique. Il fait aujourd'hui du théâtre, bonne reconversion pour un homme politique.

Philippe Séguin, dans un autre style, est l'étoile montante. Il y a du de Gaulle en lui, une intelligence, une épaisseur politiques remarquées par un expert, François Mitterrand, qui choisit de débattre avec lui dans le cadre du référendum sur le traité de Maastrich. Mais Séguin est trop franc, trop entier pour réussir en politique. Il lui manque un côté anguille. Il est devenu, ce qui n'est pas mal non plus, premier président de la Cour des Comptes, à défaut d'être celui de la République.

François Léotard fait rêver toute la droite et les jeunes filles à la fin des années 80. Il est jeune, beau, dynamique, intelligent, libéral, modéré, apprécié, tout pour plaire. Surtout, il a terriblement envie de devenir président de la République, une qualité fortement recommandée pour accéder à ce poste. A l'époque, Sarkozy range les chaises à la fin des meetings. Vous connaissez la suite. Léotard va abandonner, devenir écrivain (à ce qu'on dit) et Sarkozy va continuer à ranger les chaises, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'une, à la tribune, la sienne, où il va s'installer.

Voilà le secret de la politique: il faut ranger des chaises et tenir bon. Sarkozy n'était pas plus doué, plus intelligent, plus à droite, moins à droite qu'un autre. Il était plus déterminé et un peu plus chanceux, parce que le hasard tient aussi sa place en politique.

Je termine avec la vie politique locale, celle de Saint-Quentin. Je serai candidat pour les élections municipales, je l'ai annoncé depuis bien longtemps. Mais quel nom sortira du chapeau, quel camarade choisiront les adhérents pour les représenter et mener campagne? Je n'en sais strictement rien, je n'ai même aucune probabilité ou hypothèse sérieuses à vous proposer. Pourtant, la décision sera prise dans trois ou quatre mois, ce qui est court, et l'élection a lieu en mars prochain. Mais c'est ainsi. Devant tant d'incertitudes, j'ai cependant une certitude absolue, qui rejoint la réflexion de Jean-Marie Rouart: celui ou celle qui aura été choisi par la section socialiste de Saint-Quentin sera à son image, son pur reflet, et c'est la raison pour laquelle celui-là ou celle-là aura été finalement choisi. Voilà le second secret de la politique.

Bonne matinée.

23 juillet 2007

Prenez votre temps.

J'ouvre aujourd'hui un nouvel ouvrage pour vous et soumettre quelques extraits à votre réflexion. Ce sera moins théorique que le précédent puisqu'il s'agit de l'écrivain Jean-Marie Rouart et des portraits vifs, justes et instructifs qu'il fait, dans Mes fauves, au Livre de Poche, 2007, de quelques hommes politiques français contemporains. Je commence par Sarkozy, qui déclare à Rouart, à propos du temps:

"Je me sens très éloigné d'une phrase du type; "j'ai le temps". Moi, je pense qu'on n'a jamais le temps. Le temps est une denrée si rare qu'il faut beaucoup d'arrogance pour le maîtriser." (page 30)

Humainement, je suis d'accord avec Sarkozy, je ne trouve pas assez de temps pour faire tout ce que j'ai envie de faire, je ressens douloureusement cette fuite du temps, ce manque de temps. Mais la sagesse ne consiste-t-elle pas à se donner du temps, puisque celui-ci nous manque? En tout cas, le rapport d'un individu au temps nous apprend beaucoup sur lui, et donc sur Sarkozy, son empressement, comme s'il craignait de ne pas pouvoir tout faire... à temps.

Vous me direz, tout ça, c'est de la psychologie, à quatre sous qui plus est! Peut-être, mais la politique, c'est aussi l'art du temps, de son utilisation, de sa gestion. Quels sont les deux instruments indispensables à toute action politique? Un téléphone et un calendrier, l'un pour maîtriser l'espace et rapprocher de soi ceux qui sont loins, l'autre pour organiser le temps. Mitterrand avait une approche du temps à l'opposé de celle de Sarkozy. Il "laissait le temps au temps", selon son expression favorite.

Concrètement, il savait s'extraire de la durée pour prendre du recul et de la hauteur, musarder chez les bouquinistes ou s'enfermer dans sa chambre d'hôtel pour lire de la poésie au beau milieu d'un sommet international (authentique!). Vous imaginez ainsi Sarkozy? Moi pas, et c'est dommage pour lui, et c'est embêtant pour la France. Notre président doit être le maître du temps, pas son esclave. La frénésie actuelle d'annonces et d'actions quotidiennes a certes un aspect plaisant, celui de l'homme qui agit, mais elle ne peut pas durer, elle risque l'essoufflement, il y aura bien un moment où il faudra s'arrêter, prendre son temps, s'appliquer sur chaque chose effectuée avant de passer précipitamment à la suivante.

