Bonsoir à toutes et à tous.
Avez-vous remarqué ? Tout aujourd'hui est compliqué et le devient de plus en plus. Notre société n'a pas toujours été ainsi. Autrefois, quand on prenait un
billet de train, c'était rapide et facile. Désormais, la multitude des offres complique tout et prend du temps. Prenez les conseils de
parcours routiers pris sur internet : l'accumulation des détails fait regretter la bonne vieille carte Michelin. Et je ne parle même pas du meuble à monter soi-même acheté chez Ikea : le
mode d'emploi est une redoutable épreuve qu'on surmonte difficilement. Je pourrais multiplier les exemples et les comparaisons, le constat est flagrant : nous vivons dans un monde compliqué.
Il y a même une date qu'on peut symboliquement retenir : 1976 et la
création du Loto. Jusqu'à cette année-là, le billet de la Loterie Nationale était d'une extrême simplicité. On a aujourd'hui oublié, habitués que nous sommes à la complication, qu'il a fallu un certain temps pour que les Français s'habituent à un jeu de hasard au départ incompréhensible et générant de nombreuses erreurs.
Attention : ne confondons pas
complication et complexité. Celle-ci a toujours existé : un dossier fiscal, une théorie scientifique, un traité juridique sont des objets complexes car spécialisés. La complication, elle, concerne la vie quotidienne, quand ce qui est simple devient compliqué. Ne croyons pas non plus que la complication soit désagréable ou mal perçue. Au contraire, elle est l'occasion d'un
vrai plaisir, celui d'évoquer ou de se confronter à des choses compliquées. Avez-vous remarqué qu'autour de nous les propos de nos concitoyens sont à l'envie embrouillés ? Ce n'est certes pas systématique mais fréquent. Les qualités de clarté, simplicité, concision et synthèse sont devenues rares dans le débat public ou la conversation privée.
Quel plaisir singulier peut-on trouver à être compliqué ? D'abord, contrairement à ce qu'on croit, il est très
facile d'être compliqué, obscur, embrouillé ; à l'inverse, la simplicité d'expression, la limpidité du propos sont des objectifs compliqués. Ensuite, la complication satisfait la
vanité ; elle permet de paraître savant, expert, intelligent à peu de frais et d'exercer un certain pouvoir sur autrui. Enfin, la complication est une sorte de
superstition : on admire le discours compliqué, on se dit que celui qui le tient ne peut qu'avoir raison, on se dispense d'aller chercher plus loin et de réfléchir par soi-même. Comme souvent, il y a une connivence entre le dominant et le dominé.
La société compliquée est aussi le produit de facteurs très contemporains :
1- La liberté. L'individu est beaucoup plus autonome qu'autrefois. A l'époque où l'on votait comme ses parents ou grands-parents, où l'on suivait les recommandations morales de monsieur le curé, les choix étaient relativement simples. On savait ce qu'étaient la gauche et la droite, le bien et le mal, un ouvrier et un bourgeois. Impossible aujourd'hui,
beaucoup plus compliqué.
2- L'abondance. Dans une société de rareté, où les produits étaient en nombre limités, tout était simple, l'hésitation, le regret, la versatilité n'avaient pas trop leur place. Entrez dans n'importe quel rayon d'hypermarché : il y a de quoi s'y perdre ...
3- La technologie. Je crois que c'est un facteur majeur d'explication. Pendant des millénaires, les techniques humaines demeuraient rudimentaires malgré leur perfectionnement. Conduire une carriole, utiliser un outil, manier une arme, ces techniques n'étaient pas sophistiquées. A partir de la deuxième moitié du XXème siècle, la vie ordinaire s'est peuplée d'objets et de pratiques extrêmement perfectionnés qui valorisent les individus en même temps qu'ils les aliènent joyeusement : automobile, téléviseur, mobile, ordinateur, toute la gamme offerte dans l'audiovisuel et l'électroménager.
C'est pourquoi la
politique ne peut plus être comme autrefois. Par mon expérience personnelle, j'ai souvent remarqué que les discours les plus clairs, les plus directs désormais incommodent, laissent sceptiques, passent presque pour indécents de simplicité. En revanche, les logorrhées pâteuses, pleines de sigles et de termes techniques, séduisent, suscitent l'approbation et soulèvent les applaudissements, moins on les comprend plus on est confiant. Il faudra s'y faire : c'est ça aussi
la société compliquée.
Bonne soirée,
pas trop compliquée j'espère.