L'Aisne avec DSK

31 mai 2009

Babeuf aujourd'hui.

Bonjour à toutes et à tous.

L'association des Amis de Gracchus Babeuf organisait hier, à Saint-Quentin (ville natale du révolutionnaire ! ), une intéressante exposition et conférence sur le fondateur de la "Conjuration des Egaux". L'homme, sa pensée, son action sont mal connus, à tort. Une cinquantaine de personnes avaient répondu à l'appel. C'est bien. L'association est présidée par Michel Aurigny, par ailleurs conseiller municipal du Parti Ouvrier Indépendant. L'héritage de Babeuf est revendiqué par ce courant (et plutôt délaissé par le reste de l'extrême gauche). La salle était donc très "politique", même si on retrouvait aussi les habitués des initiatives de la Municipalité, très éloignés de la gauche (cette expo et conférence-débat s'inscrivaient dans le 500ème anniversaire de l'Hôtel de Ville).

Jean-Marc Schiappa, chargé de la conférence, est un historien mais aussi un militant, et ça se sent, dès la troisième minute de son intervention, où il ironise sur François Furet, penseur de la Révolution "après son tennis". Stéphane Courtois est l'autre historien qui va faire les frais de la critique de Schiappa, des "clivages" qu'il introduit, selon une dialectique éprouvée. Pourquoi pas. On peut être historien et militant, ce n'est pas contradictoire. Mais il faut le savoir. Je sais ici où je mets les pieds, la suite ne m'étonne donc pas. Mais tout le monde est-il comme moi ?

Au plan historique, j'ai beaucoup appris de cette conférence, notamment les rapports entre Babeuf et Robespierre : Gracchus a rédigé un texte contre "l'incorruptible" et son "économie dirigée", mais son opposition ne durera qu'un mois. Il défendra ensuite le robespierrisme. C'est surtout, bien sûr, au plan politique que j'ai beaucoup à dire ... et à redire. Je n'adhère vraiment qu'au début de l'exposé et ses deux remarques :

1- Le babouvisme pose une question : pourquoi certains ont tout, pourquoi d'autres n'ont rien ? Je crois que cette interrogation est fondatrice de ce qu'on appelle la gauche, réformiste ou radicale. Etre de gauche, c'est d'abord se demander ce qui justifie les inégalités, sachant que la réponse est dans la question, et c'est le grand scandale du capitalisme mais aussi celui de toute société humaine : rien, absolument rien ne justifie que certains aient tout et que d'autres n'aient rien.

2- Le babouvisme, avec la Révolution française, démontrent que rien n'est sacré, intouchable, immuable, qu'il n'existe aucun ordre éternel des choses, du monde, de la société, que les hommes ont la capacité d'agir sur eux-mêmes et leur environnement. On appelle ça, hier comme aujourd'hui, la politique.

Voilà ce que je partage avec le babouvisme ... et le lambertisme. Après, nos chemins idéologiques se séparent. Babeuf veut "l'égalité absolue", qu'il oppose à l'égalité formelle, simplement juridique. Mais celle-ci, obtenue en 1789, maintenue aujourd'hui, est un formidable progrès de l'humanité. Quant à celle-là, je ne la comprends pas bien : "l'égalité absolue", c'est la satisfaction réelle des besoins. Mais à partir de quand les besoins sont-ils réellement satisfaits ? Schiappa a souvent parlé de "survie", pour une grande partie de l'humanité actuelle. Le besoin, ici, c'est donc la "vie", les besoins vitaux, élémentaires : alimentation, vêtement, habitat, éducation, protection. Ok.

Mais le problème avec les besoins, c'est qu'on sait où ils commencent, et on ne sait pas où ils s'arrêtent. Les régimes communistes, dont je ne doute pas qu'ils avaient satisfait un certain nombre de besoins matériels et moraux (je n'ai jamais été un anticommuniste primaire, ni même secondaire), ne se sont-ils pas effondrés parce qu'ils ne répondaient pas au besoin de liberté, qui tenaille les peuples lorsque les ventres sont à peu près remplis ?

Ma perplexité laisse place à mon inquiétude quand j'entends que "l'égalité absolue" s'obtient par un moyen que l'on connaît bien, à gauche, depuis deux siècles : l'abolition de la propriété privée. Là encore, pas de confusion, pas de caricature : Babeuf respecte la propriété personnelle de chacun. Son système ne peut que l'augmenter, et c'est le capitalisme qui la réduit (du moins le capitalisme du XIXème siècle). Là-dessus, Marx a écrit, dans son Manifeste, des pages éclairantes et définitives.

Non, ce que Babeuf veut supprimer, c'est la propriété privée des moyens de production, pour utiliser le langage marxiste. Bref, c'est un projet de collectivisation de l'économie. Là encore, pourquoi pas, c'est une belle et louable utopie. Le problème, qui n'est pas mineur et qui est tragique, c'est que cette expérience a été de multiples fois tentée au long du XXème siècle, qu'elle a à chaque fois échoué, qu'elle a même contredit le message d'émancipation de l'humanité dont elle était pourtant porteuse.

On peut bien sûr affirmer que ceci n'a rien à voir avec cela, que le communisme réel n'était pas réellement un communisme. Mais quand on est un tant soit peu marxiste, on croit aux logiques de l'histoire, à la vérité des événements, on sait bien que les "accidents" n'existent pas, qu'il y a au contraire une nécessité matérielle dans tout ce qui arrive au sein des sociétés. C'est ce qu'on appelle le matérialisme historique et scientifique, celui de Marx et Engel, une méthode d'analyse à laquelle j'adhère, mais que j'applique à tout processus historique, y compris à ces sociétés qui se sont appelées, pour des raisons qui n'étaient pas accidentelles ou superficielles, "communistes". Babeuf doit aussi être interrogé au regard de ces régimes qui ont sévi sur la planète, de Pékin à La Havane, de Moscou à Phnom Penh, en étant dans notre analyse aussi précis, factuel et rigoureux que peut l'être un lambertiste dans son étude du capitalisme.


Bonne soirée.

30 mai 2009

Petite promenade distributive.

Bonsoir à toutes et à tous.

Il y a des promenades digestives, après le repas. Il y a des promenades sportives, pour l'exercice physique. Mais connaissez-vous la promenade distributive ? Elle est politique. La distribution classique de tracts n'a pas que des avantages : les gens ont autre chose à faire qu'à prendre votre papier, se sentent parfois agressés quand on leur tend, le prennent tout de même par politesse, avant de le jeter par terre. Bref, c'est contre-productif. Et puis, les militants donnent l'impression de s'adresser à la population que dans les périodes d'élections. Ça ne va pas.

Qu'est-ce qui va ? La promenade distributive ! Vous partez seul ou à deux, vos tracts sous le bras, tranquillement, vous ressemblez plus à un simple citoyen qu'à un rude militant, vous vous baladez comme moi ce matin sur le marché, mine de rien, détendu, sous le beau soleil, au milieu des odeurs de fruits et légumes, vous vous attardez avec des connaissances, vous discutez de tout et de rien, du beau temps, des fruits et légumes, puis vous glissez votre papier entre les mains de votre interlocuteur, comme une formalité, une banalité. Vous faites de la politique sans donner l'impression d'en faire. Ça passe mieux.

Et puis, vous ne distribuez pas anonymement, vous évitez le gâchis. Un électeur de droite ne votera pas à gauche parce que vous lui aurez passé un tract. En revanche, un électeur de gauche n'est pas certain de voter, ni de voter PS : c'est donc lui qu'il faut viser en premier, et à partir de lui, grâce à lui, diffuser le message par ondes concentriques. Il faut conforter notre électorat, et seulement à partir de là élargir.

J'ai fait quelques bonnes rencontres, je ne sais pas si j'ai convaincu, mais j'ai parlé. Un syndicaliste me remet en mémoire une phrase que j'avais soi-disant prononcée il y a quelques années (je n'aime pas trop ce procédé policier ou judiciaire, vous rappeler des mots oubliés et hors contexte). Mais j'écoute, je suis là pour ça. Il me dit donc que j'étais alors favorable à la mondialisation, que je n'y voyais que du bien. Il m'étonnerait que j'ai présenté les choses de cette façon-là, mais passons sur la forme, ne retenons que le fond :

La mondialisation est un fait, que je constate, que je n'ai pas à déplorer ou à féliciter, de même que je constate la pluie ou le beau temps. Et j'assortis ma démonstration d'un exemple (authentique) : hier, je suis allé à Cora m'acheter une table de jardin et deux chaises, made in China. Est-ce que ça m'a dissuadé de les acheter ? Non. Alors, ne critiquons pas la mondialisation, c'est elle aussi qui nous permet de consommer à bas prix.

Ça ne signifie pas qu'il faille tout accepter de la mondialisation. On est bien d'accord qu'elle a aussi des conséquences négatives, des effets pervers. Mais le bon sens n'invite pas au repli sur soi, à une politique nationaliste ou protectionniste. C'est pourquoi le Parti socialiste, dans cette campagne européenne, prône le juste échange, contre le traditionnel libre échange des libéraux. Et puis, la mondialisation, c'est l'Europe qui peut y faire face, pas la France seule avec ses petits bras !

J'ai fait mon modeste, surtout pas le registre du militant je-sais-tout (pourtant, j'ai souvent envie d'entrer dans le lard des gens, tellement j'entends de conneries !), j'ai dit que le PS ne faisait pas tout bien, que des hommes au pouvoir devenaient des hommes de pouvoir, mais qu'entre la gauche et la droite, il n'y avait pas photo, que les salariés auraient toujours plus besoin de la gauche, quelles que soient ses erreurs, que de la droite, quelles que soient ses réussites.

Mon syndicaliste est reparti satisfait. Je l'ai rencontré sceptique, je le quitte plutôt convaincu. Peut-être votera-t-il PS le 7 juin ... J'ai réitéré la même démarche cinq ou six fois, en trois quart d'heure de promenade distributive. Un camarade m'a offert un café. Il m'a dit qu'il venait de croiser Xavier Bertrand. On peut donc faire de mauvaises rencontres, même sur un très pacifique marché. Bonne rencontre en revanche avec les militants du MoDem, qui ont choisi la stratégie traditionnelle : distribution militante groupée, statique, très visible puisqu'ils arborent des tee-shirts oranges qu'on repère de loin. Les camarades du NPA aussi étaient là. Une belle matinée, un magnifique soleil, un ciel bleu, couleur d'Europe.


Bonne soirée.

29 mai 2009

Abstention piège à cons.

Bonsoir à toutes et à tous.

On semble craindre comme la peste le taux d'abstention lors du scrutin européen qui aura lieu dans un peu plus d'une semaine. J'entends dire que ce désintérêt serait de la faute à la classe politique, qui ne saurait pas nous faire aimer l'Europe, ou de la faute aux médias, qui ne sauraient pas nous expliquer l'Europe. Jamais, je dis bien JAMAIS, je n'entends remettre en cause la responsabilité des citoyens. On les exonère d'emblée de ne pas aller voter, puisqu'on leur trouve des circonstances atténuantes. C'est hallucinant ! Nous vivons dans un régime où l'on peut critiquer, accuser, ridiculiser tout le monde, sauf les citoyens !

La démocratie donne à chacun d'entre nous une petite responsabilité, qui ne prend pas énormément de temps, n'exige pas beaucoup d'efforts, ne mobilise pas de grandes quantités de réflexion. Si vous démissionnez de cette tâche, vous êtes sans excuses, vous êtes irresponsables. Il ne faut pas lâcher là-dessus, ne pas dédouaner l'opinion de ses responsabilités, sinon il n'y a plus de civisme, de citoyenneté et de démocratie. Nos ancêtres républicains l'avaient compris : la vertu est nécessaire à l'activité publique et politique.

