L'Aisne avec DSK

31 juillet 2008

Pour une opposition ciblée.

Bonsoir à toutes et à tous.

L'une des questions qui va occuper l'université de La Rochelle puis le congrès de Reims est la suivante: comment s'opposer à Nicolas Sarkozy? Non pas parce que le président poserait problème de par sa puissance politique, mais par son contraire: c'est parce que la droite traverse des difficultés, parce que son chef est au plus bas dans les sondages, aussi bas que le moral des Français, aussi bas que leur pouvoir d'achat, c'est pour cette raison-là que les socialistes doivent sérieusement se poser la question: comment s'opposer?

Deux thèses s'affrontent dans nos rangs: l'opposition frontale et l'opposition sélective. Je suis favorable, sans hésitation, à la seconde. La première est défendue notamment par Ségolène Royal et... la gauche du Parti. Comme quoi le débat ne traverse pas le clivage traditionnel entre réformistes et radicaux. "Opposition frontale", nous devons cette expression à Laurent Fabius, quand il a pris il y a quelques années un spectaculaire tournant à gauche. La formule s'inspirait de François Mitterrand dans les années 60-70, soutenant la stratégie bloc contre bloc, une opposition intransigeante, ne concédant rien à l'adversaire politique, dans une pure logique de rapports de force, où l'on considère qu'il faut frapper le plus fort possible pour espérer l'emporter, où l'on estime que tout pas en direction de l'adversaire est une faiblesse doublée d'une trahison.

Autres temps, autres moeurs: la droite et la gauche continuent à s'affronter, leurs différences politiques et sociologiques sont flagrantes, la démocratie existe à travers ce clivage, elle s'organise en majorité et opposition, rien de tout cela n'est contestable. Mais le choc des idéologies est moins violent, l'alternance s'est banalisée, aucun parti politique ne souhaite plus renverser le régime ou ne reçoit plus le soutien d'une puissance étrangère, et c'est tant mieux. A partir de ce constat, l'opposition frontale d'autrefois a perdu de sa pertinence. C'est un mot d'ordre à usage interne, pour convaincre certains qu'ils sont toujours bien de gauche.

Bien sûr, la politique de Sarkozy a sa cohérence d'ensemble, sa logique générale. "Tout se tient", dit fièrement le président, en énumérant sa soixantaine de réformes. Mais les socialistes sont-ils obligés de coller à cette vision totalisatrice et la singer à l'envers, en contestant absolument "tout" ce que fait la droite? Sûrement pas! Parce que Sarkozy est en difficulté, n'achevons pas la bête, ayons l'intelligence d'une opposition ciblée, sélective. Certains camarades s'inquiétent: n'allons nous pas nous amollir? Mais non! Un tir ciblé est beaucoup plus meurtrier qu'une rafale aveugle.

Je vais vous donner un exemple concret: le RSA, revenu de solidarité active. C'est une idée de gauche, mise en place par un homme de gauche, Martin Hirsch, expert en la matière de surcroît. Va-t-on contester cette mesure importante parce que c'est un gouvernement de droite qui la propose? Bien sûr que non! Va-t-on priver d'un retour à l'emploi des chômeurs qui actuellement n'y sont pas encouragés parce que perdants financièrement? Ne comptez pas sur moi pour ça. Est-ce aider la droite que de soutenir le RSA? Non, quand on sait que ce dispositif est le plus vivement contesté... dans les rangs de la droite. Les électeurs de gauche remercieront notre sérieux, notre crédibilité le moment venu. Je ne vois pas en quoi nous aurions à y perdre électoralement.

Je ne partage donc pas le point de vue exprimé dans Le Monde de cette semaine par mes camarades ségolénistes, qui considérent que le sarkozysme forme "un bloc", comme Clémenceau le disait de la Révolution française, alors que la Terreur pose tout de même quelques questions. De même que je ne suis pas d'accord avec Ségolène lorsqu'elle signale, dans sa contribution (p.87), que Nicolas Sarkozy porte "une montre de 50000 euros au poignet comme symbole présidentiel" Les bijoux de Nicolas ne m'intéressent ni ne me regardent. C'est une affaire privée, une question de goût ou de mauvais goût personnel, rien d'autre. Etrangement, Ségolène opte pour un "socialisme offensif, radical" (p.88) alors que sa ligne politique est, au sens américain, "démocrate", pour parler comme Mélenchon, une fois n'est pas coutume.

Un dernier mot, pour vous parler cette fois de l'échelon local: à ce niveau encore plus qu'à l'échelle nationale, l'opposition sélective est un devoir. Le gouvernement d'une ville dispose d'une forte dimension gestionnaire, alors que le gouvernement d'un pays est plus directement politique. Pierre André, en tant que maire, n'est pas responsable de la politique de l'emploi, qui se décide au niveau national, mais il est chargé de mettre en place les conditions les plus propices à la création d'emplois et à l'installation de nouvelles entreprises. C'est pourquoi j'avais proposé, à l'approche des élections municipales, une opposition qui fasse la part des choses. Je n'ai pas été suivi, je n'avais donc pas à me présenter quand la ligne que je proposais, pourtant de bon sens, ne faisait pas l'unanimité.

A La Rochelle et à Reims, nous retrouverons le même débat, les mêmes arguments, les mêmes accusations (à Saint-Quentin, certains camarades me font passer pour un suppôt de Pierre André!), mais il faudra, une fois pour toute, trancher.


Bonne soirée.

Un lac dans l'univers.

Les médias ne vont probablement pas insister sur ce qui sera pourtant le grand événement de cet été, que la NASA nous a révélé hier, que l'excellente revue scientifique Nature nous expose dans son édition d'aujourd'hui. Il s'agit ni plus ni moins que de la découverte d'un lac en surface dans le système solaire.

Jusqu'à maintenant, on pouvait supposer l'existence de lacs glacés dans le sol martien, et le robot qui explore actuellement la planète rouge doit creuser pour s'en assurer. Mais un lac en surface, c'est un formidable événement. Ne vous attendez pas à une masse d'eau où barboteraient des poissons! La découverte a été faite à 3,5 milliards de kms de chez nous, sur un astre inhospitalier et sans vie, Titan, une lune de Saturne. Ce lac est composé d'hydrocarbures liquides.

Quel est le génial explorateur qui a mis la main sur ce lac? Une machine! Eh oui, nous vivons une époque où les héros sont des robots, plus des hommes. Même si l'homme actionne le robot. C'est la sonde Cassini-Huygens qui a réalisé cet exploit, après 7 années de voyage. Mais oui, 3,5 milliards de kms, il faut bien 7 ans pour les franchir, et c'est plutôt rapide. Ce vaisseau spatial est une victoire de la coopération euro-américaine, puisque le module Cassini a été fourni par la NASA et la sonde Huygens par l'Agence spatiale européenne. La science unira plus facilement notre planète que la politique, mais la science a besoin de la politique pour se développer.

Le succès technologique de la sonde fait honneur à la famille qui porte ce nom, les Cassini, dont la mémoire me va droit au coeur, puisque ces illustres astronomes étaient d'origine picarde, nés à Clermont dans l'Oise. Il se trouve, pure coïncidence, que je vais leur rendre un petit hommage dans quelques jours, en me rendant en pélerinage à Ermenonville, non pas pour aller voir la Mer de Sable de mon enfance, mais pour me recueillir devant le tombeau de Jean-Jacques Rousseau. Dans ce magnifique parc se trouve une exposition consacrée à la famille Cassini et ses travaux astronomiques, qui ont conduit l'humanité, 3 siècles plus tard, à 3,5 milliard de kms de la Terre.

Pour poursuivre cette réflexion, je vous recommande deux lectures rapides et faciles:
- Le dossier "Conquête spatiale" dans Le Monde, Dossiers§Documents, Sciences, juin 2008.
-Le Courrier International, juillet 2008, consacré à la vie extra-terrestre.

A lire par exemple dans les allées du domaine du marquis de Girardin, à Ermenonville...


Bonne fin d'après-midi..

Faux départ.

Bonjour à toutes et à tous.

Je vous conseille vivement de revoir (pour la énième fois, je sais!) les épisodes de l'excellente série Columbo, qui repassent durant l'été, sur TF1, aux alentours de 15h00. Vous savez que le sympathique et astucieux inspecteur est le spécialiste des fausses sorties et des vrais aller et retour. C'est un peu ce qu'a fait le gouvernement en début de semaine, annonçant en grandes pompes son départ en vacances, disque de Carla Bruni sous le bras, lors du dernier conseil des ministres. Sauf qu'il s'agissait d'un parfait faux départ.

Le lendemain, nous apprenions qu'une députée UMP publiait un rapport assez inquiétant sur l'avenir des crèches. En France, c'est un problème: la démographie ne se porte pas si mal, les femmes vont travailler, les couples rencontrent de plus en plus de difficultés à faire garder leurs enfants en bas âge, faute de structures d'accueil. Le problème est si crucial que DSK avait proposé en son temps un "service public de la petite enfance". Car les inégalités, les retards et les pathologies se produisent à ce moment-là de la vie, et sont après quasiment irrattrapables, ou à des coûts très élevés pour la collectivité. Ce que suggère ce rapport, c'est une remise en cause du système des crèches (qui a pourtant fait ses preuves), jugé financièrement trop lourd à assumer, et qui serait remplacé par des "jardins d'éveil". L'éveil, gardons le à l'égard de ce type de mesure, car nous ne savons pas désormais comment et par qui nos enfants pourraient être gardés. Il est à craindre que la qualité professionnelle n'en pâtisse.

Autre mauvaise surprise à l'issue de ce faux départ: l'annonce d'un plan de redressement de la Sécurité Sociale, branche santé. Là aussi, c'est comme dans Columbo: on a l'a revu x fois, sauf qu'ici c'est sans plaisir. Certains pousseront pourtant un ouf de soulagement: pas de déremboursement de médicaments, pas d'augmentation des franchises ou du ticket modérateur. Le gouvernement a trouvé une autre astuce: il a pris le "faire payer les riches" des communistes des années 70 pour l'appliquer aux mutuelles et assurances privées, l'argent étant supposé se trouver là. Ce à quoi je fais quelques remarques:

1- Un nouveau plan de redressement de la Sécu, c'est le signe que les précédents ont échoué ou se sont révélés insuffisants. N'est-ce pas Xavier Bertrand, ancien ministre de la Santé, défenseur de la réforme Fillon de 2004, qui devait rétablir les comptes? C'est la preuve que la Sécurité Sociale est encore en attente de la grande réforme qui garantira son financement ultérieur, assurera l'équilibre de ses comptes et respectera ses principes fondateurs, le mécanisme de répartition et l'esprit de solidarité.

2- Mettre sur le même plan mutuelles et assurances privées est dommageable. Les unes ont une histoire et des valeurs spécifiques, dont l'originalité doit être reconnue. Les autres fonctionnent dans le pur esprit du marché, ce qui ne me choque aucunement, en socialiste libéral que je suis. Mais je conteste qu'on puisse les assimiler et les soumettre identiquement à une même taxation.

3- Vouloir faire entrer les compagnies privées d'assurances dans la gestion de la Sécurité Sociale, comme le souhaite Roselyne Bachelot, non, ce n'est pas acceptable. Elles n'ont rien à y faire. Elles gèrent l'argent de leurs cotisants, la Sécu gère l'argent de tous les citoyens qui travaillent. Je ne veux pas employer l'image du loup dans la bergerie, les assurances privées n'étant pas des fauves, mais le plan préconisé pourrait y ressembler.

Pour terminer, nos parlementaires viennent à peine de boucler leurs valises que Nicolas Sarkozy leur annonce une probable rentrée plus tôt que prévue, une cession extraordinaire en septembre, pour que le rythme des réformes ne faiblisse pas. Encore un faux départ! Ou plutôt une fausse rentrée, pas au moment initialement fixé. La quantité, voilà ce qui obsède notre président. Mais la qualité? Certains parlementaires, y compris de droite, se plaignent de ce train d'enfer, qui compromet la bonne tenue des textes législatifs.

Voilà pour l'instant, je vous souhaite une bonne matinée, mais ce sera bien sûr, comme Columbo, un faux départ puisque je vous retrouverai dans quelques heures...

