Bonsoir à toutes et à tous.
Les préparatifs du 40ème anniversaire s'accélèrent, j'ai sélectionné les
10 slogans les plus connus de Mai 68, du moins ceux que j'ai retenus parmi des centaines de formules, et je vous propose, pour chacun, d'en faire un petit commentaire.
1- Soyez réalistes, demandez l'impossible!C'est l'une de ces contradictions fécondes dont Mai 68 est très friand. Le réalisme, c'est à quoi nous invitent tous les pouvoirs de droite, arguant de leur sérieux économique. Et pourtant, quel est le bilan de ces gens sérieux? Nous ont-ils sortis de la crise depuis un quart de siècle? Le réalisme est trop souvent l'abdication, l'impuissance devant la réalité. Alors oui, mille fois oui, il faut demander l'impossible, c'est-à-dire
introduire l'idéal en politique. En 1968, on disait: l'utopie. En 1789,
liberté, égalité, fraternité, c'était l'impossible sous la monarchie. C'est devenu la réalité avec la République.
2- Elections pièges à cons.J'ai beau retourner la formule dans tous les sens, solliciter ses nombreuses interprétations, rien ne m'y fera adhérer. Là, je me fâche avec Mai. Les élections sont éventuellement des pièges à intelligents, pas des pièges à cons. Les pires cons, et il y en a, ne votent pas et critiquent tout. Le râleur est un con né. Un électeur est quelqu'un qui s'intéresse plus ou moins à un scrutin, suit un peu la campagne électorale, réfléchit à ses enjeux, est capable dans l'isoloir de faire un choix.
La curiosité, la réflexion, le choix, voilà les critères de l'intelligence, et les antidotes de la connerie. Non, un citoyen qui vote ne sera jamais un con, et les élections sont une opportunité inouïe, un privilège insigne, pas un piège.
3- L'imagination prend le pouvoir.C'est la conséquence du premier slogan. En politique, plus que de l'intelligence, il faut de l'imagination, se projeter dans le futur pour le transformer, l'améliorer. D'ailleurs, faute d'imagination, on ne prend pas le pouvoir, on reste dans l'opposition, on ne change rien à la société. Trop souvent, la politique est strictement rationnelle, gestionnaire. Je ne vais pas complétement m'en plaindre, mais ça ne suffit pas.
Un projet politique doit stimuler l'imagination. A gauche, pendant un siècle, l'imaginaire, c'était la révolution, qui s'est révélée cauchemardesque. La social-démocratie pour laquelle je milite doit s'inventer un imaginaire. Faire de la politique, c'est faire rêver et laisser espérer.
4- Métro, boulot, dodo.La République a sa devise, Vichy la sienne. Ces trois mots, c'est le tempo de la société de consommation. Ils peuvent avoir du bon, et je trouve la formule ambivalente: le métro est un signe de civilisation, le moyen de transport des grandes agglomérations, le boulot est une denrée aujourd'hui très recherchée, surtout quand il est stable et intéressant, le dodo est tout de même le meilleur moment de la journée, qu'on peine à quitter et qu'on prend plaisir à rejoindre. Mais si la vie n'est faite que de ce train-train, alors non:
bouger, bosser, roupiller, ce n'est pas une vie! La révolution de Mai ne porte pas essentiellement sur les structures politico-économiques mais le changement de la vie quotidienne. C'est l'une de ses originalités.
5- Nous sommes tous des juifs allemands.Magnifique formule, complétement incongrue, totalement universaliste et humaniste: elle manifeste une solidarité concrète, indéfectible, planétaire. On oublie trop souvent son origine: le communiste Georges Marchais renvoyant Daniel Cohn-Bendit à sa nationalité. Et le stalinien d'époque avait ajouté à l'opprobre: "anarchiste"! A tous ceux qui s'apprêtent comme moi à fêter l'anniversaire, n'oubliez pas cette réalité historique:
le PCF était contre Mai, et Séguy, communiste et cégétiste, s'est fait huer par les ouvriers après les accords de Grenelle. Nous sommes tous des juifs allemands, tous des dissidents soviétiques, tous des moines tibétains.
Nous sommes l'autre quand il est opprimé. C'est le plus beau slogan de Mai.
