L'Aisne avec DSK

30 septembre 2007

Les pendus de Calais.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je voudrais vous parler, en ce dimanche soir, de la tragédie de Calais, quatre membres d'une même famille qui se sont pendus à leur domicile, sans raison apparente. J'en parle bien sûr avec la précaution qui s'impose. Les familles ont des secrets parfois terribles. Il faut que la police fasse son travail. Mais je veux vous en parler parce que ce tragique fait divers n'a pas quitté mon esprit de tout le week-end. Pas seulement parce qu'un mystère reste à éclaicir. Dans leur lette d'adieu (à qui et pourquoi dit-on adieu quand on met fin à ses jours?), il est écrit un énigmatique "on a trop déconné". Mais surtout parce qu'un fait divers de ce type, sauf explication particulière, est révélateur de l'état d'une société, pourvu qu'on s'efforce de le décrypter.

A la lecture des articles consacrés à ce suicide collectif, il apparait que cette famille était à la fois bien intégrée (dans la ville, les activités associatives, ...), propriétaire de leur maison, partant en vacances, et socialement fragilisée: le père avait été licencié, devenu pré-retraité, le fils était sans emploi après avoir échoué dans un projet d'entreprise, la fille était femme de ménage, la mère restait au foyer. Rien d'affligeant ou de déshonorant, rien non plus d'exaltant ni même de satisfaisant. Alors que s'est-il passé? Encore une fois, je n'en sais rien, j'attends d'éventuelles explications, des découvertes. Mais je ne peux m'empêcher d'avoir la réflexion suivante:

Notre société s'est donnée, lors de la campagne présidentielle, une valeur principale, centrale et quasi unique, la "valeur travail". L'éloge a été fait ostensiblement de "la France qui se lève tôt et qui travaille dure", une majorité politique et morale s'est constituée autour de cette idée. Ce choix s'est fait pour d'excellentes raisons, très vertueuses, celle qui sont liées à ce que représente le travail et que je partage, étant moi même quelqu'un qui aime travailler. Mais a-t-on songé que cette "valeur travail" n'est valable que pour ceux qui ont un travail et qui peuvent prouver leur valeur personnelle dans leur activité professionnelle? Ce n'est pas le cas pour tout le monde.

Il y a 1,9 million de chômeurs, qui n'ont pas encore ou a qui la société ne propose pas de travail.
Il y a tous ceux qui ont un travail médiocre, peu épanouissant, qu'ils n'ont pas choisi, dont ils ne peuvent pas sortir parce que c'est leur gagne-pain. A tous ceux-là, que peuvent bien signifier les slogans qui sont devenus depuis mai dernier les principes de notre société: "travailler plus pour gagner plus", la "valeur travail", la "France qui se lève tôt"? Ceux-là ne peuvent que se sentir exclus, dévalorisés, culpabilisés. Et quand le désespoir est grand, quand la détresse est forte, il n'y a plus que la mort pour s'en sortir. Il faudrait tout de même rappeler que le travail n'est pas une valeur en soi, qu'il n'est qu'un moyen, que les finalités d'une vie sont ailleurs: l'amitié, l'amour, le plaisir, le divertissement, etc.

Calais est dans ce nord voisin de la Picardie où j'habite. Calais ressemble à Saint-Quentin ma ville, une population ouvrière, un chômage très important. Cette région a été le berceau du monde industriel, il en est aujourd'hui son tombeau. Les mines ne sont plus que des souvenirs, la sidérurgie et le textile ont été détruits. Des villes traditionnellement communistes sont passées à droite. Le Front national fait de bons scores sur la misère des gens. Là, nous sommes au coeur de cette Europe qui a tant de mal à se construire et à se faire aimer. Tout proche, il y a cette Belgique, elle aussi en crise et marquée par une autre tragédie, la pédophilie. Nous sommes ici en terre de misère, dont la population se sent sacrifiée, comme elle l'a été pendant la première guerre mondiale qui s'est déroulée sur ces champs et ces collines. Le ciel est souvent gris, la pluie fréquente, la modernisation difficile, mal perçue. Il faut que les responsables politiques le sachent, en prennent conscience, fassent attention à ce qu'ils disent et proposent des solutions. Il faut que les socialistes soient à la hauteur de la situation, parce qu'ils sont dans cette région sur leurs terres de mission historiques. Il ne faudra pas oublier les pendus de Calais.


Bonne nuit.

L'école du samedi.

Bonjour à toutes et à tous.

Xavier Darcos confirme ce matin dans le Journal du Dimanche la fin du samedi matin travaillé dans les écoles et les collèges, avec rattrapage le mercredi matin dans les collèges mais pas dans les écoles, dont la semaine sera donc réduite à quatre jours. Vendredi matin, dans sa chronique sur RTL, Alain Duhamel s'extasiait littéralement sur cette décision, la présentant comme un modèle de simplicité, de bon sens et d'unanimité. Je suis au regret de le contredire.

Je ne doute pas que tous les élèves seront contents (je ne connais pas un seul élève qui ne se réjouisse pas, ne serait-ce que d'une heure de cours en moins!). Beaucoup de parents seront également satisfaits de pouvoir profiter du week-end en famille, surtout ceux qui ont les moyens de s'offrir un week-end en dehors de leur maison. Beaucoup de commerces et d'entreprises se réjouiront de cette mise à disposition des enfants et des parents pour la consommation et les activités lucratives. Tout cela, je le comprends. Mais suis-je obligé, en tant qu'enseignant et en tant que militant politique, d'y souscrire? Non, et je vous dis pourquoi:

1- Y a-t-il, pour l'enfant, quelque chose de plus important que le week-end et les loisirs? Oui, il y a l'école, le savoir, la socialisation avec d'autres enfants. Laisser croire aux enfants et à l'ensemble de la société, de la bouche même du ministre de l'Education nationale, que le week-end serait d'un intérêt supérieur, c'est stupéfiant! Ne me faites pas dire que je suis contre le week-end et les loisirs, que j'aime comme tout le monde. Seulement, rien ne justifie, hormis la sacralisation du week-end, que les enfants ne travaillent pas le samedi matin.

2-Mais il y a encore plus stupéfiant. Que nous dit le bon sens, qu'Alain Duhamel apprécie tant? Que pour bien travailler, il faut étaler et planifier son travail. Comme je le dis à mes élèves: mieux vaut travailler moins mais régulièrement que peu et intensément (c'est-à-dire précipitamment). Personne dans ce débat ne s'offusque de voir nos enfants concentrer leur travail sur quatre jours! C'est incroyable!

3-Et il y a une dernière chose: l'hypocrisie de ce gouvernement, qui se fait élire sur la "valeur travail" et sacrifie une demi journée sur l'autel des loisirs et du commerce. Je l'avais dit pendant la campagne, je le redis maintenant: la fameuse "valeur travail", c'est une imposture derrière laquelle se cache la seule valeur à laquelle Sarkozy et une bonne part de notre société croient réellement, la "valeur argent".


Bon dimanche (durant lequel je vais travailler un peu...).

29 septembre 2007

Situationniste de droite.

Bonjour à toutes et à tous.

Comment qualifier politiquement Nicolas Sarkozy? Il faut connaître l'identité de l'adversaire pour le combattre efficacement. Je lis fréquemment que le chef de l'Etat s'inscrirait dans le "bonapartisme". Ce serait une sorte de petit Napoléon qui s'agiterait sur le devant de la scène, empruntant comme son illustre prédécesseur à la droite et à la gauche, Napoléon ayant concilié l'héritage de la Révolution avec les fastes d'Ancien Régime.

Je ne partage pas cette interprétation, qui me semble fausse et superficielle. Comment parler de "bonapartisme" en ce début de XXIème siècle? La référence est beaucoup trop anachronique. Surtout, Sarkozy n'a rien à voir avec Bonaparte ni avec Napoléon, tant du point de vue des idées que de l'action. Si j'avais à caractériser politiquement Nicolas Sarkozy, je le définirais comme un situationniste de droite. Je m'explique:

Le situationnisme est un courant politique, littéraire et artistique né dans les années 50 et fortement à l'origine du mouvement de Mai 68, du moins en ce qui concerne l'apport idéologique. Ce courant d'idées, situé à l'ultra gauche, très provocateur, reposait sur trois thématiques:
1- une intention de rupture et de radicalité à l'égard de la société existante.
2- une critique acerbe de la "société du spectacle" (c'est le titre de l'ouvrage de Guy Debord, paru en 1967).
3- une préoccupation pour la vie quotidienne dans l'objectif de la changer, de l'émanciper (dans l'ouvrage de Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, paru lui aussi en 1967).

Et quel rapport avec Sarkozy? Je vous le dis: une nouvelle version du situationnisme, mais cette fois de droite. Ce n'est pas un paradoxe: il y a bien des anarchistes de droite (les libertariens) et, à l'inverse, des gaullistes de gauche. Je vous accorde que ces espèces politiques sont rares, et certaines en voie de disparition. Mais ce n'est pas le nombre qui compte, c'est la qualité intellectuelle. Donc, pourquoi Sarkozy est-il selon moi un situationniste de droite? Parce qu'il reprend les trois thématiques exposées et les retourne à son profit, les vide de leur contenu progressiste pour les inclure dans un projet réactionnaire. Suivez-moi, si vous le voulez bien:

1- la "rupture" est prônée, répétée, proclamée par Sarkozy et ses fidèles. Hier encore, à Strasbourg, Fillon devant des parlementaires UMP impatients a redit que la "rupture" était toujours à l'ordre du jour. Sarkozy ne cesse pas de mettre en avant une "radicalité" dans ses projets, ses actes, ses paroles, son style, qui le distingue de la droite traditionnellement conservatrice. Je pense même que cette caractéristique lui a gagné des voix dans un électorat de gauche habitué lui aussi à la rhétorique de la "radicalité".

Bien sûr, nous savons à quoi nous en tenir: Sarkozy veut rompre avec 50 ans de conquêtes sociales, sa radicalité en matière de justice ou de questions de société est d'essence réactionnaire. Mais comme les situationnistes, il adopte la posture de celui qui veut rompre avec l'ordre des choses, et qui méprise les sages réformateurs (dont je suis) ou les gestionnaires de l'ordre établi (la droite classique).

2- Nicolas Sarkozy n'existe que par les médias. Son agenda est fabriqué en fonction des journaux télévisés. Jusqu'à maintenant, la "bonne communication", pour un président de la République, consistait à ménager ses effets, ne pas banaliser son image. Sarkozy fait tout le contraire: c'est un activiste des médias. Je ne sais pas s'il a lu Guy Debord, mais il a compris intuitivement son message: la société contemporaine est une société de spectacle. Sarkozy en tire toutes les conséquences: il crée presque jour l'événement, il fait son show devant une gauche médusée, essoufflée et inadaptée à la "situation".

3- Nicolas Sarkozy, comme Raoul Vaneigem, pense que la vie et la politique ne passent plus par les grandes idées ou les grandes structures mais par le quotidien. D'où l'intérêt du chef de l'Etat pour le moindre fait divers, qui le conduit à intervenir, se déplacer, recevoir les personnes concernées. Vaneigem s'intéressait à l'ordinaire en vue de sa subversion, Sarkozy à des fins réactionnaires, mais la démarche, hormis la finalité, est la même.


Bonne journée.

28 septembre 2007

Le meilleur candidat.

Bonsoir à toutes et à tous.