30 juillet 2008

Relevé de conclusions.

Bonjour à toutes et à tous.

La rencontre de mardi entre Moscovici, Aubry et Lebranchu a donné lieu à un relevé de conclusions, dont je tire 4 points importants:

1- "Nous partageons le dessein d'un socialisme moderne, d'une Europe politique, du retour des valeurs de la gauche (...) Nous devons être à la hauteur des défis du socialisme dans la mondialisation."

Une courte phrase, d'apparence banale, où pourtant l'essentiel est dit, que je vous décrypte:

a. Le "socialisme moderne": lors de la réunion des Reconstructeurs à Paris le 1er juin, une parole de Marine Aubry m'avait inquiété. Elle affirmait que le socialisme n'avait pas besoin d'épithète, que c'était l'altérer que de le compléter, qu'elle ne se sentait donc pas obligée d'évoquer un "socialisme moderne". J'étais inquiet parce que les mots ont leur importance en politique, ceux qu'on choisit, ceux qu'on refuse. Me voilà maintenant rassuré.

b. "L'Europe politique": en décortiquant la contribution de Martine, sa vision de l'Europe me semblait très en decà du nécessaire. Les déclamations convenues du "l'Europe sociale" ne me suffisent pas, surtout quand on ne précise pas comment on va faire cette Europe sociale. Ce moyen est rappelé: ça ne peut être que l'Europe politique. Très bien.

c. "Le retour des valeurs de gauche": auraient-elles disparu, se seraient-elles effacées pour que ce texte en réclame le "retour"? Je pense que oui. Plus précisément, je crois qu'elles ont été altérées, troublées ces deux dernières années. Avec toute l'amitié que j'ai pour mes amis ségolénistes, sans méconnaître une forme de proximité politique que je partage avec eux, la campagne de Ségolène a renversé chez nous bien des certitudes, dont certaines méritaient ce sort, mais d'autres ont injustement souffert de cette remise en cause (je ne citerai qu'un exemple pour bien me faire comprendre: la sévère critique de la carte scolaire, qui est un principe d'organisation de l'Education Nationale, une source d'égalité contre toutes les dérives individualistes).

Autant je suis social-démocrate, autant je suis modernisateur de notre doctrine, autant il me semble indispensable de garder le socle de nos "valeurs", ce qu'on appelle nos "fondamentaux". Et pour reprendre l'image de l'arbre, chère à nos camarades guisards, je dirais que les racines doivent êtres solides pour que nous puissions élaguer les vieilles branches, les bourgeons stériles et les fleurs vénéneuses tout en cultivant les jeunes pousses et les fruits féconds du socialisme (c'est l'été, je me laisse aller à des métaphores champêtres!).

d. Le "socialisme dans la mondialisation": vous vous souvenez du débat entre Staline et Trotsky, le "socialisme dans un seul pays" ou la "révolution mondiale". Plus que jamais, nous devons être internationalistes. Par principe, parce que ça fait partie de ces "valeurs de gauche" dont je parlais à l'instant, mais aussi par réalisme: nous sommes en quelque sorte condamnés à la mondialisation, il faut trouver les moyens d'y faire face. Voilà pourquoi nous devons refuser tout repli sur la nation, de type chevènementiste.

2- "Nous combattons la fragmentation, qui est souvent le prélude au renoncement, chacun préférant un petit arrangement plutôt que des clarifications. Nous ne voulons plus d'une synthèse informe."

Combien de fois ne l'ai-je pas écrit sur ce blog, depuis deux ans, ne parvenant pas à le mettre en application dans la section de Saint-Quentin! Marre de la balkanisation du Parti, marre des petits clans qui préservent de petits pouvoirs, marre des lignes d'affrontements artificielles et parfois débiles, marre des combinaisons à la dernière minute menées par les ouvriers de la dernière heure! La démarche Mosco-Aubry tourne le dos à tout ça.

3- "La préparation de primaires ouvertes".

Elles seront essentielles pour désenclaver le Parti, l'ancrer dans la population, en faire un mouvement d'opinion et non plus un appareil aux mains d'élus et de bureaucrates. Soyons francs jusqu'au bout: les primaires, pour nous strauss-kahniens, c'est aussi le moyen de préserver l'hypothèse et le recours à DSK, mieux estimé chez nos sympathisants que parmi les adhérents.

4- "Nous ne préjugeons de rien, même si chacun a à l'évidence sa préférence sur le candidat au poste de Premier secrétaire".

Il y a Pierre, il y a Martine, les deux ont envie d'y aller, le poste est unique. Comment on fait? C'est l'éternel problème de la politique, beaucoup d'appelés, peu d'élus! Ma réponse est toujours la même, et celle de Mosco-Aubry est celle que j'avais proposée à Saint-Quentin: on ne part pas des personnes, on met de côté les rapports de force, chacun fait sincèrement part de ses intentions, on discute entre nous, on laisse nos réflexions se décanter et on choisit à l'arrivée le meilleur candidat. Vous avez ce qu'il en est advenu à Saint-Quentin: les poperénistes n'ayant à l'esprit que leur représentation sur la liste, Lançon n'ayant à l'esprit qu'à redevenir conseiller municipal et s'en était fini de ma méthode! Entre Moscovici et Aubry, je ne sais pas lequel sera choisi, mais je sais qu'il faut commencer par les idées, le projet, pas par des histoires de personnes, sinon on ne s'en sort pas, on n'aboutit à rien.


Bonne matinée ensoleillée.

29 juillet 2008

Comment muter?

Bonsoir à toutes et à tous.

Pour bien comprendre ce qui va se passer dans les 4 prochains mois au PS, et dont nous percevons depuis quelques jours les prémices, il faut avoir à l'esprit deux données politiques et quasiment sociologiques auxquelles peu de personnes prêtent attention:

1- En 30 ans, la situation chez les socialistes n'a pas seulement évolué, elle s'est carrément inversée. Je m'explique: dans les années 70, la majorité du Parti était sur la ligne politique qui est aujourd'hui minoritaire. Voilà le renversement! Dans les années 70, la "deuxième gauche", les idées de Rocard, la tendance réformiste étaient dans la minorité, alors qu'elles sont aujourd'hui très largement dominantes. Il faut bien comprendre que notre fameuse aile gauche, chevènementistes, poperénistes et autres, certes constitués en courant marginaux, influençaient très largement François Mitterrand, participaient à sa majorité, rédigeaient une bonne partie de son programme.

Vu d'aujourd'hui, nous avons parfois l'impression que cette gauche du Parti a toujours été minoritaire et contestataire. C'est faux! C'est elle qui inspirait le Parti il y a 30 ans, elle était sa mémoire, sa référence. Tout cela est fini, irréversiblement fini. Qui pourrait croire qu'en novembre Mélenchon, Emmanuelli, Lienemann, Filoche ou Dolez puissent remporter le leadership, entraîner le Parti? Personne. Quant à Royal, Delanoë, Aubry ou Moscovici, personne ne les classe à la gauche du Parti. Ce renversement de majorité est un événement fondamental, dont on ne mesure pas assez la portée, qui passe même parfois inaperçu.

Quelles en sont les conséquences? D'abord une crise d'identité sans précédent de notre "gauche", qui n'a plus le rôle de vigie qu'elle jouait autrefois. 2005 a été pour elle son dernier espoir, avec la divine surprise d'un Fabius fort présentable se portant à sa tête. Mais aujourd'hui, où en est Laurent? Je ne sais pas, et lui peut-être non plus. Toujours est-il que notre aile gauche ne pourra plus escompter sur sa personnalité. 2005 aura été pour elle une "parenthèse", pour reprendre l'expression de Jospin à propos de notre conversion social-démocrate de 1983. Mais cette fois une vraie parenthèse, puisque celle de 1983 ne s'est jamais refermée.

Du coup, la majorité social-démocrate a un devoir à effectuer: moderniser, rénover, démocratiser notre idéologie et nos pratiques, les mettre en conformité avec ce renversement de perspective. Et cela n'a toujours pas été fait! Rocard, premier secrétaire au début des années 90, a commencé, Jospin au pouvoir a fait une moitié du chemin, le congrès de Reims doit parfaire notre mutation.

2- Pourquoi mon rappel des années 70? Après tout, de l'eau a coulé sous les ponts depuis. Détrompez-vous, les hommes ne changent pas aussi vite que les situations, les structures sont souvent à la traîne des événements. Prenez l'Aisne, ses responsables fédéraux, ses secrétaires de section, ses élus socialistes, ses chefs de courants, faites un rapide calcul des moyennes d'âge, et vous aurez vite compris: les cadres du PS sont pour l'essentiel issus des années 70, en ont intégré la culture, les représentations, les réflexes. Tout cela ne s'efface pas, n'évolue pas aussi facilement. A Saint-Quentin, nous avons même connu il y a quelques mois un spectaculaire revival, un bad trip des années 70. Tout le problème actuel du PS est là: comment faire une organisation social-démocrate avec des camarades qui se sentent éloignés, étrangers à cette tradition?


Bonne soirée.

Mosco et les autres.

Retour au courrier de Moscovici, comme promis. Après Aubry, il annonce l'élargissement de son cercle à d'autres cercles, et cite un nom, un seul, sans prétendre que cette référence soit exclusive. Mais elle est là, et je m'en réjouis. Ce nom, ce camarade, c'est Bertrand Delanoë. Beaucoup de choses nous séparent encore de lui. Même si son idéologie est modernisatrice (sa revendication "libérale"), je ne suis pas certain que sa pratique politique soit rénovatrice. Il est réticent à l'idée d'un parti de toute la gauche, il ne dit rien du système des primaires, auquel les strauss-kahniens tiennent.

Pourquoi alors aller vers lui? Pour discuter, parce qu'il est prêt à discuter. Et puis, comment oublier que des strauss-kahniens, et non des moindres, l'ont depuis quelques semaines rallié. La famille est dispersée, elle doit se reconstituer. C'est du moins un élément parmi d'autres. Mais me direz-vous, pourquoi pas Ségolène? Je vous répondrais, là encore, pourquoi pas, et pourquoi pas d'autres. Si ce n'est qu'en politique, je l'ai bien vu à Saint-Quentin pour les municipales, il ne suffit pas de proclamer: discutons, discutons, discutons, quand personne ne s'assied devant vous pour discuter.

Je ne crois pas que Ségolène s'inscrive dans ce que j'ai appelé la combinatoire des cercles. Toute à son aura d'ancienne candidate à la présidentielle, forte d'une popularité certes amoindrie mais qui a résisté à la défaite, pouvant se prévaloir des 17 millions de voix qui se sont portées sur son nom, peu férue de compromis entre sensibilités internes, il me semble que Ségolène va demeurer fidèle à elle-même, à ce qui lui a tant réussi durant l'année 2006, cette démarche quasi gaullienne de leader au dessus du Parti et de ses courants.

Rien pour le moment ne laisse transparaitre de sa part une volonté de s'associer à d'autres camarades, de constituer ensemble une majorité. Si je voulais employer une image constitutionnelle, je dirais que sa démarche est présidentielle tandis que celle de Moscovici est parlementaire. Mais c'est normal, étant donné la situation politique de l'un et de l'autre. L'action politique n'est pas déterminée pas les personnes ou les personnalités, mais par les situations et les circonstances. En politique, je ne suis pas loin de croire que chacun est prisonnier de son destin.

Ségolène reste une candidate potentielle pour 2012. Je ne la vois pas première secrétaire du Parti, elle ne me semble pas faite pour ça. C'est un travail de mécano qui l'attend, resserrer les boulons, remettre le véhicule en bonne marche. Ségolène, son talent, son succès, sa popularité, c'est quand elle a bousculé le Parti (qui le méritait certainement!). Mieux vaudrait qu'elle prenne de la hauteur, de la distance. Les mains dans le cambouis, ce n'est pas la meilleure façon de préparer la prochaine présidentielle. Qu'elle s'inspire de DSK! Entre la direction du FMI et celle du PS, il n'y a pas photo pour qui veut préparer l'avenir.