Sarkozy croit qu'il est "arrogant" de "maîtriser le temps". C'est ce que disent ceux, comme lui, qui n'y parviennent pas. Arrogance non, orgueil sans doute, volonté et ambition assurément. C'est ce que je souhaite sincérement à notre président.

Bon après-midi, prenez votre temps, au travail ou en vacances.

Responsable et irresponsable.

Bonjour à toutes et à tous.

La tragédie de l'accident de car polonais en Isère me conduit à deux remarques préalables:

1- A entendre plusieurs commentaires, la responsabilité relève des pouvoirs publics, coupables de laisser perdurer des endroits dangereux à la circulation. Jean-Louis Borloo a incliné en ce sens, demandant à ce que ces endroits soient repérés, mieux signalés, mieux surveillés et mieux contournés.

2- A entendre d'autres commentaires, moins nombreux, la responsabilité relève du chauffeur de car, qui a emprunté une voie interdite aux poids lourds non équipés du système de freinage adéquat. François Fillon est allé dans ce sens, indiquant qu'on ne pouvait pas mettre un gendarme à l'entrée de chaque passage dangereux.

Il faut bien sûr attendre les résultats de l'enquête, mais en l'état des connaissances, je donne entièrement raison à François Fillon contre Jean-Louis Borloo. La société individualiste dans laquelle nous vivons a tendance à exonérer les individus de toute responsabilité et accabler au contraire les institutions, les collectivités, les pouvoirs publics. C'est le règne du citoyen contre l'élu, de la base contre les représentants. Je n'accepte pas ce privilège accordé à "ceux d'en bas" contre "ceux d'en haut", j'y vois de la pure démagogie (qu'on appelle aujourd'hui "populisme").

Jean-Louis Borloo, soucieux de plaire à l'opinion, finit par tenir des propos stupéfiants: faut-il attendre qu'une tragédie ait lieu pour s'enquérir des points dangereux en France et songer à les neutraliser? Si la réponse est oui, le ministre est parfaitement irresponsable. Faire de la politique, c'est prévoir les problèmes, ce n'est pas attendre qu'ils arrivent pour commencer à agir. Borloo le sait parfaitement, il n'ignore pas que les endroits périlleux sont déjà répertoriés et neutralisés, mais il veut aller dans le sens de l'opinion, il veut dédouaner les individus de toute responsabilité, il se laisse aller à soupçonner des pouvoirs publics dont il a pourtant la charge. Il est irresponsable et masochiste.

Bonne matinée.

22 juillet 2007

Non à la censure morale.

Je vous ai dit hier toute mon exaspération devant la condamnation unanime des propos discourtois tenus dans une conversation privée par Patrick Devendjian. En République et dans l'intimité, et l'une des raisons d'être de la République est de protéger l'intimité, chacun s'exprime comme il veut, élégamment ou grossièrement. Ce n'est pas le sort de cette homme de droite qui me préoccupe. A la limite, je m'en moque, et au-delà de cette limite, j'éprouve même du plaisir à voir ce proche de Sarkozy empêtré dans cette ridicule affaire. Non, ce que je défends, c'est un double principe, intangible, républicain, le droit à la libre expression et la protection de la vie privée. Et ce que je combats, c'est ce que je perçois dans notre société depuis quelques années, une forme de moralisme, de puritanisme, une montée liberticide des bons sentiments.

Pourquoi redire tout cela que j'ai déjà dit hier? D'abord parce que c'est suffisamment important pour être répété et surtout parce que je ne croyais alors pas si bien dire: j'apprends en effet, aujourd'hui, qu'une pétition circule pour empêcher la parution du prochain livre de Mazarine Pingeot, fille de François Mitterrand. Oh, ce n'est pas politique, notre société a définitivement tourné la page de la censure politique. C'est pire, c'est la censure morale. Ce qui choquent un certain nombre de braves gens animés par les meilleurs sentiments du monde, c'est que Mazarine trouve l'inspiration de son prochain roman dans un fait réel et tragique, l'affaire des époux Clergeaux dont la femme a tué à la naissance puis congelé ses deux enfants.