Je n'ignore pas que la vertu civique, le devoir électoral, ne peuvent être que très mal portés et pratiqués dans la société contemporaine, pour deux raisons :

1- Le culte du moi : dans le monde d'aujourd'hui, chacun ne pense qu'à soi. Ce n'est pas a priori choquant, on a connu pire comportement dans l'histoire de l'humanité. Mais le culte du moi s'oppose à la culture républicaine du nous, dont on prend conscience quand on va voter : ma voix n'est que l'infime portion d'un grand corps qu'on appelle la souveraineté du peuple. Comment une société attachée au moi accepterait-elle de le dissoudre dans le nous, le collectif, comment comprendrait-elle qu'un bulletin de vote individuel puisse se noyer dans la masse des bulletins de vote ?

2- Le culte du concret : dans le monde d'aujourd'hui, chacun pense à ses intérêts les plus matériels. On a trouvé un joli mot pour ça : le concret. Avez-vous remarqué ? On réclame du "concret" partout. Très bien. Sauf que la République, depuis qu'elle existe, n'a jamais fonctionné au "concret" mais à l'abstrait. Liberté, égalité, fraternité, vous trouvez que c'est "concret" ? Bien sûr que non, et tant mieux. Du concret, il en faut, mais pas que de ça. Et quand on va voter, c'est pour des idées, des généralités, des convictions, des projets, pas pour du concret.

L'abstention qui se profile à l'horizon du 7 juin n'est donc pas un épiphénomène, un accident, une faiblesse passagère de l'opinion. C'est au contraire un effet profond d'une cause profonde. L'Europe est rejetée aujourd'hui (car l'abstention est un signe de rejet, pas d'ignorance ou d'incertitude) par les milieux populaires et petits-bourgeois comme autrefois la République l'était par les masses paysannes. Il ne faut donc pas désespérer complètement de la situation.


Bonne nuit.

28 mai 2009

En campagne.

Bonjour à toutes et à tous.

La campagne officielle des élections européennes à la télévision donne parfois l'occasion de drôles de surprises : le clip de l'UMP s'ouvre sur l'intervention de Xavier Bertrand et se poursuit par des prises de paroles de simples citoyens, mais avec la voix du patron de l'UMP, qui poursuit son discours ! Curieux effet : des visages inconnus et une voix connue, qui n'est pas la leur, un exercice de ventriloque. Quel est le message ? Que l'UMP parle d'une seule voix ?

Toujours la campagne : Nicolas Sarkozy a fait un discours sur la ... sécurité, avec des mots, des formules, des accusations, un ton qui rappellent que cet homme est devenu populaire et s'est fait élire sur ce thème. Le rapport avec l'Europe est lointain. Tant pis, ce qui compte pour lui, c'est ce qui marche, et ce qui marche dans une France qui a peur, c'est d'agiter le thème de l'insécurité. Que le président ne se plaigne donc pas qu'on brandisse contre lui le vote-sanction.

Encore la campagne : Martine et Ségolène, ensembles, dans un meeting. Il y a quelques jours, j'étais gêné : Ségolène semblait vouloir négocier sa présence, ce qui ne devrait pas se faire entre socialistes. Ça ne s'est pas fait. L'important aujourd'hui, c'est la tête d'affiche, le symbole de l'unité retrouvée. Le PS en avait besoin, c'est fait, après le rendez-vous manqué du Premier Mai. Je ne doute pas que le rassemblement soit en marche depuis un certain temps déjà. Mais le dire et le faire ne suffisent pas, il fallait le montrer. L'électorat a autant besoin d'images que de discours.


Bonne soirée.

27 mai 2009

Les malades au boulot !

Bonjour à toutes et à tous.

Frédéric Lefebvre, le porte-parole de l'UMP, est un drôle de type. Physiquement, il ressemble à un homme de gauche : cheveux longs (c'est très rare parmi les députés) et rouflaquettes. A la voix, il est très doux ; au regard et à la tête, il est très dur. Politiquement, il fait partie de la majorité, mais il se comporte comme un opposant, volontiers critique, acerbe, exaspérant. C'est un homme du président mais ce n'est pas un "chouchou" (il n'a pas été ministre). Bertrand a besoin de prouver qu'il existe en bossant et en montrant qu'il est le meilleur, Lefebvre se contente d'être lui-même, un homme de droite avec des idées de droite et un ton mordant.

Il a encore fait des siennes avec sa proposition de travail pendant les congés-maladie ou maternité. Celle-là, il fallait la faire ! Tant mieux d'ailleurs, la droite montre son vrai visage et perd un bon paquet de voix. Les députés UMP ont senti le boulet passer et ont eu l'intelligence de se démarquer de l'iconoclaste. Pas Xavier Bertrand, qui a mis cette proposition au compte du débat d'idées. Des débats et des idées comme ça, j'en veux bien tous les jours ! A ce rythme, dans trois semaines, la gauche sera devenue majoritaire dans l'opinion sans avoir besoin de rien proposer !

Les arguments pour défendre le travail alors qu'on est malade sont toujours les mêmes, ceux que Bertrand utilise pour justifier les heures supplémentaires ou le travail le dimanche : liberté et fric, c'est à dire la quintessence du néolibéralisme. Répondons tout de même à chacun de ces arguments :

1- La liberté : chacun fait ce qu'il veut, on oblige personne, c'est volontaire. C'est donc la négation même de l'idée de loi, qui s'impose à tous, alors que le projet de Lefebvre s'appuie sur des cas particuliers. Je veux bien croire que certains aimeraient et pourraient travailler pendant qu'ils sont arrêtés. Mais ce sont des situations marginales. La plupart du temps, quand on est en congé-maladie, c'est qu'on ne peut pas travailler. Ou alors le médecin a abusé dans son diagnostic. La loi doit prendre pour critère le général, pas le marginal.

2- Le fric : les néo-libéraux Lefebvre et Bertrand nous font miroiter une indemnité supérieure à celle qu'on touche quand on est en arrêt-maladie sans travailler. C'est fou, vous imaginez un peu les disparités, les injustices, les inégalités que va provoquer ce projet. Il y aura les malades bien portants qui travailleront de chez eux, gagneront de l'argent, et les malades mal portants qui recevront moins. Il y aura les salariés dont la profession permet le télétravail et ceux dont la profession (et il y en a beaucoup) ne le permet pas. Souvent, ces derniers représentent les travailleurs les moins qualifiés, qui n'auront donc pas droit à un bonus quand ils tomberont malade.

Je cesse là les contre-arguments, il y en aurait beaucoup d'autres. En tout cas, le 7 juin, quand vous irez voter, pensez très fort à Frédéric Lefebvre et à Xavier Bertrand.


Bon après-midi.

26 mai 2009

L'enfer des voisins ?

Bonjour à toutes et à tous.

C'est aujourd'hui la Fête des Voisins. Drôle de fête, quand même ! Le voisinage, est-ce qu'on a besoin de le fêter ? Ça se vit ou pas, mais on pourrait penser que ça ne se célèbre pas. Pourquoi pas, dans la même logique, une Fête des Amis, une Fête des Collègues de Travail, une Fête des Amants et des Maîtresses ? J'ai l'impression que moins le lien social existe, plus on en parle.

Et puis, le voisinage n'est pas nécessairement une valeur positive. Autrefois, dans les campagnes, il sévissait une véritable dictature du voisin, celui qui observait vos faits et gestes derrière ses persiennes, celui qui colportait des rumeurs sur votre compte. Avoir l'oeil sur le voisin, se comparer à lui, ce n'est pas bien. Du voisin, je ne sais rien. Seul un mur, paradoxalement, nous rapproche. Ce n'est pas assez pour que j'en fasse un ami. Le voisin est une menace perpétuelle pour notre intimité et notre liberté. Si l'enfer c'est les autres, pensait Sartre, c'est sûrement les voisins.

La société moderne a réussi à nous libérer de la tyrannie du voisinage, qui est à l'urbain ce que la glèbe est au paysan. Nous sommes autonomes, émancipés, nous n'avons plus besoin du voisin comme la femme n'est plus sous la dépendance du mari. Vive le progrès ! Avec la voiture, le téléphone et maintenant l'internet, je ne suis plus soumis à mon prochain, au type d'à côté, je peux entrer en relation avec mon lointain, je peux choisir mes interlocuteurs et non plus subir celui que le pur hasard a conduit à aménager près de chez moi. Et si la Fête des Voisins était profondément réactionnaire ?

Mes voisins d'à côté, je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, personne ne s'en plaint, ni eux ni moi. Bonjour-bonsoir et tout le monde est content. Essayez de sympathiser, vous verrez les problèmes arriver. L'une des sources du cocufiage, c'est tout de même l'existence d'une voisine ou d'un voisin ! Mon voisin d'en face, je le connais parce qu'on partage certains centres d'intérêts. Sinon à quoi bon ?

J'ai reçu dans mon courrier, signés Colette Blériot et Pierre André, une petite brochure sur la Fête des Voisins à Saint-Quentin, dont je vous livre un extrait :

"Quelques mots aimables, un sourire ou simplement un signe de tête peuvent contribuer à créer un climat agréable (...) des actions concrètes fondées sur l'entraide dans la vie quotidienne comme, par exemple, aider un voisin âgé à porter ses courses, prêter des outils à un voisin qui emménage, ramasser le courrier d'un voisin parti en vacances, etc ..."

C'est bien, mais il est surprenant et révélateur que des comportements normaux, naturels, logiques ont cessé dans notre société de l'être, puisque c'est au politique, aux élus, d'en rappeler l'utilité et même la nécessité. On décrie beaucoup la politique et ses serviteurs, mais voyez un peu ce qu'ils sont désormais obligés de faire ! Dans mon enfance, ma grand-mère allait faire régulièrement des courses pour une voisine alitée, en échange de quoi la dame nous laissait une bonne bouteille ou du fromage. Mon grand-père, pour faciliter la communication, avait même installé un support en bois sur le mur séparant nos deux jardins, où l'on voyait apparaître de temps en temps des victuailles. Tout cela n'avait pas besoin d'être dit, montré, conseillé, célébré, cela existait, passait même inaperçu, semblait banal. Trente ans après, ça me revient, à cause de la Fête des Voisins.

A Saint-Quentin, tous les quartiers vont être ce soir en fête, célébrant le genre voisin, comme l'Internationale chantait "le genre humain". Sauf mon quartier, le centre ville. Depuis des années, la Municipalité tente des activités ce soir-là, mais ça ne prend manifestement pas. Et si je proposais à Pierre André et à Colette Blériot, pour l'an prochain, un café philo géant place de l'Hôtel de Ville, où chacun viendrait expliquer pourquoi et comment il peut très bien se passer de ses voisins ? Ça pourrait être un échange intéressant et un moment de très grande convivialité ...


Bon après-midi,
et bien le bonjour
à votre voisin.

25 mai 2009

Conseil sur le Net.

Bonsoir à toutes et à tous.

Je n'irai plus jamais au conseil municipal. Non pas parce que je n'aime plus ça, mais parce que j'ai découvert aujourd'hui, pour la première fois, la retransmission en direct sur Internet, et c'est beaucoup mieux qu'être présent. Adieu mon vieux banc, adieu ma place depuis dix ans ! Ça fait quelque chose, quand même ...

Au départ, j'étais plutôt dubitatif, je pensais que l'écran ne restituait pas une ambiance, qu'il fallait être sur place pour l'apprécier. C'est faux. Par cette lucarne, on pressent mieux la réalité que du haut du balcon. D'abord, on voit les visages qui s'expriment, et ça change tout. Le spectateur n'est plus une oreille, c'est aussi un oeil. Et puis, la caméra nous donne de temps en temps une vision panoramique, essentiellement au moment des votes, où on assiste au ballet invariable des mains qui se lèvent et qui se baissent. On comprend mieux alors ce qu'on sait déjà : dans cette enceinte, tout est réglé comme du papier à musique, et le chef d'orchestre, c'est évidemment Pierre André.

D'autre part, la retransmission par Internet adoucit la scène. Du haut du balcon, dans une perspective plongeante, ne retenant que les voix, l'impression est austère, rigide, parfois cassante. Le climat est perçu volontiers plus conflictuel. L'Internet, comme la télévision, est un media soft. D'en haut, les ombres ressortent. Sur l'écran, les couleurs sont agréables, lisses, les contrastes atténués. Le maire apparaît bonhomme, l'opposition rigolote. Devant l'ordi, on est au spectacle. Les petites lampes sont très remarquées, elles diffusent une lumière qui rend presque intimes les débats. Seule une grosse voix vient perturber la tranquillité, mais personne n'y croit, on a l'impression d'une intervention pour rire, qui elle-même fait rire.