Et puis, il y a le "phénomène" Ségolène, le fond de son idéologie, dans lequel le social-démocrate que je suis ne s'est jamais complètement reconnu, malgré sa portée modernisatrice. Je n'y reviens pas, reportez-vous aux archives du blog, année 2006. Ségolène, je le répète, c'est avant tout un phénomène, au sens précis du terme (et sans rien de péjoratif): un mouvement inattendu, puissant, novateur et en partie étrange, tellement peu conforme aux traditions socialistes, et qui a pourtant entraîné tout le Parti socialiste. Ce phénomère reste pour moi, par bien des côtés, mystérieux. DSK n'a jamais été un "phénomène"; le courant qu'il incarne, social-démocrate, est connu, repérable, ancien, sans surprise et n'a jamais, hélas, soulevé d'enthousiasme le Parti.

Et Fabius dans tout ça? Mosco n'en parle pas, ne cite pas son nom, alors qu'il fait partie, comme lui, des Reconstructeurs. J'avoue ne pas savoir ce que sera l'avenir de nos relations avec les fabiusiens. Nous en reparlerons certainement à La Rochelle. Mais je crois que les différences entre eux et nous demeurent assez fortes, malgré les efforts de Camba pour arrondir les angles. Ce qui semble certain, c'est que Fabius n'aspire plus à rassembler l'aile gauche, incurablement minoritaire, peut-être même marginale. C'est pourquoi Filoche, qui essaie malgré tout de réunir celle-ci, ne pense plus à lui quand il songe à elle.


Bonne fin d'après-midi.

La combinatoire des cercles.

Le Parti socialiste est entré dans une logique concentrique. Chaque contribution représente un cercle voué à s'élargir à d'autres cercles ou bien à être absorbé par un cercle voisin. Tout se joue dans l'intersection entre les cercles. Plus elle est la grande, plus la fusion est en bonne voie. A l'arrivée, il n'y aura plus que trois ou quatre grands cercles, qu'on appellera alors des motions. Où en est-on dans cette logique des cercles?

Ce matin, j'ai examiné la conjonction de deux cercles, Ayrault et Hollande, via Dray, avec l'approbation de Mauroy. Du classique. Nous n'en sommes qu'aux préliminaires. A la gauche du Parti, chaque cercle cultive pour le moment sa particularité. C'est le syndrome minoritaire. Mélenchon a pourtant prévenu: l'aile gauche est morcelée, elle doit se rassembler. Filoche est allé un peu plus loin: il a proposé de partagé son université d'été avec quatre autres sensibilités, Mélenchon, Lienemann, Dollez, Hamon. En vain pour l'instant. Hamon est le cercle de gauche le plus enclin à s'ouvrir, principalement aux Reconstructeurs.

Nous y voilà, parlons d'eux, les plus avancés dans la combinatoire des cercles. J'ai reçu ce matin, sur ma messagerie, un courrier de Moscovici rendu public (que vous pouvez lire intégralement dans les "commentaires"). Vous savez que celui-ci, allié à Montebourg, s'est ouvert la semaine dernière à la Ligne Claire, c'est-à-dire au trio de tête Collomb-Guérini-Valls. Le cercle s'est encore élargi depuis hier. C'est l'annonce électronique de Mosco, qui envisage la fusion (prévisible) avec Aubry et Lebranchu. L'étape est décisive. Chaque intégration précipite le mouvement, favorise, encourage, entraîne d'autres agrégations de cercles. Je vous cite un extrait de la lettre de Moscovici, qui résume parfaitement sa méthode, ses objectifs et son état d'esprit, auxquels je souscris entièrement:

"C'est à partir des principes, et non des relations interpersonnelles, de passions ou des pulsions, que nous devons définir notre action dans les temps qui viennent. C'est et ce sera ma seule ligne de conduite, ce doit être la nôtre. Quels sont ces principes? Nous ne pouvons pas, d'abord, être ambigus sur l'exigence réformiste, sur l'engagement européen, et j'ajoute pas davantage sur le respect du vote des militants. Nous ne voulons pas, ensuite, d'un Congrès de désignation, mais d'un Congrès de rénovation débouchant sur un "leadership de travail". C'est pourquoi je prétends à la fonction de premier secrétaire, parce que je pense avoir, dans le moment présent, le profil et les qualités nécessaires pour l'exercer. J'espère, légitimement, avoir sur ce point le soutien de tous les signataires de "Besoin de gauche". Enfin, nous ne saurions transiger, au moment où se formeront les motions, sur l'idée, profondément rénovatrice, des primaires."

Gardez bien à l'esprit cet extrait, relisez-le tranquillement chez vous, comme on boit un verre de cognac après un bon repas. Chaque mot compte, parce que chaque mot a été pesé, ça se sent. Tout y est: primauté de la méthode, refus de la personnalisation, rappel des principes, mise au clair, ligne d'avenir. En lisant, j'ai presque l'impression de me lire, quand il y a un an, quasiment jour pour jour, je mettais par écrit mes propositions programmatiques et stratégiques en vue des élections municipales de Saint-Quentin. Pas de doute, avec Mosco, nous partageons la même répulsion pour la vieille culture rancie d'appareil, qui pousse à des alliances douteuses, à des projets obscurs, à des palabres énigmatiques, à des rapports de forces brutaux, à des rapports de ruse détestables. Mosco met tout sur la table, trace des perspectives, discute avec qui veut bien discuter et avance. Car ne pas avancer en politique, c'est reculer.

Je reprendrai tout ça un peu plus tard.

Bonne suite d'après-midi.

Les grandes manoeuvres.

Bonjour à toutes et à tous.

Les ministres font leurs valises, mais pas les socialistes. Dans Le Monde paru hier, une quarantaine d'entre eux signent une tribune, lance un appel "Pour un Parti socialiste cohérent et solidaire". Qui n'en rêverait pas? Ce texte est à inscrire dans les grands mouvements stratégiques de rapprochement entre contributions, en vue de la constitution des motions en septembre.

Parmi les signataires, je repère les représentants de trois contributions générales: Ayrault (pour sa propre contribution), Dray (pour la contribution Hollande) et Mauroy (pour la contribution Aubry). Que présage ce regroupement? Ayrault est à Hollande ce que Lebranchu est à Aubry, des individuels qui travaillent quand même pour le compte d'un courant. Ayrault a déposé sa contribution, mais c'est un hollandais. Lebranchu est une amie de longue date de Martine, qu'Odette Grzegzulka, en son temps membre de cette sensibilité, avait fait venir à Saint-Quentin.

Le problème, c'est Pierre, une figure historique du Parti que chacun aimerait avoir avec soi. Son soutien à Martine est incontestablement idéologique (ce sont des européens et des sociaux-démocrates) mais aussi nordiste. L'affinité géographique a dû jouer. Je dis ça parce que je ne suis pas certain que Martine voit d'un bon oeil ce rapprochement, elle qui lorgne plutôt du côté des Reconstructeurs, peut-être pour en prendre la tête. Car que nous prépare Juju, qui est à Hollande ce que Camba est à Moscovici, un maître ès stratégie? Quand je lis de près la tribune du Monde, je retiens deux éléments, un qui me convient, l'autre que je récuse:

1- "Plutôt que de cultiver les différences, mieux vaut faire le constat de nos convergences". Bravo, c'est vers ça que devra aller le congrès de Reims. C'est d'ailleurs, presque mot pour mot, ce que les rénovateurs de l'Aisne ont écrit dans leur propre contribution thématique. Les oppositions artificielles, les postures, les clivages qui n'ont pour objectif que des enjeux de pouvoir, y'en a marre! On a vu à Saint-Quentin où ça conduisait: nulle part, à la division, à l'échec. Donc bravo.

2- Pour la désignation de notre candidat à la prochaine présidentielle, "les militants du PS doivent rester les seuls dépositaires, par leur vote, de ce choix". Aïe, c'est là où ça coince, pour moi, fervent partisan de "primaires" en vue de 2012. Je crois que cette mesure sera l'un des quelques points de friction, peut-être de déchirement, à Reims. Car la recomposition de la majorité se fera à partir d'un petit nombre de thèmes, dont celui-là (je pense aussi à l'Europe politique), qui font partie des points en quelque sorte non négociables.

Pourquoi Julien Dray repousse l'idée de primaires? Sans doute par principe: il y a chez certains camarades un culte, presque un rite de l'adhésion, qui leur font voir d'un mauvais oeil toute ouverture à nos sympathisants. Mais aussi par tactique: quand on a déjà son candidat, que celui-ci est bien placé à l'intérieur du Parti, pas besoin de faire appel à des primaires qui compliquent tout, rendent incertain le résultat, élargissent les possibles.

Qui n'a pas intérêt aux primaires? Delanoë et Royal, qui n'en parlent d'ailleurs pas dans leur contribution. Leur intérêt, c'est d'imposer leur leadership dès maintenant, en devenant l'un ou l'autre premier secrétaire. Pourquoi pas, ça ne me dérangerait pas ... s'ils n'étaient qu'un ou qu'une! Deux, quasiment à égalité dans les chances de l'emporter, c'est un ou une de trop, qui songera encore à l'emporter, même le vote du premier secrétaire effectué. Tout le problème est là, lourd de tensions et de conflits. C'est pourquoi je suis hostile à la présidentialisation de notre congrès.

Revenons à Juju: que veut-il? Proche de Ségolène, il s'en est éloigné. Pense-t-il à une réconciliation? François Hollande, à coup sûr, souhaite quitter le secrétariat du Parti en pesant dans la désignation de son successeur. Avec Dray, à qui pensent-ils? A Ségolène probablement. Si c'était Delanoë, ils l'auraient déjà rallié. Ségolène,il leur faut la conforter. Pure hypothèse de ma part, mais je vous dis les choses telles que je les sens et crois les apercevoir.


Bon après-midi.

28 juillet 2008

Bonnes vacances la France.

Bonsoir à toutes et à tous.

La France vient aujourd'hui de descendre un cran plus bas dans l'assoupissement généralisé, avec le dernier conseil des ministres. Les membres du gouvernement s'apprêtent à partir en vacances. L'an dernier, tout frais nommés, plusieurs avaient tenu à montrer qu'ils restaient au poste, si ce n'est quelques jours de détente pas trop loin de Paris. Par contraste, il y avait eu le séjour ostensiblement américain du président, transformé en feuilleton de l'été, avec visite à Bush, angine blanche de Cécilia et abordage d'un bateau où planquait un journaliste, si je me souviens bien. Rien de tel cette année, semble-t-il: les ministres sont redevenus des Français comme les autres, ils partent, et Nicolas est redevenu un président et pas une vedette traquée par les paparazzis. Mais c'est à confirmer...

Nos gouvernants à la mer, montagne ou campagne, qu'est-ce qui pourrait bien désormais, dans les trois prochaines semaines, faire réagir la France? Le Tour de France s'est achevé hier, plus aucun événement sportif n'est prochainement prévu. Je ne vois qu'un drame intérieur, du type de la canicule de 2003, ou bien une secousse dans le vaste monde, telle que la guerre au Liban en 2006, pour nous sortir de notre torpeur estivale. Malgré tout, le dernier conseil des ministres n'a pas chômé, trois points importants étant à l'ordre du jour:

1- La prochaine loi sur les prisons. Tiens, la surprise de l'été pourrait bien venir de ce côté-là, quand on sait qu'il y a 64250 détenus pour 50086 places. Car la chaleur, dans de telles conditions, pousse à la révolte. Comment régler le problème de la surpopulation carcérale dans nos 200 prisons? Il y a bien le bracelet électronique, en vigueur depuis environ 8 ans, pour la détention provisoire et les courtes peines. Le principe est un peu choquant, il fait penser au boulet du bagnard ou à l'anneau de l'esclave. Mais pourquoi pas, si le détenu y trouve son compte, et la justice aussi. Plus généralement, il faudra bien un jour ou l'autre régler le problème des prisons françaises, les plus dégueulasses d'Europe. Et je ne crois pas que le projet Dati ait cette ambition-là. Nous sommes toujours en attente d'un grand réformateur de notre système pénitentiaire.