Ce qui révoltent ces braves gens pétitionnaires, c'est que les autres enfants du couple risqueraient d'être traumatisés par le roman (comme s'il y avait obligation à le lire), dont évidemment personne ne connaît encore le contenu. Qui ne dit pas, au contraire, que la littérature puisse être une voie de guérison du traumatisme, en supposant d'ailleurs qu'il y ait réellement traumatisme, nos braves gens étant assurément des moralistes mais pas nécessairement des psychologues? Nous assistons une fois de plus, à travers cette incident, à une exaction du sentimentalisme moral ou du moralisme sentimental qui pourrit la vie de notre République. Car répétons-le: nous sommes en République, les écrivains, les artistes et n'importe quel citoyen ont le droit de s'exprimer comme ils l'entendent, sur le sujet de leur choix, pourvu qu'ils ne portent pas atteinte aux lois en vigueur. C'est le droit qui limite la liberté, pas la morale.

Les enfants ne sont qu'un prêtexte, le conformisme moral ayant besoin d'eux pour se justifier. En vérité, que se passe-t-il? La volonté de conjurer nos peurs, voilà la fonction de la morale. Et quand une maman normale dans un couple équilibré suppriment ses nouveaux nés et les congèlent, nous sommes tous, moi le premier, stupéfaits et effrayés. Mais ne cherchons pas à exorciser notre stupeur et notre frayeur par la censure morale ou la répression sociale. Au XIXème siècle, le conformisme bourgeois faisait interdire Madame Bovary parce que personne ne voulait voir en face et surtout pas décrit dans un livre l'adultère féminin (la morale est injuste, malhonnête et hypocrite, l'adultère masculin suscitait son indulgence). Aujourd'hui, l'adultère ne choque plus personne, certains magazines féminins le recommandent même! En revanche, ce qui a trait aux enfants suscite les reproches ou les encouragements de la morale. Il ne faudrait pas que qu'un conformisme populaire, celui des braves gens, remplace aujourd'hui le conformisme bourgeois, celui des puissants et des influents.

Je prétendais, plus haut, que la censure morale était pire que la censure politique. Oui, parce que la censure politique résulte de l'action visible et directe de l'Etat. Il est donc plus aisé de la repérer, de la dénoncer, de la combattre et de la supprimer. En revanche, la censure morale est le produit de toute une société, qui s'en prend à la "salope" de Devendjian ou au roman de Pingeot, s'en chercher à réfléchir et à comprendre. Vous vous souvenez, il y a quelques jours sur ce blog, commentant la pensée de Nicolas Tenzer, de ma distinction entre Etat, marché et société, combien les deux premiers étaient des instruments d'émancipation des individus et comment la dernière était synonyme d'oppression. En voilà encore un bon exemple.

Heureusement, le marché est puissant, notamment en matière d'édition. Avec l'inacceptable pétition invitant à la censure, Mazarine s'est assurée une publicité gratuite de son roman qui fera peut-être partie des meilleurs ventes à la rentrée! L'économie libérale va tuer la morale, très bien*. Quand je vous disais, depuis plusieurs semaines, qu'un socialiste se devait d'être pleinement et authentiquement libéral, les faits le prouvent avec cette histoire de censure. Il y a encore et toujours beaucoup à faire en matière de libéralisme culturel. Je terminerai par ce slogan de Mai 68 qui fait immanquablement bondir mes interlocuteurs de droite, libéraux à demi: "il est interdit d'interdire."

Bon et libre après-midi.


* Je ne suis pas hostile à la morale pourvu que celle-ci reste personnelle et privée. Je dénonce donc toute morale imposée par la société. Par exemple, en matière de sexualité, la société, ni l'Etat ni qui que ce soit ne doivent m'imposer ou m'interdire tel ou tel comportement, à condition bien sûr de respecter le cadre légal qui punit à juste titre les violences envers autrui ( viols, perversions, etc).

Turquie, an 68.

Bonjour à toutes et à tous.

Evénement important en Turquie ce dimanche, les élections législatives: les médias français en parlent un peu, mais je n'entends pas la classe politique. Pourtant, la Turquie doit nous intéresser au plus haut point. Ce pays musulman, terre d'Orient, est au bord de l'Occident, il est en quelque sorte le trait d'union entre les deux. La question politique est sérieuse: faut-il laisser la Turquie en marge de notre continent, la repousser dans un lointain étranger, ou bien l'inclure à ce que nous sommes, l'Europe, parce que la Turquie est une fenêtre sur le monde? Europe fermée, crispée, Europe forteresse, ou bien Europe ouverte, mondialisée, Europe universelle? Vous connaissez ma réponse, la seconde. Quoi qu'il en soit, le sort de la Turquie ne peut pas laisser indifférent.