DSK a donc été nommé à la tête du FMI. C'est une bonne nouvelle pour la France, l'un des nôtres à la direction d'une institution internationale, ce n'est pas rien. Je ne suis pas chauvin, attitude ridicule, mais je crois que notre pays a quelque chose d'important à dire au reste du monde. Notre histoire, notre culture, nos valeurs sont des atouts pour que la planète se développe dans l'harmonie et la diversité (chose difficile!). Savez-vous que trois autres organismes mondiaux sont dirigés par des français? L'OMC, la BERD, la BCE. A tous les "déclinologues" que je préfère appeler des "décadentistes", il faut rappeler cette influence française, qui ne passe pas par de beaux discours mais par des responsabilités et donc des actions effectives.

C'est une bonne nouvelle pour les socialistes. L'un des enjeux majeurs de notre temps, c'est la réduction des inégalités entre le Nord et le Sud, c'est peut-être même LE problème politique du XXIème siècle. Les nations sont préoccupées par elles-mêmes, ce qui est naturel. Les institutions internationales tel que le FMI n'ont d'existence pour un socialiste qu'afin de sortir les pays pauvres de leur pauvreté. De plus, le FMI fonctionne mal, a besoin d'être réformé. DSK est l'homme de la situation, les autres pays l'ont bien compris.

Bien sûr, j'imagine aisément ce soir et demain matin les réaction de la gauche radicale, dont certains membres sont socialistes. Le FMI, suppôt du capitalisme! Je pourrais hausser les épaules et continuer mon chemin. Mais j'ai appris qu'en politique, il ne faut rien laisser passer et qu'il faut quand c'est possible anticiper. C'est donc ce que je fais. Ceux qui veulent laisser le FMI à la droite, qu'ils le disent et qu'ils le fassent! Moi, je suis réformiste, je n'ignore rien des difficultés que représente la direction du FMI quand on est socialiste, mais j'affirme qu'il faut en être, y aller, parce que c'est la seule façon de peser un peu sur l'Histoire, d'améliorer le sort des peuples. Sinon, on fait quoi? Rien? Non, faire de la politique, c'est agir, avec les instruments qui existent. La révolution? Merci bien, l'humanité a déjà donné et a eu du mal à s'en relever. Donc oui, mille fois oui, DSK a eu raison d'aller au FMI.

Les seuls qui prendront l'information comme une mauvaise nouvelle, ce sont paradoxalement ... les strauss-kahniens (mais c'est une boutade!). Nous avions placé tous nos espoirs en Dominique pour la présidentielle de 2012, et d'ici là, pour constituer une opposition intelligente et constructive à la politique de Nicolas Sarkozy. Il faudra savoir nous passer de lui pour ce dernier objectif. Quant au premier, la prochaine présidentielle, j'ai déjà dit sur ce blog que DSK en 2012, revenant d'une expérience mondiale, ferait le meilleur candidat pour une France qui ressent le besoin imminent de s'intégrer dans la mondialisation pour ne pas en être l'exclue et la victime. Meilleur candidat pour le FMI aujourd'hui, meilleur candidat demain la présidentielle.


Bonne soirée.

27 septembre 2007

La vérité du budget.

Bonsoir à toutes et à tous.

La vérité d'une politique est dans les chiffres de son budget 2008. Ce sont les moyens financiers qui traduisent les fins politiques. De ce point de vue, le gouvernement Sarkozy a connu cette semaine sa première épreuve de vérité. Que nous apprend ce budget?

-Que la "rupture" promise n'a pas eu lieu, puisque les grandes lignes budgétaires sont à peu près les mêmes que dans les budgets précédents. Il n'y a rien d'étonnant. Une ambition personnelle a opposé Sarkozy à Chirac, mais le nouveau gouvernement a repris un grand nombre d'anciens ministres, qui ne se sont évidemment pas reniés. Sarkozy, c'est du Chirac beaucoup plus à droite, rien d'autre.

-Que les déficits sont seulement stabilisés, alors qu'il faudrait entamer leur réduction, ce que demande le Nouveau Centre, qui fait pourtant partie de l'UMP, et qui a jugé ce budget "pas raisonnable". Le déficit de l'Etat est fixé à 41,7 milliards d'euros pour 2008, il était de 41,9 en 2007. La dette publique a été arrêtée à 64% du Produit Intérieur Brut, 64,2 en 2007.

Jamais on aura supprimé autant de postes de fonctionnaires. Le péché originel de ce budget, c'est son "paquet fiscal", qui grève les finances, ne garantit aucune efficacité économique et privilégie injustement certaines catégories sociales qui n'en ont pas besoin.

Ce qui suit n'a rien à voir, quoique on y retrouve une partie de la droite critiquant son camp: les sénateurs UMP, qu'on dit conservateurs quand on ne les aime pas et sages quand on les aime bien, ont refusé l'amendement UMP sur les tests ADN pour le regroupement familial. Quand je parlais sur ce blog de "saloperie" pour qualifier cet amendement, mon terme n'était pas excessif et je suis sûr que beaucoup de gens de droite pensent sans le dire comme moi. C'est le cas de Charles Pasqua, qui n'est pas réputé gauchiste, et de Henri Guaino, secrétaire général de l'Elysée, considéré par certains comme le vrai Premier ministre.


Bonne soirée.

26 septembre 2007

Michéa contre Marx.

Bonjour à toutes et à tous.



Je vous ai quitté hier soir avec un philosophe contemporain, Antonio Negri, je vous retrouve aujourd'hui avec un autre philosophe contemporain, moins connu que le précédent, Jean-Claude Michéa, qui vient de publier un nouvel ouvrage, L'Empire du moindre mal. Essai sur la civilisation libérale, éditions Climats, en librairie depuis le 10 septembre. Je n'ai pas encore lu l'ouvrage mais son compte rendu dans le supplément littéraire du Monde du 7 septembre dernier. Autant Negri m'inspire positivement, autant Michéa me fait certes réfléchir, mais en contrepoint.

Ce philosophe original se veut "socialiste", mais récuse Marx et même refuse de se dire "de gauche". Pourquoi? Parce que, selon lui, la droite et la gauche ne sont fondamentalement et philosophiquement que deux variantes du libéralisme apparu au XVIIIème siècle. Ce en en quoi d'ailleurs il n'a pas tort, sauf qu'il le regrette alors que moi, je m'en réjouis! Michéa se prétend "anarchiste conservateur" et se fait le défenseur d'une certain "populisme". En vérité, sa thèse n'est pas si bizarre qu'il y parait. Je la résume grossièrement:

Le socialisme, c'est la défense du peuple, c'est être à ses côtés, dans la solidarité effective, la générosité concrète, les luttes réelles. La démocratie et ses valeurs sont des créations de la bourgeoisie qui datent du siècle de la Révolution française, avec sa mythologie, le Progrès, les Droits de l'Homme, la République, etc. Mais ce ne sont que des leurres, dont le marxisme est issu, qui ont étouffé la pensée, la parole et l'action populaires.

La thèse de Michéa est radicale et a, à mes yeux, le mérite de montrer tout ce que le socialisme et même le marxisme doivent au libéralisme. On oppose trop fortement ces familles de pensée alors qu'elles naviguent dans des eaux conceptuelles communes. Les antilibéraux, s'ils voulaient donner à leur projet une assise philosophique forte, ne reliraient pas Marx mais découvriraient Michéa.


Bon après-midi.

25 septembre 2007

Refondation intellectuelle.

Bonsoir à toutes et à tous.

En rangeant mes papiers et mes retards de lecture, je suis tombé sur un article de Jean Birnbaum consacré à Antonio Negri, dans le supplément littéraire du Monde daté du 13 juillet dernier. Je m'intéresse beaucoup à ce philosophe politique, qui passe pour altermondialiste mais dont la pensée peut parfaitement, selon moi, nourrir les réflexions de la social-démocratie. Je le qualifierai de marxiste moderne, sans rapport avec ce que peut produire dans le genre l'extrême gauche. Ses idées sont au bon sens du terme provocantes, c'est-à-dire qu'elles provoquent la pensée. Mes intuitions intellectuelles rejoignent plusieurs idées de Negri, je vous en donne quelques exemples:

Toni Negri ne croit pas (ou plus?) en l'idée de "rupture". Selon lui, la décision politique, "ce n'est pas couper, c'est construire". Non pas parce qu'il serait devenu conservateur ou médiocrement réformateur, mais au contraire parce qu'il va de l'avant et constate la chose suivante, à première vue paradoxale et à laquelle j'adhère très fort: "je suis convaincu que nous sommes déjà des hommes nouveaux; la rupture a été donnée, et elle date des années 1968". Oui, je crois moi aussi que 1968 est le début d'un nouveau monde, le point de départ d'une autre société. Certains progressistes classiques attendent ce qui est déjà là, en train de se former, de se développer, de vivre sous nos yeux aveuglés par l'avenir.

Qu'est-ce qui se passe ces années-là? "C'est important parce qu'alors le travail intellectuel est entré en scène. En réalité, je me demande si le capitalisme existe encore, aujourd'hui, et si la grande transformation que nous vivons n'est pas une transition extrêmement puissante vers une société plus libre, plus juste, plus démocratique". J'ai toujours pensé qu'une certaine gauche faisait du capitalisme un épouvantail de paille pour mieux le brûler ensuite. La vérité, du moins celle que propose Negri et que je partage, c'est que nous vivons une "transition", que le capitalisme n'est déjà plus le capitalisme. Philosopher, en politique, c'est analyser les transitions historiques, ce n'est pas décrire, dénoncer ou rêver de situations figées. Mais je me vois mal annoncer à mes camarades de section que le capitalisme n'existe plus, qu'ils sont de petits Don Quichotte face à un gros moulin à vent!

1968, c'est le début de la fin pour le parti de la classe ouvrière, le PCF. L'avant-garde est dans les universités, pas dans les usines. Et c'est une bonne nouvelle! Ecoutez Negri: "on n'a plus besoin du capital! La valorisation passe par la tête, voilà la grande transformation". La "vieille classe ouvrière" ne fait plus l'Histoire, mais le "nouveau prolétariat cognitif: il fait tous les métiers précaires, il travaille dans les call centers ou dans les centres de recherche scientifique, il aime mettre en commun son intelligence, ses langages, sa musique... C'est ça la nouvelle jeunesse! Il y a maintenant la possibilité d'une gestion démocratique absolue".

Méditez aussi ceci: "je crois que la révolution est déjà passée, et que la liberté vit dans la conscience des gens".

Et terminez par ce dernier extrait, peut-être le plus iconoclaste: "personne ne veut plus travailler en usine comme son père! Il n'y a que les communistes français qui ne voient pas ça, et aussi Sarkozy! Après tout, il a été élu sur quoi? Sur le nationalisme, qui a été construit par la gauche dans la bataille contre l'Europe. Et sur l'apologie du travail, élaborée par la gauche dans sa lutte contre le contrat premier emploi (CPE). Je rêve d'une autre gauche, qui reconnaîtrait que le capital n'est plus la force qui unifie le travail, que l'Etat n'est plus la force qui fait les Constitutions, et que l'individu n'est plus au centre de tout. En bref, une gauche d'égalité, de liberté, de démocratie absolue..."

Bref, la gauche aurait fait le lit de Sarkozy! Avec Tony Negri, la refondation du socialisme sera intellectuelle ou ne sera pas. La réforme des régimes spéciaux est peu de chose par rapport au dynamitage de tous nos concepts de base, nos "fondamentaux" comme on dit: travail, prolétariat, révolution, Etat, nation, individu, capital, voilà tout ce que Negri nous invite à repenser, en proposant de nouveaux concepts, travail immatériel, prolétariat cognitif, multitude, empire...


Bonne nuit, et faites de beaux rêves conceptuels.

Régimes très spéciaux.