Le maire, tassé sur son siège, ressemble à un gros chat. Après chaque intervention de l'opposition, il ronronne son discours, sa réaction. Par moments seulement, on sent passer un coup de griffes, mais ça n'est pas bien méchant : il sait qu'il est le maître, il aime à le rappeler avec gourmandise (il a encore dit ce soir qu'il avait pour lui "la légitimité du peuple", c'est un peu facile comme réponse, je suis persuadé qu'il le sait, mais il s'en fout, il a le pouvoir, il peut tout se permettre, rien ne peut l'atteindre). A chaque fois que je regarde un conseil municipal, je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que j'aurais fait dans telle ou telle situation, comment j'aurais répondu, etc. Mais c'est un petit jeu complètement vain, qui n'a de valeur que personnelle : on ne peut pas savoir, on ne peut pas refaire l'histoire.

J'entends ces rapports, une vingtaine, qui sont lus avec application et parfois hésitation par les élus de la majorité (dont Ribeiro !), je vois ces visages qui défilent sur mon ordinateur, devant lequel je suis confortablement installé (ça change de mon vieux banc !). Ces visages, je les connais quasiment tous. Ils n'ont pas changé, tout juste un peu vieilli, depuis onze ans que je les croise et que je les observe. Ils sont entrés dans le temps, dans l'histoire de cette ville, ils se sont transformés en statues. Qui pourrait penser aujourd'hui qu'on pourrait les déboulonner ? Je vous livre cette impression, elle vaut ce qu'elle vaut, elle est subjective : à Saint-Quentin, la droite semble avoir l'éternité pour elle. Je voudrais faire mentir ce sentiment. Je ne dis pas qu'un jour je n'y arriverai pas. Mais il faudra beaucoup de foi pour ça.

Certains conseillers municipaux, rares, mâchent je ne sais quoi, du chewing-gum je suppose. J'ai horreur de ça, alors que c'est plus fréquent qu'on ne croit. C'est insupportable : un élu n'est pas une vache qui rumine, quel besoin d'avoir dans sa bouche un truc qu'on malaxe. L'écran révèle ce genre de choses. On l'interdit aux enfants dans les écoles, et des adultes en représentation se le permettent ! Je ne comprends pas.

Un conseil municipal, c'est un peu une classe. Le maire fait au début l'appel, certains en cours de séance font tout à fait autre chose (lisent par exemple leur revue de presse), à la fin beaucoup rangent leurs affaires avant même que la séance soit levée.

Et le fond des dossiers traités ? Deux seulement ont retenu mon attention :

- Le réaménagement des alentours de la basilique, auquel l'opposition reproche de manquer de précisions et de perspectives, à quoi le maire répond que c'est la raison pour laquelle un bureau d'études a été désigné.

- La carte scolaire et les suppressions de classes, que l'opposition rapproche de la politique nationale et de ses conséquences, le maire renvoyant sur ce point dos à dos les gouvernements de gauche et de droite.

Une seule question diverse, posée par Michel Aurigny (Part Ouvrier Indépendant), sur les suppressions de postes à l'hôpital : qu'en pense le président de son conseil d'administration, Pierre André ? Répose de l'intéressé : allez voir le directeur de l'hôpital, c'est lui le responsable. Cette dernière escarmouche est à l'image de toutes les autres : le débat, même conflictuel, ne s'engage jamais entre la majorité et l'opposition, le sénateur-maire esquive chaque coup et botte en touche.

Une dernière remarque : quand Michel Aurigny prend la parole "au nom de l'opposition", jamais je ne m'y ferai, jamais ne le l'accepterai. Je n'ai rien contre Aurigny, j'en veux à la situation qui lui permet aujourd'hui de prononcer tranquillement cette phrase.


Bonne nuit.

24 mai 2009

Chaud à Bohain.

Bonsoir à toutes et à tous.

Quelle chaleur dans l'Aisne ce dimanche ! Le premier vrai jour d'été, même si nous sommes encore en mai ... J'ai passé une bonne partie de la journée à Bohain, où la section socialiste invitait à un barbecue sympa (avec le climat adéquat !). Auparavant, en matinée, la motion D (motion Aubry, pour les non spécialistes) en a profité pour se réunir et faire le point, six mois après le congrès de Reims. Incontestablement, si j'avais un terme à retenir pour qualifier ce début de mandat de Martine à la tête du Parti, ce serait celui de travail.

Pas d'esbroufe, pas de clinquant, pas de médiatisme (cette maladie qui consiste à se précipiter devant n'importe quelle caméra ou dans n'importe quel studio de télévision). Bref, pas de bling-bling : pour battre un adversaire, il n'y a que deux techniques, en rajouter sur son propre terrain ou lui opposer une toute autre logique. Martine Aubry a choisi la seconde solution, et c'est bien. Bien sûr, ça n'est pas simple, et déjà, dans les années 70, nous disions que "l'unité est un combat". Mais le PS va mieux, est sur la voie du rétablissement, et c'est l'essentiel.

Au niveau fédéral, nous appliquons aussi cet impératif de travail, moi à la formation, Jean-Michel dans la relation avec les élus, et tous nos camarades dans leur militantisme quotidien. J'écoutais Aubry sur France-Inter en fin d'après-midi, elle a insisté sur ce qui est désormais fondamental : élaborer notre projet pour 2011, pour dans deux ans, juste avant l'échéance présidentielle. Il n'y a en définitive que ça qui compte, notre projet : c'est lui qui nous fera retrouver la confiance de notre électorat, et au-delà l'adhésion de tous les Français ; c'est lui qui nous fera l'emporter sur Bayrou, qui s'oppose mais ne propose pas vraiment, ne dispose pas en tout cas, et ne disposera jamais d'un projet politique digne de ce nom, en alternative au sarkozysme.

Car un projet, ça se construit mais ça ne s'invente pas, si j'ose dire. Un projet est à la fois le résultat d'une histoire, celle de la gauche, et d'une sociologie, les catégories sociales que nous sommes en charge de défendre par priorité. Bayrou peut être plein de bonnes intentions, d'une volonté parfaitement louable, d'un anti-sarkozysme scrupuleux (c'est déjà beaucoup !), il n'aura jamais pour lui et pour son parti l'histoire et l'enracinement sociologique du Parti socialiste.

Le MoDem pourra toujours avancer quelques mesures, certaines probablement pertinentes et utiles, il n'aura pas la force historique et sociologique d'élaborer un projet, une alternative au sarkozysme. C'est pourquoi j'observe avec intérêt les évolutions du centrisme, je l'encourage à clarifier ses positions, mais je ne crois absolument pas à son avenir, parce que je ne le crois pas capable d'engendrer un projet.

Je reviens à Bohain : nous étions nombreux, le barbecue excellent, l'ambiance détendue. Jean-Pierre Balligand, tout en sueur après une partie de tennis avec Jean-Louis Bricout, maire et secrétaire de section, nous a fait un de ces petits discours dont il a le secret, personnel, réfléchi, motivant. J'ai retenu quatre points forts :

- La critique du capitalisme : avec la crise financière mondiale, cette critique doit être portée par la gauche, et naturellement par le PS. Il n'y a de socialisme qu'à partir, qu'à travers une critique du capitalisme. Il serait aberrant que l'électorat, en cette période de faillite de l'ultra-libéralisme, porte ses suffrages sur ses représentants, Sarkozy en tête.

- Sarkozy, parlons-en : certains se gargarisent des sondages qui mettent l'UMP en tête, avec 27-28%. Quel score ! Le parti du Président qui ne fait que 28% , vous trouvez ça formidable ? C'est minable. Quand on est au pouvoir et qu'on se ramasse 28%, j'appelle ça une gamelle. Et ne me dites pas que le PS fait encore moins ! Comme je l'ai souvent écrit sur ce blog, il faut comparer ce qui est comparable : à 28%, quand on représente l'ensemble de la droite, c'est loin d'être un succès. Ce qu'on cache, c'est une évidence : la droite se porte très mal.

- Il faut défendre l'Europe, car le sentiment anti-européen, même s'il est démonstratif, n'est pas aussi puissant qu'on croit. Il y a dans les profondeurs de l'opinion un grand bon sens qui fait dire que l'Europe nous est indispensable. Sans l'euro, nous aurions dû dévaluer, nous serions plus vulnérables à la crise mondiale. Regardez l'Angleterre : ils n'ont pas l'euro, ils ont cédé pendant longtemps au mirage de l'ultra-libéralisme, les salariés souffrent de la crise beaucoup plus qu'ailleurs en Europe.

- Le seul vrai événement de cette élection, ce sera probablement le bon score du Front de Gauche, et la remontée de l'influence du PCF, qui en s'alliant à Mélenchon va passer devant le NPA, ce dont se félicite Balligand. Parce qu'avec l'extrême gauche, aucune discussion, aucune alliance ne sont envisageables (le NPA est à notre gauche ce que le MoDem est à notre droite : des partis qui veulent notre peau, des concurrents, pas des partenaires). C'est d'ailleurs pourquoi Besancenot, et il le dit clairement, n'a pas voulu rejoindre le Front de Gauche : parce qu'il ne veut jamais, dans aucune circonstance, se retrouver en situation de négocier et de contracter avec le PS. Ce qui n'est pas le cas pour le Front de Gauche.

Balligand, c'est un monument, une bête politique, celui qui a réussi en Thiérache, qui n'est pas spontanément une terre de gauche, à enraciner le socialisme dans la durée, quelqu'un que j'admire. Et pour que j'admire quelqu'un, il me faut beaucoup, beaucoup, beaucoup de raisons et de motivation. C'est le cas avec Balligand, qui devrait être un modèle pour tous les socialistes axonais.


Bonne soirée.

23 mai 2009

Le retour des menteurs.

Bonsoir à toutes et à tous.

Vous vous souvenez des mensonges de 2005 à propos de l'Europe ? La laïcité était menacée, l'avortement était menacé, des plombiers polonais s'apprêtaient à déferler dans nos campagnes et un mystérieux plan B devait nous sauver en cas de victoire du non. Mensonges, mensonges, mensonges ! Eh bien ça recommence, les menteurs sont de retour, sur leur terrain de prédilection, l'Internet. Depuis quelques jours, quel gros mensonge colportent-ils? Que 97% des votes européens scelleraient l'alliance scélérate entre le PS et l'UMP. Voilà le mensonge éhonté dont on abreuve nos messageries. Il faut réagir, je réagis :

1- Les menteurs n'expliquent pas l'origine de leur mensonge. D'où tirent-ils ce pourcentage extravagant ? Et ces 97%, quels votes désignent-ils, votes de quoi ? Et sur quel laps de temps ? C'est bien beau (en réalité, c'est salaud) de nous balancer un chiffre entre les dents, mais quelles sont ses explications ? Car tout ça pue la manipulation, comme en 2005, même si c'est incomparablement moins puissant qu'en 2005. Quand vous rencontrez un menteur et qu'il vous ment, questionnez-le, dégonflez la grosse baudruche de son mensonge.

2- Les menteurs ne réfléchissent pas à l'énormité de leur mensonge. Car 97% des votes acquis à la quasi unanimité, même le régime de Staline ne faisait pas aussi bien. Voudrait-on nous faire croire que l'Union européenne serait un régime totalitaire ? Aussi idiot que paraisse l'accusation, certains s'y sont essayés en 2005. Les revoici aujourd'hui, plus madrés. Comprennent-ils que le chiffre qu'ils avancent décourage à aller voter, puisque droite et gauche, ce serait alors la même chose ? Ça ne vous rappelle rien ? 2002, où Jospin était salement accusé de faire une politique de droite. Mais c'est peut-être à ça que les menteurs veulent arriver : nous dissuader d'aller voter le 7 juin.

