Bonjour à toutes et à tous.
L'Union propose une rubrique que j'aime beaucoup, vive, rapide, percutante : "
La question qui fâche". Mais qui fâche qui ? L'interrogé ou le lecteur ? Hier, c'est surtout moi qui ai été fâché par la réponse d'Yves Daudigny, président socialiste du Conseil général de l'Aisne, à propos du
non cumul des mandats proposé par Marine Aubry.
Quand je dis fâché, il faut que je précise : s'il y a un camarade avec lequel il est impossible de se fâcher, c'est bien Yves. Dans ce monde de brutes qu'est la politique, c'est dans l'Aisne l'homme le plus charmant, le plus attentif, le plus tolérant que je connaisse. Surtout, c'est
un formidable président de Conseil général, quelqu'un, avec toute la majorité de gauche, qui a contribué à développer considérablement un département depuis longtemps déshérité.
Ma fâcherie est sur un point politique précis, et national :
faut-il interdire à un parlementaire de cumuler un autre mandat dans un exécutif ? Je pense depuis longtemps que oui. Yves soutient que non. Il donne son point de vue dans
L'Union "comme militant". C'est donc un autre militant qui lui répond aujourd'hui. J'exposerai d'abord, dans ce billet, mes arguments, et dans un prochain j'examinerai ceux d'Yves.
Soyons précis :
je ne suis pas contre le cumul des mandats. Je crois même que ce slogan abrupt a quelque chose de démagogique. C'est parfois le refrain de ceux qui voudraient se faire élire et qui aimeraient qu'on leur laisse une petite place en quittant le siège. Et puis,
vox populi vox dei ! Les citoyens sont les seuls juges, et donc assez grands pour savoir s'ils veulent ou non donner un mandat supplémentaire à un élu. J'irai même plus loin : c'est une belle vertu républicaine que de voir un parlementaire être aussi, par exemple, simple conseiller municipal, à égalité avec ses pairs. La grandeur du législateur est ainsi ramenée à un exercice plus modeste mais salubre.
Ma position, qui est celle de Martine Aubry, est la suivante :
un parlementaire ne devrait pas être à la tête ou dans l'équipe d'un exécutif d'une collectivité territoriale. Pourquoi ?
1- D'abord parce que c'est déjà un peu le cas. Jean-Pierre Balligand a renoncé à être président du Conseil général. Yves Daudigny a renoncé à être le premier magistrat de Marle. Quand je dis "renoncé", ce n'est pas tout à fait exact : ils ont dû faire un choix entre leurs différents mandats. A qui doit-on cette obligation ? A la gauche qui, la première, en 2 000, a voté
une loi contre le cumul excessif des mandats. Ce combat, c'est le nôtre, celui des socialistes, pas celui de la droite. A nous de le mener à son terme. C'est précisément ce que propose Martine Aubry.
2- Ensuite parce que je fais de ce non cumul une question de principe. Je sais bien que la philosophie politique n'est pas la préoccupation première de l'action politique, mais il n'est pas interdit d'y réfléchir. La démocratie repose sur une stricte séparation des pouvoirs, principalement entre le législatif et l'exécutif. Je trouve choquant qu'un élu soit à la fois celui qui fait les lois et celui qui est chargé, à la tête d'une collectivité, de les faire appliquer. Le législateur est une figure éminente de la République, l'expression du suffrage universel, le garant de l'intérêt général. Il ne devrait être que ça, entièrement indépendant de toute autre fonction particulière.
3- Enfin parce qu'à l'heure où la droite s'apprête à bouleverser l'organisation territoriale,
nous ne devons pas apparaître comme un syndicat d'élus qui défend ses places et leur cumul. Ce serait politiquement et électoralement catastrophique. Au contraire, nous devons reprendre l'initiative, montrer que les réformateurs c'est nous et pas Sarkozy, en défendant haut et fort la proposition de non cumul avancée par Martine Aubry. La droite n'ose pas cette mesure pourtant très populaire, attendue de l'opinion et de nos adhérents. Alors faisons-là.
D'autant que cette mesure ne nous coûte rien : si Yves n'est plus président, c'est par exemple Jean-Jacques ou un autre camarade, tout aussi capable, qui le remplacera. Où est fondamentalement le problème ? Je ne le vois pas. A Saint-Quentin, dans un contexte certes complètement différent, nous avons un contre-exemple : Anne Ferreira n'a pas profité politiquement de son cumul députée européenne - vice présidente du Conseil régional. Car sur le terrain, c'est la dimension parlementaire que les citoyens retiennent, ils oublient le mandat apparemment moins important.
Un mandat en cache un autre et le rend en quelque sorte inopérant. Pour l'intérêt de la gauche locale, il aurait mieux valu qu'un autre camarade assume le mandat régional, nous aurions eu ainsi deux fers au feu, une plus large représentation socialiste dans la ville. Mais si la gauche saint-quentinoise savait défendre ses intérêts, cela se saurait et se verrait ...
4- Il y a un dernier argument contre le cumul, souvent mis en avant mais qui n'a pourtant pas ma préférence :
un élu ne pourrait pas tout faire, être au four et au moulin, à Paris et chez lui. C'est bien sûr une remarque de bon sens, et évidente. Mais l'élu peut déléguer (ce qui pose alors un autre problème, celui de la responsabilité). Napoléon dirigeait presque seul plusieurs pays rassemblés en un empire, pouvait dicter plusieurs lettres à la fois et sûrement même faire de concert l'amour à Joséphine. Mais Daudigny n'est pas, fort heureusement, Napoléon et l'exemple, quoique possible, n'est pas nécessairement à suivre.
Je ne suis pas naïf, je connais un autre aspect de la vérité :
le cumul des mandats est à usage purement interne, pour alimenter le jeu entre les courants. Comme le chasseur au safari peut bomber le torse en exhibant ses trophées, l'élu d'un courant doit aligner les mandats s'il veut exister politiquement et faire vivre son courant. Les primaires, si elles sont adoptées et surtout si elles sont généralisées aux élections locales, mettront un terme à cette culture d'appareil. Mais il faudra beaucoup de temps. Hollande a été dix ans à la tête du Parti. Pourquoi pas une décennie pour Aubry. Afin que ça change cette fois vraiment !
Voilà les quelques arguments que je livre au débat, en attendant dans un prochain billet de répondre à ceux qu'expose mon camarade Yves.
Bonne journée,
pas fâché.