Pour une opposition ciblée.
L'une des questions qui va occuper l'université de La Rochelle puis le congrès de Reims est la suivante: comment s'opposer à Nicolas Sarkozy? Non pas parce que le président poserait problème de par sa puissance politique, mais par son contraire: c'est parce que la droite traverse des difficultés, parce que son chef est au plus bas dans les sondages, aussi bas que le moral des Français, aussi bas que leur pouvoir d'achat, c'est pour cette raison-là que les socialistes doivent sérieusement se poser la question: comment s'opposer?
Deux thèses s'affrontent dans nos rangs: l'opposition frontale et l'opposition sélective. Je suis favorable, sans hésitation, à la seconde. La première est défendue notamment par Ségolène Royal et... la gauche du Parti. Comme quoi le débat ne traverse pas le clivage traditionnel entre réformistes et radicaux. "Opposition frontale", nous devons cette expression à Laurent Fabius, quand il a pris il y a quelques années un spectaculaire tournant à gauche. La formule s'inspirait de François Mitterrand dans les années 60-70, soutenant la stratégie bloc contre bloc, une opposition intransigeante, ne concédant rien à l'adversaire politique, dans une pure logique de rapports de force, où l'on considère qu'il faut frapper le plus fort possible pour espérer l'emporter, où l'on estime que tout pas en direction de l'adversaire est une faiblesse doublée d'une trahison.
Autres temps, autres moeurs: la droite et la gauche continuent à s'affronter, leurs différences politiques et sociologiques sont flagrantes, la démocratie existe à travers ce clivage, elle s'organise en majorité et opposition, rien de tout cela n'est contestable. Mais le choc des idéologies est moins violent, l'alternance s'est banalisée, aucun parti politique ne souhaite plus renverser le régime ou ne reçoit plus le soutien d'une puissance étrangère, et c'est tant mieux. A partir de ce constat, l'opposition frontale d'autrefois a perdu de sa pertinence. C'est un mot d'ordre à usage interne, pour convaincre certains qu'ils sont toujours bien de gauche.
Bien sûr, la politique de Sarkozy a sa cohérence d'ensemble, sa logique générale. "Tout se tient", dit fièrement le président, en énumérant sa soixantaine de réformes. Mais les socialistes sont-ils obligés de coller à cette vision totalisatrice et la singer à l'envers, en contestant absolument "tout" ce que fait la droite? Sûrement pas! Parce que Sarkozy est en difficulté, n'achevons pas la bête, ayons l'intelligence d'une opposition ciblée, sélective. Certains camarades s'inquiétent: n'allons nous pas nous amollir? Mais non! Un tir ciblé est beaucoup plus meurtrier qu'une rafale aveugle.
Je vais vous donner un exemple concret: le RSA, revenu de solidarité active. C'est une idée de gauche, mise en place par un homme de gauche, Martin Hirsch, expert en la matière de surcroît. Va-t-on contester cette mesure importante parce que c'est un gouvernement de droite qui la propose? Bien sûr que non! Va-t-on priver d'un retour à l'emploi des chômeurs qui actuellement n'y sont pas encouragés parce que perdants financièrement? Ne comptez pas sur moi pour ça. Est-ce aider la droite que de soutenir le RSA? Non, quand on sait que ce dispositif est le plus vivement contesté... dans les rangs de la droite. Les électeurs de gauche remercieront notre sérieux, notre crédibilité le moment venu. Je ne vois pas en quoi nous aurions à y perdre électoralement.
Je ne partage donc pas le point de vue exprimé dans Le Monde de cette semaine par mes camarades ségolénistes, qui considérent que le sarkozysme forme "un bloc", comme Clémenceau le disait de la Révolution française, alors que la Terreur pose tout de même quelques questions. De même que je ne suis pas d'accord avec Ségolène lorsqu'elle signale, dans sa contribution (p.87), que Nicolas Sarkozy porte "une montre de 50000 euros au poignet comme symbole présidentiel" Les bijoux de Nicolas ne m'intéressent ni ne me regardent. C'est une affaire privée, une question de goût ou de mauvais goût personnel, rien d'autre. Etrangement, Ségolène opte pour un "socialisme offensif, radical" (p.88) alors que sa ligne politique est, au sens américain, "démocrate", pour parler comme Mélenchon, une fois n'est pas coutume.
Un dernier mot, pour vous parler cette fois de l'échelon local: à ce niveau encore plus qu'à l'échelle nationale, l'opposition sélective est un devoir. Le gouvernement d'une ville dispose d'une forte dimension gestionnaire, alors que le gouvernement d'un pays est plus directement politique. Pierre André, en tant que maire, n'est pas responsable de la politique de l'emploi, qui se décide au niveau national, mais il est chargé de mettre en place les conditions les plus propices à la création d'emplois et à l'installation de nouvelles entreprises. C'est pourquoi j'avais proposé, à l'approche des élections municipales, une opposition qui fasse la part des choses. Je n'ai pas été suivi, je n'avais donc pas à me présenter quand la ligne que je proposais, pourtant de bon sens, ne faisait pas l'unanimité.
A La Rochelle et à Reims, nous retrouverons le même débat, les mêmes arguments, les mêmes accusations (à Saint-Quentin, certains camarades me font passer pour un suppôt de Pierre André!), mais il faudra, une fois pour toute, trancher.
Bonne soirée.