D'autant moins que son paysage politique est préoccupant. D'un côté l'armée avec le Parti républicain du peuple créé par Atatürk, de l'autre la religion avec le Parti de la justice et du développement actuellement au pouvoir. Ca ressemble à la gauche et à la droite mais ce n'est pas ça. Les militaires sont laïques et modernes, certes, mais ce sont des militaires, et une laïcité garantie par des uniformes et des fusils, désolé, ce n'est pas pour moi une laïcité. Les islamistes sont certes modérés, rien à voir avec les fanatiques d'Iran ou d'ailleurs. Mais ce sont des religieux, et un pouvoir religieux est le pire pouvoir. Il faudrait que la Turquie se démocratise, se normalise, avec une alternative entre un parti social-démocrate s'appuyant sur les couches modestes de la population et un parti libéral-conservateur s'appuyant sur les catégories plus aisées, comme il se fait dans les démocraties parlementaires modernes. Nous en sommes très loins.

Mais il y a des signes encourageants, de l'espoir et donc de l'avenir, pas vraiment du côté des politiques, même s'il faudra regarder de près ce soir les scores réalisés par les candidats indépendants qui n'appartiennent pas aux partis établis. C'est du côté de la société que les choses bougent, que le progrès se constate. Des initiatives culturelles donnent un goût de liberté et de démocratie, beaucoup plus pour le moment que les actions politiques. Il y a la Gay Pride du 1er juillet, et dans un pays musulman, ce n'est pas un mince événement. Même à Moscou, la marche des fiertés homosexuelles ne peut pas se dérouler! Il y a aussi le Barisarock, un festival de la contre-culture, altermondialiste. Il y a aussi Vladimir Luxuria, députée transexuelle! Je n'irai pas jusqu'à affirmer, comme Charlie-Hebdo de cette semaine, que "la Turquie prépare son Mai 68" mais je le souhaite fort.

Il est du devoir de la France d'y contribuer, parce que Mai 68, c'est notre label de garantie, du moins quand on est progressiste et qu'on se rattache à l'idéal d'émancipation de l'humanité. C'est pourquoi nous devons militer pour l'intégration de la Turquie à l'Europe, le proclamer hautement, l'expliquer avec pédagogie et enthousiasme. Se faisant, la Turquie évoluera considérablement. Sinon, elle se repliera sur ses démons, la dictature militaire et la théocratie musulmane, et elle représentera alors un véritable danger aux portes de l'Europe.

Bonne matinée.

21 juillet 2007

Le rôle de l'Etat.

Le libéralisme autant que le socialisme doivent répondre à la question du rôle qu'ils réservent à l'Etat, l'un passant pour lui être dangereusement hostile, l'autre pour lui être coupablement favorable. Et si la vérité était ailleurs, et d'abord, avant d'y répondre, dans la bonne façon de poser la question. Je laisse la parole, pour la dernière fois, à Nicolas Tenzer:

"Le libéralisme non seulement s'accomode d'un rôle plein et entier de l'Etat, mais souvent le requiert. Ce rôle n'est pas seulement régulateur, même s'il est dans la nature du libéralisme d'exiger des règles et des institutions de contrôle. Il est aussi actif et s'assimile à celui d'un entrepreneur qui prend des initiatives et fixe des objectifs stratégiques, ici en fonction de considérations politiques, comme on peut le voir en matière de recherche ou de grands investissements." (Faut-il sauver le libéralisme? pages 155 et 156)

Nous savons que la refondation du socialisme ne fera pas l'économie d'une reconsidération du rôle de l'Etat. Tenzer nous montre que le libéralisme n'est pas contre l'Etat, que l'Etat est indispensable à la définition du libéralisme, que le marché se construit en quelque sorte sous la protection de l'Etat. Nous pourrions dire inversement que le socialisme n'est pas nécessairement pour l'Etat, quand on saît qu'historiquement les premiers socialistes lui sont franchement défavorables. L'Etat est d'abord perçu comme un instrument d'oppression par les anarchistes et comme le pouvoir de la bourgeoisie par les marxistes. Le culte de l'Etat n'est pas de gauche, ni de la deuxième, ni de la première, ni d'aucune. C'est surtout la tradition républicaine qui défend l'Etat, encore s'agit-il de l'Etat de droit.Faut-il rappeler que pour Marx, le communisme passe par le "dépérissement de l'Etat"? On voit à quel point on en est très loin dans les régimes appelés communistes.