2- Les mesures pour le logement. La mesure centrale, c'est la maison à 15 euros par jour, dont tout le monde reconnaît maintenant qu'elle coûtera un peu plus. Vous vous souvenez peut-être que sur ce blog, il y a quelques mois, j'avais fait la critique de cette disposition en apparence alléchante. Je n'avais pas tort. Les associations qui se battent pour le droit au logement, elles aussi, sont inquiètes. Pourquoi? 15 euros, c'est pas cher, c'est chouette, non? Le problème, c'est que ce dispositif va être intégré dans la loi SRU, Solidarité et Renouvellement Urbain, qui oblige les municipalités à proposer 20% de logements locatifs sociaux. Et alors? Eh bien, la crainte est de voir ce dernier objectif réduit à cause du premier, l'accès à la propriété pour 15 euros journaliers.

Vous me direz: mieux vaut être propriétaire que locataire. Peut-être, mais vous mettez la charrue avant les boeufs. Beaucoup de Français ne peuvent pas accéder à la propriété. Vous avez beau tourner les choses dans tous les sens, quand le pouvoir d'achat est faible parce les salaires sont maigres, la propriété est peu accessible, à moins de manger des patates pendant plusieurs années pour payer les traites de sa maison. L'effort prioritaire, c'est sur la location qu'il doit porter, via le logement social et cette fameuse loi SRU, que tout le monde trouve formidable et que pas tout le monde applique. Commençons donc par le commencement: les locataires d'abord, les propriétaires ensuite. Mais ce n'est pas la logique de Madame Boutin.

3- L'emploi dans les départements et territoires d'outre-mer. C'est un grave problème, généralement ignoré, les îles et le soleil évoquant le bonheur plus que le malheur. A tort, évidemment. J'espère, sans me faire d'illusion, que le gouvernement ne traitera pas là-bas le chômage comme il le fait en métropole, culpabilisant et sanctionnant les chômeurs au lieu de développer leurs droits et surtout l'emploi.

Le conseil des ministres s'est terminé par un petit cadeau du président à tous les membres du gouvernement. Et devinez quoi? Le dernier disque de Carla Bruni! C'est charmant, naïf, plein de bonnes intentions, c'est inhabituel, cette promotion professionnelle de l'épouse du président. Vous imaginez Mitterrand offrant le dernier bouquin de Danielle? C'est un style, le style Sarkozy. Les Français jugeront.

Je me pose une dernière question, très vilaine car très curieuse: Xavier Bertrand, pendant ses vacances, va-t-il continuer à dormir si peu, 4 heures par nuit comme il aime à le rappeler, ou bien va-t-il se détendre, prolonger ses séjours sous les draps, oser peut-être, qui sait, la grasse matinée? Je compte sur vous, vous lui demanderez pour moi, la prochaine fois que vous le verrez dans Saint-Quentin, au Carillon ou sur le marché. Merci d'avance, et bonnes vacances.


En attendant,
bonne soirée.

Les euro-prudents.

Parmi les contributions socialistes, la plus anti-européenne est celle de Jean-Luc Mélenchon, vrai tonton flingueur de l'Union, qu'il juge "antisociale", "a-démocratique" et "autoritaire" (p.160). Rien que ça! Et mon camarade n'est pas plus tendre pour ceux qu'il appelle les "eurocrates" et les "euro-béats", qu'il taxe d' "arrogance, mépris et sectarisme". Jean-Luc a même découvert un nouvel épouvantail à gogos, genre directive Frankenstein-Bolkensten: "le projet de grand marché transatlantique". Sur l'air bien connu du "on vous cache tout, on vous dit rien", il nous révèle que ce grand marché euro-américain, proposé par une social-démocrate allemande, théoriserait un "Occident politique" sous direction américaine (p.159). Bref, l'horreur absolue!

La contribution Lienemann est moins violemment anti-européenne, mais ce n'est pas non plus le grand amour. L'Union est carrément considérée comme un OVNI, "un objet politique non identifié" (p.178). Là encore, le manque de transparence est dénoncé comme une intention malfaisante, "ce recours volontaire à l'opacité". Les dirigeants européens sont sévèrement critiqués, et c'est la social-démocratie qui en fait les frais: "La social-démocratie européenne a, majoritairement, choisi la voie du renoncement (...) La vieille social-démocratie se meurt, parce qu'elle a tourné le dos à sa mission historique" (p.179). A part ça, peu de propositions nouvelles, originales, marquantes, sauf le leitmotiv d'une "autre Europe".

Mais ne croyez pas que les anti-européens Mélenchon et Lienemann soient ceux qui soulèvent le plus ma colère. Chez eux au moins c'est clair, avec eux pas de surprise, on ne s'attend pas à autre chose. Mais que dire de ces camarades pourtant européens mais timorés, excessivement prudents, faisant profil bas, se réfugiant derrière des analyses convenues, des propositions banales? Ils sont nombreux, je l'ai dit, certes pas tous critiquables au même degré. François Hollande, p. 13, ne consacre qu'une colonne à l'Europe, avec la sacro-sainte formule, qu'on se répète à satiété pour se convaincre soi-même: "Nos électeurs, ayant voté oui ou non, sont européens". Trop facile! Ces "européens" qui ont voté non sont comme le loup de la fable déguisé en grand-mère! En vérité, penser ainsi, c'est se dispenser de penser, c'est ne pas vouloir admettre que si tous les socialistes sont européens, c'est de façon totalement différence.

Bertrand Delanoë, lui aussi, sur le thème de l'Europe, me déçoit (p.26). D'abord parce qu'il rajoute inutilement sa pierre à toutes les critiques qu'on peut adresser à l'Europe, ensuite parce que "l'audace" dont il fait preuve au plan national ne se retrouve pas franchement au niveau européen. Plus surprenante encore est la position de Martine Aubry (p.41), dont la filiation avec Jacques Delors laissait espérer un euro-enthousiasme hélas absent. En premier lieu, elle stigmatise l'Europe en des termes que ne renieraient pas Mélenchon et Lienemann: "Aujourd'hui, nous ne nous reconnaissons pas dans une Europe qui accompagne le libéralisme au lieu de le réguler". Et que dire de ce manque d'allant, d'ambition dans sa perspective européenne? Jugez-en plutôt:

"Si de grands bonds ne sont pas possibles, acceptons des pas décisifs, même modestes, qui vont dans le bon sens. Sans rejeter l'élargissement, nous avons toujours prôné un approfondissement de l'Europe avec des pays qui le souhaitent. L'Europe n'a avancé que dans la différenciation, grâce à l'initiative d'un groupe de pays et parce que les autres ont admis de rester, durablement ou provisoirement, en dehors."

Si je comprends bien Martine, c'est en restant en dehors de l'Europe qu'on fait avancer l'Europe! Croyez-vous que de tels propos, euro-prudents, vont faire aimer l'Europe aux peuples, vont déclencher une passion européenne? Bien sûr que non.


Bon après-midi.

Soirée entre amis.

Bonjour à toutes et à tous.

J'étais invité hier soir chez des amis. On discute politique, inévitablement. Sur Saint-Quentin, rien. La droite est là, la gauche a pour la troisième fois échoué, personne ne voit ce qui pourrait changer. En revanche, sur le PS et son avenir, les langues se délient. Un copain m'annonce qu'il votera Bayrou si le PS n'arrête pas ses conneries. J'ai toujours la même réponse: attendez le congrès de Reims, après la situation ira mieux, nous aurons une majorité et un patron. Bayrou plait parce que son discours est clair et net et qu'il n'y a qu'une seule ligne au MoDem. Le problème actuel du PS, c'est sa polyphonie qui tourne à la cacophonie. Si encore nous avions deux alternatives bien tranchées en notre sein, comme pouvait l'être l'affrontement des mitterrandistes et des rocardiens dans les années 70... Mais non! La gauche du Parti est hors-jeu, les bisbilles ont lieu entre réformistes, Delanoë, Royal, Aubry, Moscovici... C'est ce qui ne va pas, c'est ce qui nous rend illisibles et inaudibles.

La discussion en vient inévitablement aux 35h (j'ai rarement vu, ces 10 dernières années, un échange politique un peu approfondi ne pas en venir à ce sujet). Tout le monde est pour, mais pas comme ça, avec plus de liberté, plus de souplesse. Au choix, quoi! Très bien, pourquoi pas, sauf qu'il y a un petit problème: Xavier Bertrand tient exactement ce discours-là! Alors on fait quoi? Et je réponds quoi aux amis?

Philosophiquement, le socialisme ne peut pas ignorer et ne doit pas combattre la montée de l'individualisme dans les sociétés modernes. La même chose pour tout le monde, ça ne passe plus, même si la chose en question représente un progrès social. Alors on fait comment? Parce que l'individualisation des rapports sociaux pose aussi, politiquement, de sérieuses difficultés et de graves dangers. Bertrand veut que tout, temps de travail, rémunération des heures supplémentaires, se discute au niveau de l'entreprise. Mais où va-t-on ainsi?

Lisez Charlie-Hebdo de cette semaine, vous y trouverez un excellent reportage signé Marine Chanel, chez nous, en Picardie, à Amiens, dans l'entreprise Goodyear-Dunlop. L'horreur! Vous avez un exemple vivant et terrible de ce que donne la négociation par entreprise et non plus au niveau de la branche d'activité. Dans l'usine Goodyear, la CGT et les salariés résistent à la réorganisation de la production (l'introduction des 4x8). Résultat: 402 licenciements. Dans l'usine d'à côté, Dunlop, la section cégétiste accepte cette réorganisation pourtant socialement néfaste (le temps de travail du week-end passe de 28 à 35 h, les ouvriers travaillant en semaine se retrouvent à l'usine 3 week-ends sur 4), au nom de la préservation de l'emploi. Résultat: les 26 délégués révoqués par la CGT.

Bref, les salariés perdent sur les deux tableaux, dans les deux sites, à cause de la division. Car derrière l'individualisation, la négociation d'entreprise, le fameux "pragmatisme" à la Bertrand, il y a une vieille règle, une antique ruse très politique: diviser pour mieux régner. Je laisse la conclusion à qui de droit, la journaliste de Charlie:

"Les syndicats, déjà très affaiblis par un médiocre taux d'adhésion chez les salariés français (à peine 8% en moyenne), pourraient bien être encore fragilisés par les réformes du gouvernement. La loi sur le service minimum ne devrait pas améliorer leur rapport de force avec le patronat. Quant à la réforme du travail, elle menace de renforcer la politique du chacun pour soi... Les syndicats sont morts, vive le moins-disant social!"

La méthode Bertrand, la voilà. Très efficace, hélas. Avec les amis, nous en avons terminé avec la politique par le sondage du Journal du Dimanche, qui met Delanoë en tête des préférences des sympathisants socialistes (31%) pour devenir le premier secrétaire du PS. Ensuite viennent Royal (29%), Aubry (16%), les autres candidats potentiels tournant autour de 5%. J'invite mes amis à prendre leur précaution avec ce type de sondage, qui n'a pas grand sens politique. Je le dis d'autant plus librement que Delanoë en tête, ce n'est pas pour me déplaire. Mais ce n'est qu'un sondage à un moment donné, et en politique tout change très vite, rappelez-vous les sondages vis-à-vis de Ségolène. Et puis, les sondeurs s'adressent aux sympathisants PS, catégorie assez flou, alors que ce sont les adhérents qui choisiront le premier secrétaire. Surtout, j'en reste à ce que j'ai toujours soutenu sur ce blog depuis son ouverture, en septembre 2006: ce ne sont pas les sondages, quels qu'ils soient, qui doivent orienter les choix du Parti socialiste.


Bonne matinée.

27 juillet 2008

Paroles de commerçants.

J'ai évoqué hier le publireportage des Boutiques saint-quentinoises, association de commerçants présidée par Hervé Halle. En fouillant dans mes archives, j'ai retrouvé un article d'Emilie Bar dans le Courrier Picard du 31 mai, qui donne la parole à des commerçants saint-quentinois, dont la vision est manifestement moins optimiste. Le titre annonce la couleur, plutôt sombre: "Faire face à la désertion du centre". Extraits:

"Avec la fermeture du Furet, le 17 mai, le centre ville s'éteint un peu plus encore (...) Baisse du chiffre d'affaires ou de fréquentation, les commerçants pointent du doigt un centre ville qui se meurt. Et si les zones commerciales en périphérie et les discounters de la ville ont bon dos, les commerçants dénoncent également une trop faible attractivité du centre."