3- Les menteurs cachent la vérité sur la construction européenne. Celle-ci a toujours fonctionné au consensus, non pas parce que droite et gauche, en l'occurrence démocratie-chrétienne et social-démocratie, seraient la même chose, mais parce que ces deux courants politiques veulent historiquement la même chose : la construction de l'Europe. Le consensus européen n'efface pas les différences et les divergences entre socialistes et conservateurs.

4- Les menteurs désinforment sur le fonctionnement du Parlement européen. Ils confondent sciemment celui-ci avec un Parlement national, alors que c'est incomparable. Au niveau européen, ce sont des majorités d'idées qui se dégagent, les votes sont à géométrie variable, à la différence de notre Assemblée Nationale où il y a un clivage quasi imperturbable entre gauche et droite. C'est par le compromis que l'Europe avance et qu'elle a toujours avancé, non par l'affrontement entre une majorité et une opposition. Mais pourquoi ? Parce que les sujets les plus clivants entre la gauche et la droite (la santé, l'école, l'emploi, le social, etc ) ne sont pas tranchés au niveau européen mais restent du ressort national.

5- Les menteurs se mentent à eux-mêmes. Car il existe une évidence qui pulvérise leur mensonge des 97%, censé montré que l'Europe n'aurait rien de démocratique. Cette évidence, c'est que l'Europe est la construction la plus démocratique au monde et dans l'histoire universelle. Jamais, je dis bien JAMAIS un édifice politique de cette dimension, avec un demi-milliard d'individus, ne s'est bâti avec un tel assentiment des peuples et le contrôle des citoyens. Citez-moi un seul contre-exemple, UN SEUL, et je deviendrais sur le champ un anti-européen fervent ! Mais vous ne trouverez rien. Ni l'empire chinois, ni la Grèce d'Alexandre, ni la Rome antique, ni l'Europe napoléonienne, ni les Etats-Unis d'Amérique, ni l'Union soviétique, des ensembles géopolitiques comparables à l'Union européenne, ne se sont élaborés pacifiquement et démocratiquement. De ce point de vue, l'Europe est un exemple unique au monde. Vous comprenez alors pourquoi les menteurs enragent et mentent.

Les menteurs sont de retour ? Faisons-leur avaler leurs mensonges !


Bonne nuit.

St Quentin en Europe.

Bonjour à toutes et à tous.

Le beau soleil revient sur Saint-Quentin et à quinze jours du scrutin européen, la campagne électorale (ouverture officielle lundi) commence à s'animer. Quelques réunions publiques ont déjà eu lieu: hier soir à Matisse pour Lutte Ouvrière, mercredi soir pour le Front de Gauche à Paringault, celui-ci ayant organisé un vrai meeting avec des têtes d'affiche, Jacky Hénin, Marc Dolez, Jacques Desallangre. Le MoDem lui aussi s'est mis de la partie, avec une rencontre à l'Ecole Nationale de Musique, l'invitée étant Corinne Lepage.

Ces trois formations ont donc opté pour la réunion publique, qui est le moyen le plus sûr et le plus traditionnel de s'adresser aux militants et d'élargir à tout public. Plus modestement, DLR, Debout La République, a proposé une conférence de presse de son chef de file national, Dupont-Aignan, après une visite d'entreprise. Le Parti socialiste, de son côté, annonce la venue de Martine Aubry, le 3 juin dans l'après-midi.

Et puis, il y a les partis qui ne font pas parler d'eux, qui semblent, du moins pour le moment et pour ce que j'en sais, n'avoir rien prévu dans le cadre de cette campagne européenne. C'est le cas pour le POI, mais c'est logique : le Parti Ouvrière Indépendant, farouchement hostile à l'Europe telle qu'elle existe, ne participe pas au scrutin. Il n'empêche qu'il est très présent sur le terrain, notamment à travers ses traditionnelles distributions de tracts et signatures de pétitions sur le marché.

Le MRC, Mouvement Républicain et Citoyen, ne se manifeste pas non plus. Mais on est presque dans le même cas de figure que le POI : après son échec d'intégrer le Front de Gauche, Chevènement a appelé à "voter blanc ou nul", ce qui ne conduit guère à l'enthousiasme militant. En revanche, les Verts, très actifs au plan national, n'envisagent apparemment pas d'initiative publique sur Saint-Quentin. Même discrétion au NPA. Mais ce retrait n'est peut-être que provisoire ...

Silence radio du côté du FN, ce dont personne ne se plaindra ! La fille Le Pen rôde dans la campagne axonaise mais ne se risque pas dans la plus grande ville du département. Tant mieux, bon débarras ! Et l'UMP ? C'est sans doute le plus curieux, le plus étrange : le parti le plus puissant de la ville, dont le secrétaire général est ici maire-adjoint, n'est guère actif, du moins visiblement. Il a cependant imaginé une petite originalité : des affichettes jaunes collées un peu partout sur les panneaux, appelant à voter ... Pascale Gruny.

Je connais bien ma droite locale. Elle est toujours comme ça. A chaque scrutin, elle joue la modeste, ne se manifeste pas. Il faut se méfier de l'eau qui dort. Ses réseaux sont tellement nombreux et efficaces qu'elle se paie à chaque fois le luxe de ne pas faire campagne ... parce qu'elle est toujours en campagne. On ne la voit nulle part ? Ne vous y trompez pas, c'est qu'elle est partout. On appelle ça une machine, en grande partie invisible. Je ne fantasme pas, je constate. Mais les plus redoutables appareils ont leurs faiblesses. Il suffit parfois de quelques grains de sable ...


Bonne matinée.

22 mai 2009

Le chauffeur bulgare.

Bonsoir à toutes et à tous.

Il y a trois jours, un homme politique d'envergure nationale était l'invité du journal du matin sur France-Inter. Voilà en substance les propos qu'il a tenus :

l'Europe actuelle, c'est le libre-échange, les licenciements, les délocalisations, le dumping fiscal, tous les traités en sont responsables, celui de Lisbonne reprend de façon adoucie la Constitution européenne. Il faut donc reprendre l'élan de 2005, le mouvement du non, protéger les peuples de la concurrence sauvage en instaurant un protectionnisme au niveau européen.

Qui a dit ça, qui s'est lancé dans cette envolée anti-européenne, qui a réclamé une "autre Europe" ? Ça pourrait être Mélenchon ou Chevènement, ça ressemble un peu à Besancenot ou à Hamon, l'accent est en tout cas radical et très anti-capitaliste. Ce n'est pourtant pas un homme de gauche, c'est ... Philippe de Villiers.

Attention : je ne confonds pas ce représentant d'une droite radicale, xénophobe, moraliste, autoritaire avec les camarades que j'ai cités plus haut. Ce serait faux et pour tout dire scandaleux. Ce que je fais seulement remarquer, pour m'en inquiéter (mais je l'avais déjà fait en 2005), c'est qu'une partie du discours villiériste croise une partie du discours de la gauche radicale alter-européenne. Je répète et j'insiste : les deux discours sont globalement incompatibles (Villiers est nationaliste, Besancenot est internationaliste par exemple) et je sais qu'aucune confusion n'est possible.

Ce qui me préoccupe, c'est la réaction des citoyens, les effets sur les électeurs. Comment ne pas être troublé quand des critiques virulentes de l'Europe se recoupent, même si leurs fondements sont idéologiquement opposés ? Quand Villiers condamne avec autant de violence et de cohérence la directive Bolkenstein et l'oligarchie européenne que peut le faire une certaine gauche, comment ne pas s'interroger des conséquences sur nos concitoyens ? Nous vivons une époque où les repères politiques traditionnels sont largement déplacés. Dans le débat européen, ils ont explosé, et les dommages sont importants.

Villiers est l'anti-européen le plus conséquent. Plus anti-européen que lui, on meurt ! Même Le Pen ne crache pas autant sur Strasbourg et Bruxelles. Villiers sait s'y prendre pour nous faire détester l'Europe, pour nous faire fantasmer sur ses prétendus dangers. Vous vous souvenez du "plombier polonais", le déshonneur de la France en 2005, la sournoise xénophobie planquée derrière un lamento social et même révolutionnaire, une petite saloperie comme notre grand pays en est quelquefois hélas capable.

Eh bien, Villiers récidive, mais il adapte la chanson à l'air du temps : son nouveau personnage, c'est "le chauffeur bulgare". Voilà la fable, écoutez-là bien camarades, et réfléchissez avant de la reprendre à votre compte, comme certains d'entre vous l'ont fait avec le fameux plombier : les entreprises de transport subissent la concurrence des pays de l'Est, où les chauffeurs sont moins bien payés et roulent plus longtemps. Donc, le brave camionneur français, bien de chez nous, qui sifflote au volant, celui-là va être viré et remplacé par un chauffeur bon marché, le "chauffeur bulgare". Le type a changé mais c'est toujours la même petite saloperie socialo-xénophobe. Et quand nos concitoyens entendent ça, ce n'est pas la dimension sociale (si on peut parler ainsi !) qu'ils retiennent, c'est la leçon xénophobe de la fable.

Bolkenstein faisait penser à Frankenstein, bulgare fait penser à barbare. Ne souriez pas, l'usage des mots, le choix des consonances sont fondamentaux. L'opinion n'est pas constituée de créatures rationnelles qui analysent et décryptent mais d'esprits qui se laissent aussi porter par leur imagination. Et celle-ci, nous le savons bien, réagit au quart de tour, s'enflamme très vite, fonctionne beaucoup mieux, mais parfois pour le pire, que l'intelligence. Villiers, là-dessus, est fort, très fort.

De même, ce n'est pas innocemment qu'il évoque sans cesse "le traité de Marrakech". Qui connaît ce traité ? Pratiquement personne, moi le premier. Pourquoi Villiers en parle ? Parce que les traités qu'on connaît, Maastrich, Nice, Lisbonne, renvoient à des villes européennes qui rassurent. Evoquer le "traité de Marrakech", c'est se porter vers ce Maghreb qui affole et obsède Villiers, c'est laisser croire que l'Europe a déjà vendu son âme à l'étranger, Marrakech, la Turquie, les Chinois, avec un plombier polonais hier et un chauffeur bulgare aujourd'hui en ennemis de l'intérieur. Dégueulasse, tout simplement dégueulasse.


Bonne soirée.

"Certains camarades".

Bonjour à toutes et à tous.

Je suis friand, dans la presse, des rubriques "échos", ces informations courtes et souvent percutantes, qui ont cependant parfois un défaut : elles sont alimentées par la rumeur et n'ont pas alors grand fondement. J'en veux pour preuve, dans L'Union d'hier, à la page 2, à la rubrique Actu02, la "brève" suivante, que je vous restitue dans sa totalité :

"Certains socialistes jugent dangereuse la stratégie de leurs camarades à Chauny. Il s'agit clairement dans un premier temps de prendre l'ascendant sur le Parti communiste qui, via Francis Hérédia et Jean-Luc Lanouilh, est la figure de proue de l'opposition de gauche dans le secteur. Le même calcul a été fait à Saint-Quentin par certains socialistes : l'UMP Pierre André effectue son troisième mandat consécutif."

"Certains socialistes", c'est qui ? Je crains que ce soit n'importe qui qui s'autorise à dire n'importe quoi. En politique, il faut mettre des noms et des visages derrière les propos et les actions. Sinon, c'est la voix ouverte à toutes les manipulations. "Certains socialistes", ça ne veut rien dire.

Je ne jugerai pas ce qui est dit à propos de la "stratégie" de mes camarades chaunois. Ce que je sais, c'est que les socialistes et les communistes n'ont pas réussi à s'entendre pour monter une liste commune, que ce n'est pas dramatique, que chacun tente sa chance de son côté, que c'est démocratique. L'essentiel, ce sera pour la gauche de se compter et de se retrouver au soir du premier tour pour se rassembler, selon la bonne vieille règle du désistement républicain, afin de battre Lalonde. Je ne vois pas où est le danger de cette stratégie, même si l'union est toujours préférable à la dispersion.