Comment des sociaux-démocrates modernes doivent-ils appréhender le rôle de l'Etat? Leur tradition s'est fait longtemps l'apôtre, c'est le cas de le dire, de l'Etat-providence, l'Etat redistributeur, qui a atteint aujourd'hui les limites de son efficacité, non pas parce qu'il n'y aurait plus de richesses et de recettes fiscales à redistribuer mais parce que ce mécanisme de justice sociale n'a pas pleinement atteint son objectif d'égalité (voir sur ce point les travaux de DSK, de nombreuses fois mentionnés sur ce blog, à propos de "l'égalité réelle").

Après l'Etat redistributeur, les socialistes, notamment Lionel Jospin, ont beaucoup parlé de l'Etat régulateur, approche sans doute utile mais insuffisante. A part l'ultralibéralisme dogmatique, qui ne reconnaît pas à l'Etat un rôle de régulation économique? Bref, il faut chercher autre chose, ailleurs, et se dire d'abord, en conformité avec la tradition socialiste évoquée plus haut, que l'Etat ne peut être, dans une perspective d'émancipation des individus et de l'humanité, qu'un moyen, un outil, non une fin en soi. Ce qui veut dire, politiquement et concrètement, que tout ce qui renforce le pouvoir de l'Etat n'a pas à être a priori et nécessairement défendu par un socialiste. Il faut que ce principe soit dit et su une fois pour toute.

Alors, toute précaution prise, quel rôle faut-il assigner à l'Etat? Pendant longtemps, la gauche française a raisonné en termes de nationalisations, nec plus ultra du socialisme, sur fond de marxisme mal assimilé: celui-ci ne revendiquait-il pas l'appropriation collective des grands moyens de production? Sauf que collectivisation n'est pas synonyme d'étatisation: remettre entre les mains de la société, ce n'est pas la même chose que remettre entre les mains de l'Etat.

Nicolas Tenzer offre une piste intéressante, l'Etat acteur, l'Etat entrepreneur, DSK parle plus volontiers d'Etat stratège. L'Etat serait alors, lui aussi, une entreprise comme une autre sur le marché, mais une entreprise différente des autres, politique et non économique. En tout cas, l'analogie de l'Etat et de l'entreprise justifie le rôle actif de celui-ci, qui ne saurait être être l'Etat minimal, l'Etat seulement tutélaire que soutiennent les ultralibéraux.

Bonne soirée.

Opposition mode d'emploi.

J'ai parcouru ce matin un site internet ( gagner-2012.net ) qui regroupe dans un manifeste commun des quadragénaires strauss-kahniens et fabiusiens, se présentant comme des "enfants du 21 avril 2002 et 6 mai 2007." L'objectif est de dépasser des clivages parfois excessifs et de se rassembler quand c'est possible. Pourquoi pas, les intentions sont bonnes. Mais j'ai quelques réserves, qui ne demandent peut-être qu'à être levées. Fabius et DSK ne sont guère socialo-compatibles depuis le référendum de 2005. Le coup des quadras, dont je fais pourtant partie, ne me séduit pas. "L'âge ne fait rien à l'affaire...", chantait Brassens. L'intelligence n'est pas générationnelle. Enfin, se dire enfants de deux défaites, est-ce la meilleure façon de préparer une prochaine victoire? Pour ma part, je suis un fils du 10 mai 1981.

Sur ce site, j'ai trouvé un excellent article du strauss-kahnien François Kalfon (l'article est excellent parce qu'il est excellent, pas parce qu'il est strauss-kahnien!). Je vous le résume, en retenant les lignes directrices:

Si nous avons perdu les présidentielles, c'est que notre projet n'était pas explicitement compatible avec la mondialisation mais revendicatif, catégoriel et conservateur. Par exemple, sur les retraites, nous nous sommes contentés de proposer un moratoire et sur le contrat de travail nous en sommes restés à la forme immuable du CDI. Or les salariés ne sont pas dupes: vouloir maintenir les choses en l'état, dans un souci exclusivement protecteur, c'est ne pas se préparer à la mondialisation et ainsi subir de plein fouet ses effets les plus négatifs. De même, se focaliser sur la revalorisation du salaire minimum, c'était laisser entendre qu'on se satisfaisait d'une "smicardisation" de la société alors que c'est toute la progression salariale qu'il faut envisager.

Des thèmes majeurs n'ont pas assez été pris en compte: le rétablissement de la compétitivité économique, la réindustrialisation de la France. Alors, que faire maintenant? Kalfon déconseille, et il a raison, l'opposition systématique. Il propose au contraire d'être particulièrement constructif en deux domaines: l'avenir de la protection sociale, l'amélioration du fonctionnement du marché du travail. En revanche, l'opposition doit être ferme sur au moins deux thèmes: le fameux "paquet fiscal" parce qu'il favorise la rente, le recours aux heures supplémentaires parce qu'elles n'encouragent pas la création d'emplois.