"Pour les commerçants, le centre ville souffre essentiellement d'un problème de dynamisme, dont la place de l'hôtel de ville est le parfait exemple. Trop grande, trop vide, trop de banques, pas assez de commerces indépendants et originaux, pas assez de bancs, pas assez d'espaces verts (...) Quant aux travaux prévus sur la place, plusieurs commerçants restent dubitatifs, d'autres n'y croient carrément plus."

"Problèmes de circulation, de stationnement, d'événements non fédérateurs, les autres doléances fusent et on ne parlera pas du célèbre pouvoir d'achat qui mine le porte-monnaie."

Bref, ça va mal. Les principaux concernés parlent sans se cacher. Richard Hacq, gérant de la boutique de décoration Scènes d'intérieur: "S'il n'y a personne en ville, je n'ai personne à attirer dans ma boutique. La mairie a beau nous dire de balayer devant notre porte, c'est à eux d'attirer et de fidéliser les badauds". Dany Thilloy, responsable du chocolatier Trogneux: "La place est très bien l'été avec la plage et l'hiver avec le marché de Noël, entre deux, c'est assez triste". Marie-Paule Gilkin, vendeuse chez le chausseur Jacques Dorel: "Avant, on savait que lorsqu'une boutique fermait, le local ne resterait pas vide bien longtemps. Mais aujourd'hui, il faut avoir les reins solides pour se lancer dans l'aventure".

Quelles sont les réponses à cette évidente morosité? Côté mairie, il y aura l'aménagement de la place, avec des jardins saisonniers, des murets servant de bancs, l'installation du vieux puits de la basilique, puis la fin des travaux dans les rues de la Sellerie, Saint-André et des Toiles. La refonte de la galerie des Oriels est également attendue. Mais tout cela sera-t-il suffisant pour relancer l'activité?

Côté commerçants, on constate la venue d'une clientèle extérieure à la ville, du moins pour certaines boutiques, Dorel et Esprit. Le pari, c'est celui de leur plus-value, l'écoute, la proximité. D'autant que le départ de Babou et du cinéma ont éloigné une partie de la population du centre. Autre problème: la partie gauche de la place (quand on est face à la mairie) peine à garder ses commerces, 5 sur 12 ayant fermé, alors que la partie droite se porte bien (que les esprits malveillants n'y voient pas de ma part une allusion politique...). C'est un problème de flux de piétons, élément important pour comprendre le succès d'un commerce.

Tout peut basculer sur quelques mètres, d'un trottoir à l'autre. La stratégie commerciale vaut bien la militaire: le terrain décide autant que les forces en présence. Si la pâtisserie Henri, rue Saint-André, marche traditionnellement bien, c'est aussi parce qu'elle a capté la clientèle des sorties de messes. Si la pâtisserie Dudebout, place du 8 octobre, est en bonne position, c'est parce qu'elle se situe sur le bon passage, entre la gare et la montée vers le centre.

L'article d'Emilie Bar se termine d'une façon plutôt surprenante, avec un mot d'ordre inattendu: "Bon nombre de commerçants miseraient également sur la venue d'enseignes indépendantes et originales qui pourraient proposer des articles d'exception. Une manière d'embourgeoiser le centre. Une méthode qui a déjà fait ses preuves".

Pour lutter contre la dépopulation du centre, embourgeoisons-le! Est-ce que ça peut faire un slogan socialiste pour une campagne municipale?


Bonne fin d'après-midi.

L'énigme Bertrand.

Xavier Bertrand, cet homme si peu mystérieux qui joue volontiers au brave gars, est une véritable énigme: comment est-il arrivé là? Là, c'est le pouvoir, Paris, les ministères, l'Elysée et l'oreille du président. Bref, comment un militant devient-il ministre, demain peut-être le premier d'entre les ministres, après-demain, qui sait, encore plus haut?

Une véritable énigme parce que Bertrand ne sort pas d'une grande école, n'est pas un fils de famille, ne s'affiche pas en théoricien, n'a pas une jeunesse politique turbulente, comme certains de ses pairs qui ont fait leurs dents à l'extrême droite. Il est simplement sorti du rang, c'est un homme de troupe qui a monté dans la hiérarchie, comme sous Napoléon les valeureux soldats devenaient généraux d'Empire. Mais il n'y a plus de batailles ni d'empire. Alors?

L'énigme ne date pas d'aujourd'hui. En août 1998, quand j'aménage à Saint-Quentin, je me renseigne sur le paysage politique locale. Et je tombe sur une évidence: Pierre André est le maire mais Xavier Bertrand est celui dont on parle. L'un est respecté, l'autre est admiré. André, son aura est justifiée: il a arraché Saint-Quentin aux communistes. Mais Bertrand? A l'époque, il n'est quasiment rien, du moins pas plus que d'autres à droite, simplement maire-adjoint à la redynamisation de la Ville, ce qui ressemble plus à un titre honorifique qu'à une fonction réelle, et conseiller général dans un canton depuis 50 ans acquis à la droite. Et pourtant, l'inconnu Bertrand, dès 1998, est à Saint-Quentin un personnage, et un personnage inexplicable. Ce n'est pas la plage de l'Hôtel de Ville qui dissipe l'énigme: déverser des tonnes de sable au centre-ville vous rend un peu populaire mais ne fait pas de vous un personnage.

L'énigme Bertrand ne trouve pas sa solution à Paris, mais à sa source, ici, à Saint-Quentin. Qu'est-ce qui explique l'inexplicable? Je vous soumets 4 hypothèses complémentaires:

1- La solution de l'énigme est précisément dans le fait que cet homme est sans énigme, aspérité, ombre ou lumière. La seule petite tache de mystère dans ses 43 ans d'existence, c'est son initiation à une loge maçonnique installée à Tergnier, au sein d'une obédience progressiste. Sinon rien: Xavier Bertrand offre l'image avenante de l'homme hyper-ordinaire, lisse, souriant, modeste. Sa seule originalité, ce qu'il ose mettre en avant, ce qui le distingue du commun des mortels? Il bosse beaucoup, dort peu, est pragmatique et ne croit qu'en la compétence. Bref, un profil rassurant dans une société inquiète, un profil bas pour un peuple qui ne croit plus en la grandeur. Avec Bertrand, du concret, pas de prise de tête!

2- Xavier Bertrand réussit parce que l'échec ne le guette pas, il "grimpe" parce qu'il ne rencontre aucune occasion de chuter. Je m'explique: la politique, c'est la traversée de tempêtes et de déserts, une suite de mises à l'épreuve dont on sort broyé ou blindé. Les plus grands sont passés par là, une ligne brisée de victoires et de défaites. Rien de tel chez Bertrand, aucun orage dans son parcours, aucun drame politique, pas de déchirement, mais un bouchon qui s'élève quand le niveau d'eau monte, l'ascension sans heurt, hyper-classique, d'un employé plus que d'un guerrier de la politique: assistant parlementaire, conseiller municipal, adjoint, conseiller général, député, secrétaire d'Etat, ministre. La totale! 16 ans-43 ans, une moitié de carrière pépère, l'avancement à l'ancienneté et au mérite, avec pour seule particularité l'accélération soudaine dans les dernières années. Mais le plus dur n'est-il pas devant lui?

3- Xavier Bertrand, l'homme sans ombre, a besoin d'une lumière, hier André, aujourd'hui Sarkozy. Il y a ainsi, dans la nature, des plantes qui se développent au pied d'un arbre et des poissons-pilotes qui vivent autour des requins. Le couple Bertrand-André est la matrice qui explique tout, dont le couple Bertrand-Sarkozy est la réplique. Il faut voir combien, à Saint-Quentin, Xavier Bertrand prend soin de ne pas avancer quelques centimètres plus loin que le maire. Sa règle, c'est le retrait, la déférence, presque l'effacement. L'énigme de cet homme ne peut se résoudre que dans ce paradoxe: son existence politique se nourrit de son inexistence personnelle! Ainsi, il colle à Sarkozy pour mieux décoller, il s'abaisse pour mieux se redresser. Là encore, ne croyez pas que ce comportement soit exceptionnel. Combien de socialistes ai-je vus, certes souvent moins talentueux et experts que Bertrand, se soumettre à un puissant du Parti afin d'exercer plus tard, à leur tour, la puissance?

4- Ce qu'est Bertrand, il le doit à lui bien sûr, mais autant à son environnement. Il ne serait pas ce qu'il est devenu sans le contexte politique saint-quentinois, qui a étrangement anticipé le contexte national: un Parti communiste qui s'écroule, des socialistes divisés incapables de reprendre le leadership, une tentation gauchiste qui pousse à droite le centre gauche. La politique d'ouverture, son inventeur, ce n'est pas Sarkozy, c'est Pierre André en 2001! Bertrand à Saint-Quentin, c'est Sarkozy en France: deux hommes qui avancent, s'installent, réussissent parce que rien ne leur fait obstacle, parce qu'ils prospèrent dans le vide qui les entoure. Marcel Gauchet l'a très bien dit lors d'un colloque de "Marianne", dont l'extrait est visible sur Dailymotion: un homme de droite si caricatural, imposant au pays une politique aussi conservatrice, devrait susciter à gauche une réaction d'ampleur qui se fait hélas attendre. Même constat à Saint-Quentin: que dans une ville ouvrière et pauvre, un ministre du travail aussi anti-social soit populaire, il y a quelque chose qui ne va pas, qui n'est pas normal. Et ce qui ne va pas, ce qui va mal, tout le monde le sait: c'est la gauche.

Ne vous y trompez pas, il ne s'agit pas pour moi de désespérer mais d'être réaliste. Car les 4 points forts de Bertrand seront demain, à coup sûr, 4 points faibles:

1- L'homme ordinaire va se révéler ce qu'il est, une bête politique, le pragmatique va laisser percer l'idéologue. Au gouvernement, accumulant les lois et réformes à son nom, son image va inévitablement changer, le gestionnaire va s'effacer devant le partisan.

2- Les épreuves dont il a été épargné jusqu'à maintenant finiront par arriver. Son long fleuve tranquille ne pourra que devenir tumultueux. Il traversera, un jour ou l'autre, son baptême du feu. Ce jour-là, il aura vraiment gagné... ou perdu, pas avant.

3- Bertrand ne sera pas continuellement derrière un grand, à son service, le premier de la classe après le professeur, le brillant second. Quand il voudra et devra endosser le rôle de premier, nationalement, localement, on peut penser que tout va changer, que les fragilités vont apparaitre, que les failles peut-être vont se faire jour.

4- Enfin, nationalement comme localement, lorsque que la gauche se sera resaissie, refaite, lorsqu'elle aura donné un contenu à son projet, clarifié ses alliances et désigné un leader, à Paris comme à Saint-Quentin, Xavier Bertrand pourra se déployer avec beaucoup moins de facilité.


Bonne fin de matinée.

La paille et le grain.

Bonjour à toutes et à tous.

Je reprends avec vous ma lecture transversale des contributions socialistes sur l'Europe, en accélérant un peu le pas. Marylise Lebranchu, dans son texte "Brèves de campagnes", est la seule à avoir le courage d'évoquer la question turque (même Moscovici n'en parle pas) et de défendre son adhésion à l'Union (p.207). Bravo! Et c'est bon de rappeler combien cet élargissement est nécessaire, au moment où se déploie le grand guignol sarkozien de l'Union pour la méditerranée.

Moscovici, j'y viens, avec son "Besoin de gauche", la seule contribution à se référer au fédéralisme. Un comble quand on sait que ce concept a toujours nourri la réflexion européenne des socialistes! Mais certains camarades ont décidé de tourner le dos à leur propre histoire. Pas Mosco. Je note 4 dimensions dans son propos:

1- "La crise européenne est d'abord une crise du sens" (p.136). Oui, et ce sont principalement les nonistes qui nous ont, au sens précis du terme, déboussolés. Quel sens donner à l'Europe? Fort simple, "l'Europe politique", avant tout. C'est pourquoi je me méfie des cabris qui s'agitent autour de "l'Europe sociale". Bien sûr que l'Europe doit être sociale! Répéter une évidence ne sert à rien. Vouloir ce qui est utile est en revanche plus important. Et l'utile, c'est "l'Europe politique", condition de l'Europe sociale.