Là où en revanche je réagis violemment, c'est à propos du parallèle (erroné) avec Saint-Quentin, car là je connais bien. A nouveau je m'interroge puisqu'il est encore question de "certains camarades" et je ne vois toujours pas de qui il s'agit. Ces camarades saint-quentinois auraient fait "le même calcul" qu'à Chauny. Le même calcul ? Alors là, je n'y comprends rien du tout. La gauche de nos deux villes sont dans des situations incomparables et par bien des aspects opposés :

A Saint-Quentin, en 2007 comme en 2001, la gauche est partie unie au combat des municipales. Le calcul n'est donc pas le même mais il est exactement inverse. En 2007, la gauche est même allée jusqu'à s'allier avec l'extrême gauche. Il est tout de même étrange d'assimiler des stratégies littéralement contraires. La seule pertinence serait de remonter aux municipales de 1995, où il y avait effectivement deux listes à Saint-Quentin, une communiste et une socialiste. Mais c'était il y a 14 ans.

Ce qui explique la longévité politique de la droite saint-quentinoise, c'est donc le contraire de ce qu'affirme L'Union : c'est parce que la gauche n'a pas su présenter, en 2001 mais surtout en 2007, des listes autonomes et spécifiques que Pierre André l'a emporté haut la main avec 60% des voix pour son troisième mandat. Nos camarades de Chauny ont la sagesse de ne pas s'inspirer de Saint-Quentin mais de Soissons : aux dernières municipales, socialistes et communistes n'ont pas fait liste commune au premier tour, ils ont donc ratissé large et ont rassemblé toutes leurs forces au second tour. La bonne stratégie, c'est celle-là. A quoi il faut ajouter que ni Chauny, ni Soissons (ni Laon) n'ont commis cette folie de s'allier à l'extrême gauche au prix d'une sous-représentation du Parti socialiste.

Je ne sais pas qui a inspiré à L'Union ce commentaire, mais j'ai tenu à vous démontrer qu'il était entièrement faux.


Bon après-midi.

21 mai 2009

La question qui tue.

Bonjour à toutes et à tous.

Dans son traditionnel micro-trottoir, le Courrier Picard du 19 mai a posé à quelques passants la question qui tue (en ce moment) : irez-vous voter le dimanche 7 juin ? Si nous étions tous des citoyens convaincus, conscients de vivre par chance dans une démocratie, nous répondrions OUI à 95%. Je laisse une petite marge pour les fous, les pervers, les idiots et les négligents. J'ai le sentiment, au vu des estimations, qu'on n'en prend pas le chemin, et je ne peux pas croire que mes 5% se seraient à ce point élargis. Que se passe-t-il donc ?

C'est là où un micro-trottoir est intéressant. J'ai sélectionné deux réponses, très différentes, celle d'Allison, 23 ans, mère au foyer, et de Julien, 29 ans, enseignant. L'une et l'autre ont des visages sérieux de gens responsables. Écoutons donc ce qu'ils ont à nous dire, en commençant par la dame :

"Je ne sais pas encore si j'irai voter ce jour. Si j'ai le temps avec les enfants j'irai. Pour moi ce n'est pas si important que ça d'aller voter, mais j'y vais quand même le plus souvent."

Allison a visiblement mieux à faire que voter. Et elle ne croit pas trop en la démocratie puisque "ce n'est pas si important que ça" (l'élection, c'est quand même la base de la démocratie ; si vous doutez de son importance, le reste s'effondre). Étrangement, Allison, malgré sa réticence envers le système, va voter "le plus souvent". Pas très cohérent, tout ça. Peu importe, Allison accomplit son devoir civique, et dans le doute, elle ne s'abstient tout de même pas d'aller voter.

Le monsieur maintenant :

"Pour moi le vote est un droit important. Mais à ce scrutin en particulier, je n'ai pas envie de voter. Donc je ne sais pas encore si j'irai. On entend pratiquement aucun débat sur l'Europe."

Julien, sur l'acte de voter, a une position diamétralement opposée à celle d'Allison, puisqu'il le considère comme "important". On s'attendrait pourtant à ce que sa conclusion soit la même que la sienne : puisque voter est important, je vais voter. Eh bien non ! C'est là où c'est proprement renversant. Celle qui doute du vote ira sans doute voter, celui qui y croit n'ira probablement pas ! Vous y comprenez quelque chose ? Moi pas.

Julien avance timidement deux arguments :

- Le scrutin européen serait "particulier". Pourquoi ? Il ne l'est pas plus ni moins qu'une élection cantonale par exemple. Si le vote est un droit important, tout vote est important, y compris européen.

- Il n'y aurait pas de débats. Vilain mensonge, pitoyable prétexte ! Il suffit d'allumer la télé, d'ouvrir la presse, d'aller sur le Net, et les débats, on les trouve ... quand on veut bien les chercher. Pas joli joli l'argument, collègue enseignant !

Allison et Julien, faites-moi plaisir, soyez citoyens, ne vous laissez pas aller, ne vous posez pas trop de questions, n'inventez pas de fausses raisons : le 7 juin, allez voter !


Bon après-midi.

20 mai 2009

Rien ne va plus.

Bonjour à toutes et à tous.

République sondagière, République mensongère : voilà ce que m'inspirent les nombreux commentaires de ces derniers jours autour des sondages sur les élections européennes. Je pense bien sûr en particulier au sort injuste qu'on fait subir au Parti socialiste et qui m'oblige à rétablir quelques saines vérités :

1- On ne peut comparer que ce qui est comparable. L'UMP est le parti de TOUTE la droite, formation unique, tandis qu'il n'existe pas, et je le regrette, un grand parti de TOUTE la gauche. Dans ces conditions, il n'y a rien d'exceptionnel, il est même logique et normal que l'UMP arrive en tête dans les sondages. Les quelques socialistes qui se donnent comme objectif (quasi impossible à réaliser) de dépasser l'UMP se précipitent eux-mêmes dans le piège qui leur est tendu, la comparaison illégitime entre PS et UMP. L'honnête mesure, c'est le résultat de l'UMP comparé avec l'ensemble des résultats des formations de gauche. Et là, on verra qui l'emportera !

2- Il faut juger le résultat du PS à sa juste mesure. On déplore les 22% que nous attribuent les sondages, on les considère comme un faible résultat. Non. Aux élections européennes, l'amplitude des voix socialistes oscille entre 28% et 14%. Avec 22%, le PS se situe dans une bonne moyenne. Et puis, c'est l'étiage naturel du PS à n'importe quelle élection depuis 40 ans. Mitterrand le remarquait fort bien : en France, les socialistes ne forment guère plus de 20% de l'électorat au premier tour d'une élection, 25% quand ils sont en grande forme (ce qui n'est pas le cas actuellement, j'en conviens, puisque nous sommes encore en période de convalescence). C'est le paradoxe au pays de la Révolution française : le camp conservateur a toujours été culturellement majoritaire, ce qui a notamment empêché jusqu'à maintenant la constitution d'une grande formation social-démocrate.

3- Une élection s'apprécie à travers une dynamique de campagne. Les résultats statiques, à tel ou tel moment, ne sont pas significatifs. Nous savons d'expérience que la victoire ou la défaite viennent de loin mais se décident dans les derniers jours. Les 22% du PS ne sont aujourd'hui qu'une base de départ qui peut se bonifier. Il reste trois semaines de campagne. C'est maintenant que tout va se jouer. "Faites vos jeux", dit le croupier au casino. Et il ajoute : "Rien ne va plus". Mais pour qui ? Pour le PS, comme l'affirment beaucoup ? Je n'en suis pas sûr, ça me semble présomptueux. Faisons en tout cas ce qu'il faut, dans les jours qui viennent, pour faire mentir ces oiseaux de mauvaise augure.


Bonne matinée.

19 mai 2009

La pêche au mérou.

Bonjour à toutes et à tous.

Ce n'est plus un bruit qui court, c'est un vacarme qui assourdit : Claude Allègre s'apprêterait à devenir ministre. Certains présentent l'éventualité comme le nouveau coup de génie du président, la poursuite de sa stratégie d'ouverture, son contournement et asphyxie du PS, la traduction de son incomparable sens politique. Ce que j'en pense ? Que c'est complètement idiot !

L'ouverture sarkozienne ne vaut que si elle ramène dans ses filets de gros ou petits poissons. Jack Lang, toujours très populaire, symbole des années Mitterrand, aurait été une belle prise. Valls ou Dray, des hommes de l'appareil socialiste, auraient été d'un profit évident pour la droite. Allègre non. Ce n'est pas un poisson, ou bien un mérou égaré sur le sable.

Kouchner est aimé des Français, Besson était secrétaire national du PS, Amara et Hirsch avaient d'importantes responsabilités associatives. Mais Allègre ? Rien de tout ça. Il n'est même plus adhérent au PS, il ne représente que lui-même. Son entrée au gouvernement n'aurait aucune signification.

Et puis, l'ouverture a pour finalité de capter des voix de gauche en faveur de la droite. A-t-on oublié que Claude Allègre a été écarté du gouvernement de la gauche plurielle à la suite d'un remaniement ministériel ? Son impopularité était devenue si grande parmi les enseignants, socle de l'électorat socialiste, que son ami Jospin avait dû s'en séparer. Que la droite soit séduite par un tel personnage qui révulse une partie de son propre camp, je comprends. Mais ça ne lui apportera pas une seule voix supplémentaire. Au contraire, la mauvaise image d'Allègre à gauche n'en sera que renforcée.

Se souvient-on que dans son milieu d'origine, les scientifiques, Claude Allègre est très contesté ? Je ne sais pas si sa remise en cause du réchauffement climatique est pertinente, je sais qu'elle fait polémique. Allègre au gouvernement veut être à la tête d'un MITI, du nom de cet organisme du capitalisme d'Etat japonais, qui regroupe dans un même ministère l'économie, le commerce, la recherche, l'industrie et quelques autres secteurs. Ce n'est plus un portefeuille, c'est une valise ! Quelle idée de vouloir implanter en France un projet qui a vu le jour au Japon en 1949 ! Après le néo-libéralisme, est-ce que le capitalisme d'Etat va devenir la nouvelle idéologie gouvernementale ?

Allègre est un original intéressant, un provocateur-né, un iconoclaste à répétitions, ce qui explique que cet atypique soit devenu, contre toute attente, un chouchou des médias. Mais ce n'est pas un politique. A l'intérieur du gouvernement de droite, je sens qu'il va créer un beau bins. Je le souhaite même. Sarkozy n'aura eu que ce qu'il mérite.

L'image qui me reste à l'esprit de Claude Allègre, c'est sa participation à un téléfilm sur Galilée où il jouait le rôle d'un ambassadeur. On le voit à l'écran en collant, veste bouffante et immense chapeau d'époque. C'est dans cette tenue qu'il devrait aller à son premier conseil des ministres. On aura alors tout compris.


Bonne journée.

18 mai 2009

Mauvais procès.

Bonsoir à toutes et à tous.

Un mauvais procès est en train d'être fait au Parti socialiste. La droite en est l'inspiratrice, les médias parfois relaient l'acte d'accusation. C'est fort de café : la droite a été la dernière à boucler ses listes, péniblement, elle fait à peine campagne, craignant de recevoir un coup sur le museau le 7 juin. Que nous reproche-t-elle ? De changer de stratégie, de prôner le vote proposition après avoir défendu le vote sanction. Et Bayrou, jamais en retard d'une polémique, s'y met, en laissant entendre que les socialistes ne sont plus les premiers opposants à Sarkozy, mais que c'est lui, bibi, Bayrou !

Je dis : ça suffit ! L'anti-socialisme est en France un sport régulier, un peu comme la pêche au brochet ou la chasse à la palombe. C'est une sorte de défoulement qu'on s'autorise pour masquer ses propres faiblesses. Le vote du 7 juin est-il un vote sanction ? OUI, parce que tout vote, en démocratie, porte une part de sanction, et plus encore quand on est dans l'opposition. Car si l'opposition ne s'oppose pas, ce n'est plus une opposition et nous ne sommes plus en démocratie. S'opposer, c'est sanctionner.