Vous pouvez aussi retrouver l'article de Kalfon dans Le Figaro du 11 juillet.

Bon après-midi.

Histoire de salope.

Bonjour à toutes et à tous.

Vous vous souvenez de Patrick Devedjian traitant il y a quelques temps Anne-Marie Comparini de "salope", la quasi affaire d'Etat qui s'en est suivie et la réprobation unanime de la classe politique, avec intervention du président de la République en personne. A l'époque, j'étais à Paris, au congrès de la Ligue de l'enseignement, je ne suis donc pas intervenu immédiatement sur ce blog. Mais il y avait une autre raison... je n'ai pas osé, mon opinion tranchait avec le consensus ambiant. Vous vous souvenez de mon billet d'hier, la méfiance toute libérale que j'exprimais à l'égard de la société entravant l'épanouissement individuel. C'est un exemple, appliqué à ma personne (qui se veut pourtant très libre!).

Qu'est-ce qui m'amène aujourd'hui à revenir sur cette affaire et à enfin exprimer mon point de vue? Le fait que ce cher Philippe Val, encore et toujours lui, écrit dans Charlie de cette semaine des choses très sensées qui correspondent parfaitement à mes propres pensées d'alors:

"Faut-il se réjouir de cette unanimité politique pour réprouver Devedjian? Non. C'est au contraire catastrophique. La gauche aurait dû le défendre bec et ongles (...) Cette violation d'une conversation intime qui laisse à penser que l'injure proférée par Devedjian devant son copain a la même valeur que s'il l'avait dite volontairement en public est une escroquerie et un scandale (...) L'adversaire victime d'un manquement au respect de l'intimité auquel il a droit doit être secouru. C'est fondamental. Même s'il s'agit de Devedjian."

Ce que la gauche aurait dû défendre lors de cet incident, c'est d'abord le principe de laïcité, qui amène à la distinction absolue entre vie publique et vie privée, propos publics pour lesquels nous sommes éventuellement conduits à nous justifier et propos privés pour lesquels nous n'avons pas à rendre de comptes.

C'est ensuite le principe de liberté qui fait que chacun est libre de s'exprimer comme il l'entend, avec les mots qui sont les siens. Ce n'est pas la forme qui importe, c'est le fond. Si je n'aime pas une personne, je suis en droit de l'appeler "salope", et si elle me déteste, c'est son droit de me traiter de "connard", ces deux termes étant autorisé par les meilleurs dictionnaires. Vous me direz que l'élégance n'est pas au rendez-vous? Et alors, croyez-vous que la politique soit un concours d'élégance?

Enfin, et la deuxième remarque me conduit à la troisième, c'est le principe de politesse qu'il faut aussi défendre. Oui, j'ai bien dit le principe de politesse, car l'impolitesse n'est pas dans l'emploi de gros mots (ça s'appelle plutôt la vulgarité) mais dans le fait d'écouter aux portes et de rendre publique, par l'intermédiaire d'une caméra, une conversation strictement privée.

J'ajouterai une dernière chose, dont Val ne parle pas: vous vous souvenez de Sarkozy employant les mots de "racaille" et "kärscher" et la polémique déclenchée. Pour se justifier, il avançait l'argument de vouloir désormais parler comme tout le monde. Mais n'est-ce pas ce qu'a fait Devedjian?

Hier, j'ai proposé le socle politique du socialisme (liberté-égalité-fraternité) puis son socle philosophique (marché-Etat-individu). Je vous propose aujourd'hui son socle moral: intelligence-indépendance-vérité. Un socialiste ne doit pas hurler avec les loups, même quand le mouton est UMP. Il doit en toute indépendance d'esprit faire fonctionner son intelligence, avec un seul objectif en vue, la vérité.

Bon après-midi.

20 juillet 2007

Adam Smith, social-démocrate?

Bonsoir à toutes et à tous.



Depuis quinze jours, j'essaie de réfléchir aux liens conceptuels qui existent entre le socialisme et le libéralisme, en me disant que leur synthèse porte un nom, la social-démocratie, et que c'est l'une des pistes pour préparer la refondation du PS et répondre beaucoup plus et mieux aux aspirations du monde moderne, en premier lieu des salariés. Je comprends bien ce que cette position peut avoir d'iconoclaste et même de provocatrice. Mais quelle n'est pas ma surprise de découvrir qu'une note de lecture de L'Humanité, publiée le 10 juillet sous la plume de Nicolas Chevassus-au-Louis, apporte de l'eau à mon moulin!