6- Vivre sans temps morts, jouir sans entraves.La libération des moeurs, la révolution sexuelle bien sûr, qu'il est aujourd'hui de bon ton de critiquer, par retour du puritanisme. Pourtant, sur ce point, Mai 68 a tout transformé. Il serait inimaginable de revenir à la France coincée, à la morale bourgeoise. C'est en ce domaine que le mouvement a été le plus révolutionnaire et le plus définitif. Les idiots fustigent une foire à la débauche et mettent scandaleusement la pornographie immonde et la pédophilie criminelle sur le compte de Mai. Comme si les orgies n'existaient pas dans la Rome antique? Comme si l'inceste était inconnu sous l'Ancien Régime? Arrêtons ces âneries. 1968, c'est ce que le gauchiste chrétien Maurice Clavel appelait "
le soulèvement de la vie". Pas une pulsion de mort, pas le stupre et la fornication, mais simplement le plaisir et la vie.
7- Il est interdit d'interdire.C'est le slogan de Mai le plus critiqué, et les idiots, encore eux, prennent un malin plaisir à le déformer: interdit d'interdire ne signifie pas que tout est permis! Les "soixante-huitards" interdisent le viol, l'exploitation, la violence et mille autres choses. Le slogan n'est pas laxiste, il est libertaire, et au bon sens du terme
libéral. Il émet d'ailleurs une interdiction, preuve qu'il ne prône pas le laisser aller absolu, mais une interdiction paradoxale: celle... d'interdire. Bref, il réhabilite la
liberté, la responsabilité personnelle. Car c'est l'interdiction qui provoque la transgression. Interdit d'interdire, c'est une très haute exigence. Sommes-nous capables de la satisfaire? C'est autre chose... L'homme se comporte souvent en enfant qui réclame des interdictions.
8- Sous les pavés, la plage.La formule même de la non violence, la grandeur de Mai 68: beaucoup de casse mais pas un seul mort. L'objectif, c'est le bonheur, la plage, car les pavés de l'époque reposaient sur une couche de sable. Le pavé, emblème s'il en est de 68, n'est donc pas d'abord ce qu'on jette sur les CRS, ce n'est pas avant tout une arme, c'est ce qui nous fait découvrir... la plage. Lénine, Trotski, Mao n'en reviendraient pas! La plage, ce n'est vraiment pas ce à quoi ils songeaient. Mai n'est pas une révolution comme les autres: c'est une
révolution heureuse et une révolution qui a réussi.
9- CRS-SS.Le slogan le plus court et le plus bête de Mai 68: si les étudiants avaient eu devant eux, contre eux, des SS, l'évènement n'aurait pas été une immense fête mais une terrible tragédie. Il n'empêche qu'une grosse bêtise peut avoir sa petite part de vérité: la police gaulliste était féroce, la répression était brutale, les "algériens" en 1962 en ont su quelque chose, bien avant les "étudiants" de 1968. Aujourd'hui, les forces de l'ordre ne pourraient pas, sans provoquer le scandale immédiat, se comporter ainsi. Mais elles n'étaient pas pour autant des divisions SS.
10- Ce n'est qu'un début, continuons le combat.C'est le slogan le plus classiquement politique de Mai 68. Faire de la politique, c'est toujours commencer, continuer, refaire.
La politique ne s'arrête jamais, ignore la déception, ne comprend pas le découragement. C'est pourquoi peu en font. On me dit parfois, à moi, depuis des années: mais pourquoi n'arrêtes-tu pas? Ce que tu fais ne mène à rien, tu répètes tout le temps les mêmes choses, etc. Je souris, ces braves ont raison et croient que j'ai tort, ils ne le savent pas ou le craignent: la politique c'est ça, un début recommencé, un combat continué. 1789, 1871, 1936, 1968.
J'ai été un peu long ce soir, c'est Mai qui m'a emporté avec lui! Le mouvement mérite qu'on en parle longuement. Je recommencerai demain, en vous commentant les pires slogans de Mai, ceux que j'aime le moins, que je récuse. Car Mai ne doit pas devenir une icône. Ce serait contraire à son esprit.
Bonne soirée soixante-huitarde.