Mes réactions à l'entretien télévisé du président: sur la forme quel diable d'homme! Le secret de Sarkozy, et il n'en a qu'un seul, c'est le
bagout. Je serai presque séduit si j'en restai là: c'est vif, direct, percutant, avec quelques bonnes formules. Quant au fond, je le dis comme je le pense, il n'y a
rien.
Prenez la
TVA sociale, va-t-elle ou non entraîner une hausse des prix?
Pas de réponse. Sarkozy nous explique qu'elle servira à lutter contre les importations venues de Chine et d'Inde. Ok, on a compris, il faut se méfier de ce qui est étranger, mais va-t-elle ou non augmenter les prix en France? Toujours
pas de réponse. Et comme la question se fait insistante, car c'est la seule que se posent les français à propos de la TVA sociale, une réponse arrive, qui sent l'échappatoire: cette TVA sociale, de toute façon, c'est une
expérimentation. Ah bon, un impôt peut être objet d'expérience?
Mais s'il faut l'expérimenter, c'est que Monsieur le Président n'est pas si sûr que ça de son utilité et de son efficacité. Lui nous dit que si, parce que Strauss-Kahn en a parlé et que les allemands l'ont fait. Quelqu'un qui s'appuie sur les autres pour défendre une mesure qui est la sienne ne m'inspire pas confiance. Et quelqu'un qui en le faisant se trompe doit être corrigé. Claire Chazal l'a fait en précisant que la TVA allemande était un tout autre dispositif, chargé de lutter contre le surendettement de l'Etat et pas contre les délocalisations. Quant à DSK, je l'ai déjà dit ici, il est favorable à une
modulation de la TVA selon les produits, pas à ce que propose Sarkozy, dont on ignore exactement la finalité exacte: diminuer le coût du travail? Taxer les importations? Redonner du pouvoir d'achat? Empêcher les délocalisations? On a l'impression, mais c'est confus, que c'est un peu tout ça à la fois. Il faudrait alors nous expliquer les articulations logiques, les liens de cause à effet. Quand on a du bagout, on doit pouvoir y arriver!
Venons en maintenant à un autre sujet qui préoccupent les français, les
franchises médicales. Ne sont-elles pas injustes, comme le pensent une majorité de français?
Pas de réponse. Sarkozy parle alors de la lutte contre le cancer (il l'appelle "le crabe", ça impressionne) et la maladie d'Alzheimer, en annonçant que tous les français seront touchés par cette maladie où "l'on sort de soi" (c'est bien dit et ça fait terriblement peur). Quel rapport avec les franchises médicales? Aucun, strictement aucun. La recherche pourrait parfaitement être financée par d'autres voies.
Là aussi, comme pour la TVA sociale, derrière le bagout, on sent
l'hésitation et la prudence. La
franchise médicale, c'est un "principe", que la négociation viendra préciser. Par exemple, sera-t-elle ou non remboursable, c'est à discuter. Mais là, je ne comprends plus: une franchise remboursable nous ramènerait au "ticket modérateur", ce ne sera plus la franchise que nous promettait Sarkozy. Surtout, l'objectif de "responsabiliser" les français dans leur dépense de santé, finalité morale que je ne partage pas vraiment mais qu'on peut comprendre, disparait puisqu'il y aurait de toute façon remboursement. Bref, comme pour la TVA sociale, je ne saisis pas très bien le
but de la mesure.
Sur la
réforme des universités, Sarkozy fait de belles phrases qui donnent envie. Il veut des campus avec des salles de sport, de théâtre et de jolies locaux, comme chez nos voisins. Bien, très bien. Ce qu'il oublie de dire, c'est que s'il y a une grande misère de l'université française, c'est que nous avons un double système d'enseignement supérieur, les grandes écoles pour les meilleurs, la fac pour les autres. Les Etats-Unis ne connaissent pas ça.
Passons sur le
service minimum dans les transports et le mensonge des heures de grève qui seraient payées. Si c'était le cas, il y aurait grève tous les jours, et massivement. Mais Sarkozy va peut-être nous dire que c'est le cas. Avec le bagout, "tout est possible", selon son slogan de campagne. Passons aussi sur cette misérable accusation de "preneurs d'otage" pour qualifier les cheminots grévistes, indigne évidemment d'un président de la République.
Je vais terminer par deux formules du président qui ont retenu mon attention (elles étaient sûrement faites pour ça):
- "
Mon programme, c'est le travail, matin, midi et soir". Voyez-vous, je trouve cet idéal de vie proposé aux français encore trop modéré. Le ministre du Travail (justement) va beaucoup plus loin, il ne cesse de se vanter de dormir quatre heures par nuit, ce qui, par parenthèse, pour un ancien ministre de la Santé, n'est pas très sage. Mais notre homme doit se considérer comme exceptionnel. Bref, Sarkozy doit prendre modèle sur Bertrand et le proposer à la France entière:
travailler matin, midi, soir et nuit.
- "
Je ne suis pas un théoricien, je ne suis pas un idéologue, je ne suis pas un intellectuel". Sarkozy s'en défend avec insistance, par trois fois, comme Pierre en trahissant Jésus. Il y a des redondances qui sont des révélations. "Intellectuel", voilà ce que Sarkozy-le-populaire n'aime pas. Il a bien sûr tort. Sur la TVA sociale, une approche un peu plus intellectuelle, c'est à dire logique, cohérente, articulée, finalisée, m'aiderait à comprendre ce projet. Mais peut-être n'y a-t-il rien à comprendre, le président ne faisant que satisfaire une revendication du patronat, que l'ensemble des français paient ses cotisations sociales à sa place?
J'ai une autre hypothèse sur cette énigmatique triple répétition. En vérité, Sarkozy est un intellectuel qui joue le modeste. C'est un vrai théoricien, ses mesures sont de pures idées, voilà d'ailleurs pourquoi il ressent tant le besoin de les expérimenter, qi'il s'agisse de la TVA sociale, de la franchise médicale ou de l'autonomie universitaire. Sa doctrine, c'est une sorte de
néolibéralisme à l'américaine, dans la lettre et dans l'esprit. Quelqu'un au PS l'avait fort bien compris et analysé, jusqu'à succomber à son objet d'étude, syndrome de Stockholm au plan politique: son nom, Eric Besson.
Bonne nuit.