Hasard de l'actualité: la radio m'apprend que le responsable de la communauté musulmane de Lyon, dont la mosquée a été victime hier d'un attentat, demandait l'installation d'une caméra-vidéo pour protéger le bâtiment. Je reprends donc mes réflexions de ce matin sur
la vidéo-surveillance, et la question primordiale, que j'ai voulu traiter à part, des libertés. Car c'est la plus grave accusation qu'on puisse porter contre ce système: il serait liberticide, dictatoriale, totalitaire. C'est pourquoi on lui colle ce nom, qui veut tout dire:
Big Brother!Il faut regarder ça de près, puisqu'ici la République est en jeu, et pour certains en danger. Est-ce vrai? Coûteux et inefficace, c'est embêtant, mais antidémocratique, c'est scandaleux, si ce jugement est avéré. L'est-il? "Big Brother", le terme est évidemment déplacé. Cette expression, comme chacun sait, est employé par l'écrivain anarchiste Orwell dans son roman à succès "1984", qui décrit un régime inspiré par les expériences stalinienne et nazie. Big Brother est un leader omniprésent, omnipotent et tyrannique. Vous pouvez multiplier les caméras dans notre société démocratique,
vous n'en ferez pas un univers à la Big Brother, même avec beaucoup d'imagination.
Même si on admet que la formule est métaphorique, elle est inopérante parce que totalement inadaptée. Elle se retourne contre ses utilisateurs,
tout ce qui est excessif étant insignifiant. La vidéo-surveillance est scrupuleusement soumise aux lois et aux autorités de la République. Je ne vois vraiment pas comment elle nous ferait plonger dans le fascisme. Et si, par malheur, notre société basculait de ce côté-là, nul besoin de la vidéo-surveillance pour que s'installe le totalitarisme; les seules forces policières et militaires suffiraient largement à cela, on l'a vu avec le régime de Vichy. Va-t-on pour autant critiquer et refuser la police et l'armée?
Une fois écartée la littérature, revenons à la politique et à la réalité, et reposons la question: la vidéo-surveillance, sans être totalitaire, menace-t-elle néanmoins nos libertés? Je réponds tout de suite:
le risque existe. Dans
L'Aisne Nouvelle de jeudi, deux arguments discutables sont avancés par des Saint-Quentinois:
1- "
Si on n'a rien à se reprocher, on se fiche d'être filmé". Non, je ne partage pas ce point de vue. D'abord, nous avons tous quelque chose à nous reprocher, des péchés vénielles, des rencontres discrètes, des activités intimes, des petites choses qu'on ne veut pas montrer, encore moins filmer, qui ne regardent que nous. Si j'ai envie de réaliser le fantasme de l'amour sous une porte cochère, je n'apprécierai guère que la scène s'inscrive sur un écran, même au nom de la sécurité nationale.
Ensuite, même quand on n'a absolument rien à se reprocher (admettons que ce soit possible), on ne se fiche pas nécessairement d'être filmé. Je connais des gens qui refusent qu'on les photographie. Ils ne sont fautifs de rien, simplement ils n'aiment pas ça. Il y a un droit moral à l'intimité et à la protection de la vie privée. Il n'est donc pas question, à mes yeux, d'installer des caméras partout et n'importe où.
Le lieu surveillé est déterminant en matière de liberté. Personne ne pense que la liberté est menacée parce qu'on met des caméras dans une grande gare parisienne.
2- "
De toute façon, on est déjà filmé un peu partout". A nouveau, je conteste. D'abord, il est faux de dire cela. Les caméras existent dans des endroits précis, après autorisation préfectorale et obligation de signaler leur présence. Qu'une caméra me filme dans une pharmacie, ça ne me dérange pas, parce que ce n'est pas devant un étalage de médicaments que je vais fixer mes éventuels rendez-vous galants. Mais si une caméra balaie un large champ d'un parc public, il y a alors interrogation sur le respect des libertés.
Plus généralement, il y a une différence, qui me semble fondamentale, entre la
surveillance ciblée d'un endroit précis (l'intérieur d'un magasin) et la
surveillance indistincte d'un espace public, une place ou une rue, par exemple. Et puis, même s'il était vrai que nous étions filmés un peu partout, ce ne serait pas un argument pour l'être encore plus.
Bref, le comité d'éthique a du pain sur la planche. Car une fois adopté le système de vidéo-surveillance,
le vrai débat politique ne fait que commencer: tout dépend de ce qu'on va faire de ce système. Je ne suis pas hostile au principe, vous l'avez compris en lisant mon billet de ce matin. Mais je pourrais être très hostile à la façon dont on va le mettre en place. Parce que le risque d'une atteinte aux libertés est possible, même s'il n'est pas inéluctable.
Bonne fin d'après-midi.
PS: comme ce matin, et comme toujours sur ce blog, j'expose des réflexions à l'état brut, toujours révisables, vos commentaires servant à cela.