L'auteur commente un ouvrage de Garëth Stedman Jones, un historien britannique, intitulé La fin de la pauvreté? Un débat historique, paru cette année aux Belles Lettres. La thèse est surprenante, je vous la livre: Adam Smith, qui est au libéralisme ce que Marx est au communisme, serait le père de la social-démocratie. Celle-ci, qu'on fait découler du socialisme à la fin du XIXème siècle, serait par conséquent antérieure, fin du XVIIIème, et liée à ce qu'on croit être son adversaire, le libéralisme.



En effet, les objectifs d'Adam Smith peuvent être qualifiés de républicains et progressistes (socialistes?): produire des richesses (c'est son fameux ouvrage La richesse des nations), abolir la pauvreté, enlever aux églises le monopoles de l'assistance aux pauvres, dénoncer l'aristocratie qui s'accapare les richesses, reproduire en Europe la République américaine. C'est Malthus, selon Jones, qui va donner à l'oeuvre de Smith l'interprétation que nous connaissons, libéral-conservatrice et réactionnaire. Intéressant, non?



J'en profite pour revenir sur le précédent billet et le prolonger un peu. Le totalitarisme, n'est-ce pas la victoire de l'Etat sur la société, ce qui limiterait considérablement ma démonstration selon laquelle l'ennemi de l'individu, c'est la société, que l'Etat doit réguler et contrôler afin d'émanciper les individus? Je réponds que non. Certes, l'Etat peut être l'instrument d'une dictature, mais le totalitarisme est d'un autre nature, singulièrement plus tragique et barbare. C'est pourquoi ce n'est pas l'Etat qui est au coeur du mécanisme totalitaire mais, je le confirme, la société. Le stalinisme, le nazisme ou le maoïsme ne sont pas des excroissances monstrueuses de l'Etat (chose en réalité impossible) mais tout un phénomène de société pris dans une ferveur totalitaire, où tout le monde surveille tout le monde. Le stalinisme et le nazisme ne créent pas un Etat nouveau, démesurée, mais une société nouvelle, révolutionnaire chez les uns, réactionnaire chez les autres, en détruisant l'Etat ancien, tsariste ou prussien.



On pourrait aussi, dans le billet d'avant, me reprocher de faire remonter la naissance de l'Etat bien tardivement, alors que l'on peut peut-être parler d'Etat par exemple dans l'Empire romain. Là, je laisse la parole à mes lecteurs historiens, avec cette question: où et quand apparaît le premier Etat dans l'histoire de l'humanité?



Dernière remarque: faut-il encore se dire socialiste quand le mot d'ordre approprié est de libérer l'individu de la société, à l'aide de l'Etat et du marché? Je réponds que oui, la société étant alors, pour un socialiste, un progrès, un élan, une aspiration, un idéal, quelque chose de désirable et d'impossible vers quoi il faut cependant aller pour stimuler nos combats. Quand je lis Marx et ses quelques lignes sur la définition d'une société communiste, je me dis que c'est le rêve, et donc l'irréalisable. Et quand un rêve se réalise, c'est ce qu'on appelle un cauchemar, ce qu'a engendré le communisme mondial.



Bonne nuit, plein de rêves, et sans cauchemar...

L'individu contre la société.

Je reviens à Nicolas Tenzer, Faut-il sauver le libéralisme?:

"Quand on mesure l'état des corporatismes, des ententes, des protections, des passe-droits, en France, on ne peut s'empêcher de penser que le travail de libéralisation chez nous est plus empêché par la société que par l'Etat. A bien des égards, c'est l'Etat qui libère et c'est la société qui asservit." (page 137)

Je vais comme toujours interpréter librement la thèse de Tenzer, qui me semble intéressante. Il part de trois concepts, la société, l'individu et l'Etat. Cherchez l'intrus. Venant d'un libéral, même de gauche, on pourrait penser à l'Etat, qui trouble le libre jeu des individus au sein de la société. Perdu! Ca, c'est la version orthodoxe, de droite si vous voulez. L'intrus, c'est... la société! Embêtant pour un socialiste, non? Car son engagement n'est-il pas en faveur de la société, par la solidarité, au-dessus de l'égoïste individu?

Il faut voir les choses autrement. La société est une organisation naturelle, l'Etat et l'individu sont une construction pour le premier, une abstraction pour le second. Expliquons. La société a toujours existé, depuis les sociétés primitives jusqu'à aujourd'hui. La famille elle-même est une petite société. La société est donc la première réalité humaine. L'Etat est un ouvrage politique qui n'a pas toujours existé, qui n'existe toujours pas dans certains pays. L'individu est une idée. Ce qui existe depuis la nuit des temps, ce sont les hommes, pas les individus. Ceux-ci, êtres libres, volontaires et rationnels, sont des concepts du libéralisme, des produits du monde moderne. Les individus sont nés à la mort du peuple.

