Bonsoir à toutes et à tous.
Quelle affaire ! L'incident entre Totet et Bertrand a pris
une tournure nationale. C'est d'abord le Net qui a fait circuler la scène, puis la télévision s'en est emparée (Canal +), enfin la presse nationale d'aujourd'hui, et pas moins que notre grand journal de référence,
Le Monde, à la
une s'il vous plaît, et une pleine page à l'intérieur ! Il se trouve que j'étais à Paris toute cette journée : passant devant les kiosques, voir étalée une histoire saint-quentinoise fait tout de même un drôle d'effet !
Disons-le clairement : l'écho est complètement démesuré, la tournure prise par cette affaire est proprement hallucinante. Voilà un accrochage mineur, qui n'a duré que quelques minutes, sur une chaîne qui n'est pas grand public, mais dont l'impact est littéralement
énorme. Quinze jours après, on en parle encore, les esprits restent marqués par ce qui s'est passé. Qu'est-ce qui peut expliquer ce qu'il faut appeler désormais le
phénomène Totet (qui dépasse très largement ce qui était initialement
l'affaire Bertrand) ?
Je vois
quatre raisons profondes à l'emballement médiatique, qui ont transformé un heurt local en petit événement national :
1- L'extrait fatal est
un moment de vérité au milieu d'un univers de l'image très affecté, très artificiel. Pour une fois, quelques minutes de sincérité se sont exprimées, ont fait craquer un discours lisse, convenu, celui des médias.
D'un côté un parfait communiquant, qui sait sourire quand il faut et tuer à l'instant voulu, très maître de lui, froid, fulgurant, admirable d'habileté ;
de l'autre un journaliste hésitant, sensible, impressionné, vulnérable, balbutiant, navrant de maladresse.
Mais qui a gagné ? Pas celui qu'on croit, pas la machine de guerre trop bien huilée mais le petit journaliste écrasé. Bertrand a eu beau forcer toute la sympathie sur son visage, jouer l'air de l'indignation, il a raté son coup, il s'est crashé,
Totet l'a emporté, revêtant les vêtements inattaquables de la victime. C'est pourquoi tout le monde se range spontanément derrière lui : un homme ainsi humilié, quoi qu'on puisse lui reprocher, attire
la compassion et la sympathie. Bertrand, lui si malin, a ici très mal joué. Sa redoutable perfection fait peur, alors que la maladresse, la liquéfaction de Nicolas Totet émeuvent.
2- Xavier Bertrand se serait comporté de la même façon avec un pair, un équivalent, un homologue, personne ne le lui aurait reproché. Au contraire, beaucoup aurait applaudi la bête politique, l'animal médiatique, le tueur professionnel. Mais là,
un grand s'en prend à un petit, un puissant enfonce un faible, quelqu'un qui jouit d'un grand pouvoir (patron du principal et même unique parti de droite) secoue, rabaisse quelqu'un qui n'a aucun pouvoir sinon celui de son écriture, ce qui ne pèse pas lourd face à la puissance politique.
L'homme de plume contre l'homme d'Etat a perdu d'avance. Sauf en la circonstance, parce que la disproportion est éclatante. Un poids lourd malmène un poids coq,
ce n'est pas du jeu, comme disent les enfants. Le combat n'est pas loyal. L'opinion a compris que
la France d'en haut, comme dirait l'autre, s'attaquait à
la France d'en bas. Et les gens n'aiment pas ça.
3- L'engouement vient aussi de la faille qui, pour la première fois, a touché le personnage que s'est construit à la longue Xavier Bertrand : le gars sympa et bosseur, qui tutoie facilement, est très accessible, n'a pas pris la grosse tête, est tout dévoué à sa ville, comme le voient de nombreux Saint-Quentinois. Et si le type en question n'était pas vraiment ce qu'il paraît être ? C'est cette
rupture d'image qui fait le succès de la vidéo, confortée par la coïncidence de la sortie d'un ouvrage, celui de Ian Hamel, qui va lui aussi dans ce sens.
Eh oui,
Bertrand n'est pas un gentil mais un méchant. Qui d'ailleurs songerait à lui en faire reproche ? Pour être arrivé là où il est arrivé, il ne faut pas avoir une morale d'enfant de choeur. L'opinion publique n'est pas dupe : depuis que la politique existe, les coeurs purs y ont rarement leur place. Machiavel nous apprend ça. Mais il y a toujours une jubilation populaire à voir le masque tomber et le sourire avantageux trahir, ne serait-ce que quelques secondes, une sinistre grimace.
4- La dernière raison qui explique l'incroyable
buzz, c'est la situation très particulière de la
presse régionale, et c'est la thèse que retient et développe
Le Monde. Cette presse est à la fois très populaire et mal aimée. Les petites gens la lisent, c'est pour eux, avec les grandes chaînes de télévision et de radio, la principale source d'information. Mais les politiques et les intellectuels la boudent, quand ils ne la méprisent pas. Dans le milieu qui est le mien, combien de fois n'ai-je pas entendu critiquer les "journaleux", "plumitifs" et cette "presse des chiens écrasés" ? Et combien de fois n'ai-je pas pris sa
défense, expliquant que c'était la première et la plus belle école du journalisme, le sel de la démocratie locale ?
Généralement, on me rit au nez, on m'accuse de complaisance et on en rajoute dans l'ironie. Je reste indifférent et sûr de moi : la PQR, comme ils l'appellent avec dédain, est
irremplaçable. Les faits divers sur lesquels elle s'attarde ? Mais c'est la vie ! J'y trouve plus matière à philosopher que dans bien des pensums de philosophie. La rubrique nécrologie ? Et alors ? Moi aussi, je suis le premier à la consulter, parce que sans elle nous ne saurions rien des disparitions qui affectent notre cité.
Pitié, pseudo-intellos jaloux de leur petite influence, hommes politiques obsédés par le contrôle de leur image et qui n'ont qu'à l'esprit d'être
dans le journal, ne vous en prenez pas à la presse locale,
respectez-là. Sans elle, la plupart d'entre vous, que seriez-vous ? L'affaire Totet a mis au grand jour cette grande injustice : il existe une presse nationale qui reçoit les honneurs et une presse locale qui récolte les ingratitudes. Je laisse au
Monde, le prestigieux fleuron de cette presse nationale, le soin de conclure : "
Nicolas Totet est devenu une sorte de héros de la presse régionale". CQFD.
Bonne soirée.