Bon après-midi à toutes et à tous.

Le débat autour des régimes spéciaux mérite un peu plus de précisions que les approximations par lesquelles il s'engage depuis quelques jours. Ces régimes recouvrent des réalités très disparates, des métiers et des histoires étrangers les uns aux autres, des quantités de personnes concernées sans commune mesure, des mécanismes de fonctionnement très différents (entre députés, clercs de notaire, pêcheurs, gaziers, électriciens, cheminots, etc). Un article de Liêm Hoang-Ngoc, économiste et délégué national à l'économie du PS, apporte un éclairage intéressant dans Le Monde du 18 septembre, qui remet quelques idées à l'endroit.

Les régimes spéciaux de retraite concerne moins de 5% des salariés, ne laissons donc pas croire que c'est leur existence qui est à l'origine du déficit. Je sais bien que personne ne dit cela ouvertement, mais les accusations répétées laissent croire que... Ces régimes sont généralement à 37,5 annuités pour percevoir une retraite à taux plein, le taux de cotisation est souvent plus faible mais le taux de remplacement moins avantageux que dans le régime général. Il est par exemple de 61% du salaire chez un cheminot non cadre, 71% dans le régime général.

L'avantage des régimes spéciaux est dans l'âge de départ à la retraite, 50 ans pour les conducteurs de train par exemple. Mais ils ne bénéficient pas alors d'une retraite à taux plein, même en commençant très jeunes. Et pour les cheminots non cadres, le taux de cotisations est même plus élevé que dans le régime général: 7,85% contre 6,55%.

Surtout, ce que beaucoup oublient de dire, c'est que le problème des régimes spéciaux est ailleurs, dans le faible rapport entre actifs et inactifs. A la SNCF, un actif finance deux retraités. Les cotisations ne suffiront pas à couvrir le financement du régime. Faut-il alors assurer le financement par le régime général (en supprimant donc le régime spécial)? Hoang-Ngoc pense que non, car la pension du cheminot partant entre 50 et 55 ans serait alors réduite de 10%, dit-il.

Lisez cet article et ses informations utiles. Maintenant, je ne suis pas entièrement convaincu par mon camarade. Sa démarche est essentiellement descriptive, il ne propose aucune réforme, ni dans un sens, ni dans un autre, cherche parfois à dédramatiser (le régime de retraite des cheminots retrouverait son équilibre en 2020). Il en ressort qu'il ne faut rien changer, du moins c'est l'impression que j'ai. Et c'est là où je cesse d'être convaincu.


A plus tard.

Elie Cohen.

Bonjour à toutes et à tous.

Dans L'Hebdo des Socialistes du 15 septembre, lisez cet entretien avec Elie Cohen, économiste et directeur de recherche au CNRS. Ses propos dans une publication lue par les militants socialistes (quoique j'en connais qui la jettent sans même l'ouvrir, ce qui en dit long sur la conscience politique de certains camarades!) devraient les amener à réfléchir et à ne plus réciter le catéchisme. Par exemple sur l'horrible mondialisation responsable de tous nos maux:

"La mondialisation, c'est d'abord la moitié de la planète qui accède au développement; c'est une croissance mondiale exceptionnelle qui enrichit les détenteurs de matières premières; c'est une formidable accélération du commerce mondial dont profite chaque consommateur (...) Le problème ne réside donc pas tant dans la mondialisation que dans les politiques menées depuis 30 ans qui n'ont pas permis d'équiper la France pour faire face à ce choc".

Ce choc, comment Cohen propose-t-il maintenant d'y faire face? Au niveau de l'Europe, sous trois aspects:

"Il peut y avoir une réponse européenne fondée sur trois principes:
1- La compensation des perdants de la mondialisation.
2- La compétition équitable qui interdit les relations asymétriques entre pays développés et pays fermés, par exemple pour le rachat d'entreprises.
3- La régulation des échanges et des flux financiers pour prévenir les crises et faire reculer les risques sysmiques".

Quant à la réponse française, Elie Cohen la résume ainsi: "l'excellence scientifique, le transfert rapide de connaissance, la valorisation industrielle constituent les trois points d'une économie de la connaissance performante".

A partir de là, Cohen se livre à une critique en règle du PS (dans le journal du PS, ce qui ne manque pas de piquant!). Ecoutez bien:

"Parti des travailleurs, comment les socialistes ont-ils pu accepter de devenir le parti de la RTT, des départs anticipés à la retraite et du non-travail des jeunes, si bien que la France bat des records de sous-activité? (...) Les socialistes auraient dû être au premier rang des réformateurs des systèmes de protection sociale. Comment ont-il pu au cours des cinq dernières années affirmer avec raison qu'il fallait avancer l'âge de la retraite pour ceux qui avaient les tâches les plus pénibles et soutenir les régimes spéciaux fondés sur des tâches pénibles du siècle dernier?"

Quelle politique devraient mener des socialistes? Là encore Elie Cohen répond en trois points (!):

"Trois faits bornent aujourd'hui l'horizon de la réforme: le vieillissement, l'envolée des dépenses de santé, la peur du chômage. Pour faire face:
1- Il faut d'abord adopter un principe simple: tout gain d'espérance de vie allonge la durée d'activité.
2- Des paniers de soins remboursables doivent être définis par la Haute Autorité de santé.
3- Ce qui nous guette, ce n'est pas le chômage mais la pénurie de compétences, il faut donc assurer l'adéquation offre/demande et pour cela accompagner le chômeur par des formations adaptées, un suivi individualisé et une indemnisation incitative".

Je ne dis pas que je suis d'accord avec tout ce que dit Elie Cohen (quoique...) mais je suis certains que ses remarques nous donnent à réfléchir, et c'est ce que les socialistes ont de mieux à faire par les temps qui courent, au lieu par exemple de se disputer.


Bonne matinée.

24 septembre 2007

L'avenir de Besancenot.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je reviens sur la fête de l'Huma, qui a eu lieu il y a une semaine. C'est le reportage de Marine Chanel dans Charlie qui me fait réagir. La vedette politique, ce n'est pas Buffet, c'est Besancenot. A l'applaudimètre, il est le premier. Normal, c'est lui qui représente le mieux, médiatiquement, politiquement, l'antilibéralisme qui domine la fête. Les communistes ont fait entrer le loup dans la bergerie. Inviter des trotkystes au grand rassemblement populaire du PCF, Georges Marchais n'aurait pas commis une erreur aussi grossière! Besancenot va rafler la mise radicale, c'est certain. Electoralement, il pèse deux fois plus que les communistes. Le liquidateur du parti, ce sera lui.

La théorie des deux gauches (radicale et social-démocrate), défendue par Besancenot, convient tout à fait à une foule que les trémolos de l'union ne touchent plus et qui ne rêve que d'en découdre avec les socialistes. Du coup, la nostalgie est de retour:

"Contrairement à l'habillage "désoviétisé" habituellement affiché par la Place du Colonel-Fabien, les allées de la Fête de L'Huma exhibent fièrement les vieilles icônes du PC: les drapeaux rouges avec faucille et marteau ressortent des placards, le "Che Cola" dispute la place au traditionnel pastis, et Karl Marx imprimé sur tee-shirt côtoie les affiches de Guy Môquet".

Il y en a un qui a compris ce qui se tramait, c'est le porte-parole du PCF, Patrice Bessac, un "jeune" communiste à l'allure très avenante, qui intéresse beaucoup les médias depuis quelques semaines. Dans Marianne du 8 septembre, il repère parfaitement le piège qui est en train de se refermer sur son parti:

"Olivier Besancenot s'apprête à jouer pour vingt ans, avec beaucoup de talent, une Arlette Laguiller au goût du jour. (...) La gauche française sera-t-elle prisonnière pour vingt ans de la confrontation stérile d'un postier sympathique et d'une madone "démocrate"? "

Le communisme? Il n'est pas contre. La participation à un gouvernement? Il est plutôt pour. Jugez-en:

"Je suis à la fois pour que mon parti s'accroche comme à son bien le plus précieux au communisme- c'est-à-dire la perspective anthropologique de sortie du capitalisme [sic], qui est notre boussole- et qu'il participe avec d'autres dans un cadre ouvert et sérieux [re-sic] à l'élaboration d'une politique gouvernementale nouvelle".

Un nouveau parti? Bessac répond non. Alors quoi? Le communiste new look propose une formule à laquelle je n'ai rien compris et qu'il appelle "le front des gauches". Voilà ce qu'il en dit:

"Il faut donc trouver une autre voie pour rassembler politiquement les forces qui, de Jean-Luc Mélenchon au PCF, aux personnalités venues de l'écologie, de sensibilité républicaine ou alternative, sont prêtes à s'engager sérieusement [ le sérieux semble obsédé Patrice Bessac; son parti et ses idées en manqueraient-ils?]. Nous avons besoin que se construise un "front des gauches", dans l'autonomie de chacun, qui présente lors des élections une alternative solide".

Tant que le PCF en restera à ce genre d'analyses et de propositions, Besancenot aura de beaux jors devant lui, son avenir est assuré.


Bonne soirée.

23 septembre 2007

Contrat unique.

Prenons garde. Nicolas Sarkozy utilise les régimes spéciaux de retraite comme un leurre, pour faire sortir la gauche et les syndicats de leurs gonds afin de mieux les battre. C'est simple: il a au moins 70% des français avec lui, et 5% résolument contre lui, les 5% d'actifs qui peuvent prétendre bénéficier de ces régimes spéciaux. C'est ce que les lambertistes (voir mon commentaire d'hier en réponse à AV) et quelques autres appellent un "rapport de forces", et ce n'est pas inutile à prendre en considération quand on fait de la politique.

C'est pourquoi la gauche ne doit pas se laisser prendre au piège. Bien sûr, c'est elle qui aurait dû faire cette réforme des régimes spéciaux, mais c'est trop tard. Anticipons donc le combat suivant. Il portera sur le contrat de travail, que Sarkozy et son ministre du Travail veulent réformer sous le nom de "contrat unique", dont ils ne parlent plus parce que des négociations sont en cours et surtout parce que ce terrain là, cette fois, est vraiment explosif, chaque salarié étant potentiellement concerné. Ce projet repose sur deux arguments:

1- Les contrats de travail sont juridiquement multiples: CDI, CDD et contrats de toute nature, emploi aidé, vacataire, stagiaire, etc. On s'y perd, l'objectif est donc de rationaliser, simplifier et unifier autour d'un "contrat unique". C'est plutôt l'argument gouvernemental.

2- Et puis, il y a l'argument du MEDEF: un contrat qui permettrait une "séparation à l'amiable", et non plus le divorce coûteux que représente aujourd'hui un licenciement. Voilà ce qu'en dit Laurence Parisot, dans Le Monde du 30 août:

"Il faut expliquer un paradoxe apparent: on embauchera plus s'il est moins compliqué de licencier. Nous proposons de conserver les protections existantes mais d'envisager une option supplémentaire, la séparation d'un commun accord, qui inclut bien sûr le droit du salarié à l'indemnisation-chômage".

Paradoxe pour paradoxe, le MEDEF réalise une aspiration de l'extrême gauche, mais en la retournant complétement: il n'y aura plus de licenciements puisqu'il n'y aura que des "séparations", l'union libre ayant remplacé le contrat traditionnel.

Pour avoir une idée de ce débat important et complexe, je vous conseille l'article de Marianne Dautrey dans Charlie-Hebdo de cette semaine (pages 2 et 3), dont je m'inspire dans ce qui suit:

Le MEDEF veut augmenter la période d'essai, instaurer un contrat de "mission" ou de "projet" qui ne se réfère plus à une durée précise, avec une clause de séparation à l'amiable. Le problème, c'est que le salarié pourrait y perdre certains droits ou acquis, comme son régime complémentaire de santé, son compte épargne formation, le montant de son salaire ou son niveau de qualification.