2- L'Europe politique, c'est l'Europe fédérale: "Nous voulons une Europe unifiée et puissante (...) Cette conviction nous conduit à militer pour des transferts de compétence (...) des institutions plus fédérales et parlementarisées" (p.136). C'est dit! Et Mosco est à nouveau le seul, à la fin de son texte (p.140), à souhaiter des "Etats-Unis d'Europe", selon la belle expression de Victor Hugo. Qui dit mieux?

3- L'Europe doit assumer son élargissement, auquel rechignent certains camarades, posant des conditions à l'entrée de la Turquie, s'inquiétant de la venue des pays de l'Est. Ces camarades ne sont vraiment pas à la hauteur de cette rencontre historique! On ne fait pas de grandes choses avec la peur au ventre. Mosco prévient: "Nous devons aussi faire oeuvre de pédagogie, et convaincre les Français que les nouveaux Etats membres, loin de constituer une menace, sont un atout pour l'Union dans la compétition internationale" (p.136).

4- Fabius propose une armée franco-allemande, Moscovici va plus loin, et c'est très bien: "La montée en puissance de la capacité de l'Europe en matière de défense et de sécurité est une priorité (...) Nous plaidons pour la création d'un corps d'armée européen sous commandement européen" (p.137). Là encore, sous réserve de vérification, Moscovici est le seul à faire cette proposition.

Au moment de la fusion des contribution, lorsqu'il faudra rédiger une motion commune qui dessinera le périmètre de la future majorité qui gouvernera le Parti, la question européenne devra être un critère essentiel qui permettra de séparer la paille et le grain, comme aurait dit Mitterrand. Europe politique, fédéralisme, élargissement (à la Turquie notamment), armée européenne, tout se tient et donne sens à notre engagement européen.


Bonne matinée.

26 juillet 2008

Restez chez vous!

Bonsoir à toutes et à tous.

Mais pourquoi les êtres humains éprouvent-ils le le besoin de partir en vacances? On est tellement bien chez soi à ne rien faire (je veux dire à ne pas travailler comme dans le reste de l'année). Les vacances, sortir, se déplacer, voyager, rien de plus fatiguant, un vrai travail! Je vais encore plus loin: chez soi, pourquoi ces télévisions où vous pouvez capter des centaines de chaînes? L'abondance conduit au gaspillage. On a trop, on ne sait pas quoi en faire. Si encore tout ça nous rendait plus intelligents ou plus heureux? Mais j'en doute un peu.

Je ne suis même pas certain que l'être humain, dans la société moderne, s'ennuie moins qu'autrefois. Pourtant, avec tous les moyens mis à notre disposition, dvd, livres, loisirs, sports, rencontres, tourisme, à tous les prix, pour toutes les bourses... Il faut réfléchir à tout ça quand on fait de la politique, pour savoir quelle société on veut, ce qu'il faut garder, ce qu'il faut changer, et quand on est socialiste, à quel socialisme on aspire aujourd'hui.

TV multi je-ne-sais-quoi, et tout le reste, il faudrait peut-être abandonner, prendre ses distances. Jeudi, je me suis branché sur France-Culture, à 19h00, j'en ai eu pour mon bonheur, pas besoin d'aller voir ce soir-là ailleurs. J'ai commencé par les conférences de Michel Onfray, que je vous avais déjà recommandées, sur ce blog, l'an dernier à la même époque. Onfray est un peu austère malgré son hédonisme proclamé, monotone dans le débit de voix, mais le contenu est toujours enrichissant. Cette semaine, il nous a fait connaître un philosophe américain très mal connu, Thoreau, même s'il a été en vogue il y a quelques décennies dans le milieu hippy. Lui, Emerson, le transcendantalisme, c'est un courant d'idées intéressant. Thoreau a vécu longtemps en solitaire, dans une cabane au milieu des bois, à Walden. Cette expérience doit beaucoup à sa réputation, à son originalité, sorte d'ermite progressiste des temps modernes.

A 20h00, toujours sur France-Cul (c'est ainsi que j'appelle cette illustre radio), j'ai eu la surprise de retrouver une connaissance d'il y a 17 ans, l'un de mes profs à la Sorbonne, Jean Salem, dont le dada n'a pas changé: les philosophes matérialistes et atomistes de l'Antiquité, spécialement Démocrite et les Epicuriens. Sacré Salem, toujours le même! Ce n'était pas pourtant mon prof préféré. Trop classique à mon goût, j'ai presque envie de dire trop universitaire: un spécialiste très pointu dans sa matière, auquel il manquait le charme du généraliste, très efficace et impressionnant en philosophie. Mais mon petit reproche fait grand honneur à ce grand professeur, qui tranchait sur ses collègues par son costume-cravate très élégant, et un détail qui m'est resté, ses boutons de manchettes gros comme des carrés de chocolat et tout en or (dans ma tête, ce qui est doré, c'est de l'or).

A 20h30, je tombe sur une série d'émissions consacrées chaque soir au rire, et ce soir, l'invité, c'est ... Philippe Val. Vous comprenez mon régal, pour ceux qui me lisent depuis longtemps! Val, toujours aussi intelligent, c'est un plaisir. A se demander ce que la bêtise apporte aux imbéciles? Si, je le sais, je vais vous le dire, et certains lecteurs ainsi se découvriront: la bêtise excite en nous la méchanceté, et certains ont du mal à s'en passer. La conférence de Val n'était pas éloignée de ce sujet puisqu'elle portait sur "le rire de résistance", ce que Val appelle l'humour. Car il y a aussi un rire de collaboration, d'aplatissement, de conformisme. Selon Val, la gouaille en fait partie, Arletty, Maurice Chevalier, toute une tradition comique populo qui exacerbe les pulsions au lieu de les mettre à distance comme le fait si bien l'humour.

J'ai terminé la soirée encore avec France-Cul, vers 22h00, le cul sur mon vélo d'appartement. Oui, je pédale pendant que j'écoute, j'économise du temps en faisant deux choses à la fois, je cultive mon esprit en entretenant mon corps, même si le premier me sert beaucoup plus que le second. Et qui y avait-il à cette heure-là sur les ondes? Une émission sur les séries télévisées, pas mal du tout (côté télé, vous savez, fidèles lecteurs, que je fais régime depuis un an et demi).

Vous voyez qu'on peut rester chez soi, qu'on y est tellement bien! D'autant qu'à la rentrée, il y aura le congrès socialiste, je vais à nouveau prendre mon bâton de pélerin pour aller dans les sections de l'Aisne, défendre la bonne parole social-démocrate. Et je ne parle même pas de mes activités associatives, café-philo et tout le reste!

Attention, je ne veux pas non plus, ce soir, jouer à l'intello que je ne suis pas. Je laisse ce titre à ceux qui veulent paraître, qui ont besoin de satisfaire une aspiration bourgeoise, au demeurant fort légitime, il n'y a pas de mal à ça. Mais très peu pour moi. Les pires en la matière, ce sont les petits bourgeois en mal de reconnaissance intellectuelle, sociale ou... politique. J'en connais quelques spécimens, ce n'est pas beau à voir. Se contenter de peu, comme je vous y invite, ce n'est pas se contenter nécessairement de France-Culture. Il n'y a pas que ça dans la vie. Encore heureux!


Bonne soirée... sur France-Cul.

Pavlov à St Quentin.

Je ne vais pas chaque jour de cet été vous répéter cette évidence: la politique ne prend pas de vacances. Même au niveau local, c'est évident! En effet, que vois-je dans L'Aisne Nouvelle d'aujourd'hui? Un grand article, une belle photo et un énorme titre, page A.5: "Non, le centre-ville n'est pas mort!" Si ça n'est pas de la politique! L'un des thèmes puissants et récurrents de la vie publique saint-quentinoise, c'est le centre-ville, sa désertification, sa redynamisation, son avenir. Le dernier conseil municipal s'est affronté là-dessus. Voilà donc le sujet revenu, et pas pour la dernière fois...

L'article? C'est en réalité un publireportage, c'est précisé en minuscule en haut, à droite. C'est donc un encart publicitaire, un message qu'on veut faire passer, et le titre le confirme s'il le fallait. La photo? Le sympathique Hervé Halle, président de l'association des commerçants, brandissant la carte de fidélité à puce "Ma Saint-Quentinoise", que l'opposition municipale avait vivement critiqué, le conseiller Antonio Ribeiro la traitant même de "mesurette". Halle n'est pas un politique. C'est pourquoi son intervention est habile, efficace. On ne peut pas l'accuser de parti-pris. Que nous dit-il?

Que Ma Saint Quentinoise n'est pas seulement une carte de stationnement (l'opposition s'était fixée sur ce seul point) mais surtout une carte de crédit: à partir de 150 euros d'achats chez les 70 commerçants partenaires (y compris Auchan!), la carte est créditée de 3% du montant de l'achat (2% chez Auchan, solidaire mais un tout petit peu moins généreux), pour de nouveaux achats, bien sûr chez les commerçants en question. Pour faire marcher le commerce, comment faire autrement qu'inciter à la consommation... mais après avoir déjà consommé?

Puis Hervé Halle en vient à ce qui a fâché l'opposition: la durée de stationnement gratuit qu'autorise la carte magique, 13 mn dans le parking sous-terrain de l'hôtel de ville, 15 mn en surface. Le publireportage évoque explicitement cette critique de l'opposition à travers la question posée à Halle: Que répondez-vous à ceux qui disent: "Ce n'est pas avec 15 minutes de parking gratuit qu'on va redynamiser le centre-ville"? Et voilà la réponse: "Ce n'est pas en se plaignant constamment et en attendant que "tout tombe du ciel" qu'on pourra rivaliser avec les galeries de la périphérie!" A bon entendeur, salut...

15 mn comme l'autorise la carte, 30 mn comme le propose Jean-Pierre Lançon, 60 mn comme le suggère Antonio Ribeiro, la question ne devrait-elle pas plus radicalement porter sur le principe de paiement ou de gratuité du stationnement? Car la différence entre 15 et 30, bien que du simple au double, ne me paraît pas suffisamment significative. En revanche, avec 60 mn, on entre dans des stationnements d'une autre nature. 15 ou 30, nous restons dans les petites courses, la consommation relativement rapide (le temps passe vite!). Une heure, ça devient conséquent. Mais pour celui qui doit payer, 15, 30 ou 60, c'est du pareil au même, il faut débourser. Alors, pourquoi pas la gratuité? La réponse de Hervé Halle me semble définitive:

"S'il (le stationnement) était gratuit, les places seraient occupées en permanence par les riverains, et notamment les commerçants eux-même. Le fait que le stationnement soit payant permet une rotation des véhicules, et donc de la clientèle."

Réponse définitive quoique relative: celui qui a besoin ou envie de stationner longtemps y mettra le prix sans qu'aucune mesure ne le dissuade vraiment, et inversement personne ne songe à stationner pour le plaisir d'occuper la place, même quand elle ne coûte rien. Sans compter le problème délicat de la verbalisation des contrevenants, sans laquelle pourtant le dispositif n'aura aucune efficacité. Voilà pourquoi je doute que la polémique entretenue autour de la carte Ma Saint-Quentinoise soit pertinente. En ce qui concerne le développement du centre-ville, le problème comme les solutions sont ailleurs.

Cette affaire de la carte nous rappelle deux principes politiques: celui du choix et celui de la globalité. Au nom du premier, qui consiste à dire que gouverner c'est choisir, que décide-t-on? Défendre les intérêts de l'automobiliste qui râle contre le stationnement payant (moi le premier!), défendre les intérêts des commerçants et le développement économique du centre (que je veux moi aussi!)? Au nom du second principe, qui fait qu'on ne peut juger une mesure particulière qu'en la replaçant dans un cadre plus global, jusqu'où peut-on aller dans la politique de gratuité du stationnement (la durée, les emplacements)?

Tout ça pour conclure qu'une opposition ne saurait être "pavlovienne", comme on dit ces jours-ci à Paris. Même à Saint-Quentin. Ce n'est pas parce que le maire fait une proposition qu'elle est condamnable. Et prenons garde en quels termes nous la condamnons. D'autant que la proposition ne vient pas de Pierre André mais de l'association des commerçants, ce que le premier magistrat de la commune ne s'est pas privé de faire remarquer lors du conseil municipal. Ceci dit, l'opposition aurait pu répondre qu'une municipalité qui verse une subvention de 100000 euros pour une telle opération s'engage, fait un choix, propre à être débattu et éventuellement contesté.