OUI, il faut sanctionner le 7 juin la majorité libérale qui domine le Parlement européen. Quand on est socialiste, c'est à dire critique envers le libéralisme, on ne peut que vouloir la défaite de cette majorité. D'autant que la crise financière mondiale vient valider les analyses du socialisme. En France, qui est le premier représentant de cette majorité européenne de droite ? Nicolas Sarkozy. C'est donc aussi lui et sa politique qui devront être sanctionnés le 7 juin.

Mais sanctionner n'est pas incompatible avec proposer. Au contraire, bien sanctionner c'est bien proposer. Et des propositions, le PS en a à revendre, au cas où la droite manquerait d'idées, ce dont elle souffre manifestement, pour s'en prendre comme elle le fait au PS. Nous avons signé un texte avec l'ensemble des partis sociaux-démocrates d'Europe, le Manifesto, qui fourmille de propositions. Encore faut-il le lire, ou simplement parcourir un bon résumé, qu'on trouve facilement sur le site du PS ou de nos fédérations. Courage citoyens, c'est à votre portée !

On peut être en désaccord avec le PS. C'est ça aussi la démocratie. Mais on peut l'être en restant honnête, en reconnaissant ce que je viens de vous expliquer : sanction et proposition vont de pair. Pas de mauvais procès !


Bonne soirée.

17 mai 2009

Cheese.

Bonsoir à toutes et à tous.

Ce matin, en gare de Saint-Quentin, je suis tombé sur une curieuse affiche près du Photomaton. Voilà quel était son slogan, qui a retenu mon attention : "Il ne faut pas rigoler avec vos photos d'identité." Le visage sérieux d'une jeune femme blonde aux cheveux courts venait en illustration. Sur le coup, je n'ai pas compris. S'il y a bien quelque chose avec qui ou quoi je ne rigole pas du tout, ce sont les photos d'identité, qui renvoient pour moi à des portraits un peu sinistres, genre photos de taulards.

La suite était un peu plus éclairante : "Pour la validité administrative de vos photos, merci d'avoir une expression neutre." Il n'empêche que tout ça m'a semblé énigmatique. Il y a trente ans, on n'aurait pas imaginé une telle publicité. J'ai donc noté ces formules sur un bout de papier, et comme je n'avais rien de particulier à faire dans le train pour Paris, j'ai griffonné quelques réflexions que je vous propose maintenant :

1- Aujourd'hui, avec les téléphones portables et les appareils photos numériques, tout le monde prend des photos de n'importe qui, de n'importe quoi, et se prend en photo. Autrefois, la photo exigeait des précautions, un choix, une mise en scène, il y avait l'intermédiaire d'un professionnel, le photographe, et un délai d'attente, le développement des pellicules. Tout ça a disparu, la photographie s'est généralisée à l'excès (je vois des gens prendre des photos complètement inutiles, qu'ils vont très vite supprimer), elle est devenue une pratique entre soi et soi, sans passer par cet autre qu'était le photographe. Mine de rien, c'est une révolution dans les comportements.

2- Il n'y a pas si longtemps, une photo réclamait une pose, avait quelque chose d'officiel, même pour des clichés non officiels, des scènes intimes, familiales. Devant l'objectif, on était en représentation : les dames se recoiffaient et les hommes se tenaient droits. La photo était un art conventionnel, conformiste, social, qui instaurait une certaine solennité. C'est désormais fini, c'est tout le contraire. Regardez les photos actuelles, c'est stupéfiant : les individus sont volontairement grimaçants, grotesques, hilares, extravagants, gentiment stupides, exprès débiles. On tire la langue, on écarte la bouche avec ses doigts, on lève les bras, on fait le singe ou le guignol, on s'amuse, on délire. Bref, on est passé de la pose à la posture et même à l'imposture.

3- C'est très simple : autrefois, la seule plaisanterie permise en matière de photographie, c'était les doigts en V qu'on faisait au dessus de la tête de celui qui se trouvait devant nous, pour l'affubler de discrètes oreilles d'âne, dont on se rendait compte qu'au moment du développement. C'était très limité mais efficace. Aujourd'hui, le rire a littéralement explosé et tout emporté. Sur les photos, on a aboli toute distance (avant, l'appareil était assez loin de son objectif), on se montre sans vergogne, on s'exhibe, on s'offre en spectacle là où jadis on composait un tableau. Je comprends alors les inquiétudes et l'avertissement publicitaire de Photomaton.

4- Nous assistons au triomphe de l'individualisme. Sur une photo, on veut être soi et rien d'autre, on se lâche donc. Il s'agit d'être original, jusque dans la fantaisie, parfois la débilité.

5- C'est aussi le triomphe de la dérision et de l'auto-dérision, la défaite de l'esprit de sérieux. On s'enlaidit, on devient quasiment gargouille, mais on s'en fout, on surprend son monde, on déconne, on existe.

6- C'est enfin le triomphe du narcissisme. On se prend soi-même en photo pour soi-même se regarder et s'offrir au regard des autres, par exemple sur Facebook. Adieu les sages albums de famille qu'on feuilletait collectivement le dimanche après-midi, adieu les photographies sous verre qui trônaient fièrement sur la cheminée du salon.

Photomaton aura beau le répéter sur des milliers d'affiches : la neutralité administrative est une vertu devenue étrangère à notre société. Et c'est bien dommage.


Bonne nuit.

16 mai 2009

Roule ma poule.

Bonjour à toutes et à tous.

Charb, dans Charlie de cette semaine (au fait, adios Val !), signe un intéressant article sur les "TGV Family" (page 14). Ce n'est pas une blague : la SNCF va mettre en place des trains réservés aux familles, avec des réductions de 60% pour les moins de 12 ans. C'est révélateur de ce qu'est devenue notre société, à plus d'un titre :

1- "Au cours des années, la SNCF a multiplié les tarifs débiles". Quand j'achète un ticket, il me faut un quart d'heure pour qu'on me présente et que je comprenne toutes les possibilités. Généralement, je prends n'importe quoi parce que j'ai rien compris.

2- La SNCF, comme la Poste, comme peut-être bientôt l'hôpital, qui sait un jour l'école, veut toujours me vendre quelque chose. Avant, c'était ma banque qui avait le privilège de cette manie. Mais ça passait : la banque, c'est normal, c'est le monde de l'argent. Je déteste cette société où n'importe qui se transforme en vendeur avec un sourire à la con. Je n'ai rien à vendre, je ne veux pas qu'on cherche à me vendre quoi que ce soit. Ne va-t-on pas en arriver jusqu'à vendre son âme ? C'est peut-être déjà fait ...

3- Notre société adule la jeunesse (tous jeunes, même les vieux !), n'aime pas les jeunes (voir un récent sondage) et déteste les enfants parce que c'est bruyant et que notre obsession du confort va jusqu'au trou de nos oreilles. C'est la pire des intolérances : rejeter les enfants ! Croit-on qu'un wagon de vieux gémissant sur leurs maladies, se plaignant de tout et faisant des histoires pour un rien serait plus vivable ?

4- Notre société a besoin constamment de se divertir, elle craint plus que tout de sombrer dans l'ennui. La SNCF a donc fait appel à Disneyland pour animer les "TGV Family". Je n'assisterais donc plus jamais à cette émouvante scène, un enfant seul dans son coin, plongé dans un livre, absorbé par l'intelligence des mots, oubliant le reste du monde. Désormais, les gamins seront entourés de Mickeys. Quelle horreur !

5- Je laisse le dernier mot à celui qui m'a inspiré ce billet en ce samedi matin, Charb, car je ne saurais dire mieux que lui pour finir :

"Cette mode de ranger les citoyens par catégories, par genres, n'est rien d'autre qu'une forme de discrimination et d'encouragement aux communautarismes. Subir les couinements d'un gosse pendant son voyage en train, c'est chiant. Mais quelle société construit-on en ne fréquentant plus que des gens qui ont la même situation familiale que vous, qui appartiennent à la même catégorie sociale que vous, qui ont également le même âge, la même origine, etc. ?"

Roule ma poule ...


Bonne matinée.

15 mai 2009

Discussion entre amis.

Bonjour à toutes et à tous.

Hier soir, au café citoyen, petite discussion entre amis sur l'Europe : la tonalité est très européenne. Le couplet est simple et connu : l'Europe est notre avenir, elle a permis la paix, elle nous ouvre au monde, elle favorise et facilite les échanges, la France ne peut pas rester seule, l'anti-européisme est empreint de préjugés, etc. Très bien. Mais combien pensent la même chose et ne se déplaceront pas pour autant lors du scrutin du 7 juin ?

Surtout, quand j'approfondis la position des uns et des autres, j'ai des surprises. Tel européen fervent m'avoue ne pas avoir voté pour le oui en 2005. Surprenant. Il m'explique qu'en tant que laïque il ne pouvait pas soutenir une Constitution qui se référait au christianisme. Etant moi aussi laïque, je comprends et je suis d'accord avec lui. Sauf que jamais le texte de la Constitution européenne n'a fait référence au christianisme ! La proposition a été avancée un temps puis rejetée.

Sur la Turquie, ce même ami me dit qu'il est contre son adhésion parce c'est un pays musulman qui introduirait donc la religion en Europe. Là aussi, je tique : l'Angleterre a à sa tête le chef de l'Eglise anglicane, sa reine, et ça ne choque personne. Et puis, un authentique laïque ne prend pas en compte la religion pour justifier ses choix politiques.

Un autre ami se plaint que l'Europe manque de "concret". Je lui cite alors les subventions européennes, très "concrètes", dont bénéficient de nombreux projets français, parfois très modestes. Sa réponse est hallucinante : cet argent ne vient pas de l'Europe, ce n'est que l'argent des Français qu'elle nous prend et qu'elle nous restitue ensuite sous forme de subventions !

Quelle dialectique ! Pourquoi ne pas l'appliquer au plan national ? Une école, une route, un hôpital, ce n'est que notre argent qu'on nous redonne. Quelqu'un qui reçoit une subvention se subventionne donc lui-même ! Il fallait oser le raisonnement. Pour disqualifier l'Europe, tous les moyens semblent bons.

Sur le droit de pétition qu'aurait autorisé la Constitution européenne, cet ami adepte de la démocratie participative devient désabusé : c'est rien, ça ne va pas assez loin, ce n'était pas contraignant, la Commission européenne en aurait fait ce qu'elle aurait voulu. Certes, mais c'aurait été, pour moi, un extraordinaire progrès : devant un nombre important de signatures, la Commission aurait été politiquement obligée de se soumettre.

Pauvre Europe ! Quels reproches ne lui fait-on pas subir ! La vérité, qui restera longtemps cachée parce que personne n'ose l'avouer, c'est que beaucoup de Français n'aiment pas l'Europe. Et quand on n'aime pas, toutes les raisons sont bonnes ... (c'est à dire, selon moi, très mauvaises).

En rentrant de cette discussion entre amis, je tombe par hasard sur un entretien d'Hubert Védrine (Les Echos du 11 mars, p. 7) qui me fout en rogne. D'abord, il y a cette subtilité qui agace : "La majorité de la population n'est pas eurosceptique mais plutôt eurodésabusé." J'avoue que la nuance m'échappe : les gens ne s'intéressent pas à l'Europe, un point c'est tout.

Surtout, il y a ce titre de l'article : "Le débat européen réclame moins de lyrisme et plus de concret." Mais non ! Le "concret", notre société s'en gave et en crève. Et puis, le "concret", ça ne veut rien dire. Il y a la réalité, ça me suffit. Ce que l'Europe attend, ce sont des idées, des valeurs, un souffle, pas ce satané "concret".

Védrine n'améliore pas son cas dans le corps de l'entretien : "Historiquement, il n'y a jamais eu d' "élan" pour l'Europe. Il y a eu approbation, consentement, acceptation, mais cette construction a été faite par des élites dirigeantes et non sous la pression populaire. Contre la lassitude actuelle, il ne sert à rien de vouloir réveiller un illusoire enthousiasme européen."

Passons sur l'analyse (l'Europe est tout de même une construction rigoureusement démocratique, pas oligarchique), ne retenons que le scepticisme distingué qui en ressort et que je ne peux pas accepter : comment voulez-vous que l'Europe triomphe sans "élan", sans "enthousiasme" ? Rien de grand ne s'est fait sans passion: Védrine ferait bien de méditer cette pensée de Hegel.