Le fond philosophique de ce "contrat unique" (qui a d'unique le fait qu'il remplace un contrat obligeant par une entente très souple!), c'est un pur libéralisme, l'idée que l'employeur et l'employé sont à égalité et peuvent donc discuter et s'entendre de gré à gré. Nous savons qu'il n'en est rien, que patrons et salariés ne sont pas nécessairement en état d'harmonie, que les situations de pouvoir et les rapports de force, ça existe, et que la loi et le contrat sont des protections pour les plus faibles.


Bonne nuit.

La saloperie.

Me revoilà, pour vous parler de ce que Philippe Val appelle "une saloperie fascisante" et qui est la seule mesure qui fera tristement date dans ce projet de loi, si elle est finalement adoptée. Le regroupement familial pourra se faire en prouvant biologiquement la filiation, à travers un test de l'ADN à la charge financière du demandeur. Je ne sais pas si c'est "fasciste", mais c'est incontestablement une saloperie, pour plusieurs raisons:

1- Les personnes concernées par cette mesure sont peu nombreuses, et on laisse croire que leur présence en France poserait un tel problème qu'il faudrait passer par un dépistage biologique pour leur accorder le droit d'être chez nous.

2- Le droit de vivre et de se retrouver en famille est un principe intangible qui ne doit pas dépendre d'un test scientifique.

3- La conception de la famille qui ressort de cette mesure repose entièrement sur le sang, alors qu'une famille est une communauté plus ouverte et plus généreuse. Les enfants adoptés, que deviendront-ils?

4- Et les enfants illégitimes? La mesure est un retour au concept méprisant et archaïque de "bâtard", l'enfant non reconnu et privé de droits.

Tout humaniste ne peut qu'exprimer son indignation, hélas dans le relatif silence de l'opinion. Je redonne la parole à Philippe Val:

"Cette pratique du test ADN fait revenir par la fenêtre toute la barbarie ethnique que l'universalisme des Lumières a voulu foutre à la porte de l'humanité. Depuis quand la constitution biologique d'un individu décide s'il est apte ou non à devenir le citoyen d'une démocratie?" (Charlie-Hebdo du 19 septembre 2007).

Le biologiste Axel Kahn va dans le même sens:

"Une telle disposition témoigne d'une régression radicale de la pensée du peuple français, au moins telle qu'elle est exprimée par ses représentants, en ce qui concerne la nature de la famille". Elle témoigne d'un "bouleversement des valeurs" (Le Monde, 18 septembre 2007).

Je n'ai jamais pensé que Nicolas Sarkozy était fasciste, accusation ridicule et outrancière. Mais j'affirme qu'il s'apprête à commettre une grosse "saloperie", uniquement pour remercier ses électeurs d'extrême droite et les garder dans son giron. Et ça, je ne l'accepte pas.


Bon après-midi.

Entre Val et Valls.

Le Parlement a commencé cette semaine à examiner le projet de loi sur l'immigration, qui ne sert strictement à rien et n'apporte aucune disposition fondamentalement nouvelle, sinon quelques aménagements techniques destinés à rendre plus difficile le regroupement familial. Alors, pourquoi une nouvelle loi sur l'immigration puisque plusieurs ont été adoptées il n'y a pas si longtemps? La réponse est très simple, pas de mystère, pas de secret: le gouvernement se doit de satisfaire une partie de son électorat, d'extrême droite, qui a permis à Nicolas Sarkozy de devenir président de la République en abandonnant dès le premier tour sa fidélité à Le Pen. Ce que la politique d'ouverture signifie en direction de l'électorat de gauche devenu sarkozyste, la politique d'immigration le signifie aussi en direction des ex-frontistes. La droite remercie ceux qui l'ont porté au pouvoir en leur faisant cadeau d'un thème qui les excite.

Avec l'ouverture, cette stratégie est dérisoire et sans conséquence, récupérant quelques socialistes égarés. Mais en ce qui concerne l'immigration, c'est autrement plus grave, la droite joue avec le malheur des gens, de ceux qui ont parfois tout quitté, qui ont fui la misère pour tenter leur chance en France. De ce point de vue, comme le rappelle Philippe Val dans Charlie-Hebdo de cette semaine, "l'immigration est un de ces sujets où gauche et droite ne peuvent ni ne doivent pas tomber d'accord", et il explique la différence:

"La droite caresse secrètement le vieux rêve que les européens referont un jour suffisamment d'enfants pour rétablir un niveau démographique que seule l'immigration maintient" alors que "pour la gauche, il est clair que l'immigration est un phénomène qu'il faut certes maîtriser, mais qui est souhaitable, désirable, et pour les émigrants, et pour les pays d'accueil".

Au passage, Philippe Val égratigne un camarade dont le parcours ces dernières semaines m'intéresse et dont je partage souvent les analyses et propositions, Manuel Valls, que Val qualifie perfidement d' "excellent exemple de la droite humaniste et honnête". Quand on est socialiste, ce n'est pas un compliment! Pourquoi cette remarque acide? Parce que Valls a affirmé récemment que l'immigration devait être un objet de consensus entre la gauche et la droite.

J'en pense quoi? J'en pense que je suis embêté... Philosophiquement, je suis d'accord avec Val, la droite défend un modèle de société homogène, une conception restrictive du vivre ensemble qu'elle appelle "identité nationale", alors que la gauche est favorable à une société cosmopolite, métissée, ouverte sur le monde. Mais politiquement, je suis d'accord avec Valls: l'immigration est devenue un point de fixation largement fantasmatique, qu'il faut ramener à sa dimension rationnelle et réinscrire dans une perspective humaniste, en l'arrachant aux phobies de l'extrême droite et en essayant d'en faire un sujet de compromis. Mais c'est très mal parti, avec cet amendement odieux sur le test ADN.

Je vais manger un morceau et je vous en reparle.

A tout à l'heure.

Encore les chiens.

Bonjour à toutes et à tous.

Trois drames, dont un mortel, ont eu lieu cette semaine, à propos de chiens dangereux blessant gravement ou tuant. J'avais déjà évoqué cette question sur ce blog il y a quelques semaines, l'actualité m'oblige hélas à y revenir et à être ferme et clair:

1- La multiplication des chiens domestiques dans notre société n'est pas un épiphénomène anecdotique. C'est un fait de civilisation, étudié par les sociologues, et c'est un problème politique, car cette présence massive génère d'importantes nuisances et des problèmes de sécurité.

2- Jadis, les chiens étaient bien évidemment présents, mais beaucoup moins nombreux, et surtout bien intégrés à une société dans laquelle ils exerçaient un rôle (surveiller les moutons, garder la ferme, etc). Les aristocrates élevaient des chiens d'apparat (lévriers, ...).

3- Aujourd'hui, la conscience collective perçoit confusément que le chien n'est pas seulement un toutou mais un animal qui, en tant que tel, peut réagir de façon impulsive et devenir dangereux. Depuis longtemps, l'imagerie populaire se représente le brave facteur dont le bas du pantalon est tiraillé par un chien hargneux, quand ce ne sont pas les crocs qui s'enfoncent dans le mollet... Malgré ce pressentiment négatif, l'amour pour les chiens a été le plus fort dans les sociétés contemporaines.

4- Les drames où sont impliqués des chiens, comme les trois de la semaine, ont lieu généralement dans les familles. De ce point de vue, l'image du facteur attaqué ne rend pas service, elle laisse entendre que le chien est dangereux à l'extérieur, vis à vis de l'étranger. Non, c'est dans l'intimité du foyer, là où précisément le chien n'est pas considéré comme dangereux, là où existe même une forme d'amour, d'harmonie, entre les chiens et les humains, que les drames se produisent.

5- Nous aurions tort d'établir une frontière absolue, une distinction radicale entre chiens dangereux et chiens inoffensifs. Pédagogiquement, c'est inefficace. Un chien dit dangereux, je n'en doute pas, peut être généralement très doux. Un teckel ou un caniche, qui ne sont pourtant pas des fauves, peuvent à l'inverse mordre et blesser. Ce qu'il faut dire, mais je ne suis pas certain que la civilisation moderne soit prête à l'entendre, c'est qu'un chien est d'abord, avant tout et seulement une bête, un animal, qu'il est par conséquent imprévisible et qu'il peut devenir rapidement dangereux, surtout à l'égard des plus faibles.

6- Il faudrait dire aussi autre chose, mais là je crains vraiment que ça ne passe pas du tout: un animal ne peut pas, ne pourra jamais être un objet d'amour ou d'affection au même titre qu'un être humain. La sensibilité d'un enfant ne va pas se développer parce qu'il soigne un chiot. A partir de cette idée, il faut souligner combien il est anormal, parfois pathétique et peut-être même pathologique, de voir la présence de chiens dans des familles qui n'en ont pas besoin, dans lesquelles règnent, du moins en apparence, l'amour entre ses membres. Qu'un jeune célibataire, qu'une personne âgée ou qu'un couple sans enfant aillent chercher l'amour qui leur fait défaut à travers une présence animale qui compense l'absence humaine, je comprends et je trouve même cela émouvant, attendrissant. Sinon, je partage entièrement l'adage populaire: pourquoi aller chercher ailleurs (les chiens) ce qu'on a chez soi (ses enfants, son conjoint)? A moins que, justement, on n'y trouve pas ce qu'on espérait. Mais c'est alors une autre histoire...

Retenons simplement que les mesures administratives que va prendre le ministère de l'Intérieur, aussi nécessaires soient-elles, ne régleront pas totalement un problème de fond, qui est un problème de civilisation.


Bonne matinée.

22 septembre 2007

Jospin, raison et tort.

Bonsoir à toutes et à tous.

J'ai lu les bonnes feuilles du livre de Lionel Jospin, "L'impasse", parues dans le supplément du Monde du 22 septembre. Rien à dire, c'est clair, précis, froid, méthodique, distant, argumenté, convaincant, bref du Jospin de la meilleure époque. Sa déconstruction du "mythe " Royal, qui aura illusoirement suscité "ferveur et dévotion", tout cela me semble très juste, très vrai. Etait-il opportun de le dire maintenant, et même de le dire publiquement? Je ne crois pas que ce soit utile à quoi ou à qui que ce soient, et surtout pas à l'unité des socialistes. Mais ma critique va ailleurs, se concentre sur l'essentiel, avec lequel je suis en désaccord, sur deux points exactement:

1- La défaite de 2002: "La crise électorale de 2002 résulte avant tout de l'écroulement de la construction politique de la gauche plurielle, faite à la fois de synthèses et d'alliances" (c'est moi qui souligne).

Non, la crise électorale de 2002 n'a pas été pas causée par la multiplication des candidatures à gauche. Celle-ci a précipité et aggravé la défaite, elle ne l'a provoquée. Il faut aller voir du côté de la sociologie pour comprendre les évolutions de la société qui ont conduit à ce rejet.

2-La défaite de 2007: "Ségolène Royal a échoué parce que, insensiblement mais inexorablement, l'idée s'est inscrite dans l'esprit de nos concitoyens que la candidate n'avait pas la stature nécessaire pour être portée à la magistrature suprême" (idem).

Non, Sarkozy n'était pas meilleur que Royal en terme de "stature". D'ailleurs, en 2006, Royal l'emportait sur Sarkozy dans plusieurs sondages. Là encore, c'est la sociologie qui pourra nous expliquer pourquoi c'est Sarkozy et pas Royal qui a entraîné l'adhésion des français.