Etre réactionnaire, conservateur, de droite, choisissez le mot que vous voulez, c'est se placer du côté de la société, de l'ordre, de l'autorité, des préjugés, des traditions, bref du côté de tout ce que charrie la société, de la préhistoire à aujourd'hui, de la petite famille au grand empire. Etre progressiste, réformateur, de gauche, c'est se donner comme objectif historique, commun d'ailleurs au marxisme et au libéralisme (seuls les moyens divergent, l'Etat pour l'un, le marché pour l'autre), l'émancipation des individus. Contre le stalinisme, contre le nazisme, contre tous les totalitarismes, le remède radical n'est pas de les opposer les uns aux autres, communisme contre fascisme, mais de brandir ce qui les ébranle profondément, l'individu, son unicité, son autonomie, sa liberté, son mystère.

Qu'est-ce qui permet donc d'émanciper l'individu? Non pas la société, qui tire plus vers l'animal que vers l'humain (il y a d'admirables sociétés chez les bêtes, voyez les fourmis et les abeilles, mais l'individu est entièrement gommé, inexistant, et l'Etat, n'en parlons pas...). Une invention, l'individu, ne peut être encouragée, favorisée que par d'autres inventions, précisément le marché et l'Etat. Car le marché est tout autant une abstraction, une construction, une idée que l'Etat. Pas de marché sous la préhistoire mais des échanges. Pas vraiment de marché sous l'antiquité mais du commerce. L'Etat et le marché sont des inventions modernes, embryonnaires au milieu du Moyen Age. L'Etat est tout de même un peu antérieur. Il y a un Etat sous Louis XIX, pas de marché. L'un et l'autre prennent leur ampleur, se développe considérablement au XIXème siècle.

Liberté, égalité, fraternité, c'est le socle politique du socialisme. Etat, marché, individu, ce devrait être son socle philosophique. Avec un maître mot, l'émancipation, et un adversaire, la société.

Bonne soirée.

Les chiffres qui font peur.

Je vous parlais ce matin des craquements budgétaires qui pourraient conduire la politique de Sarkozy dans le gouffre. Je ne croyais pas si bien dire... Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, auditionné par la commission des finances de l'Assemblée le 11 juillet, s'est inquiété du retard pris dans l'assainissement des comptes publics et l'écart grandissant avec nos partenaires. Il y a des chiffres qui font peur et qui finissent par ne plus rien dire tellement ils sont vertigineux: la dette de l'Etat est de 43 milliards d'euros en début 2007, ce qui fait un endettement de 65% du PIB (produit intérieur brut)!

Mais ce qui passionne la droite ces derniers jours, c'est autre chose, une vieille obsession chez elle: faire diminuer le nombre de grévistes dans les transports et pourquoi pas ailleurs. Je vais encore vous citer des chiffres qui font peur cette fois à la droite: à la RATP, chaque salarié a fait en moyenne 0,4 jour de grève en 2006, contre 0,8 il y a 10 ans. A la SNCF, il y a eu 700 préavis de grève contre 1200 il y a 10 ans. Jamais il n'y a eu aussi peu de grèves dans les transports, voilà la vérité. Et voilà l'occasion que saisit la droite pour imposer sa revanche sociale.

Certes, elle nous dit, la bouche en coeur, que c'est pour le bien-être des usagers, la liberté de circuler et de travailler. J'applaudis quand la droite évoque la liberté et je suis même prêt à me faire libéral. Mais à 90%, qu'est-ce qui empêche d'aller à son travail ou de se déplacer librement? Pas les grèves mais les dysfonctionnements techniques à la SNCF, qui ne pourront que progresser quand la droite aura totalement appliqué son programme, le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux!

Quant à la mesure qui oblige à se déclarer gréviste deux jours avant, le ministre du Travail, en se voulant rassurant dans Les Echos du 17 juillet, est fort inquiétant: "nous serons vigilants à l'égard des entreprises qui utiliseraient ce préavis pour faire pression sur des salariés grévistes." Merci bien, mais c'est précisément une confirmation de ce que les syndicats redoutent et qui est quasi inévitable: l'usage que feront certains chefs d'entreprise de cette disposition. Remarquez que je ne leur fais aucun reproche, ils défendent leurs intérêts comme les salariés défendent les leurs, c'est la vie, c'est la démocratie. Mais l'Etat n'est pas obligé de les y aider!

Bon après-midi.