Bonne soirée.

14 mai 2009

Le débat faussé.

J'entends et je lis, ici et là, que la campagne européenne est à la peine, qu'on n'a pas l'impression d'être en campagne électorale, qu'on ne se croirait pas à trois semaines du scrutin. Ces remarques sont sans doute justes. Mais à qui la faute ? L'opinion, nous le savons bien, boude l'Europe parce qu'elle lui préfère, par habitude, par facilité, le cadre national, qui rassure, alors que l'Europe inquiète.

Les passions qui se sont déchaînées en 2005, auxquelles j'ai assisté stupéfait, sont le signe d'un rejet puissant de l'Europe, sous couvert d'une "autre Europe" fictive, fantasmatique. La preuve : aujourd'hui, plus personne ne parle de cette "autre Europe", ne se passionne pour elle. Car c'est bien l'Europe en tant que telle dont bon nombre de gens ne veulent plus.

La classe politique fait son possible pour animer la campagne. Il serait injuste de l'accuser, alors que c'est l'opinion qui demeure inerte, affiche avec superbe son indifférence. Le PS est actif, organise réunions sur réunions, aussi bien nationales que locales. Les petites formations ne ménagent pas non plus leurs efforts. Seule la droite y va mollo : elle n'a pas grand-chose à dire sur l'Europe, elle craint par dessus tout une sanction de Sarkozy et sa politique.

Mais comme toujours quand il est question d'Europe, le débat est très mal posé, l'essentiel demeure caché, les clivages sont volontairement atténués alors qu'il faudrait les accentuer. Quels sont-ils ? D'un côté, il y a ceux qui tiennent à l'Etat-nation, qui conçoivent mal que la politique s'exerce et que la démocratie se déploie à l'extérieur de ce cadre traditionnel. Je n'en suis pas. De l'autre côté, il y a ceux qui rêvent d'un espace supérieur à la patrie, qui imaginent une République européenne, dont la Constitution de 2005 n'aurait été qu'une étape. J'en suis, depuis longtemps, depuis Maastricht.

Le débat est faussé : les anti-européens ne se présentent pas comme tels mais sous le masque d'alter-européens qui ne veut rien dire; les pro-européens sont trop souvent prudents, timorés, techniciens, gestionnaires alors qu'ils devraient brandir le drapeau de l'idéalisme européen. Bref, ce débat manque de souffle, de hauteur, de perspective. L'Europe pourtant n'attend que ça.


Bonne soirée.


PS : vous pouvez poursuivre ce débat sur l'Europe au café citoyen de ce soir, 20h00, au Manoir, rue de Lyon, à Saint-Quentin.

Démocratie et utopie.

Bonjour à toutes et à tous.

Le problème et le drame du communisme, c'est son refus de la démocratie. C'est l'écueil qu'évite Tony Negri, dans son actualisation du marxisme. L'entretien qu'il donne à Philosophie Magazine d'avril le confirme (pp. 40-41) : "Je crois plutôt à une organisation de la multitude proche des canons de la démocratie traditionnelle, mais décidée à imposer réellement la liberté et l'égalité de tous, sans exception" (c'est moi qui souligne).

C'est ce que je reproche à mes camarades communistes libertaires (voir mon billet de dimanche) : au fond, ils ne peuvent pas s'empêcher de critiquer la démocratie. Je ne doute pas qu'ils sont animés par des motifs honorables et des remarques justes. Mais le résultat n'en demeure pas moins qu'ils critiquent la démocratie. Camille, dans sa belle chanson "Démocratie" (qui devrait plutôt s'appeler "Anti-démocratie" !), exprime fort bien ce doute et ce discrédit portés sur la démocratie. Je ne parle même pas de l'extrême gauche, qui se sert de la démocratie comme d'une tribune mais n'y adhère pas vraiment (comment un courant révolutionnaire pourrait adhérer au système politique actuel ? )

Negri est très clair : "Le maintien des grands pouvoirs de la démocratie actuelle - législatif, exécutif et judiciaire - ne serait pas en contradiction avec une organisation multitudinaire de la gestion du commun. La démocratie doit être ordonnée, elle est toujours associée à des formes institutionnelles spécifiques. L'anarchie ne peut avoir d'existence concrète."

Je ne saurai mieux dire : la démocratie conçue comme un idéal hors sol, un état d'esprit sans structures est une folie qui peut devenir meurtrière. Tony Negri va jusqu'à suspecter la "démocratie participative", qui a été portée par l'extrême gauche altermondialiste, avant d'être reprise par Ségolène Royal : "La démocratie participative est un modèle très hypocrite (...) Les expériences concrètes (surtout en Amérique latine) qui en ont tenté la mise en oeuvre ont été des échecs (...) Le système du vote me semble donc plus efficace que celui des débats participatifs." Une condamnation sans appel !

Tony Negri reste pourtant foncièrement utopiste, en matière de salaire, de famille et d'éducation :

- "Je suis pour l'instauration d'un revenu universel."

- "Dans un régime de démocratie multitudinaire, l'institution de la famille (...) ne serait légitime que dans les cas où elle serait légitimement choisie (...) La communauté prendrait en charge l'éducation des enfants."

- "Le libre et universel accès aux savoirs et à la formation est le seul moyen de construire de la démocratie véritable (...) c'est aussi le seul rempart contre les effets de domination culturelle de telle ou telle classe, de telle ou telle civilisation, de telle ou telle histoire..."

Tony Negri est tout aussi foncièrement marxiste : "Il n'y a pour moi que des leçons d'histoire, et non des vérités absolus ou des idéaux." Mais son marxisme est adapté aux formes d'aujourd'hui. C'est pourquoi il remplace le "prolétariat" par la "multitude" (d'où son expression de "démocratie multitudinaire").

Démocratie et utopie, ça me plaît bien !


Bon après-midi.

13 mai 2009

Notre nouveau Marx.

Bonsoir à toutes et à tous.

Cet après-midi, à Cambrai, devant les auditeurs de l'Université du Temps Libre, j'ai donné une conférence sur le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels. En me faisant à moi-même et à mes étudiants cette remarque : Saint-Quentin est la ville où a commencé l'histoire mondiale du communisme ! Mais oui, puisque celui que Marx reconnaissait comme le premier communiste moderne est né là, Gracchus Babeuf. Curieux destin, finalement universel (et tragique), qu'a eu ainsi ma ville de Saint-Quentin ...

A la fin du cours, j'ai du mal à me détacher des participants, et eux de moi. Les questions fusaient, dont l'une qui retient, encore maintenant devant ce blog, mon attention et ma réflexion : quel est le Marx d'aujourd'hui, quelle est la postérité, la réincarnation du génial barbu ? Réponse difficile, incertaine : je cite Althusser, et je me souviens qu'à la Sorbonne, j'ai eu pour profs ses deux disciples, Balibar et Macherey. On me glisse à l'oreille Badiou, mais je lui préfère de loin Tony Negri. Le nouveau Marx, s'il y en a un, c'est lui. Badiou va à Marx en passant par Platon, Negri en passant par Spinoza : ça me semble philosophiquement plus logique.

Negri, je vous en ai déjà parlé sur ce blog. C'est en 2005, quand il a milité pour le oui à la Constitution européenne, contre la mouvance altermondialiste qui avait pourtant sa faveur, que je me suis rapproché de lui, que j'ai commencé à l'apprécier. J'ai lu "Empire" et j'ai été enthousiasmé. Ce penseur radical est compatible avec la social-démocratie, son marxisme rénové, dépoussiéré, actualisé me va à peu près bien, alors que je déteste Badiou.

Negri, je l'ai revu à la télé la semaine dernière, à "Ce soir (ou jamais)", l'émission avec laquelle je débute ma nuit. Taddéï avait réuni un fameux plateau, trois importants penseurs d'aujourd'hui : le social-démocrate Pierre Rosanvallon, le libéral Pierre Manent et Tony le radical. Aussi différents soient-ils, leur convergence s'est réalisée autour de la notion de démocratie. Signe des temps : il n'y pas pas si longtemps, la démocratie était un concept fade, rebattu. C'est devenu une idée profonde, que personne ne conteste fondamentalement. Pour Negri, le socialisme n'est pas autre chose que la démocratie enfin pleinement réalisée, ou plutôt en voie de réalisation.

C'est ce que j'aime chez Negri, c'est ce que je ne trouve pas chez Badiou : cette référence très positive à la démocratie. La radicalité ne me dérange pas pourvu qu'elle soit radicalement démocrate. Je ne parle pas de la démocratie idéale et fictive que même les staliniens et maoïstes totalitaires brandissaient : elle est trop belle pour être vraie, surtout sortant de leurs bouches. La démocratie réelle, représentative, parlementaire, ils la méprisent, ils la rabaissent, ils la jugent "bourgeoise", ils n'en veulent pas. Et moi j'en veux, mais pas d'eux !

Taddéï a eu une étrange formule pour qualifier la pensée de Tony Negri : il a parlé d'un capitalisme communiste ! L'intéressé aurait pu la réprouver, vexé par l'affront. Non, il l'a assumée, en se référant à Marx, livre III du Capital, qui aurait employé l'expression assez proche d'un communisme du capitalisme (c'est en effet au sein même du mode de production capitaliste que se forgent selon Marx les structures économiques du capitalisme, dont les prolétaires n'auront plus qu'à s'emparer et gérer à leur profit à l'heure de la révolution).

J'ai bien d'autres choses à vous dire sur Negri, notre nouveau Marx, mais il se fait tard, nous en reparlerons demain.


Bonne nuit.

12 mai 2009

Les cercles de Bayrou.

Bonjour à toutes et à tous.

Bayrou est censé être un grand européen. C'est sa famille, sa tradition, le centrisme, la démocratie chrétienne. Voulant fleurir la tombe de Robert Schuman, il a eu quelques problèmes avec l'UMP du coin. Très bien, mais tout ça ne suffit pas. Car à Metz, samedi, il a tenu des propos à la fois hésitants quand on l'écoute et très clairs quand on sait le lire, sur l'Europe et l'une des grandes questions du moment : faut-il ou non intégrer la Turquie ? Je cite son intervention :

"Si l'Union européenne évolue vers une zone de libre-échange, une Europe du grand cercle à contenu faible, alors, naturellement, la Turquie mais aussi l'Ukraine voire la Biélorussie auront leur place dans cet ensemble. Mais si l'Union européenne de demain parle d'une voix autonome, si elle est une Europe du petit cercle et à contenu fort, la Turquie n'en sera pas."

Quelques commentaires :

1- Vous remarquez que Bayrou emploie le style indirect, conditionnel. Il n'y va pas franco. Oui ou non, est-il pour la Turquie dans l'Europe ? C'est non pour lui, mais il ne le dit pas ouvertement. Sarkozy et quelques-autres nous jouent la même comédie : ils ne veulent pas de la Turquie sans donner l'impression qu'ils n'en veulent pas tout en laissant entendre qu'ils n'en veulent pas. Dans leurs bouches tordues, ça donne "coopération" au lieu d'adhésion, une façon comme une autre, mais illusoire, de contenter les pour et les contre.

2- Drôle d'image que celle, géométrique, du "cercle" (Bayrou n'en est certes pas l'inventeur, mais il la reprend à son compte). L'Europe n'est pas une barrique de vin ou une robe à cerceaux. Elle est, si c'est une République, une et indivisible, comme l'est la République, du moins dans son idéal. Croyez-vous qu'on puisse faire rêver avec une Europe "concentrique" ?

3- Pourquoi l'Europe "du grand cercle" serait-elle plus faible que celle du "petit cercle" ? Bayrou imagine l'extension européenne comme un affaiblissement. Et si c'était le contraire ? Et si l'élargissement était un renforcement ? Son "petit cercle", qu'il le réduise donc au point zéro, un peu comme l'univers avant le big-bang et le début de son expansion : ainsi il aura un maximum de puissance dans un minimum d'espace ! Mais chacun comprend bien que c'est idiot.