Ce que je reproche à Jospin, c'est qu'il a gardé un fond lambertiste. Il a théoriquement raison, sur le papier et à l'aide de chiffres. Mais la politique, ce n'est pas ça, c'est une dynamique qui provient du plus profond de la société et à laquelle il faut donner une forme. Avec Lionel Jospin, nous en sommes encore très loin. Ce qui nous a fait perdre en 2002, c'est plus les 35 heures et l'insécurité que Chevènement ou Besancenot (qui n'ont rien arrangé, c'est certain, j'en conviens). Ce qui nous a fait perdre en 2007, c'est plus le projet de Sarkozy que l'absence de projet ou les limites personnelles de Ségolène.


Bonne nuit.

Café, ciné, philo.

J'ai animé jeudi soir un café philo sur le thème, volontairement déconcertant: être ou ne pas être bourgeois? Comme toujours, je suis dans l'incapacité de synthétiser les réponses, tellement les réactions sont multiples. Cependant, j'ai retenu que la contestation économique et politique de la bourgeoisie n'apparaissait pas dans les propos tenus. Nous sommes loin des années marxistes! En revanche, ce qui provoquait la critique ou ce qui retenait beaucoup plus l'attention, c'était "l'esprit bourgeois", pour le dénoncer ou s'en féliciter. Les intervenant ont plutôt adopter cette perspective morale sur la bourgeoisie. J'ai eu finalement l'impression que nous étions tous, plus ou moins, bourgeois et que nous étions assez satisfaits de cette situation, sachant, cerise sur le gâteau, que rien n'est plus bourgeois que s'en prendre à la bourgeoisie. Je verrais bien cet après-midi à Soissons, où je traite du même thème, si les réactions seront similaires.

Hier soir, c'est un ciné philo que j'animais (que voulez-vous, je suis prof de philo!), à partir du film "4 mois, 3 semaines et 2 jours", Palme d'Or au Festival de Cannes de cette année. Sa sortie avait provoqué une petite polémique, laissant entendre que le ministre de l'Education nationale aurait pu interdire la projection aux élèves, le film évoquant crument l'avortement. En réalité, il va bien au-delà de la question pour ou contre, je ne pense même pas qu'il s'agisse du sujet principal. Cette oeuvre est fort riche. Elle relève autant de la philosophie morale (l'amitié, l'amour, le sexe, la famille, le mensonge, etc) que de la philosophie politique (la fin d'un régime communiste). A ce propos, je me souviens des années 70 et de la façon dont je (et beaucoup de gens) me représentais le "socialisme réellement existant", comme disaient les communistes d'alors: gris, froid, ennuyeux, triste, lugubre, pénible. Toute une esthétique dévalorisante et repoussante me dissuadait de devenir communiste, autant et peut-être plus que les préventions idéologiques.

Eh bien, ce film représente parfaitement cette image que je me faisais du communisme, sans être un "anticommuniste primaire", comme on disait aussi à l'époque: quelque chose qui pourrit la vie quotidienne, qui la rend insupportable. De ce point de vue, le communisme a tourné le dos à la civilisation alors qu'il se chargeait d'en construire une nouvelle. Il y avait quelque chose de mort, de morbide, de mortel dans le communisme, et il a d'ailleurs fini par en mourir. Le capitalisme a beau être féroce, cruel, injuste, odieux, il me semble qu'il est toujours du côté de la vie, de l'espoir, de l'avenir, ne serait-ce que parce qu'il est ouvert, de gré ou de force, à sa propre contestation. Je n'argumente pas mes propos, je vous livre des impressions et des idées qui me sont venues en regardant ce film éprouvant et en écoutant les interventions qui ont suivi pendant le ciné philo.


Bonne fin de matinée.

Les sens d'une faillite.

Bonjour à toutes et à tous.

Je me suis couché en pensant au Premier ministre et je me suis levé en pensant encore à lui. Vous allez trouver mes nuits bien pauvres, mais on ne choisit pas ses pensées, elles s'imposent à vous. Hier, je m'amusais de constater que François Fillon se satisfaisait médiocrement des quelques fleurs que lui avait lancées Nicolas Sarkozy à la télévision. Aujourd'hui, je découvre qu'il a employé le mot de "faillite" pour désigner l'état de nos finances publiques. Quelques réactions:

1- Ce terme est exagéré et inapproprié. Notre dette publique et nos déficits sociaux sont alarmants et même dramatiques si nous ne tentons pas de mettre fin à leurs déséquilibres. De là à parler de "faillite", il y a un pas que personne, sauf le Premier ministre, ne franchira. La faillite annonce la liquidation. La France n'en est tout de même pas là. Alors, que s'est-il passé dans la tête de Fillon?

2- Le Premier ministre est un homme qui n'existe pas et qui veut exister. Dans cette objectif, il provoque. Il y a 15 jours, il affirmait que la réforme des régimes spéciaux était prête, en surprenant son monde. Même phénomène pour cette déclaration sur la "faillite". Politiquement, il n'a plus que cette façon d'attirer l'attention.

3- Autre explication: Fillon gaffe, c'est un mauvais communicateur, il utilise un mot qui affole la population et ne rend pas service au gouvernement, ce qui va encore donner raison à Sarkozy: le président est le meilleur vendeur de sa politique.

4- Ou bien François Fillon est plus malin que je ne le crois, et même très intelligent. Il répand volontairement la peur pour en tirer des bénéfices politiques, pour justifier la réforme et les réductions de postes dans la Fonction publique.

Je vous laisse choisir entre ces interprétations, à moins que vous ne m'en proposiez d'autres.


Bonne matinée.

21 septembre 2007

Le Second.

Bonsoir à toutes et à tous.

Un petit mot avant d'aller me coucher: il parait que François Fillon était tout content durant sa journée en Corse. Pourquoi cette satisfaction? Parce que le président de la République l'a cité plusieurs fois hier pendant son intervention télévisée, lui donnant même par moments du "François", alors que son nom n'avait pas été prononcé lors des deux grands discours du début de semaine.

Quelle misère de vanité! Voilà où va la République, un Premier ministre qui rosit comme une jeune fille quand le président parle de lui! Et heureux avec ça! Décidément, Fillon n'a pas l'envergure d'un Premier ministre, je crois même qu'il n'a pas d'envergure du tout, et c'est peut-être la raison pour laquelle Sarkozy l'a choisi. Il fait partie de ces hommes politiques, très nombreux, qui ont réussi parce qu'ils ont suivi quelqu'un de plus puissant, comme une ombre qui finirait par devenir un personnage. Fillon a servi Séguin, puis Chirac, puis Sarkozy. A-t-il une pensée originale? Il ne semble pas. C'est une sorte de factotum, un porteur d'eau. Il en faut, me direz-vous? Oui, mais pas au poste de Premier ministre. A vrai dire, s'il y a bien quelque chose que Fillon n'est surtout pas, c'est Premier. Brillant second, voilà tout au plus le compliment que je m'accorde à lui faire. Barre avec Giscard, Mauroy avec Mitterrand, c'était tout de même autre chose.


Bonne nuit.

DSK out?

Bonjour à toutes et à tous.

DSK est-il "out", comme le dit VAL dans un commentaire de ce matin (mais qui fait suite à mon billet d'hier)? A Washington, sortant d'une audition auprès du FMI, il a affirmé qu'il irait au bout de son mandat, ce qui logiquement, chronologiquement, l'empêche de se présenter à la présidentielle de 2012. Si l'on s'en tient à cette déclaration, si on la prend au pied de la lettre, et nous n'avons aucune raison de douter de sa sincérité, Dominique ne sera pas notre candidat aux prochaines présidentielles. Si cette intention se confirmait, ce blog devra changer d'intitulé. Non pas parce que DSK ne sera plus avec nous, ses réflexions continueront à nous inspirer, mais parce que nous ne serons plus en situation de le soutenir pour une échéance à laquelle il ne participera pas.

Cependant, le blog se poursuivra, sous un autre nom, puisque le courant est appelé à perdurer: "Socialisme et Démocratie dans l'Aisne", par exemple, puisque tel est le titre officiel de notre courant. Maintenant, est-il certain que DSK ne se présente pas? Je ne serai pas aussi affirmatif que VAL. Etant actuellement candidat au FMI et voulant mettre toutes les chances de son côté pour être désigné, DSK ne peut pas dire aujourd'hui: "je n'irai pas au terme de mon mandat car je me présenterai aux présidentielles en France". D'ailleurs, Dominique a plus esquivé la question du journaliste que répondu directement et clairement. Auquel cas il aurait déclaré solennellement: "je ne serai pas candidat en 2012", ce qu'il n'a pas fait.

Donc, attendons. Mais il est vrai que les militants doivent savoir à quoi s'en tenir. Quoi qu'il en soit, n'oublions pas que l'essentiel n'est pas là. "Socialisme et Démocratie" n'a jamais été, quoi que certains en disent, une écurie présidentielle au service d'un homme mais un courant d'idées, la social-démocratie, ces dernières années représenté par DSK, mais qui pourrait très bien, si Dominique en décide ainsi, être représenté par quelqu'un d'autre dans les prochaines années.


Bon après-midi.

20 septembre 2007

Fonction publique.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je ne sais pas ce qu'a dit à 20h00 Nicolas Sarkozy sur les chaînes de télévision, j'animais à cette heure un café philo. Mais je veux revenir sur la Fonction publique et sa nécessaire réforme. Je dirais qu'il est dans la nature de la Fonction publique de se réformer sans cesse puisqu'elle est au service du public, que les aspirations de celui-ci changent, évoluent, que l'adaptation est donc nécessaire. La Fonction publique n'est pas un îlot isolé au milieu de la société ou une forteresse. Prenez l'Education nationale: en 30 ans, à combien de réformes, plus ou moins bonnes, c'est autre chose, n'a-t-elle pas été confrontée?

Maintenant, comme je l'écrivais hier, il faut que son identité soit préservée. On aura beau faire et beau dire, les services publiques de la santé ou de l'éducation, parce qu'ils concernent directement l'être humain, sa vie et son épanouissement, ne peuvent pas être des entreprises comme les autres. Les moyens peuvent sans doute s'en inspirer, pas les finalités.

J'ai repris hier à mon compte l'expression utilisée par Sarkozy de "révolution culturelle" appliquée à la Fonction publique. Bien sûr, chacun voit de quoi il s'agit, mais la formule maoïste n'est pas très heureuse, car elle renvoie à une tragédie, une tuerie, un événement brutal et sanglant. La Fonction publique a besoin de réforme, non d'une "révolution" qui la renverserait, car c'est bien de cela dont il s'agit lorsqu'on parle de révolution.

Le problème de la gauche, c'est qu'elle a voulu faire de la Fonction publique, dans les années 70, le modèle d'organisation économique, de promotion sociale et d'émancipation humaine de toute la société, renvoyant le monde de l'entreprise privée à l'enfer capitaliste. La crise de la Fonction publique, c'est qu'elle ne joue plus aujourd'hui ce rôle central dans une société qui a su se développer et s'émanciper par d'autres moyens, qu'elle n'est plus le vecteur idéologique d'un projet politique.

Cela signifie-t-il qu'elle n'est plus rien, qu'elle n'a plus de rôle historique? Certainement pas. Soyons clairs: sans services publiques, notre société s'effondrerait. Que leurs adversaires ou leurs critiques songent bien à cela avant de poursuivre dans leur dénigrement. Je crois à une réforme de la Fonction publique qu'à une condition, la reconnaissance absolue de sa présence indispensable, de sa fonction structurante, de son esprit irremplaçable dans et pour notre société. Je n'ai pas l'impression que le gouvernement aille dans ce sens.