Ce qui me semble évident à la lecture de ce texte, qui a infiniment plus d'impact auprès de la population que n'importe quel tract politique ou déclaration partisane au sein du conseil municipal, c'est que Hervé Halle veut sortir le débat de la durée gratuite de stationnement pour l'élargir au développement du centre-ville en général, ce en quoi il a raison. Je ne sais pas ce que va faire l'opposition à la rentrée, j'ignore si l'esprit de suite et la constance font partie de ses vertus comme elles font partie des miennes, mais Halle démine le terrain et déplace le problème, en suggérant quelques nouvelles pistes pour la promotion du centre-ville: l'organisation d'évènements spécifiques, des "nocturnes", l'ouverture des magasins entre midi et 14h.

Et puis, comme un publireportage est une opération de publicité, Hervé Halle n'oublie pas de rappeler l'aide de la municipalité: hormis la subvention de 100000 euros, l'installation des terrasses et enseignes, le ramassage des cartons, les illuminations de Noël, tout cela est à Saint-Quentin gratuit pour les commerçants, mais payant dans de nombreuses villes. Comme quoi la gratuité peut avoir quand même du bon...


Bonne fin d'après-midi.

10 critères, 1 peuple.

Bonjour à toutes et à tous.

Mon fidèle et plus ancien interlocuteur sur ce blog a nié dans un commentaire d'hier l'existence, du moins actuelle, d'un peuple européen. La question est fondamentale: peut-on vouloir l'Europe sans un peuple européen? Réponse classique: ce sont les peuples nationaux qui font l'Europe supranationale. Pour moi, ce n'est pas une réponse, c'est un problème: le national et le supranational ne sont pas de degré mais de nature différence, on ne peut pas les associer, comme on ne peut pas sans risque mélanger deux types de carburants. L'Europe est en panne parce qu'elle n'ose pas trancher entre les deux, le national et le supranational, les peuples d'Europe et le peuple européen, l'Europe des nations et l'Europe fédérale. C'est bien joli, me direz-vous, mais ce peuple européen, existe-t-il?

Qu'est-ce qui définit l'existence d'un peuple? Au moins 10 critères, que je vais passer en revue pour vérifier si l'Europe y souscrit:

1- Le critère numérique: à partir de combien d'individus rassemblés peut-on parler d'un peuple? A coup sûr une famille, un village, une tribu ne forment pas un peuple, n'étant pas assez nombreux pour cela. Mais de quelques millions à plus d'un milliard d'individus (le peuple chinois), nous avons affaire à un peuple. De ce point de vue, les européens en forment un.

2- Le critère géographique: même s'il existe quelques peuples nomades, même si certains sont éparpillés à travers une diaspora, la plupart sont localisables dans un espace délimité. Là encore, les européens ont un continent à eux, ils ne sont pas une fiction planétaire. Le débat sur les frontières de l'Europe ne change rien fondamentalement à cette réalité.

3- Le critère temporel: faut-il une certaine durée, une période de probation, un temps de gestation pour qu'apparaisse un peuple? Pas nécessairement. Les Américains se sont constitués assez vite en peuple, dans la conquête de leur continent, sans attendre des siècles et des siècles, à la différence du peuple français.

4- Le critère historique: un peuple doit avoir une histoire commune relativement ancienne, un passé partagé. A nouveau, l'exemple américain contredit cette exigence. Néanmoins, l'Europe ne souffre pas d'une absence d'Histoire, nous pouvons remonter fort loin pour en faire débuter une.

5- Le critère linguistique: un peuple, une langue. Pas de langue européenne , pas de peuple européen? Critère discutable, mais surtout, n'avons-nous pas une langue européenne, qui a réussi à s'imposer dans chaque pays comme le Français s'était imposé dans les cours princières au XVIIIème siècle? Je veux parler de l'Anglais, bien sûr.

6- Le critère culturel: la diversité des nations, de leurs héritages n'interdit-elle pas un ensemble homogène que doit être le peuple européen? Non. La France d'Ancien Régime était constituée de nombreux peuples, de traditions et de langues différentes, unifiés progressivement par la monarchie, et qui ont engendré le peuple français.

Il reste 4 critères, dont je vous ai déjà antérieurement parlé, des critères politiques:

7- Le critère institutionnel: à un peuple, il faut une Constitution, à l'exception de la Grande-Bretagne, mais une exception ne fait pas la règle. La Constitution européenne, nous l'avons, même si elle a été temporairement refusée. Un jour nous y viendrons.

8- Le critère monétaire: un peuple, une monnaie. C'est fait: l'Euro.

9- Le critère fiscal: l'impôt, autre instrument de la souveraineté. On y viendra aussi un jour.

10- Le critère militaire: un peuple vit à l'ombre d'une défense, protégé par une armée. On en parle et ça se fera.

Pour résumer, les critères qui constituent un peuple ne sont pas tous réunis en ce qui concerne le peuple européen, mais une majorité y satisfont. Et puis, l'Europe se veut démocratique, le premier empire démocratique au monde, décidé par les peuples, sans aucune violence, à la différence des Etats-Unis. En démocratie, le peuple ne se constate pas ou ne s'attend pas, il s'érige en un acte politique, comme les révolutionnaires de 1789 ont proclamé l'existence de la Nation, c'est-à-dire la souveraineté populaire, le suffrage universel, la "volonté générale" selon Rousseau. Le peuple européen n'existe pas? Peut-être... mais raison de plus pour décréter qu'il existe.


Bonne journée.


PS: moi qui ai horreur du sport, je regarderai cet après-midi le contre la montre du Tour de France, la ville-étape étant Saint-Amand-Montrond. Pour ceux qui croiraient à une nouvelle contradiction de ma part reliront les archives de ce blog. Les autres me comprendront.

25 juillet 2008

Plouf!

Bonsoir à toutes et à tous.

A quoi juge-t-on un homme politique? A ce qu'il dit? Oui, mais pas seulement, surtout à ce qu'il fait, aux résultats de sa politique. Prenez Xavier Bertrand. Il joue souvent au pragmatique (alors qu'il est terriblement idéologue, comme tous ceux qui font de la politique). Prenons le au mot, faisons lui confiance: puisqu'il est pragmatique, il va s'effacer devant les résultats, se soumettre à eux sans discuter. Voyons cela, d'autant que plusieurs documents viennent d'être publiés et permettent de juger ces résultats:

Il y a d'abord un rapport sur l'emploi des seniors, les quinquas qui ont du mal à trouver du travail, qui sont souvent contraints à la pré-retraite ou au temps partiel, alors qu'ils sont encore en pleine force de l'âge, qu'ils ont souvent des enfants à leur charge, dont il faut financer les études. Eux-mêmes ont envie de continuer normalement à travailler, pour avoir dans la soixantaine une retraite à un niveau correct.

Pourquoi je vous rappelle tout ça, et quel lien avec Xavier Bertrand? Eh bien celui-ci, en 2003, alors qu'il n'était que député, s'était fait le grand défenseur, à travers les fédérations de l'UMP, de cette réforme Fillon des retraites. C'est sa pugnacité à ce moment-là qui l'a fait remarquer. Or, quelle était l'une des grandes promesses de cette réforme? Le maintien au travail des plus de 50 ans, dont le nombre d'inactifs est particulièrement important en France par rapport à d'autres pays européens. Le rapport publié récemment (vous m'excuserez de ne pas en avoir retrouvé les références précises) montre que rien, absolument rien ne s'est amélioré dans ce domaine.

En 2004, Xavier Bertrand est ministre de la Santé. Cette fois, il participe directement à la mise en place d'une autre réforme, celle de la Sécurité Sociale, avec Douste-Blazy. L'objectif: rétablir l'équilibre des comptes. Bertrand fixe une date: fin 2007. Qu'avons-nous appris début juillet? Que la Cour des Comptes, tenez-vous bien, a refusé de certifier les comptes 2007 de la Sécu. Imaginez un peu que le commissaire aux comptes, dans une grande association, refuse de certifier ses comptes. Ce serait immédiatement la crise, le scandale! Pourquoi ce refus? Parce que le déficit estimé par la Cour, 10,5 milliards, ne correspond pas à celui annoncé par le ministère du Budget, 9,5 milliards. Un petit milliard de différence, ce n'est pas une paille! Et la promesse de retour à l'équilibre prophétisé par Xavier Bertrand?

C'est la première fois que la Cour des Comptes en arrive à cette extrémité. A force de cadeaux fiscaux, voilà dans quel état de nos finances publiques la droite nous a plongés! Le PS, devant la gravité exceptionnelle de l'évènement, a proposé la création d'une commission d'enquête parlementaire.

Et ce n'est pas fini. Les heures sup maintenant, disposition sarkozienne chère au ministre du Travail. Où en est-on 7 mois après le lancement du dispositif? L'Acoss, qui gère les fonds de la Sécu, a fait un bilan dans un rapport publié le vendredi 20 juin. J'en retiens 4 leçons:
1- Pour le moment, il n'y a pas de boom sur les heures supplémentaires.
2- Quand il y a heures sup, les gains pour les salariés sont minimes.
3- La défiscalisation de ces heures n'est pas franchement intéressante quand on sait que un Français sur deux n'est pas imposé.
4- Les heures sup entrent dans le calcul du revenu fiscal et risquent de faire perdre à certains leur prime pour l'emploi. Génial!

Donc, avec les heures sup, le ministre du Travail est loin d'être à la fête. Et ça n'est pas mieux pour le rachat des jours de RTT: le même rapport de l'Acoss estime que le dispositif ne concerne que 20% des salariés, qui rachètent 2 à 3 jours de RTT seulement, les patrons n'étant pas plus séduits par cette mesure puisqu'ils ne sont que 21% à envisager de proposer à leurs salariés le fameux rachat.

Résumons: l'emploi des seniors ne s'améliore pas, le déficit de la Sécu explose, les heures sup ne passionnent pas, le rachat des RTT n'intéresse pas. Et tout ça malgré les promesses de Xavier Bertrand, qui font plouf. J'aimerais que ça se sache un peu plus dans Saint-Quentin.


Bonne soirée.

Le retour de Fiterman.

Bonjour à toutes et à tous.

Parmi les "petites" contributions socialistes, j'en retiens deux qui tiennent sur l'Europe des propos originaux:

D'abord celle intitulée "Unité et refondation(s)!", présentée par Frédéric Léveillé, mais signée par un camarade beaucoup plus connu, Charles Fiterman, ancien secrétaire de Georges Marchais dans les années 70 et chef de file des ministres communistes (dans les Transports) dans les années 80. Fiterman aurait pu, étant donné son passé, rejoindre notre aile gauche. Mais je dirais plutôt que c'est à cause de ce passé qu'il n'a pas rallié les courants minoritaires, sachant qu'il ne faut rien attendre d'un quelconque néo-communisme. En tout cas, Fiterman a choisi, et il l'écrit: "Le réformisme est une grande ambition" (p.101).

Sur l'Europe, le texte s'affirme d'emblée en faveur d'un "socialisme européen", qu'il définit en premier lieu comme un "idéal". C'est important, parce que ce dont crève actuellement l'Europe, c'est de s'enfoncer dans ce fichu "concret" que tous ceux qui n'ont rien à dire ont aux lèvres. Le "concret", je m'en fous! Je veux comme Fiterman de "l'idéal" . Voilà ce qui manque à l'Europe. Quand les politiques brandiront fièrement l'idéal européen, les peuples suivront. Le "concret", c'est la politique au ras des crottes de chien, je n'en veux pas. Fiterman présente même l'Europe comme "la seule utopie mobilisatrice de notre temps" (p.106). Lisez ceci:

"Trop souvent dans les débats sur l'Europe, l'idéal qui est le fondement même de celle-ci s'estompe. Il n'est donc pas surprenant que les peuples se détournent de ce qui n'est plus une aventure..."