4- Admirez l'évitement, l'échappatoire : Bayrou, pour nous faire très peur, nous dit qu'en prenant la Turquie, c'est l'Ukraine et la Biélorussie qui viennent aussi. Et pourquoi pas le monde entier ? Vous mettez la main, c'est le bras qui y passe, et peut-être le corps. Bref, il esquive la question, qui ne porte que sur la Turquie, et depuis très longtemps, les années 60.

5- On ne voit pas en quoi l'Europe cesserait d'avoir "une voix autonome" avec la Turquie en son sein. On ne voit pas non plus pourquoi une petite Europe serait moins une zone de libre-échange qu'une grande Europe. Bayrou, avec ses "cercles" petits et grands, me fait penser à un jongleur qui finirait par s'emmêler dans son tour d'adresse.

Bref, Bayrou biaise, comme Sarkozy. Sauf que lui, Bayrou, est impardonnable, car sa famille politique, comme je le rappelais au début, est européiste. Ce n'est pas que Sarkozy soit gaulliste et donc peu chaud à la perspective européenne : son atlantisme dément cet avis. C'est que Bayrou et lui savent que l'opinion n'est pas favorable, par préjugé, à l'entrée de la Turquie. Paris vaut bien une messe et la politique nationale le sacrifice de la Turquie.

Il y en a un au moins, à Saint-Quentin, qui est clair et net, c'est Vincent Savelli, gaulliste peu orthodoxe, démissionnaire de l'UMP et qui a choisi de créer son propre parti (on n'est jamais si bien servi que par soi-même !) : le REV, Rassemblement européen des valeurs (voir L'Union d'hier). Eh oui, Savelli est aussi taquin que ses cravates ! Voilà ce qu'il nous dit de la Turquie :

"Je suis totalement favorable à l'adhésion de la Turquie. C'est un Etat musulman mais laïc de constitution, si on rejette la Turquie elle risque de tomber dans l'intégrisme parce qu'elle sera seule : comment peut-on avoir peur de 90 millions d'habitants face à 450 millions ?"

J'adhère moi aussi au rêve fédéral de Vincent Savelli d'une Europe en marche ... mais attention : je n'adhère pas à son REV !


Bon après-midi.

Socialistes en ligne.

Ami(e)s de la blogosphère socialiste axonaise,

Sous l'impulsion de notre secrétaire fédéral aux nouvelles technologies Thierry Doukhan, le PS de l'Aisne investit de plus en plus la Toile. L'objectif, c'est que chaque section, du moins les plus importantes en nombre, ait leur site ou blog. Je vous annonce donc deux naissances :

- http://au-coeur-de-la-gauche-02.over-blog.com/ : c'est le blog d'Arnaud Battefort, notre premier secrétaire fédéral délégué, et de ses camarades de la section du Val de l'Aisne. La naissance remonte à quelques jours mais le bébé est joufflu et se porte bien. Les premiers pas de l'enfant manifestent une démarche à la fois personnelle, proche du journal intime (un peu comme L'Aisne avec DSK), et collective (l'expression d'une section).

- http://www.egalite-sur-marne.info/ : c'est cette fois un site d'information du Parti socialiste du sud de l'Aisne, qui sent encore bon la peinture fraîche, puisque Sylvain me précise que quelques réglages restent à faire avant le lancement officiel. En tout cas, la maquette est très agréable. Nos camarades de Château-Thierry avaient déjà leur site. C'est donc une rénovation. Mais l'heure n'est-elle pas à la rénovation au PS ?

A l'UMP, peuvent-ils afficher, sur l'ensemble du département, autant de sites et de blogs que le PS ? Je ne crois pas ! Et pourtant, leur patron fédéral, c'est Xavier Bertrand, qui est censé être passionné de nouvelles technologies et supposé modernisateur. Mais c'est au pied de l'ordinateur qu'on juge le modernisateur !

Deux dernières annonces :

- Quintinus avait averti de la fermeture de son blog, qui finalement n'a pas eu lieu. Ce socialiste saint-quentinois de coeur et non plus de carte, ségoléniste fervent, continue d'être très critique et parfois acerbe envers le PS.

- http://transparence-s.blogspot.com/ : c'est le blog très sobrement présenté comme celui "d'un militant socialiste-section de Guise-Fédération de l'Aisne". Mais ce n'est pas n'importe quel militant ! C'est notre très sérieux secrétaire fédéral aux nouvelles technologies, l'ami Thierry, l'homme aux 1 000 blogs (j'exagère un peu), qui s'autorise sur ce petit dernier quelques irrévérences, comme on peut en trouver dans L'Aisne avec DSK. Lisez notamment ses démêlés pour organiser une "manif de droite" (sous forme parodique bien sûr) le 1er mai.


Bonne matinée en ligne.

11 mai 2009

Barbecue à Bohain.



Gros bonnets.

Bonjour à toutes et à tous.

C'est une fable moderne, mais rigoureusement vraie. C'est arrivé dernièrement chez nos amis anglais. Des leçons sociales et politiques sont à tirer. Écoutez plutôt : Marks§Spencer, réputé pour sa lingerie fine, a décidé d'augmenter le prix de ses soutiens-gorge pour opulentes poitrines : 2,25 euros à partir du bonnet E. On dit parfois que le capitalisme ne fait pas dans le détail. C'est tout le contraire : comme le diable se cache dans les détails, le profit aussi, dont chacun sait qu'il n'en existe pas de petits. Jusqu'où n'irait-on pas pour gagner plus d'argent ! Une compagnie aérienne a même songé à taxer les obèses ...

Une jeune femme a décidé de lutter contre ce qu'elle considère comme une discrimination, "criminellement injuste" dit-elle, une rupture d'égalité : la grosseur des seins n'a pas jusqu'à présent gonflé les tarifs des soutifs. Pour les autres vêtements, la taille ne joue pas sur la différence de prix. Bref, la jeune révoltée milite pour le prix unique. Marks§Spencer argue du travail supplémentaire qu'exigent les grandes tailles, évoque même "l'innovation et la technologie" dans l'aérodynamisme des soutiens-gorge. Le capitalisme ne manque pas d'ingéniosité !

Pour faire échec à l'entreprise, la dame en est d'abord devenue actionnaire, afin d'attaquer le capitalisme de l'intérieur. En vain. Elle a donc changé son fusil d'épaule en entrant dans Facebook pour défendre sa cause. Résultat : plus de 13 000 signatures ! C'était alors gagné. Marks§Spencer ne pouvait que reculer, renoncer à sa taxation des gros bonnets.

L'histoire est certes légère mais réelle, donc révélatrice. De quoi ? De l'avidité du capitalisme, du sentiment moderne de discrimination, du nouveau militantisme électronique. Histoire légère mais lourde de conséquences.


Bon après-midi.

Coeur à gauche.

Bonjour à toutes et à tous.

Je ne pourrais pas ce soir y aller mais je vous la conseille : c'est la nouvelle réunion de l'association "Coeur à gauche", présidée par René Dosière et rassemblant la gauche réformiste et rénovatrice. Le thème de ce soir : "La réponse socialiste à la crise économique et sociale", avec comme invité Jérôme Cahuzac, vice-président du groupe socialiste à l'Assemblée Nationale. Rendez-vous à 18h30, salle des fêtes d'Athies-sous-Laon.

Bonne journée.

10 mai 2009

Un nouveau monde.

Bonjour à toutes et à tous.

Je veux revenir ce matin sur le débat autour de la loi "Création et Internet", auquel j'ai consacré cette semaine un billet, pour dénoncer le courrier violent et injuste d'Arditi et consorts adressé à Aubry. Des éléments nouveaux sont apparus depuis : les cinéastes s'y sont mis, Tavernier, Corneau et quelques autres, envoyant eux aussi une lettre à la patronne du PS, en moins violent mais tout aussi irritant. Pourquoi qualifier de "dédain" et de "condescendance" la position du PS ? Il est trop facile, et de nos jours trop fréquent, de transformer une opinion politique en posture psychologique.

En retour, j'ai envie de dire que ces artistes exercent leur arrogance envers le PS parce qu'ils souffrent d'une contradiction : anciens d'extrême gauche pour beaucoup, les voilà qui défendent une loi de Sarkozy, le principe de propriété et leurs intérêts personnels !

Revenons à la politique et aux convictions : il y a eu un beau débat sur le sujet, mardi soir sur France 3, à "Ce soir (ou jamais)", avec Jean-Claude Carrière, un homme que j'apprécie beaucoup, qui lui aussi a défendu le projet du gouvernement, avec cette fois calme et arguments. Je n'ai pas changé d'avis mais j'ai mieux compris pourquoi cette loi dite Hadopi soulève tant de passions, de contradictions et ... d'incompréhensions.

D'abord, deux vérités, deux intuitions aussi fortes l'une que l'autre s'affrontent. D'un côté ceux qui n'admettent pas (et comment pourrait-on l'admettre ?) le vol, le pillage quel qu'il soit, surtout peut-être quand il s'agit des oeuvres de l'esprit, ceux que révulse l'idée d'une incivilité autorisée, légalisée (contradictoire dans les termes), le téléchargement illégal devenant légal, ceux qui défendent le travail des créateurs. D'un autre côté, ceux qui n'admettent pas qu'on touche à leur liberté, que révulse l'idée d'une autorité administrative pouvant couper l'accès internet à tout téléchargeur contrevenant, sans décision de justice préalable. Le Parlement européen leur a donné raison cette semaine.

Le débat, comme tout vrai débat, est compliqué. Il oppose très classiquement les partisans de la loi et les partisans de la liberté. Mais les premiers veulent aussi protéger la liberté de l'artiste et les seconds en appellent à la loi contre l'arbitraire administratif. Chez Taddéï, Carrière a prudemment mais efficacement argumenté sur le fait que rien en ce monde n'était gratuit, qu'il fallait qu'à un moment quelqu'un paie, qu'il serait injuste d'acheter des biens matériels et de ne pas acheter des créations artistiques. Ou alors, que tout soit gratuit ! Mais chacun sait bien que c'est impossible ...

Un autre invité, hostile à Hadopi, a avancé un argument tout aussi puissant : les oeuvres de l'esprit ne sont pas comparables à des biens matériels; voler une voiture et télécharger un texte, ça n'a rien à voir. Le texte ne demande qu'à être volé, reproduit, dupliqué à l'infini, parce que c'est ce qui fait son succès. Le monde de l'esprit, c'est celui de la gratuité, à la différence du monde des marchandises. J'ajouterais que la grande oeuvre appartient à tout le monde, et c'est ce qui fait sa grandeur. Prenez une idée : à qui appartient-elle ? Faut-il la monnayer ? Non, la grande idée est universelle.

Jadis, la création artistique ou intellectuelle n'était pas soumise à la notion bourgeoise de propriété, qui s'est généralisée au XVIIIème-XIXème siècle. Les fresques et sculptures de l'Antiquité n'ont laissé aucune trace de leurs auteurs. Qui connaît l'architecte de Notre Dame de Paris ? Au Moyen Age, les moines recopiaient les manuscrits sans se soucier des droits d'auteurs. On a vu par le passé des écrivains en piller d'autres, sans que cette source d'inspiration ne pose problème. Les philosophes grecs se voyaient dépossédés de leur pensée par leurs disciples qui en faisaient leur miel et leurs propres ouvrages.

Avec Internet, nous réapprenons un monde où la propriété intellectuelle et ses droits n'existaient pas, où cela ne choquait moralement pas. Je ne dis pas qu'il faut revenir au passé, je dis qu'il faut relativiser ce qui se passe aujourd'hui. Surtout, il faut être en capacité de penser l'avenir. Car les créateurs ont le droit d'être protégés (mais autrement que par Hadopi) et les consommateurs (mot discutable mais appelons-les ainsi) ont droit à cette formidable liberté qu'est Internet. Et puis, la gratuité cesse d'en faire des consommateurs. La violence du débat entre les uns et les autres prouve simplement que le monde change, que le présent ne peut perdurer, que nous accouchons d'un autre monde dans la souffrance. Essayons d'organiser cette mutation avec intelligence, faisons fi des polémiques et des invectives.


Bonne matinée.