Bonne soirée.

Le pire des scénarios.

Bonjour à toutes et à tous.

J'ai rencontré ce matin un camarade socialiste au détour d'une rue. Il n'est pas strauss-kahnien mais a apprécié mon intervention lors de la dernière réunion de section, qu'il a jugée claire et motivée. Pourtant, je ne suis pas entièrement satisfait par sa réaction. Pourquoi, puisqu'elle est très largement en ma faveur, que je n'aurais qu'à m'en féliciter? Ma réponse sera subjective, je vous la livre telle qu'elle m'est venue et vous en ferez ce que vous voudrez. Au moment de nous quitter, dans le regard, le sourire, la poignée de mains, j'ai senti que ce camarade, malgré ses propos encourageants et positifs que rien ne l'obligeait à prononcer, ne me soutiendrait pas nécessairement, le moment venu, c'est-à-dire lors du vote d'investiture. Je peux bien sûr me tromper, préjuger d'une incohérence ou d'une insincérité qui ne se produiront finalement pas, mais je vous explique les raisons de mon fort soupçon, qui s'appuie tout de même sur quelques éléments objectifs.

La réalité des courants est plus forte que l'unité et l'homogénéité du parti. Un camarade peut penser que je suis le meilleur candidat, il ne votera pas nécessairement pour moi. Et il votera, inversement, pour un candidat moins bon, mais qui représentera "le courant". Le parti ainsi se balkanise, aucune vie collective ne devient possible. Je ne vous parle même pas de ce qu'il en est de la fraternité... La politique est ainsi, du moins une certaine politique, car je ne crois pas à la fatalité.

Partant de là, le pire des scénarios pour Saint-Quentin serait le suivant: trois candidats se présentent à la candidature, autant qu'il y a de courants (strauss-kahnien, ségoléniste et néofabiusien), sans compter les candidats "libres" ou les candidatures de diversion (un classique de la tactique politique). Bref, la section de Saint-Quentin pourrait se retrouver avec 4 ou 5 candidats, une dispersion des voix, une majorité introuvable et un second tour favorisant toutes les alliances possibles et imaginables. Autant dire le marigot! Celui qui en sortira aura à la fois gagné (il sera désigné) et perdu (il sera affaibli et prisonnier d'obscures tractations). Nous partirons ainsi dans la plus mauvaise posture pour la campagne, face à une droite qui ne fera aucun cadeau et des partenaires que nos divisions auront rendu intraitables.

Quant à la composition de la liste, ce sera l'horreur! Chaque courant se battra pour son bout de gras ou son morceau de couverture. Untel aura eu 35%, il revendiquera 35% de membres de son courant sur la liste, peu importe qui, peu importe les compétences, peu importe l'image, peu importe l'influence, en vérité peu importe la victoire du parti, ce qui comptera, ce sera la victoire du courant à travers sa bonne représentation sur la liste. Nous engendrerons un patchwork, un manteau d'arlequin, une liste qui aura tout pour perdre et rien pour gagner.

Je ne mange pas de ce pain-là, je me battrais pour que tout cela n'arrive pas. Et pourtant, fidèle au contrat de sincérité et de lucidité que j'ai passé avec mes lecteurs, je me dois de vous dire que le plus probable est le scénario que je viens de vous décrire, le pire. Heureusement, le pire n'est jamais certain. Mais je le sais, la bataille sera difficile. J'ai face à moi de redoutables adversaires, qui se nomment routine, inertie, calculs de boutique et, par dessus tout, le mot qui explique tout: faiblesse.


Bon après-midi.

19 septembre 2007

Me pacser avec Sarkozy?

Bonsoir à toutes et à tous.

Je viens de saisir sur internet quelques bribes du deuxième grand discours "social" de Nicolas Sarkozy en l'espace de 48 heures. Il me propose de passer un "pacte" avec moi, qui fais partie des 5 millions de fonctionnaires auxquels il s'est adressé. Je passe donc en revue les termes du contrat:

- Sarkozy dénonce le "carcan des statuts". Question: sont-ils vécus et soufferts comme tel par les fonctionnaires? Nos statuts, ce sont aussi des protections, en matière d'indépendance et de continuité du service public.

- Sarkozy déplore les "épreuves académiques" des concours. Il n'est pas le premier, pas novateur dans la remarque. Des syndicats s'en plaignent aussi. Mais attention à ne pas faire n'importe quoi: l'académisme, c'est une certaine exigence dans le niveau de recrutement, c'est aussi, en partie, une garantie de qualité.

- Sarkozy ne veut pas que le concours soit "la seule et unique règle pour la promotion". Pourquoi pas. Mais le dire ne sert à rien si on ne dit pas par quoi on remplace le concours. Le mérite? Je veux bien, mais je signale au passage que la réussite à un concours est aussi, quand même, une forme de mérite. D'autres formes? Ca ne me gêne pas, mais j'attends de voir quoi exactement.

- Les entrants dans la Fonction publique pourront choisir entre un statut de fonctionnaire et un contrat de droit privé négocié de gré à gré. Drôle d'idée. On chercherait à être fonctionnaire par ses études pour finalement, dans la forme juridique, renoncer à le devenir. Je ne comprends pas très bien. Vous m'expliquerez.

- Ceux qui voudront quitter la Fonction publique pourront bénéficier d'un pécule. A nouveau, quelle drôle d'idée: on voudrait encourager un fonctionnaire à ne plus l'être qu'on ne s'y prendrait pas autrement!

- Le "droit à la mobilité" sera encouragé. Là, tous les fonctionnaires seront d'accord, surtout les enseignants qui rêvent de retrouver leur famille ou... le soleil. Vous me permettrez d'être sceptique. Le fonctionnaire est soumis à des devoirs, il remplit des missions. Ces mots-là ont-ils encore un sens pour Nicolas Sarkozy? Je veux bien qu'on facilite les déplacements des agents de l'Etat, mais être fonctionnaire, ce n'est pas assumer n'importe quelle tâche, c'est assurer un service, celui du public, donc aller là où on a besoin de vous, et non pas là où vos intérêts vous dictent d'aller.

Ce discours a-t-il encore un sens dans la France sarkozienne et néolibérale? J'ai parlé dimanche des médecins: cette profession libérale exerce dans une mobilité quasi absolue, un médecin s'établit où il veut.Résultat: des territoires entiers manquent de médecins. Imaginez que la même liberté soit accordée aux enseignants, vous aurez la même chose en pire, les enseignants compensant leurs salaires très moyens (par rapport aux salaires des toubibs) par de meilleurs conditions géographiques et climatiques de vie. Bien sûr, je n'affirme pas que Sarkozy veut exactement cela, mais les mots qu'il emploie et l'idée qu'il suscite pourraient conduire à cette dérive.

- Sarkozy a rappelé "le droit aux heures supplémentaires" pour les fonctionnaires. Hormis le fait que cette mesure n'encourage pas la création d'emplois, elle contrevient à un principe qui va faire sourire (mais tant pis) et qui se trouve portant au coeur de la Fonction publique, de son esprit républicain: le dévouement. Je ne demande pas à ce que les fonctionnaires deviennent des bonnes soeurs ou des curés (quand même pas!), ni même des militants (quoique la République a besoin de républicains fervents, surtout dans l'école laïque), je demande au contraire que nos salaires soient corrects, que nous ayons, pour le coup, ce que nous méritons. Mais les heures sup, c'est la carotte ou le beurre dans les épinards. Un fonctionnaire réclame une juste rétribution, il ne cherche pas à "gagner de l'argent", objectif parfaitement honorable, mais alors, ne devenez pas fonctionnaire, faites un autre métier.

- Sarkozy a confirmé qu'il ne remplacerait pas un fonctionnaire sur deux partant en retraite, avec une précision qui atténue un peu la dureté de la décision: elle ne s'appliquera que dans les "administrations centrales", qu'Allègre avait déjà fustigé, pour l'Education nationale, en voulant "dégraisser le mammouth" (ce qui ne visait pas les enseignants, mais le sommet de la pyramide).

- Enfin, le chef de l'Etat veut revoir la composition des instances paritaires, administration-syndicats, afin qu'elles ne soient plus strictement... paritaires. Ah bon. C'est plutôt inquiétant.

Pour résumer, le pacte que me propose le président de la République, sous réserve d'une lecture complète de son discours, consiste à aligner plus ou moins la Fonction publique sur l'organisation et la mentalité d'une entreprise. Je respecte et par certains côtés j'admire le monde de l'entreprise, je pense même que la Fonction publique peut y trouver des formes d'inspiration en matière d'ergonomie, d'organisation, de compétence, de performance. Je suis ouvert à tout cela, voyez-vous. Mais renoncer à ce qu'est la Fonction publique, à son identité, à son histoire, à ses valeurs, jamais!

Je suis donc au regret de décliner l'offre, de refuser ce pacte ou ce pacs que me propose Nicolas Sarkozy. Dans l'ensemble, je suis contre. Mais dans les propositions particulières, il y a des choses à voir, à étudier, à négocier, car il y a un point sur lequel je suis d'accord avec le président: la Fonction publique doit faire sa "révolution culturelle". Nous aurons l'occasion d'en reparler, j'en suis sûr.


Bonne nuit, amis fonctionnaires et tous les autres.

Colère et fierté.

Bonjour à toutes et à tous.

Ma candidature aux élections municipales est motivée par la volonté d'agir, pour ma ville, pour la gauche, et parce qu'à l'heure d'aujourd'hui, je pense être le meilleur candidat. Cette raison est réfléchie, mais j'ai un autre motif, moins avouable car moins noble: la colère, sans doute une "saine colère", comme dirait Ségolène. Mais la colère n'est jamais bonne conseillère, voilà pourquoi j'évite d'en parler, même si elle est en moi, très forte, refoulée. Je ne supporte pas la façon dont les socialistes saint-quentinois sont traités. Nous y sommes bien sûr pour quelque chose, le principe de responsabilité s'applique aussi et surtout en politique. Mais par moment, trop c'est trop!

Le PS est à Saint-Quentin la première force de gauche, de très, très loin devant le PCF, le MRC ou les Verts. Les résultats électoraux le prouvent sans hésitation. Et que se passe-t-il? Le MRC est présenté, avec la complicité habile de la droite, comme quasiment LE parti d'opposition. Son représentant est certes sympathique et dynamique, et je lui souhaite de réussir en politique. Mais il m'est insupportable de voir MON parti, parti de gouvernement, premier à gauche je le répète, marginalisé, méprisé, bafoué. Vous trouverez mes termes excessifs, mais dans la colère, on ne choisit pas.

Je suis également en colère contre ces camarades axonais qui montrent du doigt la section de Saint-Quentin et ne cessent pas de nous reprocher nos divisions, nous considérant comme les mauvais élèves de la classe départementale. Bien sûr que nous sommes divisés, je le regrette et je ferai tout pour y remédier. Mais nous ne sommes pas plus divisés ou plus mauvais qu'ailleurs dans l'Aisne. A Laon, la section a rejeté son propre député, qui finalement a réussi à se faire réélire. A Château-Thierry, le maire socialiste est sérieusement menacé par un conseiller général qui était encore socialiste il y a quelques mois seulement. Sur Chauny et Tergnier, dans le territoire le plus à gauche du département, les socialistes ne parviennent pas à se trouver un leader qui les porte à la victoire. Qu'on arrête donc de critiquer les socialistes de Saint-Quentin!