Bien vu. L'Europe doit rester un idéal et redevenir une aventure. Mais où sont les aventuriers des temps modernes? Je vous renvoie à mon billet d'il y a une semaine sur "un monde sans héros". Ceux qui affirment que l'Europe, dès le début, n'est qu'une construction économique, mercantile, sont des menteurs. Au contraire, l'Europe est sans doute la première aventure politique de cette ampleur qui ait été motivée, après guerre, par la promotion de valeurs, au centre desquelles la paix (ce qui n'exclut pas, et c'est tant mieux, les préoccupations économiques).

La contribution a une 2ème originalité, plus forte encore que la 1ère: elle dénonce le nationalisme qui se déchaîne dans les votes sur l'Europe, au premier chef celui de 2005. Enfin! Car quelle honte de voir une certaine gauche radicale, y compris au sein du PS, frayer sans vergogne avec des éléments extrémistes de l'autre bord, souverainistes, nationalistes et tutti quanti! J'ai même, à cette époque, entendu quelques camarades, rares il est vrai, soutenir que le vote FN était une forme de "protestation sociale". Vous concluez par vous-même: si ce vote est d'une telle nature, il faut se mettre à son écoute pour essayer de le comprendre. Tu parles! Ceux qui votent Le Pen sont des fachos, à traiter comme tels, ceux qui crachent sur l'Europe sont des nationalistes. Bon, Fiterman ne va pas aussi loin que moi, mais l'inspiration est la même:

"Il est surprenant de voir le nationalisme, voire l'esprit de clocher, ressurgir de manière inattendue dans les propos d'un certain nombre de dirigeants quand il s'agit de la construction européenne. Les débats sur le Traité européen ont été marqués parfois par des accents quasiment cocardiers..."

Fiterman demeure indulgent, il limite la responsabilité aux dirigeants (qui ont il est vrai une responsabilité particulière), mais les peuples, dans certaines de leurs pulsions, ne sont pas non plus innocents, même si le populisme ambiant les exonère de toute responsabilité.

Une 3ème idée me fait adhérer à la contribution signée par Fiterman, idée à laquelle je tiens énormément: il ne faut pas lâcher la perspective d'une Constitution pour l'Europe. Certes, le texte le dit modérément, évoque plus l'esprit que la mesure précise. Mais l'inspiration est là:

"Le vide institutionnel dans lequel nous demeurons devra bien être dépassé, d'une manière ou d'une autre, si nous voulons conforter une citoyenneté européenne et affirmer, avec force, à destination de l'ensemble des habitants de la planète, les valeurs humanistes et démocratiques du projet européen. L'Europe doit pouvoir exister et s'exprimer au nom de tous".

Dernière remarque qui m'agrée, la dimension universelle de l'Europe, qui ne doit pas être un empire supplémentaire mais s'ouvrir sur le monde. A partir de là, la question des frontières, qui préoccupe Laurent Fabius et d'autres camarades, n'a plus à se poser:

"Ces valeurs fondatrices et universelles (...) ne peuvent s'arrêter aux seules frontières géographiques de notre continent."

Lisez Fiterman, du moins son apport sur l'Europe: www.capgps.net . L'autre "petite" contribution intéressante est celle de Marylise Lebranchu. Je vous en parle dans un prochain billet.


Bonne fin d'après-midi.

24 juillet 2008

Camarade Filoche.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je vous parle comme promis de Gérard Filoche et de son point de vue sur l'Europe, tel qu'il est exposé dans sa contribution "D'abord, redistribuer les richesses" (www.democratie-socialisme.org ). Le camarade Filoche, j'ai peu d'affinités avec lui: son passé lambertiste, sa radicalité politique, sa dénonciation virulente de la Constitution européenne, jusqu'au récent soutien de son courant, Démocratie et Socialisme (à ne pas confondre avec mon courant réformiste, envers du premier, Socialisme et Démocratie!), à Siné, rejeté de Charlie-Hebdo pour antisémitisme, tout cela constitue un ensemble, une culture, une sensibilité qui me sont étrangers.

Et pourtant, tout aussi éloigné que je sois de Filoche, ses propos sur l'Europe, dans sa contribution, m'ont "interpellé", comme on dit. C'est relativement court mais intéressant (pages 194-195). Pourquoi? D'abord parce que Filoche, à la différence de Mélenchon, ne s'acharne pas contre l'Europe actuelle. Certes, il la refuse, en propose une autre, mais sans cette volonté de rabaisser, de discréditer l'Union européenne. Là-dessus , Mélenchon en fait des tonnes, il se coule dans cette hargne, cette rage anti-européenne qui me paraissent toujours suspectes. Pas Filoche. Du moins dans sa contribution, car quand j'ai débattu avec lui en 2005 à Festieux sur le Traité constitutionnel européen, l'anti-européisme était présent. Mais encore une fois, Filoche n'est pas exactement Mélenchon, sur la question européenne du moins. En 2005, l'année de l'anti-Europe, Mélenchon s'est produit publiquement en compagnie des communistes et des trotskistes, sans gêne ni pudeur, bafouant le vote socialiste majoritaire. Pas Filoche, à ma connaissance, qui, lui, est resté dans le cadre du Parti et de ses règles, à l'image du NPS.

A part cette réserve et ce respect des règles du Parti, qu'est-ce qui me rapproche de Gérard Filoche? D'abord, il est favorable à une Constitution européenne, pas à celle de 2005, mais l'idée constitutionnelle ne le révulse pas. Voilà déjà un point commun fort, puisque rien ne me semble aujourd'hui plus important que de donner à l'Europe une Constitution, comme on lui a donné une monnaie, comme il faudra lui donner une armée. Autre point commun, le moyen pour parvenir à cette Constitution européenne, en tout cas dans son principe: la démocratie, le choix des peuples. Je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui un "déficit démocratique" de l'Europe, mais les grandes étapes de la construction européenne doivent être validées non par les peuples nationaux, à la façon de 2005, mais par LE peuple européen, toutes nations confondues.

Sur ce principe-là, l'Europe décidé par le peuple (mais pas LES peuples), d'accord. Sauf que Filoche, comme Mélenchon, propose de passer par une "Assemblée constituante européenne élue au suffrage universel" (p.194), et qu'il veut faire de cette proposition un thème majeur des élections européennes de 2009. Pourquoi pas, je ne suis pas défavorable à la démocratie représentative, bien au contraire. Mais camarade Filoche, et secondairement camarade Mélenchon, réfléchissez bien: votre Assemblée constituante, quelle majorité va-t-elle engendrer? Si on suit les derniers résultats électoraux dans les pays de l'Union européenne, ce sont plutôt des majorités de droite qui s'imposent. Croyez-vous qu'avec elles, on pourra construire l'Europe, et une Europe progressiste? Je ne crois pas.

Donc, ma préférence va plutôt à un référendum au niveau européen. D'ailleurs, cette procédure référendaire, n'est-ce pas ce que l'aile gauche du PS, et avec elle toute la gauche radicale, réclame à corps et à cris, au niveau national? Moi, je veux l'étendre à toute l'Europe, parce que je suis européen. C'est pourquoi je prends au mot et à la lettre Filoche lorsqu'il écrit: "L'Union européenne doit devenir une démocratie à part entière". Et je suis encore d'accord avec lui quand il dit: "L'Union européenne doit cesser d'être un nain politique". Et je suis enfin en phase avec lui, malgré nos divergences, quand je note dans sa contribution la phrase suivante: "Nous sommes européens, mille fois, dix mille fois européens, pour une Europe démocratique." Bien sûr, il y a une forme d'exagération qui inquiéte plus qu'elle ne rassure. Mais je veux demeurer optimiste, faire confiance dans les déclarations européennes de mes camarades les plus anti-européens.


Bonne soirée.

Fabius m'intéresse.

Pour revenir aux contributions socialistes, je veux vous parler aujourd'hui de deux d'entre elles, sur l'Europe, qui auraient dû détourner mon attention et qui, au contraire, l'ont retenue, celles de Fabius et Filoche, tous deux nonistes, l'un à la tête de ce camp, l'autre parmi les plus virulents dans ce camp. Et pourtant, leurs réflexions m'ont intéressé, sans pour autant me convaincre, mais ce que je veux vous montrer, c'est que des camarades très différents de moi peuvent m'amener à penser et que nos désaccords de fond n'empêchent pas certains rapprochements, certes relatifs mais réels.

Je commence par Laurent Fabius. D'abord, il évoque longuement l'Europe, à plusieurs endroits de son texte, et plus spécifiquement page 78. Son propos n'est pas essentiellement critique, il fait des propositions, qui n'entraînent pas toutes, loin de là, mon adhésion. Mais elles ont le mérite d'exister, ce qui me conduit à ne pas ranger Fabius parmi les purs et simples anti-européens, ce que sont Lienemann et surtout Mélenchon (j'en reparlerai). Laurent se présente comme "euro-volontaire", ce qui est déjà un bon point. Mais l'accord se fait sur un domaine précis, dont la seule mention dans sa contribution suffit à me satisfaire, parce que peu nombreux sont les socialistes qui abordent cette dimension de la construction européenne: je veux parler de la défense et des questions militaires.

C'est pourtant un sujet essentiel. Toute souveraineté repose sur 4 piliers: une loi commune, une monnaie commune, un impôt universel, une armée commune. La monnaie, on l'a, la loi, on a failli l'avoir avec la Constitution, l'impôt, ce n'est pas pour maintenant, l'armée, seuls les spécialistes en discutent. Qu'un politique, qu'un socialiste s'en saisisse, très bien. Et ce que propose Fabius me convient: une armée franco-allemande. C'est un début pour une armée européenne, mais un début indispensable. J'insiste sur l'enjeu à mes yeux crucial: aucun pays digne de ce nom n'existe sans une défense, ou alors l'Europe aspire à devenir la Suisse ou l'Etat du Vatican, qui pourtant ont eux aussi leur contigent, c'est dire...

Mon désaccord fondamental avec Fabius, c'est sa conception d'une "Europe différenciée" avec des "coopérations renforcées", organisée en "cercles" autour d'une "avant-garde", l'Union méditerranéenne étant dans cette perspective le dernier cercle. Ce qui me chagrine dans cette vision des choses, c'est qu'elle dilue, qu'elle disloque l'Europe en la "différenciant", alors qu'il faudrait l'unifier, l'homogénéiser, en quelque sorte la densifier. Faire des exceptions, permettre des distinctions, autoriser des vitesses différentes, c'est affaiblir l'Europe. Je ne conteste pas qu'il faille reconnaître et garantir la diversité au sein de l'Union européenne, en conformité avec sa devise, "unis dans la diversité". Mais pas au point de renforcer, d'encourager, de promouvoir cette diversité, surtout lorsque celle-ci se présente sous forme de privilèges. Les nations européennes ont besoin de cultiver ce qui les rapproche, pas ce qui les distingue.

Ceci dit, et c'est là où la position de Fabius m'amène à réfléchir, je n'en conclus pas que tous les membres de l'Union doivent se résoudre à faire la même chose... ou à ne rien faire du tout. Ca, c'est la règle de l'unanimité dans les décisions, que je combats parce qu'elle empêche le développement de l'Europe. L'armée franco-allemande en est l'exemple parfait. Personne ne peut croire qu'on puisse aujourd'hui, immédiatement, lever une armée européenne par l'addition ou la fusion des armées nationales. Je ne suis même pas certain qu'une contribution proportionnelle de chaque pays à la constitution de cette armée serait concevable.

Il faut bien commencer avec des Etats qui ont une institution militaire conséquente, stratégiquement significative. Ce n'est pas le cas de l'Irlande ou de Malte par exemple, mais c'est le cas de la France et de l'Allemagne, d'autant qu'avec ces deux anciens ennemis, une armée commune aurait une grande portée symbolique et politique. Oui à un travail commun et spécifique à certaines nations, quand on ne peut pas faire autrement, et c'est le cas en matière militaire, à condition que ce travail distinct se donne pour mission l'élargissement de sa tâche (en l'occurrence, passer d'une armée franco-allemande à une armée européenne). Non à une Europe concentrique, qui fige et institutionnalise les différences sans viser à les dépasser.

Voilà ce qui me rapproche et m'éloigne de Fabius sur l'Europe, voilà en tout cas ce qui m'invite à réfléchir quand je le lis. Dans un tout autre genre, je vous parlerai de Gérard Filoche dans un prochain billet.


Bonne fin d'après-midi.