Dans la section, nous avons eu une députée, puis une députée européenne, ce n'est pas si mal. Nous sommes confrontés à une droite rouleau compresseur puis puissante qu'ailleurs. Le sens de ma candidature, c'est de faire respecter enfin les socialistes de Saint-Quentin, c'est de nous redonner à tous une fierté perdue. La justification de ma colère, c'est celle-là.


Bon après-midi.

18 septembre 2007

L'économie des retombées.

Je vous livre un extrait de l'ouvrage dont je vous parlais hier soir, "Amérique, notre histoire", entretien avec Russel Banks:

"Je ne sais pas si vous connaissez une expression qu'employait Reagan, celle de "l'économie des retombées". On croyait, et on le croit encore chez les républicains, que si l'on diminuait les impôts des riches, ces avantages finiraient par retomber sur les pauvres, qu'en somme les pauvres bénéficieraient de la réduction d'impôt dont avaient profité les riches. Un formidable fantasme. Très alléchant. Tout le monde attendait qu'un peu d'argent finisse par tomber. Bien entendu,comme ça ne se produisait jamais, on accordait une nouvelle réduction d'impôt aux riches. Et les riches disaient: ne vous inquiétez pas, c'est l'économie des retombées; ça va finir par arriver jusqu'à vous. Ils y croyaient. Les riches croient toujours que ce qui est bon pour eux est bon pour tout le monde" (page 80).

C'est un américain qui parle de la politique pratiquée il y a 25 ans par Reagan. Mais ça ne vous fait pas penser à quelqu'un d'autre, dans un autre pays? A quelques heures du discours de Nicolas Sarkozy sur sa politique sociale, ayons à l'esprit cette petite analyse sur "l'économie des retombées".


Bon après-midi.

Le fantôme et l'illusion.

Bonjour à toutes et à tous.

Le livre à paraitre cette semaine de Lionel Jospin, "L'impasse", fait déjà beaucoup parler de lui, après la publication d'extraits hier dans Libération. Lionel donc revient, comme il y a un an, lorsqu'il laissait entendre, quelques jours, qu'il pouvait être lui aussi candidat à la présidentielle. Lionel revient et critique sévèrement Ségolène Royal. Ce n'est pas une surprise, nous connaissons ses préventions à son égard. Mais cela ne fait-il pas désordre, qu'un socialiste attaque une socialiste? Le désordre, hélas, s'est installé dans nos rangs depuis quelques mois. Et puis, nous sommes en République, chacun dit et écrit ce qu'il veut, pourvu que le propos soit sincère.

Sur le fond, il faudra lire le bouquin de Lionel. Mais certaines de ses critiques me semblent viser justes. Que la candidature de Ségolène ait été une "illusion", c'est un fait et ce n'est pas faire injure à la personne que le rappeler. L'illusion, c'est d'avoir cru que Ségolène allait battre Sarkozy sur la foi des sondages. L'illusion est aussi dans une popularité qui s'est constituée au départ sur une image et pas sur un projet. Peut-on reprocher à Lionel de le penser et de l'écrire? On peut seulement ne pas être d'accord avec lui (et avec moi) et expliquer pourquoi.

En revanche, là où Lionel Jospin est contestable dans son analyse, c'est qu'il n'explique pas pourquoi cette "illusion" a pu naître spontanément dans les rangs socialistes, et la vraie question politique est là. Pourquoi des dizaines de milliers d'adhérents nouveaux sont entrés au PS pour soutenir Ségolène? Pourquoi a-t-elle été en tête des sondages en 2006? Pourquoi a-t-elle soulevé des foules immenses lors de ses meetings? On peut critiquer Ségolène, son comportement, ses propositions ou son absence de propositions, on ne peut pas douter qu'elle a suscité (et qu'elle suscite encore?) un engouement profond, un élan populaire. Pourquoi? Quel en est le sens? Qu'est-ce qui fait que dans l'Aisne, allant dans de petites sections rurales, je rencontrais de vieux militants socialistes, issus de la SFIO et qui en ont vu d'autres, reportant tous leurs espoirs sur Ségolène Royal? Voilà les questions auxquelles Lionel devraient répondre, et se demander pourquoi lui, en 2002, a été victime d'un puissant rejet...

Ségolène, du Québec, a réagi, en faisant du "Ségolène", citant une formule biblique, taxant de sexisme et même de racisme les attaques la concernant. J'ai la triste impression d'assister au combat entre un fantôme et une illusion.


Bonne matinée.

17 septembre 2007

Amérique.

Bonsoir à toutes et à tous.

Pour comprendre où va le monde, il faut savoir ce qu'est l'Amérique. Depuis une vingtaine d'années, je m'intéresse aux Etats-Unis, je suis passionné de civilisation nord-américaine, où j'ai eu la chance d'aller six fois. En poussant un peu, je dirais que c'est le seul pays au monde, peut-être avec la Chine, qui me fascine et me préoccupe. Si vous êtes comme moi, je vous recommande la lecture d'un petit livre (138 pages), découvert par hasard sur un rayon de la bibliothèque de Saint-Quentin: Amérique, notre histoire, Actes Sud, 2006, un entretien avec l'écrivain Russell Banks sur l'histoire des Etats-Unis. J'y ai trouvé plein de trucs intéressants, je vous résume les 6 périodes historiques du pays:

1- Le début du XVIIIème siècle: les américains forment une unité et ne se considérent plus comme des européens.

2- La guerre d'Indépendance: des combattants mal préparés repoussent la plus puissante armée du monde et conduisent une révolution radicale, celle du "gouvernement par les gouvernés".

3- La guerre de Sécession: l'Amérique devient un Etat-nation et prouve que la race est son problème central et permanent. "La race, c'est notre grand récit. Notre récit originaire. Tout s'y rapporte" (page 38).

4- La Conquête de l'Ouest (1880-1900): ce n'est pas un mouvement de colonisation, les colons ont le sentiment de s'installer chez eux. Les colonies américaines, ce sont Cuba, les Philippines, le Liberia. La Conquête de l'Ouest entraîne un état d'esprit qui sera ensuite celui de la mondialisation. Le western exprime le rêve américain: "dans les westerns, on peut presque voir se dérouler toute l'histoire de la civilisation. On commence par être chasseur-cueilleur et l'on devient agriculteur. Ensuite, on construit une ville. C'est un genre fascinant, si on veut bien le considérer sous cet aspect" (page 56).

5- Le New Deal: le capitalisme s'effondre, les valeurs américaines sont remises en cause, le gouvernement est pensé autrement, il doit désormais protéger les faibles et les pauvres. Une partie des intellectuels deviennent marxistes, et une partie importante de l'opinion et des gens influents sont pronazis car proallemands. Lindbergh, sympathisant hitlérien, aurait pu être élu président de la République.

6- 1940-1960: l'Amérique prend le flambeau des peuples libres face aux peuples esclaves, la culture se déplace de Paris et Londres jusqu'à New-York et Los Angeles, la télévision entre dans la vie quotidienne.

Ces dates sont connues, comme toutes les images qui nous montrent l'Amérique. Mais prend-on la peine de bien penser à leur signification, j'en suis moins sûr. Il y a bien longtemps en tout cas que je pense que la gauche doit se débarrasser de son anti-américanisme stupide.


Bonne soirée.

Littérature et politique.

Bonjour à toutes et à tous.

Et si on commencait la semaine en parlant de littérature? Ca nous changera de la politique! J'ai essayé ce week-end de lire deux romans d'un jeune auteur à qui l'on promet le prochain Goncourt, Olivier Adam, que je ne connaissais ni d'Eve, ni ... (je n'ai pas pu m'empêcher de vous la faire, excusez-moi). Ce n'est pas son dernier roman, "A l'abri de rien", que j'ai tenté de lire, mais deux précédents: "je vais bien, ne t'en fais pas" (2000) et "la messe anniversaire" (2003).

J'ai tenté parce que je ne suis pas arrivé au terme ni de l'un ni de l'autre. Pourtant, ce sont de courts romans. Mais le style n'est pas très riche ni original. C'est jeune, ça coule, c'est vite lu, c'est tout. Je n'ai pas acheté le roman d'Adam qui est dans la liste des Goncourt potentiels, mais si l'écriture est identique, je suis très surpris par ce choix.

J'ai terminé vendredi le Goncourt... 1916, qui avait été décerné à Henri Barbusse pour "Le feu". Là, c'est autre chose, du solide, de la substance, un style, assez classique certes, mais un vrai style. Ce qui est fascinant dans ce roman sur les poilus de 1914-1918, c'est qu'il a été écrit au coeur de l'événement qui a ensanglanté l'Europe et le monde. Je n'ai pas d'exemple aujourd'hui d'un grand récit romanesque sur l'actualité politique la plus tragique. C'est aussi un signe que notre littérature psychologique ne s'intéresse plus à la politique.

"Le feu" porte ce titre équivoque qui laisse croire que le roman décrit des batailles et des assauts de tranchées. Ce n'est pas tout à fait vrai. Le plus terrible dans cette guerre, ce ne sont pas seulement les combats, c'est tout ce qui se passait avant et surtout après, que Barbusse nous conte superbement. A la fin, il est dit que le pire de la guerre, ce n'était justement pas le feu mais l'eau, quand il pleuvait jusqu'à inonder les tranchées, tout transformer en boue, engloutir parfois les soldats épuisés.

Les dernières pages sont un hymne à l'humanisme et au pacifisme, et je les ai méditées en passant à aujourd'hui: n'oublions jamais que la guerre peut revenir et qu'elle est la plus grande des tragédies.
Mais dites moi, je m'étais promis de vous parler de littérature et pas de politique? Et qu'est-ce que je suis en train de faire? Décidemment, c'est plus fort que moi...


Bonne journée.

16 septembre 2007

La grande clarification.

Je discutais hier soir avec une amie, secrétaire de section socialiste dans une petite ville près de Saint-Quentin. Je l'aime beaucoup, elle me ressemble ("qui se ressemble s'assemble"!), active, très militante, sympa. Mais, quoique tous les deux socialistes et dans le même parti, on n'a pas tout à fait les mêmes idées. Elle représente le courant Mélenchon (PRS, Pour la République Sociale) dans l'Aisne. Elle me confie qu'elle ne se sent plus à l'aise au PS, qu'elle est séduite par le parti anticapitaliste que propose Besancenot. Et ils sont nombreux, les camarades que je connais, qui partagent eux aussi cette culture antilibérale à laquelle le PS tourne irrémédiablement le dos (et pour moi avec raison).

A ces camarades, je leur demande pourquoi ils restent dans un parti qui n'est plus celui de leurs idées. La réponse est toujours la même: où aller? Le parti des antilibéraux est un projet mais pas encore une réalité. Et puis, ajoutent-ils, nous ne perdons pas l'espoir que le PS renonce à sa conversion au libéralisme. On peut toujours rêver, mais en politique, je ne le conseille pas trop, parce que les réveils sont alors très difficiles.

Depuis plusieurs mois, sur ce blog, je prône la grande clarification, celle qui verra naître à gauche deux formations électoralement complémentaires mais idéologiquement différentes: un parti social-démocrate, social-libéral, réformiste, ayant vocation à se tourner vers les centristes, un parti antilibéral, anticapitaliste, radical, révolutionnaire, ayant vocation à se tourner vers les communistes et l'extrême gauche. Et Besancenot pense la même chose! Ces deux cultures de gauche correspondent aux mentalités de notre temps. Quand je discute avec quelqu'un de gauche, je peux après quelques minutes le rattacher à l'une ou l'autre de ces cultures politiques et sociales.

Attention, je ne les oppose pas absolument, je les distingue. Les socio-démocrates doivent agir et s'unir ponctuellement et provisoirement avec les antilibéraux quand c'est nécessaire, à la façon dont les socialistes et les communistes se sont rapprochés dans les années 70 (mais sans passer par une alliance électorale et un programme commun, les deux étant aujourd'hui impossibles). Devant les électeurs, dans les urnes, il faut que les deux tendances soient distinctes et que les français choisissent. Il faut aussi, à l'intérieur du PS, que certains camarades se décident: on ne peut pas être dedans et dehors, on ne peut pas confondre Delanoë et Besancenot, pour prendre deux personnalités de gauche qui sont populaires. Voilà la grande clarification que j'appelle de mes voeux et qui aidera énormément à la refondation du PS.


Bonne nuit (social-démocrate ou antilibérale!).

Faisons les comptes.

Bonsoir à toutes et à tous.

On se demande parfois où aller chercher des pistes de réflexion politique, des idées nouvelles et utiles. On creuse, on cherche parfois fort loin alors que des idées sont toutes proches. La publication du rapport annuel de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale en donne un exemple. Oh bien sûr, l'écriture n'est pas brillante, le contenu ne va pas à des profondeurs sociologiques ou à des hauteurs philosophiques extrêmes, mais la politique n'a pas toujours besoin de brio littéraire ou de performance intellectuelle. Le plat constat de la dure réalité lui suffit.

Que nous dit ce rapport? Que le déficit de la Sécu était de 8 milliards en 2006 et qu'il ne sera pas comblé en 2009, contrairement à ce que dit le gouvernement (le rapporteur est un homme de droite, et pas n'importe qui, Philippe Seguin). Pourtant, les cotisations sont en hausse, des recettes exceptionnelles ont alimenté les caisses. La situation demeure donc "préoccupante", la réduction des déficits "fragile et partielle". Ce sont les termes précis du rapport.

Après le diagnostic, quelques causes: les exonérations de cotisations sociales des stock-options ont fait perdre 3 milliards de recettes (8,5 milliards de stock-options ont été distribués en 2005). Les chirurgiens pratiquent des dépassements d'honoraires dans 80% des cas, avec des montants parfois 3 ou 4 fois supérieurs au tarif remboursable. L'Etat lui-même doit 10 milliards à la Sécu en ne compensant pas des exonérations de charges. J'ai sélectionné bien sûr les chiffres qui m'ont le plus marqué.

Après les explications, quelques solutions:

- Il faut absolument "moraliser" le système des stock-options. Je ne sais pas si le terme de "moralisation" convient, je le tire du rapport de la Cour des comptes, chacun voit bien l'objectif.

- Il faut pénaliser financièrement les médecins libéraux qui s'installent dans des régions "surmédicalisées", car les incitations financières à s'installer dans les zones sous-médicalisées ne suffisent pas (politiquement, mais ça, le texte n'en parle pas, la question majeure est la suivante: doit-on continuer avec la liberté totale d'intallation des médecins libéraux? La réponse politiquement raisonnable mais risquée est non).

- Les aides familiales se concentrent sur le 3ème enfant, alors que les charges financières demeurent importantes pour les 1er et 2ème enfants dans les milieux modestes. De plus, ces aides se font prioritairement au profit des jeunes enfants, alors que le coût de l'enfant augmente au contraire avec l'âge. Bref, il y a là des injustices à corriger.

Le PS est en mal d'idées? Cogiter sur la refondation, c'est bien, mais pas la peine non plus de se casser la tête: il existe des propositions à la pelle. Reste maintenant à les mettre en musique dans un projet qui fasse des choix et se concentre sur l'essentiel.


Bonne soirée.

Mosco et l'Huma.

Je ne l'ai pas fait exprès, mais mon copain Moscovici reprend dans le Journal du Dimanche, que j'ai acheté ce matin, les réflexions que je vous livrais en fin de matinée et mon échange avec VAL. Sur Sarkozy: "il a commencé par une erreur de diagnostic en pensant que la consommation devait être privilégiée alors que ce sont les insuffisances de notre appareil productif, de notre compétitivité et de nos investissements qui bloquent l'économie française". Moscovici rappelle que la politique de Sarkozy nous a coûté 15 milliards d'euros cet été!

Sur la BCE et l'euro fort: "la France a 30 milliards de déficit de son commerce extérieur quand l'Allemagne a 170 milliards d'excédents. La différence entre les deux pays, ce n'est pas le niveau de la monnaie. C'est la qualité de notre appareil productif". On ne saurait mieux dire.

Dans le même JDD, je lis un reportage sur la Fête de l'Huma, où quelqu'un a dit: "ce n'est pas parce que le PCF fait 2% qu'il est mort". Je pose une question à cet illustre inconnu: la mort politique commence à quel pourcentage?

François Hollande a participé à un débat à la Fête de l'Humanité, avec la LCR, les Verts et bien sûr le PC, en appelant à l'unité. Je veux bien qu'on s'unisse, mais pour faire quoi et proposer quoi? Si c'est uniquement pour dire non à Sarkozy (et ça ressemble à ça), on ne va pas très loin. Et les socialistes ne devraient-ils pas se mettre au clair avec eux-mêmes, se rassembler sur des bases solides avant de le proposer aux autres?

Un qui est très clair avec lui-même, toujours à la Fête de l'Huma, c'est Jean-Luc Mélenchon, qui a lancé un appel en vue de créer un parti des antilibéraux avant les européennes de 2009. Bonne idée. Qui fait le premier pas?


Bon après-midi.

Sarkozy gauchiste.

Bonjour à toutes et à tous.

Vous vous souvenez que pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy s'était rangé derrière Jean Jaurès. Après sa victoire, il a réussi à dévoyer quelques socialistes. Mais aujourd'hui, il fait beaucoup plus fort, il se range carrément sous la bannière du "gauchisme", critiquant, en survolant l'Europe à son retour de Hongrie, la Banque Centrale Européenne, ses taux d'intérêt trop élevés et le soutien qu'elle apporterait aux "spéculateurs". Bigre! On croirait entendre Mélenchon ou Besancenot.

En effet, la gauche du PS et l'extrême gauche dénoncent depuis quelques années la terrible BCE, devenue le mal absolu, le cancer de l'Europe, après la directive Bolkenstein et la Constitution européenne. Bienvenue au club des épouvantails! Dans les années 70, c'étaient les multinationales (forcément américaines), puis la mystérieuse Trilatérale. La BCE est la nouvelle et hideuse pieuvre. La croissance française ne décolle pas? C'est la faute à la BCE. Les délocalisations s'accélèrent? C'est la faute à la BCE. Les prix augmentent? C'est la faute à la BCE. Ah, si la BCE n'existait pas, tout irait mieux en Europe et surtout en France, parait-il. J'ajouterais: si la BCE n'existait pas, Sarkozy et l'extrême gauche s'empresseraient de l'inventer!

Remettons un peu d'ordre, de raison, d'honnêteté et de bon sens dans tout ça. La BCE a été voulue par la France et par l'Allemagne il y a 15 ans afin de stabiliser les monnaies et économies européennes selon des critères stricts et précis. On ne peut pas construire l'Europe et laisser chaque pays faire n'importe quoi, au risque de compromettre son équilibre et sa cohésion générale. Que ces critères soient révisés, pourquoi pas, c'est au pouvoir politique d'en discuter et d'en décider. Que les taux d'intérêt soient abaissés, on peut le souhaiter. Mais faire reposer la cause de nos difficultés économiques sur une institution financière, la BCE, dont nous sommes à l'origine, dont nous avons voulu l'indépendance, à laquelle nous avons assigné des objectifs, je dis non et stop!

"La vérité est ailleurs", dit le slogan d'une célèbre série télévisée. Non, la vérité n'est jamais ailleurs, elle est en nous. Chômage, délocalisations, stagnation économique viennent des faiblesses de notre appareil productif et d'une incapacité culturelle à faire face à la mondialisation, à se lancer dans la compétitivité. Pourquoi Sarkozy joue t-il au gauchiste pourfendeur de la BCE après avoir joué au socialiste "ami des ouvriers"? Parce que le président de l'Eurogroupe vient de rappeler la France au respect de ses engagements, que la politique de Sarkozy, c'est-à-dire l'alourdissement des déficits, va rendre impossible. Le président le sait, comme il sait que nous avons hélas peu de chance d'atteindre l'an prochain une croissance de 5%. D'où cette fuite en avant en direction d'une opinion prompte à taper sur l'Europe à la moindre occasion. C'est ce qu'on appelle de la tactique, mais ce n'est pas ainsi qu'on fait de la bonne politique.

Car quel est le résultat, et une politique se juge à ses conséquences? la France se retrouve isolée en Europe, aucun pays ne lui emboîte le pas après ses critiques contre la BCE. Ce qui signifie que les déclamations de Sarkozy n'ont strictement aucun effet, ne servent à rien, sinon à se faire plaisir et à plaire à l'opinion. Voilà où nous en sommes, voilà où va notre pays. J'ai envie de vous dire: vivement que ça change! Mais je crois qu'il est encore un peu tôt...


Bon dimanche.

15 septembre 2007

35 ou 40 heures.

Bonsoir à toutes et à tous.

Savez-vous que c'est dans ma région, la Picardie, que la loi sur les heures supplémentaires, le fameux "travailler plus pour gagner plus", vient d'être pour la première fois appliquée, cette semaine? Chez Continental, la firme allemande du pneu, 1200 salariés, à Clairoix dans l'Oise. En mars, les salariés avaient rejeté, à 16 voix près, l'abandon des 35 heures. Aujourd'hui, le syndicat majoritaire, la CFTC, a signé un accord qui revient aux 40 heures et augmente les salaires, 92 euros de plus par mois, non imposés fiscalement, avec 130 recrutements, le paiement de la journée de solidarité et quelques autres avantages.

En mars, la proposition consistait en une augmentation annuelle de 780 euros bloquée sur un compte épargne pendant 5 ans ou 272 euros par an pour 16 jours de travail supplémentaire, ainsi que 116 recrutements. C'est ce que les salariés ont refusé.

Que faut-il penser de tout cela? Pas simple... De fait, les 35 heures suscitent depuis 2000 des critiques dans la classe ouvrière et au-delà, mais quand leur suppression est envisagée, il y a des résistances. Cependant, il est évident que le "travailler plus" de Sarkozy a séduit une grande partie des salariés. Pendant longtemps, et je reste personnellement attaché à cette idée, le progrès social passait par la réduction du temps de travail à salaires constants. Aujourd'hui, dans la société d'hyperconsommation qui est la nôtre, il faut de l'argent pour exister. Le gain en temps parait beaucoup moins intéressant que le gain en argent. Tout le problème des 35 heures est là, quasiment culturel.

Que doit faire le PS face à cette réalité? J'ai cru longtemps, jusqu'à ces derniers mois, qu'il fallait continuer à se battre pour cet acquis social que sont les 35 heures, et donc les généraliser, comme le prévoyait le PS. Maintenant, je m'interroge et je ne suis pas loin de rejoindre Manuel Valls: n'imposons pas les 35 heures à ceux qui n'en veulent pas, ne généralisons donc pas les 35 heures. Dans une société de confort, où la pénibilité du travail n'est plus ce qu'elle était autrefois, le soulagement du travail n'a plus le même sens. L'angoisse des français, c'est de perdre leur travail, pas sa durée. L'aspiration, ce n'est pas moins de travail, c'est plus d'argent. On fait alors quoi? Je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est qu'il faut prendre les gens tels qu'ils sont, et non pas tels qu'on les rêve.


Bonne nuit (et là, vous pouvez rêver!).